NOTE IMPORTANTE :

La première partie est centrée sur Carl, et l'histoire prend place après la première attaque des Wolves. Exit Negan et Jésus, l'histoire change complètement. J'ai modifié d'autres choses, comme le fait que Daryl ne sache pas lire, des conneries du genre.

La deuxième concerne Daryl. J'y ai ajouté quelques éléments du comic, comme Ezéchiel et l'Usine de Negan (sans Negan). Les deux parties sont liées par plusieurs scènes qui se font écho, dont la scène du miroir qui devait être de base l'unique en commun, ainsi qu'aux musiques, OC/objets qui ne sont pas de moi (je laisse le soin aux quelques auteurs de se retrouver, héhéhé – Ours si tu passes par-là sache que tu vas me manquer). Des paroles de la chanson Miroir de BigFlo et Oli ont été intégrées à la scène du miroir, donc les dialogues ne sont pas tous de moi. Bref.

La musique de ce chapitre est You'll Never Walk Alone de Nina Simone.

Enjoy !

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Carl Grimes, AK-47 à la main, s'avança sur le bitume bien sale de la ville. Devant lui, carcasses de voitures brûlées, poteaux projetés, vitres brisées et autres dommages se mêlaient tel un immense capharnaüm qui lui brûlait les yeux.

Il avança sur deux mètres, calme et froid. Carl était devenu bien grand – il mesurait un mètre quatre-vingts quatre. Derrière lui, Michonne faisait luire l'éclat de ses deux sabres à la lumière du Soleil, étirant ses jambes, son dos, ses bras.

Glenn, à sa droite, vérifia son chargeur, s'entraîna à viser avec sa mitraillette. Sa barbe le vieillissait légèrement, mais ses muscles puissants en effrayaient plus d'un. Il était vif et en pleine santé, malgré ses probables trente-huit ans. Carl, lui, allait atteindre les vingt-sept, selon leur calendrier. C'était un homme accompli, dorénavant.

Michonne, féline et souple, se glissa jusqu'au premier monticule de voitures, qui s'étaient percutées il y avait de cela plusieurs années. Carl, en bon chef avisé, la rejoignit très vite, pour jeter un œil à la rue, bouchée par tant de voitures.

Ils n'avaient libéré que deux tiers de la ville. Ils y vivaient bien, leur groupe était en sécurité depuis sept ans. Ils étaient heureux.

Ils vivaient à deux cents quatorze dans plusieurs immeubles et une vingtaine de maisons fortifiées, leurs rues étaient propres et sûres. Ils avaient même vidé le métro sous leurs pieds, et s'en servaient comme bunker en cas de danger. Ils étaient tranquilles, ils avaient même un nom. Les Frères. Ah, il fallait aussi compter Les Parkoureurs.

Carl plissa les yeux, contempla la vague de morts qui grognaient de l'autre côté. Il était couvert de sang de Rôdeurs, tout comme son groupe. Les trois premiers sont membres du Conseil, des chefs, et derrière attendent une ligne de quinze hommes. Dix mètres plus loin, c'était deux tout-terrains munis de mitraillettes, que Felipe et Ron maniaient à la perfection.

Carl leva le poing, regarda une dernière ses Frères Michonne et Glenn, d'un œil bienveillant et alerte. Ne mourrez pas. Pas aujourd'hui. C'est un ordre, depuis presque quinze ans, transmis par Rick. Les deux hochèrent la tête, Michonne entre eux. Les trois, silencieux comme jamais, sautèrent sur les voitures, grimpèrent sur les capots. Les morts levèrent la tête et d'un coup d'œil, Glenn en compta une bonne centaine, qui s'était amassée au fil des années.

Michonne, agile comme personne, descendra peu à peu et achèvera ceux à terre. Glenn et Carl la couvriront, comme toujours.

Carl, le poing levé, abaissa son bras violemment, et ils se mirent à tirer. La première lignée d'hommes s'avança tout autour et ensemble, ils procédèrent à un carnage dont le vacarme incendia les oreilles du garçon.

Carl Grimes allait délivrer Atlanta entière de ses morts.

Mais revenons en arrière, voulez-vous ? Carl veut prendre le temps de vous raconter. C'est l'histoire d'un homme, son histoire, et celle de ses Frères. C'est important.

Remontons presque dix-huit ans en arrière. Au tout début, lorsque le monde avait sombré. Il n'était encore qu'un enfant, dans la carrière d'Atlanta. Vous vous souvenez ?

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Carl était fort. Carl était beau, Carl était important.

Mais Carl Grimes n'était pas grand. Alors, il n'avait pas le droit de participer à la survie de sa famille. C'était son père, son grand et puissant papa, qui devait s'en charger. Parce que Rick Grimes dégoulinait d'assurance, qu'il avait le charisme et les épaules, que Carl avait bien maigrichonnes, frêles. Et Carl Grimes aimait son papa, plus que tout sur Terre.

Sauf que son papa, qui venait tout juste de revenir d'Atlanta, ne cessait d'y retourner, pour des vivres, pour Merle, et un tas de choses bien futiles aux yeux du petit garçon qu'il était. Shane, en bon gardien, veillait sur lui et sa mère. Carl s'était même dit que cela pouvait être mieux sans son père, parce qu'il n'avait pas à s'inquiéter chaque fois qu'il le voyait partir. Mais Shane, malgré toute la bonne volonté qu'il avait, ne pouvait remplacer son père. Il lui manquait ce truc, le lien du sang, ou la stabilité mentale, peut-être. Et sa mère semblait en colère contre Shane, mais à l'époque, il n'avait pas compris pourquoi.

