Chapitre 1

Vendredi 25 octobre 2019

Hamptons, Long Island, 17h

Assis sur la plage, Castle observait ses fils qui jouaient et se chamaillaient autour de leur château de sable. Derrière eux, les vaguelettes mouraient doucement sur le rivage dans un nuage d'écume et d'embruns. Le soleil avait déjà commencé à décliner, au loin, sur l'océan. Il aimait tout particulièrement ce moment-là de la journée, le calme et le silence, à peine perturbés par le roulis de la mer et de temps en temps, les cris des mouettes et des cormorans. Il faisait doux, chaud même pour cette fin octobre, si bien qu'il avait du mal à imaginer que d'ici quelques jours, ils fêteraient Halloween. La chaleur semblait vouloir se prolonger inexorablement, mais en fin d'après-midi, la fraicheur de l'automne se rappelait à eux, et la petite brise iodée s'intensifiait, ébouriffant les têtes de ses fils, d'une façon qu'il trouvait absolument adorable. D'ici quelques minutes, ils retrouveraient le douillet cocon de la villa pour leurs petits rituels du soir. Le bain d'abord, la préparation du dîner, et puis ils appelleraient Kate pour une longue et interminable discussion, comme tous les soirs, avant le moment du coucher. Elle leur enverrait à tous trois ses bisous magiques, des bisous papillons qui volaient à la vitesse de l'éclair depuis New-York pour venir se poser sur le bout de leur nez, et alors ils pourraient faire de beaux rêves.

Mais pour le moment, il les contemplait tous les deux, avec leurs joues rosies par le bon air marin, leurs cheveux en bataille, leurs sourires et leurs bouilles de joyeux petits garçons. Eliott avait entrepris de construire un château de sable, mais Leo, du haut de ses un an, n'aimait rien de mieux que d'écraser les fragiles tours du plat du pied, en riant à gorge déployée, fier de ses exploits. Eliott, patient, réussissait de temps en temps à le raisonner en lui confiant une mission de la plus haute importance : remplir le seau de sable. Cela occupait Léo un petit moment, tout content qu'il était de participer au projet de son aîné. Pendant ce temps-là, Eliott s'appliquait à fortifier les remparts de sa petite forteresse. Rick s'amusait à observer leur partenariat, leur complicité, leurs oppositions aussi, et même leurs disputes. Il n'avait pas de frère, et n'avait jamais élevé de garçon, alors il découvrait avec ses fils tout un univers à la fois merveilleux, intrigant et riche d'enseignement. Il aimait s'imaginer que ses fils seraient toujours plus unis que jamais, solidaires quoi qu'il arrive. Mais malheureusement, il arrivait régulièrement que la douce harmonie fraternelle tournât au pugilat, et qu'il soit obligé d'intervenir.

