Il était une fois dans un pays lointain, un homme répondant au nom de Lugonis. Unique fleuriste dans une petite ville, il vend ses fleurs aux quatre coins du pays et vit modestement. Le manque d'argent ne le gêne guère, ses deux fils font son bonheur : Aphrodite l'aîné et Albafica le cadet. Les deux jeunes gens, d'une rare beauté presque légendaire, attisent la convoitise, la jalousie et la curiosité des hommes et femmes de tous horizons. Si Aphrodite ne se lasse pas de se pavaner et de dépenser le peu d'argent en leur possession pour s'acheter des parures de cheveux et de beaux vêtements, Albafica demeure beaucoup plus simple et discret. Si Aphrodite rêve de faire un beau mariage et de partir vivre dans une grande ville pour étaler sa future richesse, Albafica préfère travailler au jardin avec son père et ne rechigne pas à l'idée de prendre le relais de Lugonis et de vendre à son tour des fleurs lors de ses absences. Il peut passer des heures, à genoux dans la terre, pour retirer des mauvaises herbes et prendre soin de leur jardin. Et lorsqu'il ne travaille pas, il préfère se retirer dans sa chambre et se plonger dans quelques livres narrant des histoires de Déesse en détresse et de Chevaliers d'Or lui portant secours, de Princes Grenouilles, de Princesses à la Chevelure Magique, de Sirène explorant les fonds marins et de créatures mythologiques telles que les Griffons, les Minotaures, les Harpies, les Gorgones…

Une attitude réservée qui en laisse plus d'un perplexe. Certains murmurent d'ailleurs qu'Albafica a cette attitude seulement pour se rendre intéressant… mais ceux qui tiennent ces propos sont également ceux dont le jeune homme a poliment refusé les invitations à danser aux bals…

Albafica descend les marches d'escalier dont le bois grince sous ses pieds.

- Tu tombes bien ! s'écrie Lugonis en lui adressant un chaleureux sourire. Aide-moi donc à charger ça dans la charrette !

Sans se faire prier, le jeune homme traverse la petite cuisine et ramasse trois pots en terre cuite qui attendent sur le seuil de la porte ouverte donnant sur la cour.

- Vous partez encore, Père ?

- Comme tu le vois. Il y a un grand marché dans le Sud, je vais aller proposer quelques articles là-bas, avec de la chance nous pourrons nous faire connaître davantage. Notre voisin dit que j'ai toutes mes chances là-bas, je pourrais peut-être même revenir avec plus d'or que nous n'en avons jamais eu.

Indulgent, son fils l'aide à charger le véhicule autant que possible :

- Vous dîtes cela à chacun de vos départs, mon Père… Espérons que les Dieux vous écouteront, cette fois.

Albafica se baisse pour récupérer encore des plantes. Aphrodite choisit cet instant pour les rejoindre en baillant et s'adosse contre le chambranle de la porte :

- Il y a intérêt, je n'ai plus grand-chose d'intéressant à enfiler lorsque je vais voir mes amis au village, si je veux continuer à pouvoir les fréquenter il faut que je puisse exhiber quelques nouveautés.

Son cadet lève les yeux vers lui en se remettant debout, sans se soucier de la terre qui vient salir son pantalon :

- Ce n'est pas interdit de nous aider, tu sais…

Une moue boudeuse aux lèvres, l'ainé fixe les mains sales de son petit frère :

- Tout le monde n'est pas un amateur de la saleté.

- Ce n'est qu'un peu de terre, marmonne Albafica. Rien de néfaste.

- Moi, contrairement à toi, je prends soin de mon physique et tout le monde m'adore au village. Toi, tu as une réputation de sauvageon adorateur de la saleté.

- Il suffit, les enfants… soupire Lugonis en voyant Albafica ouvrir la bouche pour protester. J'ose espérer que vous serez sage en mon absence, comme d'habitude…

- Oui, Père, répondent-ils en chœur.

Mais Albafica sait ce qu'inclue le départ de Lugonis. Comme à chaque fois, Aphrodite va passer ses journées à s'amuser avec des amis, dépenser l'argent restant pour payer à boire et à manger à ces mêmes amis afin de ne pas perdre sa popularité et il va surement en profiter pour lancer des invitations à droite et à gauche afin d'organiser une ou deux fêtes dans leur maison…. Tandis que lui, Albafica, se contenterait de tenir cette maison propre, debout et prendrait dans ses propres économies pour remplacer l'argent qu'Aphrodite aura dépensé, afin que Père ne sache jamais rien de la vie de débauche menée par son ainé.

- Le Marché sera particulièrement important, je vais surement trouver des produits inédits. Voulez-vous que je vous ramène quelque chose en particulier ?

- Oh non, père, sourit Albafica, du moment que vous revenez et que vous faites quelques ventes… ne commencez pas à faire des folies.