Il pensait souvent à Shane. Shane, c'était son mentor, celui qui avait épaulé son père, le second homme de sa vie. Shane était quelqu'un, avant que Carl ne lui tire en pleine tête –il s'était déjà transformé, certes, mais une balle dans un crâne restait une balle dans un crâne-, mais depuis le temps, le Grimes finissait par l'oublier.

Quand il y repensait, son père avait toujours été absent, dans sa vie. Malgré ses Carl et toute sa bonne volonté, dès la fin du monde, il avait su que, maintenant, c'était à lui de se prendre en main. Parce que son père ne pourrait pas toujours être là, parce que sa mère n'était pas préparé à ça, parce s'il n'apprenait pas à survivre et s'il mourrait, ses parents n'auraient plus aucun objectif ni raison de lui survivre.

Il avait passé les deux premières années à leur faire comprendre, tout du moins, à essayer. Que ce soit dans la carrière d'Atlanta, dans la ferme d'Hershel (Dieu, il ne se souvenait même plus de sa maison !) ou à la prison, son besoin d'émancipation n'avait été qu'un besoin de vivre.

Carl n'était pas fort, à cette époque, et avait vécu dans l'ombre de son père, ou plutôt dans l'ombre de son chapeau de Shérif, à attendre avec sa mère le retour de Grimes Senior, toujours sur les routes.

Et sa mère en était morte. Carl en avait voulu à son père, il considérait que s'il avait été avec eux, Lori aurait survécu. Mais, quand on y réfléchissait bien, Rick avait été là. Il était dans la prison, quand celle-ci avait été envahie, il n'était pas dehors à la recherche d'il-ne-savait-quoi, il aurait pu les sauver. Et pourtant, Carl avait dû abattre sa mère une seconde fois, comme pour Shane. Carl réparait les erreurs de son père, et celui-ci était incapable de le voir, le considérant comme faible et inexpérimenté, alors que Rick n'avait pas eu à tuer sa femme ou son meilleur ami (enfin…pas une deuxième fois). Rick ne savait pas ce que c'était.

Il lui en avait voulu, oui. C'était Rick, l'incapable. C'était Rick qui n'avait pas su se réveiller à tant de son coma, c'était de sa faute si Shane était devenu fou. Parce qu'après tout, Shane l'avait cru mort, et c'était le poids de sa culpabilité qui l'avait tué. Rick, qui croyait être le sauveur de l'Humanité, n'en n'était que le meurtrier.

Ainsi, Carl était devenu fort. Dès la prison, il avait su surpasser son père, et lui survivre, au contraire de Lori et Shane. Il s'était dit que lui pourrait protéger les autres, la prison toute entière. Il avait mis une balle à sa mère déjà morte, qu'est-ce qui pouvait bien arrêter Carl après ça ?

Ils avaient perdu la prison, malheureusement. Quand le Gouverneur était venu pour négocier, Hershel au pied, Daryl se tenait aux côtés de Carl, armant leurs Frères, car la promesse de la guerre était à leurs portes. Je peux l'avoir d'ici, avait-il dit au dernier des Dixon. Je peux avoir le Gouverneur.

Mais Daryl avait encore confiance en Rick, au contraire du propre fils. Laisse faire ton père, avait-il répondu. MAIS T'ES CON OU QUOI C'EST DE MON PERE QU'ON PARLE aurait-il voulu lui hurler. Rick qui pensait négocier et mentir au Gouverneur, c'était n'importe quoi ! Ne voyait-il pas le tank, prêt à détruire leur maison ? Ne voyait-il pas la haine dans les yeux de Blake ? Mais qui était son père, au final ? Encore ce bon vieux Shérif ou ce menteur hors-pair ?

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Son père n'était plus un Shérif, au final. Ni même un menteur ou un chasseur, comme il le pensait, ça non.

Son père était un monstre.

Les dents plongées dans la carotide du salopard qui avait voulu lui exploser la gueule une minute avant, Rick avait retiré sa tête pleine du cou de l'homme, crachant la chair qui lui était restée entre les dents. Le porc qui lui avait bavé dessus l'avait relevé, et Carl n'avait toujours pas réussi à se défaire de sa prise, alors que Michonne, sa meilleure amie, avait menacé le dégueulasse de son pistolet. Laisse-le. La voix rauque de son père lui avait donné envie de se faire dessus, et Carl n'avait pas su qui craindre à cet instant précis. Il est à moi.

Attends, on peut discuter, on peut… Mais Rick avait été intraitable. Carl avait apprécié le geste. Et il avait eu la haine. La haine parce qu'il aurait aimé pouvoir se défendre lui-même, la haine des gens et de ce monde, la haine d'avoir vu son père s'enfoncer toujours dans l'horreur pour lui sauver la vie. Il n'avait pu quitter des yeux celui qui avait failli être son violeur, ne cessant de se dire que c'était la chose à faire, et il avait compris qu'au final, ils étaient tous des monstres, mais seul Rick avait eu le cran de l'admettre et les épaules pour supporter une telle vérité. Il n'avait peut-être pas protégé Judith ou Lori, mais Carl, il ne le lâcherait pas de sitôt.

Enfin, de sitôt. Quelques mois tout au plus, le temps de passer par la ville de Deanna Monroe.