C'était tellement agréable d'être ici avec les garçons pour profiter des vacances automnales. Il adorait New-York, mais les enfants avaient besoin d'espace. Il faisait tellement beau, et Kate était accaparée, ces derniers temps, par une enquête compliquée à gérer, si bien qu'ils avaient décidé qu'il serait mieux pour Rick d'emmener leurs fils quelques jours aux Hamptons. Mais la séparation était un peu douloureuse pour tout le monde. C'était la première fois que Kate était séparée d'Eliott et Leo aussi longtemps, et il sentait bien, au téléphone, combien cela lui pesait. Même si elle plaisantait et qu'il la taquinait à ce sujet, ses fils lui manquaient. Et inversement. Eliott avait eu de gros chagrins à plusieurs reprises cette semaine et avait réclamé sa maman. C'était un peu plus facile pour Leo, qui était trop petit pour avoir la notion du temps et de la distance, mais il le questionnait plusieurs fois par jours sur « maman » comme s'il se demandait pourquoi elle avait subitement disparu de son univers. Quant à lui, sa femme lui manquait, comme à chaque fois qu'il devait s'éloigner d'elle plus de deux ou trois jours. C'était ainsi. Outre le fait d'être toujours aussi amoureux d'elle qu'au premier jour, il était dépendant de sa présence à ses côtés, de sa joie de vivre, ses sourires, dont elle berçait ses journées, et celles de leurs fils. Cela faisait longtemps qu'ils n'avaient pas passé une semaine loin l'un de l'autre, car il n'avait plus fait la moindre tournée depuis plus d'un an, et elle, s'absentait rarement pour le travail. Mais demain, elle serait là, elle les rejoindrait, et leur petite famille serait à nouveau réunie. Il se devait de reconnaître qu'il était perdu sans Kate. Non pas qu'il n'ait rien à faire ou qu'il s'ennuyât, mais elle était son point de repère, et cette semaine passée sans elle le lui avait rappelé de manière flagrante. Elle lui avait manqué, oui, beaucoup, mais il avait réalisé, aussi, combien elle lui manquait au-delà de ces quelques jours passés sans elle. Ce qui lui manquait, c'était ce qu'ils partageaient avant la naissance des garçons, avant celle de Leo, surtout : le travail ensemble. Les enquêtes avec sa femme, sa muse, l'adrénaline, leur quotidien survolté, leurs échanges de théories, et cette excitation intellectuelle, physique, si intense qu'ils partageaient quand ils travaillaient tous les deux. Ils avaient trouvé un parfait équilibre dans leur vie de couple, et leur vie de famille. C'était une organisation qui fonctionnait plutôt bien, et leur permettait d'avoir à la fois du temps pour les enfants, mais aussi pour eux. Kate était heureuse, et pleinement épanouie, dans son rôle de maman, comme dans son rôle de femme. Elle faisait de lui, avec leurs garçons, le plus heureux des hommes. Ils jonglaient plutôt bien entre leurs obligations de parents, leurs envies et désirs, leurs besoins de se retrouver, et leur vie de couple était toujours aussi pimentée et joyeuse qu'à ses débuts, faite d'une tendre complicité, de rires, d'interminables discussions. Et il était aux anges au loft à s'occuper de ses fils. Les voir grandir, avoir le temps de savourer chacun de leur sourire, chacune de leur bêtise, était un vrai bonheur. Il adorait ça : prendre soin d'eux, les aider à devenir des petits garçons, les éveiller au monde qui les entourait, les bercer d'histoires. Mais quelque chose lui manquait, et cette semaine, il avait réalisé, ou plutôt ouvert les yeux sur ce qui lui manquait : son partenariat avec sa femme. Peut-être qu'il profiterait de ce week-end pour lui en parler, sans savoir vraiment où les mènerait cette discussion. Il comptait aussi et surtout tenter d'en savoir plus sur ce qui tracassait Kate. Parce que quelque chose la tourmentait ces derniers temps. Il le sentait, il le savait. Il la connaissait trop bien. Il avait essayé une ou deux fois de la questionner, et elle l'avait rassuré, simplement. Mais il savait. Il l'avait vue, à plusieurs reprises, le regard un peu perdu dans le vague, et surtout, il avait vu réapparaître cette petite ride sur son front. Celle qui signifiait qu'elle avait un souci qu'elle gardait au fond d'elle et qu'elle ruminait. Alors il craignait qu'elle ne lui cache quelque chose d'important et qu'il n'y ait vraiment un problème. Il n'était plus aussi souvent qu'il l'aurait voulu au poste, alors peut-être s'était-il passé quelque chose.

Il était perdu dans ses pensées quand il vit Leo, encore un peu bringuebalant sur ses petites jambes, tomber, les fesses en arrière, sur l'une des tours du château. Il faillit éclater de rire face à la maladresse de son petit bonhomme, et son air totalement désabusé face à la situation, mais au vue de la réaction d'Eliott, il s'abstint.

- Leo ! Non ! Tu es méchant ! se fâcha son fils, les poings sur les hanches en jetant un regard noir à son petit frère, qui assis dans le sable gesticulait, un peu pataud, pour tenter de se relever, écrasant de plus belle les murailles d'Eliott.

Ce regard noir, Rick le connaissait bien. C'était celui de Kate quand elle était fâchée. Cela l'amusait beaucoup de retrouver chez son fils les petites mimiques de sa femme. Il lui ressemblait tellement. Aussi bien physiquement que par son caractère. Eliott, du haut de ses quatre ans, était un petit garçon plutôt sage, farceur et joueur, qui avait hérité du rationalisme, de la patience et de la détermination de sa mère. Et de son sourire. Mais autant leurs sourires à tous deux le faisaient fondre de tendresse et d'amour, autour leur regard furieux pouvait le terrifier.

