Pourquoi Pas 11 : Pris à son propre jeu
Aramis aimait bien d'Artagnan. Beaucoup même. Mais là, le capitaine dépassait carrément les bornes !
Depuis qu'elle lui avait avoué que le jeune gascon était maintenant au fait de sa véritable identité, Tréville préférait souvent les envoyer en mission ensemble, sous prétexte que si une situation semblable à celle qui s'était passée sur Belle-Ile se reproduisait, d'Artagnan, lui, saurait déjà qu'elle était une femme…
Soit, avait-elle pensé. C'était juste, c'était une raison valable. Même si d'Artagnan avait pour elle un peu plus de délicatesse qu'avant, elle ne pouvait pas s'en plaindre.
Mais aujourd'hui, la mission était plus que différente : elle consistait à s'infiltrer dans un cloître pour y reprendre un objet dérobé au Trésor Royal. Même les religieuses du couvent ignoraient qu'elles le possédaient ! Il n'y avait qu'un problème avec ces saintes femmes : sous aucun prétexte, elle ne laissait pénétrer un homme en leurs lieux, et chaque femme était fouillée à nue pour s'assurer qu'elles ne portaient aucune flétrissure. On racontait même qu'elles pouvaient savoir si les novices étaient réellement pucelles ou non…
Ainsi donc, par un beau matin de septembre, Tréville avait convoqué d'Artagnan et Aramis dans son cabinet et leur avait exposé son plan. La jeune femme avait eu beau rouspéter, le capitaine avait eu beau lui jeter ses regards les plus sévères, ils s'étaient apostrophés comme mari et femme sous le regard ahuri de d'Artagnan. Malheureusement pour Aramis, Tréville avait gagné cette bataille verbale.
« Voilà l'endroit… » laissa tomber d'Artagnan.
Cachés par d'épais taillis en plein milieu d'un sous-bois, les deux mousquetaires regardaient au loin le cloître. De très hautes murailles l'encerclaient ; aucun arbre aux alentours n'aurait permis à un quiconque voyeur d'y grimper pour voir la cour intérieure. Le couvent semblait sorti tout droit d'un trou au milieu d'une vaste clairière déserte, comme si tous les végétaux s'étaient donné le mot pour ne pas approcher l'endroit de plus d'un jet de pierre.
« Alors…que fait-on, maintenant ? » poursuivit le gascon.
Elle fouilla dans le sac qu'elle avait avec elle et en sorti une robe. Elle la tendit à son jeune ami, avec un sourire entendu. « Mettez-la, d'Artagnan ! »
Au grand dam d'Aramis, Tréville les avait convaincus que la meilleure façon d'entrer dans un couvent de femmes était bien sûr d'en être une.
« Sans façons, merci ! » répliqua le cadet en retournant le sourire moqueur. De la main, il avait repoussé le vêtement vers la jeune femme. « C'est votre spécialité ! »
Tout en souriant, elle grogna en s'éloignant derrière un bosquet. « Interdit de regarder ! »
D'Artagnan pouffa de rire et lui tourna le dos. Tout en sifflotant, il attendait qu'elle soit prête. Pourquoi lui avait-elle dit de ne pas regarder ? Il était galant, il n'avait pas besoin de ce genre d'avertissements. Il savait respecter les dames, et encore plus ses amis mousquetaires ! Même s'il devait admettre qu'il était impatient de voir Aramis vêtue selon sa vraie nature…
« Argh, satané ruban ! » maugréa-t-elle en tirant sur la boucle qui retenait ses cheveux.
D'un geste strictement automate, il se tourna vers elle pour lui offrir son aide, mais se ravisa aussitôt, son œil ayant capté, dans ce court instant, le dos nu de son amie. D'Artagnan rougit jusqu'aux oreilles, sentant son cou et son visage s'enflammer furieusement. Certes, il était très amoureux de Constance, mais qui pouvait rester de glace devant une telle amazone? Car Aramis était plus que talentueuse : elle était également particulièrement jolie…Il eut peine à faire taire une autre partie de se corps qui s'était réveillée, et dut même se frapper l'entrejambe pour calmer ses ardeurs, gémissant de douleur sous la rudesse de ses propres coups. Vive les pulsions adolescentes ! pensa-t-il, sarcastique.