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Que dire d'Alexandria ? Que dire, si ce n'était qu'il avait cru en Enid, en son cœur, mais que cette traîtresse l'avait vendu à un groupe dominant pour quelques jours de répit ? Just Survive Somehow, et c'était tout ? Mais ce n'était pas ça, la vie. Comment avait-elle pu lui faire ça, ou encore au petit frère de Ron, tout aussi trahi, et mort ?

Mort, comme Rick, qui avait voulu le protéger une dernière fois, alors que Daryl le tirait en arrière en l'implorant de le suivre, l'incendie et les Rôdeurs ravageant tout sur leur passage, alors que Jessie avait serré son dernier fils contre sa poitrine, et que Glenn avait tiré sur les morts. Mort mort mort, il ne restait rien, pas même une étincelle d'espoir dans le cœur de Carl, dont l'âme s'était évadé avec ses hurlements.

Tout avait été réduit en cendres. Les Wolves étaient revenu au bout de deux longues semaines, après le massacre de la ville, cette fois-ci plus armés et nombreux. Sur le coup, Carl s'était dit que ce serait comme la première fois, qu'il s'en sortirait intact, et Judith aussi. Mais les Wolves avaient été tenaces, et ils avaient anéantis la ville.

Enid, il la retrouvera, et il la tuera. Il devait bien ça aux Grimes, pour perpétrer sa mémoire, et celle d'Alexandria, aussi, dont la population s'était réduite à quinze personnes. Il retrouvera les Wolves, et il les brûlera tous, les persécutera lorsqu'ils se finiront tous en Enfer. Rick, Sam, Deanna, Gabriel, Eugene, Tara, Sasha, Denise. Ça faisait huit morts qu'Enid avait à payer.

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Malheureusement, la petite troupe avait dû migrer le plus loin possible à l'Est, alors que les Wolves et Enid, eux, venaient du Sud-Ouest. Daryl et Michonne, nouveaux chefs du groupe, avaient refusé d'y retourner. Putain, il leur en avait voulu. Où étaient passées leurs tripes et leur rage ? Avaient-ils oublié l'envie du sang et le besoin de vengeance ? Pour le coup, Glenn avait été de son côté. Maggie s'était contentée d'exister dans l'ombre de son mari, son ventre s'arrondissant aussi vite que ses joues s'étaient creusées. Ils allaient crever sans avoir pris leur revanche. Ah ! Dire que pour le Terminus, ils s'étaient fait une joie d'apprendre à ces cannibales le respect ! Son père savait y faire, lui ! Pas comme ce pleutre de Daryl et cette faible Michonne !

Enfin, pleutre et faible. Daryl s'était quand même tué à la chasse pour qu'ils puissent vivre. Et Michonne avait sacrifié sa santé mentale pour le bien-être physique des autres.

Ils avaient été une quinzaine dans la nature, avec Carol, Morgan, Jessie et son fils Ron, lui, Maggie et Glenn, Aaron, Abraham et Rosita, Jon, Arthus et Klaus. Carl n'avait même plus reconnu son groupe.

Klaus, ce n'était même pas un prénom. Pour lui, ce gars était sorti de nulle part. Un mec qui avait vécu à Alexandria sans même qu'il ne se rende compte de sa présence. Il n'avait jamais assisté à un Conseil, et n'avait connu Rick que de vue. Il restait la plupart du temps cloîtré chez lui, jusqu'à la seconde attaque des Wolves. Elle était survenue juste après le départ de l'immense horde qui avait pénétré la ville, et qu'ils avaient réussi à éloigner. Enfin, c'était ce qu'ils avaient cru. En vérité, les Wolves avaient beaucoup aidé avec quelques fusées éclairantes puis avec un incendie de forêt involontaire. Feu qui, par chance, s'était dirigé dans la direction opposée (emportant donc la vague de Rôdeurs), et les habitants étaient alors sortis avec soulagement. Mais il y avait toujours des retardataires, dans les hordes, et ceux-ci avaient semé la panique avant que les Wolves ne finissent le boulot.

Klaus, donc. Le jeune homme taciturne avait rechigné à prendre les devants quand il s'agissait de s'aventurer en-dehors de la zone de confort qu'était le groupe, et s'était aisément caché derrière Carol lorsqu'il en avait eu l'occasion. Celle-ci, qui se frittait de plus en plus avec Morgan et qui ne supportait pas Klaus, avait proposé qu'on le tue, persuadée qu'il les mènerait à la mort. Morgan s'était indigné, comme Dale aurait pu le faire. Carl s'en foutait, tout ce qui lui importait, c'était Judith. Celle-ci ne criait plus. Du tout. Ne gémissait même pas quand elle avait faim ou froid. Elle se contentait de regarder et d'attendre que le temps passe. Et elle était maigre, pour un bébé.

Et Klaus s'était plaint. Tout le temps. Personne ne lui parlait, personne ne l'aimait, et Jessie avait même du écarter Carol un soir où il avait encore franchi la ligne. Michonne et Daryl avaient beau le menacer, l'engueuler, ils n'avaient osé le tuer. Ils n'avaient pas assumé leur nouveau rôle de chef, et Carol ne s'était pas privée pour le leur dire. Mais personne n'avait voulu de Carol comme chef, parce qu'elle était devenue si effrayante et froide que même Daryl avait eu peur d'elle. Et pour elle, car Carol se perdait.

Comme cette fois où elle avait giflé Jessie qui avait soi-disant eu une meilleure part de rat qu'elle, alors que Jessie n'était pas si importante pour leur survie. Ron et Carl s'étaient interposés, une bagarre avait failli éclater.