- Non ! se défendit Leo, usant d'un des seuls mots qu'il maîtrisait, et se saisissant d'une poignée de sable pour la jeter vers Eliott.

Leo était leur petite terreur. Une petite terreur blonde, aux yeux bleus et au visage angélique, mais une véritable canaille. Il était d'une infinie maladresse, et surtout, se laissait porter par ses idées a priori ingénieuses, pour inventer des bêtises que personne n'aurait pu imaginer. On venait de fêter ses un an, et il marchait depuis tout juste quinze jours, mais il avait déjà un long palmarès de catastrophes à son actif. Rick s'en amusait beaucoup, la plupart du temps, car Leo c'était l'enfant qu'il avait été, son portrait caché en tous points. Aussi inventif, casse-cou, maladroit que lui. Mais tellement câlin, charmeur et adorable, qu'on avait tendance à lui pardonner les yeux fermés toutes ses bêtises. Pour l'instant, Kate trouvait le comportement de son petit homme très mignon, sauf quand il lui causait quelques frayeurs. Mais elle redoutait de le voir grandir, et qu'il ne leur fasse vivre les quatre cent coups que son père avait fait subir à Martha.

- Leo ! intervient aussitôt Rick, en se levant d'un bond. Interdiction de jeter du sable !
- Non ! objecta de nouveau Leo, en s'agitant pour se mettre à quatre pattes, détruisant une nouvelle tour du château.
- Papa ! soupira Eliott, d'un ton casse tout ... il est méchant !
- Il n'est pas méchant, bonhomme ..., répondit Rick en attrapant Leo, pour le soulever et le prendre dans ses bras. Viens par-là, toi petite terreur !
- Si ! râla Eliott. Il a tout détruit !

Leo, mécontent d'être prisonnier des bras de son père, se mit à gesticuler et à ronchonner pour tenter d'échapper à son emprise.

- Leo ... Stop ! lui fit Rick de sa grosse voix, un peu sèchement.

Aussitôt, Leo se figea, et plongea ses petits yeux bleus dans ceux de son père. Quand Papa prenait ce ton-là, il ne fallait pas rigoler.

- Il faut arrêter d'embêter Eliott. Regarde son château. Il est tout cassé ..., lui expliqua Rick, reprenant une voix douce et posée, tout en incitant Leo à observer les ruines de sable.

Leo marmonna quelques mots incompréhensibles, d'un air désolé, en montrant du doigt le château que son frère avait déjà entrepris de reconstruire, agenouillé dans le sable.

- Oui, c'est toi qui as fait ça. Ce n'est pas gentil. Eliott se donne du mal pour faire un beau château pour Maman.
- Moi, pour Maman ! répondit Leo, avec un grand sourire, s'accrochant de son petit bras autour du cou de son père.

Leo ne parlait pas beaucoup, même pas du tout, au grand dam de Rick. Autant Alexis et Eliott avaient été plus que précoces de ce point de vue-là, autant Leo prenait son temps. Mis à part « Maman », « Papa », et trois ou quatre mots très basiques, il ne disait rien, à un âge où ses aînés faisaient déjà des phrases. Rick s'en inquiétait un peu, mais Kate le rassurait, en lui disant que Leo était dans l'action, et que quand il en aurait assez d'explorer le monde, il commencerait à s'exprimer.

- Toi-aussi, tu veux faire un château pour Maman ? demanda Rick, déposant un baiser sur la tempe de Leo.
- Oui ! s'exclama le petit garçon avec enthousiasme, s'agitant à nouveau pour retrouver la terre ferme.
- Ok. On va s'y mettre tous les deux, alors, sourit Rick, posant son fils sur le sable.

Aussitôt, Leo gambada pour aller chercher un seau et une pelle.