« Ca va, d'Artagnan ? »
« Oui…euh, j'ai trébuché et me suis fait mal au pied. » Il rit nerveusement en voulant cacher son trouble.
Ayant terminé de s'habiller, Aramis quitta son repère et se dirigea vers lui en passant ses mains dans ses cheveux afin d'en raviver le volume. « Vraiment ? Montrez-moi… »
Les yeux de d'Artagnan devinrent grands comme des soupières. Il avait devant lui le plus magnifique décolleté qu'il n'ait jamais vu…bien qu'il n'était pas expert en poitrines de femme. Milady avait certes été plantureuse, mais trop pour ses goûts à lui. Et Constance s'habillait toujours très pudiquement, ne laissant aucun regard pénétrer plus que nécessaire dans son corsage. Ce que d'Artagnan avait entrevu à Belle-Ile - et ce qu'il avait maintenant sous les yeux - était parfait…même lorsqu'ils étaient cachés sous un bandage serré, ces deux seins blancs n'étaient ni trop gros, ni trop petit, et d'un galbe irréprochable.
« Ca fait mal ici ? » demanda-t-elle en lui massant la cheville.
« Euh…ça va, merci. Je vais mieux ! » Il se leva et tenta de nouveau de cacher son malaise. Il devait se maitriser et penser à leur mission. Aramis était son camarade, et rien de plus ! Et puis, il y avait Constance !...
« Bon, si vous le dites… » fit la mousquetaire avec absence.
A la dérobée, il jeta un autre coup d'œil vers la jeune femme. Le vêtement d'Aramis était très simple : une robe brune de petite bourgeoisie, au collet blanc qui reposait sur le bout des épaules, révélant ainsi toute la blancheur digne d'une statue de marbre.
Aramis, remarquant les joues du jeune homme qui s'empourpraient à mesure qu'il la détaillait du regard, lui tourna le dos. « Ne me regardez pas ainsi ! » fit-elle en rougissant elle-même, repliant les bras sur sa poitrine pour se dissimuler. Depuis que d'Artagnan était revenu de Gascogne et qu'une fine moustache ornait maintenant sa lèvre supérieure, elle le trouvait bien mignon ! Surtout avec ce petit bouc brun sur le menton…qui lui rappelait tant celui de François…si seulement il était un peu plus âgé…
Elle secoua la tête et chassa de son esprit ses pensées impures.
« Alors…notre mission ! »
Ils reprirent leur sérieux alors que leurs yeux se reportèrent vers le couvent.
« Que faire ? » demanda Aramis. « Je me présente à la porte et je leur demande de me faire nonne ? » Elle roula les yeux au ciel devant l'ironie de sa phrase. Elle ? Se faire nonne ? Jamais !
« Nous n'avons pas le privilège de tout ce temps…Je me suis bien renseigné : les novices sont minutieusement étudiées pendant un long moment, avant d'être acceptées dans ce couvent… »
« Que de scrupules ! » s'écria Aramis. « C'est donc vrai, que les voies du Seigneur sont impénétrables ?»
Ils s'esclaffèrent tous deux.
« D'ailleurs, Athos et Porthos nous rejoindrons dans deux heures…et il ne faut pas qu'ils vous voient dans cette tenue, » ajouta encore d'Artagnan. « A mon avis, nous devons trouver un moyen pour qu'elles n'aient pas le choix de vous laisser entrer. »
« Comme…Une damoiselle en danger ? » mentionna la femme. Joignant le geste à la parole, Aramis fit alors feinte de s'évanouir.