Mais c'était Daryl qui avait tout réglé. Il avait crié, repoussé brutalement Carol. Mais t'es qui, putain ? Avait-il hurlé. T'es pas Carol, t'es qu'un monstre ! T'es plus la mère qui pleurait sa fille !

Alors Carol s'en était allée. Enfuie, plutôt, et Morgan s'était précipité à sa poursuite. Carl ne savait pas ce qu'il s'était passé entre eux, mais ils n'étaient revenus que trois jours plus tard, ayant suivi leurs traces. Carol s'était excusée en privé envers Jessie, et était redevenue la femme silencieuse et froide qu'elle était, la violence en moins. On la fuyait plus ou moins, on la regardait de travers. Klaus, ravi de ne plus être le mouton noir du groupe, avait cru trouver en Carol son exutoire. Au départ, cela n'avait été que quelques piques indirectes glissées çà et là. Puis, au fil du temps, il s'était fait virulent. Si bien que Carol, alors qu'ils résidaient dans une grange, s'était jetée sur lui et l'avait tabassé. Si fort que Carl avait eu l'impression de voir son père battre Pete. Abraham les avaient séparé, mais le mal avait été fait. Tu mérites de mourir ! Tu mérites d'être seul, t'as mérité toutes les merdes qui te sont tombées sur la gueule, parce que t'es qu'un faible ! T'as mérité d'voir ta famille crever sous tes yeux !

Cela n'avait pas été le seul problème de la journée, évidemment. Maggie avait fait une fausse couche dans cette même grange, et sans Jessie et Carol, redevenue elle-même le temps d'aider sa campagne de route, la Greene en serait morte. Daryl, Arthus et Aaron ne voulaient pas que Maggie décède suite à ses carences alimentaires, alors ils avaient pris le vieux pick-up abandonné là pour tenter de trouver une ville. Jon, ancien catcheur professionnel, s'était révélé d'une étonnante et grande aide. Il avait assisté à toute l'opération, était resté un temps infini avec Maggie, et l'avait choyé, alors que Glenn, anéanti par la mort de son bébé, n'avait su trouver les mots ou les gestes. Il s'était juste plus ou moins enterré dans un coin, prêt à se laisser mourir.

Daryl et Aaron étaient revenus le sac plein, mais sans Arthus. Klaus s'était remis physiquement, et était retourné à son mutisme lourd et inquiétant. Mais les autres avaient eu encore tant à faire, tant à s'occuper, tant de blessures à panser, qu'il était carrément passé au quatrième plan.

Et il avait fini par croire qu'il méritait l'Apocalypse. Au bout de deux semaines, il avait arrêté de manger, acceptant à peine de boire. Il traînait sa carcasse là où on voulait aller, sans rien dire. Au bout d'une autre, il mangeait à nouveau, mais la dépression avait renforcé son amertume, qui s'était muée en colère. A ce moment, ils étaient dans le Kentucky, et avaient trouvé une auberge vide. Ils s'y étaient installés, les choses allaient mieux, et on avait encore plus oublié Klaus.

Finalement, au bout d'un printemps après la grange, il était intimement convaincu que chaque être humain méritait la mort et l'Apocalypse.

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Rosita avait hurlé. Elle avait été retenue par Carl, plaquée contre le sol, pendant qu'Abraham s'était fait dévorer sous ses yeux. Carl avait déjà seize ans, et malgré l'hystérie de la femme, définitivement seule, il était parvenu à la maintenir face contre terre, pour l'empêcher de subir le même sort que son amant. Derrière lui, Judith avait pleuré en silence dans les bras de Jessie, tandis que Jon était mort sous leurs yeux. On venait de fêter les trois ans de Judy, tout allait pourtant si bien !

Mais pourquoi, pourquoi, avaient-ils oublié Klaus ? S'il avait parlé de ce qui lui trottait dans la tête, ils n'en seraient pas arrivés là ! Ce connard avait attiré les morts dans le but de tuer tout le monde, tout simplement parce que c'était comme ça que devait aller les choses, qu'on le méritait tous, en particulier Carol, et puis merde à quoi bon vivre dans un monde pareil, mais regardez-vous voyons, et Judith qui vomit la moitié de ses repas, et les filles qui sont aménorrhées depuis des siècles, et les garçons et leurs côtes saillantes, et Ron et son horrible toux, mais vivre ainsi c'est pas possible, finissons-en une bonne fois pour toutes !

Il avait attiré des morts pour tous les avoir d'un coup, et bloqué préalablement les issues pour les laisser être submergés. Aaron avait sacrifié sa vie pour qu'ils puissent s'enfuir, et Daryl avait hurlé lorsque son ami avait fini dévoré. Daryl avait tué Klaus, et avec Jessie, Judith, lui, Michonne, Rosita, Maggie et Glenn, ils avaient rejoint Morgan et le van poussiéreux, quittant ce qui aurait pu être leur maison.

Mais il n'y avait plus de maison. Les autres n'avaient cessé d'y croire, mais Carl avait renié la signification même de foyer depuis la prison.

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« Daryl. »

Le chasseur n'avait pas voulu s'arrêter, pas même le regarder. Arbalète à la main, il avait continué d'avancer, avec la foi d'un désespéré, alors que Carl, épuisé et presque mort, avait tenu la petite Judith, quatre ans, dans ses bras maigres. Daryl en avait presque couru, tant il avait voulu trouver un toit pour les deux Grimes. Ses vêtements déchirés avaient pendu le long de ses flancs et de ses jambes, mais son regard vif et sombre n'avait laissé aucun doute sur sa dangerosité.