Un petit rire échappe à Lugonis qui lui tapota la joue :

- Allons, allons, il faut bien que je fasse parfois des cadeaux à mes deux fils… Aphrodite, que voudrais-tu ?

Ravi, l'ainé bat des deux mains en sautillant presque de joie sur place :

- Un nouveau miroir, en argent cette fois ! Ou un peigne en nacre ou en ivoire !

- Très bien, je verrai si je trouve tout ça… Et toi, Alba ?

Songeant que son frère vient déjà de dépenser l'argent que leur père n'a même pas encore commencé à gagner, le jeune homme soupire :

- Rien… Je n'ai besoin de rien…

Une exclamation méprisante échappa à Aphrodite :

- C'est ça, joue le modeste à présent ! Ainsi je passe pour le capricieux, c'est ça ? Tu ne gagneras pas à ce petit jeu !

Albafica regarde son père qui lui pose une main sur la tête.

- Vraiment rien ? Il n'y a pas un souhait que je puisse exaucer ? C'est une opportunité d'aller là-bas, tu sais…

- Puisque vous insistez… S'il y a un concurrent à ce Marché et s'il vend des roses, j'aimerai que vous m'en rapportiez une. Et si c'est trop cher, par pitié, ne dépensez pas votre argent en vain, essayez de savoir au moins comment il fait pour en faire pousser. J'ai essayé maintes fois ici et je n'y arrive pas…

- C'est là ta seule envie ?

- Oui.

Aphrodite lève les yeux au ciel en rentrant dans la maison sans même dire au revoir à leur père :

- J'hallucine, une rose… Quand les copains vont savoir ça… Remarque, ce sera l'occasion de rire un bon coup…

Faisant semblant de ne rien entendre mais prenant note d'éviter les « amis » de son frère dans les jours à venir, Albafica sourit à Lugonis qui contourne la charrette :

- Combien de temps pensez-vous être absent ? interroge-t-il en flattant l'encolure du cheval piaffant d'impatience à l'idée de pouvoir se dégourdir les pattes.

- D'ici une dizaine de jours. Prend bien soin de toi et de ton frère.

Albafica acquiesce et s'écarte pour laisser passer la charrette pleine :

- Au revoir, Père !

Jusqu'à ce que Lugonis disparaisse de sa vue, le jeune homme reste planté sur le petit chemin de terre en faisant un signe d'au revoir de la main.

Les dix prochains jours ne vont pas être de tout repos…

Résigné, il rentre dans la maison en fermant la porte derrière lui. Immédiatement, il se précipite vers le vase contenant les économies de leur petite famille et plonge la main dedans en espérant sauver ce qu'il peut.

Trop tard. Aphrodite a déjà pris tout ce qu'il y avait.

Maudissant son frère ainé, Albafica monte à l'étage :

- Hé ! Repose immédiatement l'argent que tu as pris !

- Quel argent ? minaude Aphrodite d'un air innocent. Je n'ai rien pris du tout. Je sors, au fait, ne m'attend pas pour dîner !

Avant que le jeune homme ait pu en placer une, son frère est déjà descendu et claque la porte de la maison.

Dépité, Albafica s'approche de la fenêtre et le regarde s'éloigner en direction du village.


Plissant les yeux, Lugonis tente de déchiffrer les panneaux. Deux chemins s'offrent à lui mais les pluies ont tellement effacé les inscriptions qu'il est impossible de réussir à lire quoi que ce soit.

Hier midi, l'aubergiste m'a dit qu'il fallait toujours prendre au Sud, donc je vais essayer par là.

Lugonis engage sa charrette sur le chemin de droite qui semble le plus praticable. Du moins est-ce le cas pendant plusieurs heures jusqu'à ce que les pavés bien taillés cèdent la place à d'autres de plus en plus inégaux sur lesquels son cheval manque de se tordre plusieurs fois les pattes. A mesure que la journée avance, le ciel s'assombrit et les pierres finissent par disparaitre au profit d'un chemin de terre, de nids de poule et de racines noueuses.

J'aurais peut-être dû prendre l'autre chemin au dernier croisement, songe-t-il avec inquiétude.

Mais il est un peu tard pour reculer et faire demi-tour. Ce chemin, aussi étrange soit-il, doit bien conduire quelque part et de là il pourra demander sa route.

Espérons que je ne vais pas prendre de retard…

Jetant régulièrement des coups d'œil incertains autour de lui, Lugonis continue d'avancer alors que le chemin s'enfonce dans une sombre forêt inquiétante.

Digne des histoires que lit mon petit Albafica… On dirait une Forêt Hanté où dansent des farfadets lors des pleines lunes et où vivraient quelques monstres étranges.