Le gascon rit de plus belle. « Oui, quelque chose comme cela ! »
Aramis réfléchit pendant quelques instants. « Alors vous serez le mari qui bat sa femme. Ça vous va ? Si je les implore de me sauver, elles me laisseront entrer pour quelques instants - du moins, j'ose espérer - le temps que le 'danger' soit écarté… » Elle soupira avant de poursuivre. « Pardieu, mais quelle galère ! Tout ça pour pénétrer dans un couvent ! » Elle regarda encore en direction de l'édifice : les murailles étaient définitivement trop hautes, sans aucun point d'appui pour y grimper, à part les quelques meurtrières, tout en haut, d'où pointaient les canons de mousquets… « Mon Dieu, ce n'est pas un couvent, c'est une forteresse ! »
« En effet, j'aurais pu grimper…difficilement, mais sûrement. Mais – il pointa les meurtrières armées – ça ne m'inspire pas confiance, ça ! »
« Bon, alors essayons notre plan, » décida Aramis. « On fait un essai avant de s'y mettre? J'espère que vous êtes bon acteur !»
« Je vais faire de mon mieux ! » ricana d'Artagnan.
Aramis se retourna subitement et s'enfonça dans la forêt en appelant à l'aide. D'Artagnan, en la voyant disparaître, se mit tout de suite à sa poursuite. « Euh…sale…euh…maudite femme ! Reviens ici ! »
Au bout de quelques mètres, elle s'arrêta face à un arbre et se mit à le frapper comme s'il s'agissait d'une porte. « Ouvrez-moi, je vous en prie ! Pitié ! Ayez pitié ! »
« Je te tiens ! »
Le jeune homme l'attrapa par la taille et la tira vers lui.
« Non ! Laisse-moi ! » cria-t-elle.
« Je vais t'apprendre à me désobéir, femme! » Il la poussa par terre, s'assit sur son bassin et, avec l'aide de ses mains plantées sur les poignets de la jeune femme, d'Artagnan maintenait Aramis clouée au sol. Penché au-dessus d'elle, il s'arrêta subitement.
C'était trop…près. Il était trop près d'elle. Il pouvait humer son doux parfum, l'entendre respirer alors, qu'essoufflée, sa respiration faisait mouvoir sa poitrine et gonfler ses seins au rythme des secondes…Cette position était beaucoup trop…érotique. Les épaules d'Aramis, à moitié dénudées, étaient trop invitantes.
Involontairement, très lentement, la main de d'Artagnan se porta vers le visage de son amie, se délectant de la douceur de sa peau.
De son côté, Aramis était figée, prise dans un doux rêve. Cette caresse, cette étrange mais sensuelle position, cette solitude en plein milieu de la forêt, lui ramenaient tant en mémoire le souvenir de François … et du jour où, s'étant retrouvés seuls, ils avaient consumé leur union bien avant leur mariage. Le souvenir de ses mains parcourant son corps à moitié dévêtu, de ses baisers courant tout le long de son cou…enfin tout, jusqu'au moment où, dans un délicieux soupir, elle avait atteint l'extase…tout lui revint à l'esprit : elle en eut la chaire de poule alors qu'elle frissonna en pensant à cet exquis souvenir. Elle se souvenait même de son membre durci qui se pressait contre sa jambe….
« Pardonnez-moi, Aramis ! » Le Gascon s'était écrié en se déplaçant rapidement et relâchant son emprise. Il fourra ses poings entre ses cuisses et rougissait, visiblement d'inconfort et de gêne.
Elle sortit de sa torpeur. Mais non, ce n'était pas François ! Elle était avec d'Artagnan ! Mais alors, l'érection qu'elle avait sentit contre sa cuisse… ? Elle se rassit également et rougit faiblement, sans regarder son ami. Elle ne lui en voulait pas…il était si jeune, si spontané, si innocent. Et puis, c'était plutôt flatteur, comme réaction ! Ça voulait dire qu'elle n'était pas désagréable à regarder…qu'elle pouvait encore, malgré la tournure bizarre de sa vie, susciter du désir chez un homme. Ah, si seulement il n'avait pas été si jeune… !
Si jeune… ? Elle risqua un coup d'œil vers le mousquetaire. Jeune, certes, mais qui devenait rapidement un homme. Sa fine moustache lui conférait un air très mature pour ses dix-sept ans… …Non non non ! Il appartenait à Constance !