« Daryl ! »

Le chasseur s'était enfin retourné, dix pas devant lui, et Carl s'était arrêté, le regard suppliant. Des mois qu'ils vivaient dans la nature, survivant vaille que vaille, avec l'énergie du désespoir. Carl ne se rappelait pas trop de cette période-là, beaucoup trop sombre pour sa santé mentale, mais jamais il ne pourra oublier ce petit chiot famélique qu'il avait eu pour déjeuner. Il avait dû lui-même le tuer.

« Tu vas nous tuer. » Avait-il lâché dans un souffle, extrêmement épuisé. « J'ai besoin de me reposer, Judith aussi. Et si tu t'n'lèves pas, j'vais tomber à mon tour. Je ne me relèverai pas, Daryl. »

Mais Daryl avait secoué la tête, sans s'exprimer. Il avait mis du temps à reparler, d'ailleurs. Plus le temps était passé, et plus il avait été silencieux, invisible, mort. Carl le savait, le chasseur était resté en vie uniquement pour lui. Et aussi pour Judith, qui lui avait intimé de le lâcher en se tortillant dans ses bras. Trop fatigué, Carl l'avait laissé tomber, et même si elle s'était faite mal, elle n'en n'avait montré aucun signe. Elle avait l'habitude, depuis le temps.

Au contraire, elle s'était relevée, impassible comme à son habitude, et avait trottiné jusqu'au chasseur, qui avait fixé le ciel, mort. Elle avait pris entre ses menottes le visage du Dixon, le forçant à se tourner vers lui. Carl y avait vu le fantôme de son père, et avait détourné les yeux, le cœur aux bords des lèvres. Judith ne parlait toujours pas, mais son regard l'avait fait pour elle. Elle avait caressé les joues de son ami, qui il y avait peu changeait encore ses couches. Et Daryl l'avait laissé faire, inspirant profondément, cherchant une quelconque force chez la gamine.

Tu es mon frère, avait dit Rick. Tu es mon frère, et tu n'es même pas capable de sauver ma fille, avait-il hurlé dans sa tête. Lève-toi, avait intimé les yeux de la petite Grimes, minuscule au milieu de l'Apocalypse, fragile fleur dont les pétales étaient déjà trop lourds de sang.

Daryl n'avait eu que des cendres, dans la bouche, et ses mots auraient été trop aigres pour ces enfants. Alors il n'avait rien dit. Il s'était levé.

Parce qu'il n'avait eu plus rien à perdre mis à part ces deux êtres, Aaron étant mort par la faute de Klaus, et c'était déjà trop pour lui. Alors qu'aurait-il pu faire d'autres ? Il ne voulait pas voir les derniers Grimes mourir avant lui. Il avait été égoïste, mais cela avait permis aux enfants de survivre encore de longues semaines.

Quelques mètres plus loin, le reste du groupe s'était approché, tout aussi mourant qu'eux.

Mais dans les yeux du Dixon, qui l'avait fixé comme s'il était la plus grande rareté au monde, Carl avait puisé la foi de continuer à le suivre, Judith dans son dos.

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Carol avait toujours été une femme extraordinaire. On ne soupçonnait pas le talent pour l'organisation que pouvait avoir une femme au foyer. On pensait qu'elles n'avaient jamais rien à faire, mais elles étaient extrêmement bien organisées.

Elle avait su se remettre de Klaus, elle lui avait survécu. Daryl et elle avaient à nouveau passé du temps ensemble, marchant côte à côte dans la file, alors que Carl prenait la tête du convoi avec Michonne.

Ils avaient trouvé une Usine, s'y étaient installés. Ils n'avaient pas été heureux, mais mieux. Daryl lui avait même appris à chasser, Judith y avait fait ses premiers pas et premières courses. Mais elle n'avait pas parlé. Pas avant ses six ans. Elle avait conservé ses traits de bébés, mais n'avait presque peur de rien. Carol avait à nouveau passé du temps avec Judith, sous l'œil vigilant de Carl ou Michonne, et surtout, elle s'était occupée du bâtiment comme personne. Après le nettoyage, elle avait dressé des inventaires, listé chaque fenêtre brisée, chaque trou dissimulant une entrée, chaque faiblesse qu'elle avait pu relever, et avait fait en sorte de les arranger. Avec l'aide de Morgan, elle avait bouché les trous et réduit le danger d'intrusion à son minimum, organisant les rondes et les vigies, s'était remémoré toutes les leçons d'agriculture et de soins d'Hershel pour sa famille. Morgan avait dit que c'était ainsi qu'elle trouverait le salut, mais à ce moment-là, il avait baillé, alors il n'en n'avait pu être sûr.

Quand bien même, Carol était revenue, et Carl avait senti un poids sur ses épaules se lever, le soulageant comme jamais. Carol avait toujours été cher à son cœur, elle faisait partie du monde qu'il portait sur son pauvre dos, et il n'aurait pu survivre sans elle, la femme qui apaisait ses cauchemars d'un seul de ses doux regards. Quand il n'accompagnait pas Daryl à la chasse, il se chargeait d'explorer les environs et rapporter tout ce qu'il pouvait. Il était malin, vif, et plus le temps passait, plus il avait de l'influence au sein de son groupe.