- Eliott, mon grand, reprit Castle, s'agenouillant pour être à hauteur de son fils, et déposer une caresse dans ses cheveux. Leo ne le fait pas exprès, il ne se rend pas compte, ça l'amuse. Mais il n'est pas méchant.
- Je sais, soupira Eliott, esquissant un sourire, en regardant son petit frère s'asseoir dans le sable et s'armer de la pelle pour remplir un seau. Mais il fallait l'appeler Godzilla, il casse tout !
- C'est vrai que ça lui va bien ..., sourit Castle, amusé.
- On a le droit de changer ? demanda Eliott.
- Changer ? s'étonna Rick.
- On pourrait l'appeler Godzilla, répondit Eliott très sérieusement.
- Euh ... non, mon cœur ...
- Mais Maman t'appelle Castle, parfois. Et toi tu l'appelles Beckett.
- Oui, mais ce sont nos noms de famille. On a pris l'habitude de s'appeler ainsi pour le travail ... Leo ne s'appelle pas Leo Godzilla, alors on ne peut pas le surnommer Godzilla !

Eliott le regarda, analysant l'explication, qui lui sembla tout à fait logique.

- Dommage ..., soupira-t-il, finalement, se penchant pour, avec sa pelle, façonner de nouvelles murailles.
- Et puis, je ne sais pas si Maman aurait aimé que son bébé porte un nom de lézard monstrueux ..., ajouta Rick en grimaçant, rien que d'imaginer la réaction de Kate.
- Oui ! Maman n'aime pas trop les monstres ! répondit Eliott, en souriant.
- D'ailleurs, puisqu'on en parle, tu ne diras pas à Maman que tu as regardé le dessin animé de Godzilla hier ?
- Elle va te gronder ? demanda naïvement Eliott.
- Il y a des chances, sourit Castle, qui savait au combien Kate trouvait que leur fils était trop jeune pour regarder des histoires de monstres, même en dessin animé.
- C'est rigolo quand Maman te gronde ! répondit Eliott, amusé.
- Je sais ! Mais Maman ça ne la fait pas rire ! expliqua Castle.
- Je lui dirai pas ...
- Ok. C'est notre secret, tape-la ..., sourit Rick, levant une main vers Eliott pour qu'il scelle leur pacte.

Il jeta un œil vers Leo, qui, patiemment remplissait son seau, et s'amusait à le vider aussitôt, pour le remplir de nouveau.

- Veux-tu que je t'aide à reconstruire ?
- Non, je fais tout seul, répondit Eliott, appliqué et concentré. C'est mon cadeau pour Maman ... Elle va être émerveillée.
- Oui, elle est toujours émerveillée, Maman, sourit Castle, très fier du niveau de langage de son fils. Et moi, je devrais offrir un cadeau à Maman aussi, tu crois ?
- Oui. Des bisous, sourit Eliott, comme si c'était là une évidence.
- Tu crois que ça va lui suffire ? demanda Rick, avec un petit sourire.
- Oui ! Maman adore les bisous !
- C'est vrai, et Papa aussi ! Alors plein de bisous pour Maman, sourit Rick, se relevant pour aller aider Leo, qui, au rythme où il remplissait son seau pour le vider instantanément, n'était pas prêt d'avoir fini sa forteresse.
- Papa ? Est-ce que mon château sera encore là demain quand maman arrivera ? demanda Eliott.
- Oui, répondit Castle, en s'agenouillant dans le sable près de Leo.
- Mais la mer va le détruire ? s'inquiéta son fils.
- Non, mon bonhomme ... La mer ne monte pas si haut, regarde, expliqua-t-il, désignant, un peu plus loin, les traces de sable mouillé. Même à marée haute, ça s'arrête là-bas.
- Je vais faire quand même deux murailles, au cas où ...
- Tu as raison. Les bons architectes doivent tout prévoir, même le pire ... Alors Leo, ce seau est prêt ?
- Papa fait ..., répondit le petit garçon en tapotant avec sa pelle sur le sable qui atteignait le rebord du seau.
- Attend, encore un peu de sable, lui fit Rick, ajoutant quelques poignées de sable dans le seau. Voilà. Tu es prêt pour voir la plus belle tour de toutes les tours du monde ?

Leo leva vers son père des yeux plein d'admiration et d'impatience.