« Ne…ne perdons pas de temps ! » balbutia Aramis, tentant à tout prix d'échapper à cette curieuse situation. Elle rit nerveusement en mettant un peu d'ordre dans sa tenue. Elle prit une profonde inspiration, regarda en direction du cloître et, sérieuse, fit un signe de tête à son compagnon.
« Allons-y ! » fit-il, lui aussi décidé.
Aramis s'élança en feignant de pleurer et d'appeler à l'aide. Après quelques secondes, le gascon la suivit en vociférant à l'endroit de sa 'femme'. Elle frappa aussi fort qu'elle le put à la porte du couvent en criant d'ouvrir, implorant la pitié et le secours des religieuses. Même si elle savait la suite des événements, elle sursauta lorsqu'elle sentit les mains de d'Artagnan agripper sa taille, se simple contact l'ayant fait frémir alors qu'une faible exclamation s'était échappée de ses lèvres.
Bientôt, elle se retrouva encore sous son poids, haletante, les joues rosées par le fait d'avoir couru et crié. La promiscuité du corps de d'Artagnan, pressé contre le sien, la troublait et l'empêchait de se concentrer sur le rôle qu'elle devait jouer…surtout lorsqu'elle sentit à nouveau, contre sa cuisse, la manifestation de son excitation. Ses yeux se portèrent sur la bouche de son compagnon : ses lèvres semblaient douces, et immensément invitantes…Il y avait si longtemps qu'elle avait embrassé un homme !
Le jeune homme, de son côté, bégayait de piètres insultes peu convaincantes. Avoir à sa merci, dans cette position sensuelle, une si jolie femme, le décontenançait. Comment penser à Constance alors qu'on avait la pomme du péché originel en plein dans la main ?
Constance Constance Constance Cons-Aramis.
Une bouche gourmande, pressée contre la sienne, lui fit tout oublier de la jeune camériste dont il était épris. Retournant le baiser avec la même avidité, il se mit aussi à caresser le contour de du visage d'Aramis, ses doigts frôlant ses épaules, puis descendant vers son corsage, se délectant de la chaleur de sa poitrine...
« Mais qu'est-ce que cela signifie ? » tonna la voix d'une religieuse juste à côtés d'eux, dans l'embrasure de l'imposant portail du cloître. Aramis et d'Artagnan se tournèrent aussitôt vers l'énorme femme qui se signa avant d'attraper un mousquet non loin d'elle. « Je vais vous apprendre, à salir ce lieu saint ! »
« Nous sommes mariés ! » mentit nerveusement d'Artagnan en se levant d'un bond.
« Une bonne raison pour vous qualifier d'impurs ! » hurla l'abbesse en rechargeant son arme avec une rapidité digne du meilleur soldat. « Pour la gloire du Seigneur ! »
Aramis tira sur le bras de d'Artagnan juste à temps pour lui éviter de mourir criblé de balles…Les deux s'enfuirent en courant, évitant de justesse les projectiles meurtriers…
Si d'Artagnan avait été un chien **, il aurait eu les oreilles si basses qu'elles auraient trainé sur le sol. Il se tenait bien raide devant son capitaine, les poings serrés, les paupières closes. Il n'osait croiser le regard de quiconque…surtout pas celui de la jeune femme à ses côtés.
« Pardonnez-moi, mon capitaine ! » s'écria-t-il. « La mission a échoué par ma faute ! »
« Non, capitaine ! C'est ma faute ! » avait tout de suite répliqué Aramis, tout aussi embarrassée.
Tréville soupira pour la troisième fois. Cette manie du perpétuel Un pour tous, tous pour un avait son charme, mais s'avérait parfois énervante quand il s'agissait de punir un de ses hommes.
« Allons, messieurs ! Allez-vous enfin m'expliquer ce qui s'est passé ? »
D'Artagnan et Aramis baissaient subitement la tête et restaient sans voix chaque fois que leur supérieur posait cette question. Tréville, de son côté, ignorait toujours pourquoi les deux rougissaient furieusement et avaient un soudain intérêt pour le plancher de son cabinet.
FIN !
** Dogtagnan ;)