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Ce qu'il avait le plus aimé à l'Usine avait été le silence de Morgan. Carol, qui s'occupait du bâtiment, était souvent fourrée avec Morgan. Celui-ci, qui était toujours dans l'optique de sauver tours plus de vies, avait été le tampon de Carol, qui n'avait voulu intégrer les nouveaux à leur groupe. Au départ, il y avait juste eu Katerina, puis Stéphane et Klaudia, Sarabeth, Luke. Morgan ne prenait la parole que pour tempérer les propos presque haineux et bien tristes de Carol. Carl, à la charge du groupe entier, avait beaucoup échangé avec Carol sur ce que le groupe devait être. Ils avaient débattu des heures entières, tous deux étant les plus fermés du groupe, qui avait voulu s'étendre et s'installer durablement. Ils se chargeaient de surveiller les nouveaux à l'extrême, traumatisés par les pertes successives de foyers, persuadés qu'un jour ou l'autre, l'Usine finirait par imploser. Malgré les remontrances de Maggie, qui était restée optimiste après sa fausse-couche, et les avertissements de Rosita, qui avait eu peur que les tensions finissent par les tuer, ils étaient restés ultra-vigilants.

Carol et Morgan avaient formé un drôle de couple. Enfin, couple. Pas d'amour, mais d'idées. L'un voulait voir le monde alors que l'autre ne pensait qu'aux protections de l'Usine, les deux toujours plus butés que jamais. Mais aussi contraires qu'ils avaient pu être, ils savaient qu'ils pouvaient apprendre de la mentalité de l'autre. Ainsi, tous les jours, le groupe les avait vu se chamailler, se chuchoter des conseils entre deux couloirs, s'étaient mutuellement écouté lorsqu'ils n'étaient plus surs d'eux. Carl s'était étonné de la quantité impressionnante de choses qu'ils avaient toujours eu à dire, puis il avait compris que derrière cette adversité se cachait une amitié sans faille. Très vite, ils avaient été inséparables.

Glenn et Carl étaient restés les plus silencieux du groupe. Glenn ne voyait que le fantôme de son bébé et sa femme, tandis que Carl ne pensait qu'à la survie de Judith, très souvent malade, et bien petite pour son âge. Une fois, elle avait même attrapé des vers, ce qui avait failli la tuer. Mais ce qui ne nous tuait pas nous rendait plus fort, et elle avait survécu.

Chaque soir, Carl s'était retrouvé sur le toit avec Morgan pour garder l'Usine. Et, chaque putain de soir, Morgan lui avait donné une couverture et une tasse de café, sans jamais rien dire, au contraire de Michonne qui n'avait pu supporter son silence.

Il ne l'avait jamais remercié pour le café, jamais tenté de combler les silences. Il n'avait jamais réagi quand Michonne s'énervait de son mutisme, ou ne s'était pas réjoui lorsque Maggie leur avait annoncé être à nouveau enceinte. Tout simplement parce que ce genre de choses ne l'atteignait plus. Son groupe devait rester en vie, et c'était tout ce qui lui avait importé. Morgan, lui, n'en n'avait rien eu à faire, de ses lèvres closes. En vérité, il avait apprécié le calme à toute épreuve du Grimes, trop habitué à l'horreur pour s'en effrayer. Et Carl l'en avait chaudement remercié du fond de son cœur.

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Carl se souvenait de cette nuit comme si c'était hier. Daryl avait été particulièrement maussade, ces derniers temps. Ce qui était plutôt bizarre, parce que pour la première depuis le début de l'Apocalypse –la première fois de sa vie ?-, il avait pris un bain, un vrai. Il s'était même coupé les cheveux, et s'il ne quittait pas son horrible veste en cuir, il avait changé de jean et tee-shirt. Il s'était même rasé la barbe. Michonne avait hurlé en le voyant, persuadé que c'était un étranger. Glenn avait voulu faire une photo pour immortaliser l'instant, mais le chasseur avait refusé. Il s'était même énervé, puis enfermé dans sa chambre.

Judith y était allée juste avant Carl. Il avait aperçu Daryl, complètement dévasté, un Glock sur la tempe et Judith qui du haut de son mètre dix l'observait. Figé, le garçon l'avait fixé baisser son arme, et enserrer Judith dans ses bras comme si elle était tout l'Univers.

Cette nuit-là, ils avaient dormi ensemble, comme ils le faisaient dans la forêt à l'époque de Klaus, et que Judith bébé reposait sur la poitrine du chasseur, Carl dans un bras, l'autre serrant l'enfant. Carl n'avait rien dit, attendu simplement que les deux s'assoupissent pour se lever et s'installer à la fenêtre.

Pour la première fois de sa vie, Carl avait compris qu'il était assez fort pour prendre la place de son père. Que, cette fois-ci, c'était lui qui veillait véritablement sur les siens.

Et, sous la Lune claire, le Colt Python avait brillé.

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L'Usine avait fini par tomber. Ils avaient mené la guerre contre les Argentés du mieux qu'ils avaient pu, mais ceux-ci et les Rôdeurs avaient eu raison d'eux, et ils n'avaient pu y vivre plus longtemps, au bout de deux ans. Judith en avait alors six, et Carl se désespérait de lui trouver un environnement stable. Bien sûr, sans foyer c'était dur, mais une vie de nomade était toujours possible si les conditions étaient bonnes.