- 1 ! 2 ! 3 ! lança Rick, en se saisissant du seau pour le retourner d'un geste brusque et précis. Tadam !

Leo éclata de rire en voyant la jolie tour de sable, et se mit à applaudir, tout heureux.

- Alors ? Qui est le plus fort Papa du monde ? s'exclama Rick, fièrement, en bombant le torse, et exhibant le seau.
- Papa ! s'écria Leo. Encore !
- Ok. Allez, au travail alors, mon bonhomme ... Tu remplis le seau, et Papa construit, répondit Castle, amusé par l'enthousiasme de Leo.

Aussitôt, le petit garçon attrapa le seau pour le remplir de sable, en faisant voler un peu partout au passage.


12ème District, New-York, 16h

Adossée dans son fauteuil, dans son bureau de Capitaine, Beckett réfléchissait à cette journée qui s'écoulait avec une effrayante lenteur. Le poste était calme, et depuis son bureau, elle entendait à peine le murmure de la paisible agitation qui régnait dans son commissariat. Elle, avait toute une pile de dossiers à relire et signer, mais elle était tellement lasse qu'elle n'avait aucune envie de s'y mettre. Après une énième matinée ennuyeuse passée en réunion avec le maire, elle sentait qu'elle était sur le point de craquer. L'ennui, l'abattement, la morosité s'étaient emparés d'elle ces dernières semaines, et à cet instant, elle ne pensait qu'à une chose : que cette journée soit enfin terminée, pour rentrer se reposer et retrouver au plus vite, le lendemain matin, Rick et ses fils. Malheureusement, il n'était que seize heures, et elle avait encore une réunion prévue en fin d'après-midi.

Son regard s'attarda avec tendresse sur la photo posée sur son bureau, celle qu'elle avait prise à Noël dernier. Eliott agenouillé au pied du sapin découvrait ses cadeaux, et Rick, le contemplait, de ce regard paternel, fier et aimant. Dans ses bras, Leo était si petit, et si paisible, lui qui en quelques mois était devenu une adorable canaille. Le temps passait si vite. Leo marchait maintenant, et Eliott était si grand qu'il était capable de jouer au baseball ..., ou au moins d'essayer. Il n'y avait que Rick qui n'avait pas changé. Toujours aussi adorable, amusant et attentionné.

Elle soupira, ressentant à cet instant, combien tous les trois lui manquaient. La semaine touchait presque à sa fin, et le plus dur était passé, mais ces dernières heures sans eux semblaient s'éterniser. C'était la première fois qu'elle restait loin de toute sa petite famille pendant si longtemps, et elle avait trouvé le temps bien long. Elle n'était pas habituée au silence et au calme du loft. Sans les rires et les jeux des enfants, tout lui paraissait sans vie et sans âme. Et sans Rick, ses soirées étaient bien ternes et ennuyeuses. Ils se parlaient tous les jours au téléphone, plusieurs fois par jour même, mais ce n'était pas pareil. Il lui manquait plus que de raison. Peut-être que dans un autre contexte, leur absence lui aurait été plus supportable. Mais cette semaine sans eux n'avait fait que conforter les questions qu'elle se posait depuis un moment maintenant. La lassitude qu'elle ressentait continuellement au travail la rendait plus sensible, et plus elle se remettait en question, plus elle sentait qu'il fallait que les choses changent.

Aujourd'hui, plus que d'habitude, elle était vraiment à bout, et avait besoin de retrouver son cocon familial, sa petite bulle de bonheur pour décompresser, et faire le point, aussi. Autant avant d'être avec Rick, puis mariée et maman, le travail était son échappatoire, autant aujourd'hui, c'était de son mari et de ses fils dont elle avait besoin quand quelque chose n'allait pas. Alors à cet instant, se glissait doucement dans son esprit l'idée que peut-être, elle pourrait déléguer la responsabilité du poste à Esposito ou Ryan pour cette fin d'après-midi, et filer rejoindre Castle et les garçons aux Hamptons, leur faisant la surprise de les retrouver plus tôt que prévu. Ce n'était pas son style de manquer ainsi à ses obligations professionnelles, et en temps normal, jamais elle n'aurait fait pareille chose. Elle se faisait un devoir d'être aussi exemplaire que Montgomery ou Gates l'avaient été avant elle. Il fallait qu'elle soit à la hauteur. Mais elle était à bout, et tellement lasse. En même temps que germait cette idée dans sa tête, et que ce que lui disait son cœur s'opposait à sa raison, naissait aussi la culpabilité de fuir ses responsabilités.