Penser à son fils adoré lui redonne un élan d'espoir et de motivation. Il retrouve le sourire, imaginant son expression heureuse lorsqu'il lui tendra une belle rose à son retour et lui dira en même temps comment réussir à les faire pousser dans leur jardin.

Ravigoté, Lugonis chantonne même en continuant de s'enfoncer dans cet étrange endroit.

Ce n'est pas très accueillant, mais si ça se trouve il s'agit d'un sacré raccourcis !

Sa bonne humeur s'estompe alors qu'une averse s'abat brusquement sur lui et que le vent se lève. Rapidement, l'homme se retrouve trempé jusqu'aux os et frissonne de froid.

Péniblement, son cheval continue d'avancer le long de l'instable chemin rendu glissant par la pluie abondante.

Si seulement nous pouvions nous abriter…

Comme en réponse à sa prière, Lugonis aperçoit soudain une lueur entre des arbres. Une lueur qui s'agrandit au fur et à mesure de leur avancée.

Au bout d'une longue demie heure, le chemin s'arrête soudain devant les grandes grilles ouvertes d'un château d'où provient l'éclairage qu'il a vu. Plusieurs fenêtres sont allumées.

Repérant en premier lieux les écuries, Lugonis guide sa monture vers elle. Un peu surpris de ne trouver personne, il laisse le contenu de la charrette à l'abri et sourit en libérant son cheval. Fourbu et affamé, ce dernier se précipite vers une mangeoire remplie de foin qui ne semble attendre que lui.

Lugonis traverse rapidement une petite cours et arrive devant les portes du château qui s'ouvrent avant même qu'il ait frappé au battant. Intrigué mais ravi de pouvoir se mettre au sec, l'homme entre.

- Bonsoir ! claironne-t-il. Il y a quelqu'un ?

Aucune réponse ne lui parvient, oralement du moins, car devant lui viennent de s'allumer des dizaines de bougies sur une vaste table débordant de mets plus délicieux les uns que les autres.

Bien qu'hésitant, Lugonis s'approche. Les délicieux fumets viennent de lui faire réaliser que son estomac crie famine.

- Eoh ? Est-ce que je peux me servir ? Il y a quelqu'un ?

Personne ne lui répond. Espérant ne pas être en train de commettre une erreur, l'homme s'empare d'un petit pain rond et mord dedans. Constatant que personne ne jaillit de derrière un mur pour l'agresser, il reprend confiance et finit son pain, avant de piocher au hasard dans tous les plats qui lui passent à portée de main. Il admire la richesse des lieux. Des tapisseries représentants des demi-griffons recouvrent un mur, des sculptures de Dieux et de Déesses semblent veiller sur lui avec bienveillance.

Quel étrange château… Dommage que mon petit Albafica ne soit pas là.

Le ventre plein, Lugonis continue sa visite des lieux, de plus en plus persuadé que cet endroit appartient aux divinités. A chaque pièce où il pénètre, des bougies s'allument par magie, des feux chaleureux sont allumés dans les cheminées. Le summum de la surprise se trouve dans un petit salon. Un feu éclatant réchauffe la pièce, des vêtements à sa taille sont posés sur un fauteuil et semblent n'attendre que lui. Devant le fauteuil se dresse une petite pile de bijoux, de pièces d'or, de colliers, de perles, de bagues, de bracelets… un miroir en argent, un peigne en ivoire et un autre en nacre.

Incroyable… Ce sont les cadeaux réclamés par Aphrodite ! et ce bracelet… j'ai été obligé de le vendre pour nourrir les enfants… et cette bagues que j'avais perdu en jouant aux cartes !

Eberlué, il passe ses trouvailles en revue en notant toutefois un détail.

Pas de rose pour Albafica et rien qui pourrait expliquer comment en avoir dans notre jardin. Mais je suis sûr que lorsque je rentrerai avec tout ça, il ne se formalisera pas de ne pas avoir sa fleur.

Sous l'émotion, Lugonis se laisse tomber dans le fauteuil le plus proche. Ce tas d'or le concerne et est visiblement pour lui. Avec ça, il n'a même plus besoin d'aller au Marché pour avoir quelques pièces. Il a de quoi nourrir sa famille et vivre confortablement pour de nombreuses années et même d'offrir un somptueux mariage à Aphrodite.

Bénis soient les dieux…

Epuisé, l'homme ferme les yeux dans le fauteuil, heureux. Déjà il voit ses fils surpris de le voir revenir plus vite que prévu, puis leur stupeur lorsqu'il leur montrera toutes ces richesses. Ils ne manqueront jamais plus de rien…


hello ! Ceux qui se posent la question : non, la version Disney ne m'a pas inspirée, je me suis beaucoup basée néanmoins sur le film de Cocteau en Noir et Blanc et sur le film sorti en 2014 avec Vincent Cassel... bonne lecture pour la suite, le chapitre 2 arrive