Les Argentés avaient été un groupe vivant à quinze kilomètres du leur, et qui, étant présents depuis bien plus longtemps qu'eux, avaient décidé de revendiquer le terrain. Cela avait commencé par quelques barrages sur les routes, puis au niveau de la rivière qui les approvisionnait, et à la fin, préférant détruire que perdre, ils avaient fait exploser un château d'eau qui aurait aisément pu suffire à tous.

Carl n'avait pas beaucoup apprécié ces attentats, Carol et Daryl encore moins. Ils s'étaient vengés en clouant les routes et en dirigeant des Rôdeurs sur le territoire des Argentés, qui avaient perdu quelques-uns des leurs à cause de ça.

Voilà comment on arrivait à une guerre pour presque pas grand-chose. L'Usine avait beau être géniale, elle n'était pas impénétrable, et encore moins indestructible. Quelques tirs de bazooka, deux dizaines d'hommes armés jusqu'aux dents et une sacrée horde n'en n'avaient fait qu'une bouchée.

Carl se rappelait très bien des yeux de Daryl, ce jour-là. Toute la tristesse et la désolation de perdre un tel foyer, encore une fois, l'avait anéanti. Il avait eu Judith dans les bras, et Carl avait eu l'impression que quelque chose de fort s'était produit entre ces deux-là. Daryl lui avait donné l'enfant alors que Morgan, touché par une balle, les avait rejoints, lui assurant qu'il restait sur ses talons, lui ordonnant de ne pas se retourner. Te r'tourne pas, Carl, te r'tourne surtout pas ! Les mêmes mots que Rick lui avait chuchoté au creux de l'oreille alors qu'ils fuyaient la prison. Carl avait senti un frisson glacé parcourir son échine, mais avait néanmoins obéi. Maggie avait eu besoin de son aide, il avait seulement fait trois pas, trois malheureux pas, et il avait perdu le chasseur pour toujours, ayant été séparés par une horde.

Personne ne sut ce qu'il était advenu de Daryl par la suite. La nuit de sa disparition, alors que Carol, hystérique, avait essayé d'allumer un feu pour cuire les opossums chassés par Carl, Judith avait pointé la route du doigt, et demandé : papa ?

Seules les larmes silencieuses de Michonne lui avaient répondu. Morgan, qui avait été surnommé le Messie par le groupe tant il tenait à sauver des vies, s'était complètement renfermé, et avait abandonné son idéologie pacifiste. Pas qu'il ne tuait pas leurs ennemis, non, depuis les Wolves il avait compris la leçon, mais à présent seul le groupe méritait la vie.

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Ils avaient erré longtemps avant de se retrouver aux abords d'Atlanta. Vous vous souvenez lorsque Glenn avait été capturé par un groupe d'Hispaniques qui protégeaient un hospice ? Rick était allé le sauver avec T-Dog et Daryl.

Eh ouais. Ceux-là avaient survécu. Enfin, pas les vieux de l'hospice, mais le chef Felipe avait reconnu Glenn après dix minutes d'espionnage, alors que l'homme se risquait en ville pour quelques vivres. Il lui avait expliqué que, depuis le temps, tout avait pourri, de même que les conserves. Il les avait accueilli chez lui, donné du lait de chèvre à Judith. Carl avait oublié le goût des légumes frais, et il se souvenait d'avoir presque pleuré lorsque l'aubergine avait franchi le seuil de ses lèvres.

Felipe avait perdu beaucoup de gars, et recrutés tant d'autres, qu'il n'avait même pas sourcillé lorsque Glenn lui avait demandé s'ils pouvaient rester. Au contraire, il en avait été ravi, assurant que, depuis le temps, les morts avaient presque tous quitté les villes pour battre les campagnes et les forêts.

Ainsi débuta l'histoire des Frères. Ils s'étaient reposés et avaient repris du poil de la bête, Maggie était retombée enceinte avant de perdre à nouveau l'enfant. Morgan avait été la plus grosse épine de son pied, tant il avait été réfractaire à l'idée de vivre avec une autre communauté. Il était en quelque sorte devenu le raciste du nouveau monde. Carl en avait bien ricané, jusqu'à ce que Morgan dérape et ne blesse gravement un mec de la bande à Felipe. Bordel, ce qu'il avait pu être chiant, ce Morgan. Toujours à piailler pour un oui ou pour un non, un peu comme Carol. Carl avait pourtant supporté l'homme avec patience, trop habitué à vivre avec lui pour pouvoir encore lui en vouloir véritablement. Morgan l'avait quand même réveillé en pleine nuit, alors qu'ils dormaient sous un pont, pour lui offrir à lui et à Judith le petit lapin qu'il avait mis une heure à déloger de son trou.

Et puis, au final, le gars de Felipe, Hernando, avait accepté les excuses de Morgan, qui avait reconnu être allé trop loin. A partir de ce jour, Carol avait été sa psychologue attitrée.

Carl s'était révélé être le plus diplomatique de tous. Il n'avait pas l'aigreur ou l'amertume des autres adultes, lui, il avait Judith. Cela l'avait poussé à bien s'entendre avec Felipe, qui était un homme raisonnable et très facile à vivre, à plus de quarante-cinq ans. Ensemble, ils s'étaient organisés pour nettoyer la ville à un rythme lent, rue par rue, immeuble par immeuble. Ils avaient mis un mois à s'emparer du quartier et quelques jours de plus pour le sécuriser, n'étant pas très nombreux ni très forts. Il y avait beaucoup moins de Rôdeurs, certes, mais restaient tous ceux bloqués dans leur maison ou appartement. Ceux dans le métro ou dans les cinémas, qui lorsqu'ils étaient en nombre se révélaient mortellement dangereux. Carol avait perdu un œil, et une fois, Glenn s'était défenestré pour échapper aux morts. Depuis, il n'avait plus aucun équilibre une fois en hauteur, et avait des problèmes de mémoire à court terme. Judith avait alors dix ans, approximativement, et ils avaient fêté son anniversaire en même temps que l'appropriation du quartier.