A la naissance d'Eliott, elle avait pensé que le poste de Capitaine lui permettrait d'être moins exposée au danger, et c'était le cas. Elle n'avait pas mis les pieds sur une scène de crime depuis des mois. Cela lui avait permis de vivre une deuxième grossesse paisible, sans le stress des enquêtes sur le terrain, sans prendre le moindre risque aussi. Ils avaient attendu d'avoir trouvé leur rythme de croisière et leur équilibre pour conjuguer travail et vie familiale avec Eliott, avant d'envisager avoir un deuxième enfant. Et Léo était arrivé. Leur deuxième petit bonheur. Ils étaient comblés par la petite famille qu'ils formaient tous les quatre. Elle, qui ne s'était jamais vraiment imaginée maman, fondait totalement devant ses fils, devenus sa priorité, quoi qu'il advienne. Quant à Rick, il était aux anges, véritable papa poule avec ses garçons. Après la naissance de Léo, quand elle avait repris le travail, il avait fallu de nouveau retrouver des repères, réorganiser le quotidien, afin que tous puissent profiter les uns des autres en toute quiétude. Cela avait pris quelques temps, mais ils y étaient parvenus. Il y avait encore parfois quelques petits soucis de gestion pratique, mais ses fils respiraient la joie de vivre, et elle était heureuse de cette tendre complicité, cet amour qui l'unissait à Rick. Ils avaient moins de temps qu'avant à partager en tête à tête, bien-sûr, mais leur relation était aussi intense, forte qu'elle l'avait toujours été, et ils veillaient l'un comme l'autre à s'accorder des moments en amoureux, et à préserver l'intensité de ce qui les unissait. Leurs rires, leurs taquineries, leurs longues discussions étaient le sel de leur relation, le tout conjugué à cette infinie tendresse, et ce désir parfois doux, parfois furieux qu'ils ressentaient l'un pour l'autre. En somme, sa vie de couple, sa vie de famille, lui avaient permis d'atteindre une sorte d'épanouissement qu'elle n'aurait jamais imaginé auparavant. Et elle savourait chaque instant et même chaque contrainte de ce bonheur-là, parce que la vie lui avait appris que ça n'avait pas de prix.

Mais si Rick et leurs fils la rendaient pleinement heureuse, au travail, plus le temps passait, plus le terrain et les enquêtes lui manquaient. Cela faisait quatre ans maintenant qu'elle dirigeait le 12ème District, et tout se passait bien. Les statistiques étaient bonnes, les équipes tournaient bien. Ses hommes la respectaient, et elles supervisaient les différents services efficacement. Mais elle passait sa vie au bureau, à signer des dossiers, passer des coups de téléphone, donner des ordres, transmettre des informations, dresser des bilans, recevoir des plaintes du Maire, ou du Bureau du procureur, parfois des compliments aussi malgré tout. De temps en temps, elle s'autorisait le petit plaisir de mener un interrogatoire, mais en général, elle n'avait pas le temps de se plonger vraiment dans les enquêtes et déléguait le travail de fond à ses lieutenants. Les deux premières années, elle avait découvert les différentes facettes du métier de Capitaine, et s'était adaptée petit à petit à tout ce qu'il fallait gérer. Le rythme de travail et l'ampleur de la tâche ne lui permettaient pas vraiment de se poser de questions. Mais depuis qu'elle avait repris le travail après la naissance de Leo, elle avait commencé à se lasser. Elle ne se sentait plus vraiment flic à vrai-dire. Et cela lui manquait. Elle s'ennuyait. Les journées étaient parfois longues et monotones. L'adrénaline des enquêtes lui manquaient. Etre dehors aussi. Etre active. Désormais, la plupart de ses déplacements s'opéraient entre son bureau et la salle de pause. Quand elle quittait le poste, c'était pour des réunions interminables et mortellement ennuyeuses au One Police Plaza avec tous les pontes de la Police de New-York. Elle avait pensé qu'elle aimerait avoir plus de responsabilités, et elle aimait ça, oui. C'était sous doute la seule chose qu'elle aimait vraiment dans les fonctions de Capitaine : la gestion des équipes, et le relationnel avec ses hommes. Mais le reste l'ennuyait à mourir. Elle avait pensé que devenir Capitaine était l'évolution logique de sa carrière de flic, et que c'était le meilleur choix à faire pour concilier son travail et sa vie de famille. Et Rick l'avait pensé lui-aussi. Il l'avait toujours encouragée dans cette voie, et il n'y avait pas plus fier que son mari, quand, lors d'une soirée, il présentait sa femme comme le Capitaine du 12ème District. Mais après quatre ans à exercer ses fonctions, elle savait maintenant qu'elle serait incapable d'être Capitaine toute sa vie ainsi. Elle n'y trouvait plus de plaisir. Ce n'était pas pour ça qu'elle était devenue flic. Et elle sentait qu'elle n'était plus aussi heureuse qu'avant dans son travail, et plus aussi utile qu'auparavant non plus. Bien-sûr au quotidien, le bon fonctionnement du commissariat reposait sur ses épaules, mais elle avait besoin d'être pleinement investie dans cette justice qui lui tenait tant à cœur.