Une autre année était passée, et cette fois-ci, c'était trois quartiers, environ un huitième de la ville, qu'ils occupaient. Se trouvant trop éloignés les uns des autres et avec l'arrivée d'hordes, ils avaient décidé de vivre dans le même bâtiment, renforçant certaines amitiés et tensions. Michonne la première, ne supportant plus une telle proximité. Carl, lui, s'en foutait. Judith courait dans les couloirs toute la sainte journée, et c'était tout ce qui lui avait importé. Avec les Rôdeurs étaient venues d'autres personnes, qui, n'ayant pas vu l'ombre d'une communauté depuis des lustres, avaient été prêtes à tout pour en faire partie. Carl les avait tous passé en revue, et pas un n'était entré dans le groupe sans son accord. Felipe n'arrêtait pas de dire que c'était lui qui avait gardé les siens en vie, ce que Carl n'avait pas compris. Lui, il s'était juste contenté de survivre, n'avait rien fait d'extraordinaire. Pourtant, c'était lui qui avait monté leur équipe de chasseurs.

Non, rien, si ce n'était avoir sauvé leur foyer d'une mort certaine. Pour la première fois, ils avaient réussi à protéger leur maison. Ils allaient se mettre à fouiller un immeuble contenant des bureaux lorsqu'une masse de morts s'était jetée sur les portes enfin ouvertes. Ils avaient été beaucoup plus nombreux que prévu, et sur une vieille affiche protégée par une glace, il avait pu lire qu'une conférence avait ou aurait dû avoir lieu à cet emplacement précis. Un raz-de-marée en putréfaction avait donc failli avoir raison d'eux, mais Carl, alors habitué à ce genre de scènes depuis ses dix-onze ans, et qui en avait alors vingt, avait pris la situation en main. Cette fois-ci, ce ne serait pas à eux de fuir.

Il avait distrait et dispersé les Rôdeurs dans les rues, les acculant aux barrages de Felipe, risquant sa vie un million de fois pour sauver tel ou tel camarade.

Après cela, tous, c'est-à-dire les membres du Conseil, avaient voté pour qu'il soit leur chef. Carl n'avait rien ressenti, simplement hoché la tête. Ce n'avait été que l'officialisation d'un titre dont il avait hérité depuis l'Usine, lui et ses conseils experts et avisés.

Et, pour plaisanter, Ron avait décrété qu'il fallait un nom à leur communauté, qui ne pouvait plus vivre dans un seul immeuble. Felipe avait poussé un sifflement aigue, que les siens avaient répété, proclamant un Hermanos ! puissant. Judith avait froncé les sourcils et demandé la traduction.

Frères.

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Le soleil s'était reflété sur les lames de la samouraï, et Carl avait dû plisser les yeux, le sang goûtant sur ses tempes et son menton. Il avait eu sa machette pleine de boue, sang et chair levée en l'air, mais Michonne avait été plus rapide que lui. Elle avait dansé autour des Rôdeurs, ses longues dreads accompagnant chacun de ses gestes, réduisant peu à peu le nombre d'assaillants. Jessie était venue à leur expédition, et s'était acharnée à vouloir forcer un camion, qui au final ne contenait rien à part quelques bouteilles d'eau. Et ils avaient été pris par surprise par une horde, bien décidée à s'en mettre plein la panse.

Michonne avait dansé. Elle venait à peine de trouver un second sabre, la lame légèrement plus courte que l'autre, et expérimentait son maniement. A cet instant, Michonne avait été pour lui la Mort en personne, puissante et dévastatrice, alors que Jessie n'avait cessé de jurer face aux exploits de la guerrière.

Pas une fois un mort ne l'avait frôlé. Pas une fois elle avait eu l'expression terrorisée ou incertaine. Pas une fois elle n'avait chancelé. Pas une seconde elle ne s'était arrêtée. Michonne aussi n'avait pas eu la chance de connaître avec précision son âge, mais Carl avait su au fond de lui que personne ne serait plus dangereux sur Terre que Michonne à cet instant précis. Il avait été fier, et apeuré face à la menace que représentait cette femme au caractère bien trempé. Il avait été si fasciné qu'il en avait presque oublié sa propre survie, que Jessie avait su lui rappeler en criant. Mais à peine avaient-ils transpercé trois crânes que Michonne était revenue vers eux, ses deux sabres finissant d'achever ceux qui voulaient nuire à sa famille.

Quand ils avaient pu rejoindre la voiture in extrémis, Carl démarrant la voiture avec précipitation, Jessie avait fixé Michonne avec tant d'intensité que la samouraï s'était tortillée avec gêne. Tu es la femme la plus extraordinaire que je n'ai jamais vu de ma vie. Avait proclamé la blonde. Michonne, je crois que je t'aime.

Michonne n'avait su où se mettre. Carl avait ri, et Jessie avait fini par le suivre, heureuse d'être en vie, et d'avoir Michonne comme alliée.

Cette dernière avait fini par sourire, et ses rides avaient éclairé son visage sous le soleil.