Elle pensait aussi que ses fonctions lui prenaient trop de temps, et qu'elle manquait trop de choses dans la vie de ses enfants, et celle de sa famille. Avant la naissance de Leo, elle ne ressentait pas autant ce manque. Mais maintenant qu'elle avait à partager son temps libre entre ses deux garçons, afin de leur donner autant à l'un qu'à l'autre, et à trouver aussi du temps, absolument essentiel, pour son homme, elle se disait qu'être Capitaine était finalement beaucoup trop contraignant, et dévoreur de temps. Alors elle se posait des questions sur la vie qu'elle menait, sur les choix qu'elle devrait faire, sur la façon de concilier tous ces rôles qu'elle se devait d'assumer et qu'elle aimait assumer : être une femme, être une maman, et être flic. Avec Rick, ils étaient parvenus à trouver un équilibre dans l'organisation de leur quotidien. Et cela fonctionnait plutôt bien. Rick s'occupait d'Eliott et Léo au loft les lundi, mardi, et mercredi. Et le jeudi, vendredi, samedi, Martha et son père prenaient le relai à tour de rôle. Cela permettait à Rick de la rejoindre au poste, et de travailler avec elle, Esposito et Ryan. La plupart du temps, elle rentrait le soir avant l'heure du dîner, et pouvait profiter encore de ses fils, ainsi que le matin. Ses petits bonhommes étaient des lève-tôt, si bien qu'elle avait tout le loisir de s'occuper d'eux avant de partir pour le travail. Mais elle avait l'impression pourtant de n'être qu'une maman en pointillés. Il arrivait que le soir elle rentre et que les garçons soient déjà couchés, sans qu'elle n'ait pu leur souhaiter une bonne nuit ou les câliner un peu. Les week-end aussi étaient parfois raccourcis par son obligation d'être présente au poste. Ses petits hommes ne lui en tenaient pas rigueur, et quand elle était avec eux, elle était maman à 200 %, faisant son possible pour compenser tout ce qu'elle manquait. Mais elle avait l'impression de ne pas faire assez, de manquer toutes ces petites choses, ces petits moments si importants. Ce n'était pas ainsi qu'elle avait imaginé que serait sa vie de maman. Elle voulait plus. Elle voulait que les choses se passent autrement. Elle voulait davantage de temps pour ses fils, pour les regarder grandir. Le temps passait si vite. Elle le savait bien. Et enfin, il y avait Rick. Il lui manquait réellement. Ils avaient toujours évolué en partageant tout leur quotidien, en passant leurs journées ensemble. Une relation plutôt fusionnelle, en somme, et même si elle s'en défendait toujours auprès de Lanie qui la taquinait, elle savait bien qu'elle était dépendante de Rick, et qu'elle avait besoin de lui auprès d'elle. Si la plupart des couples préféraient sûrement ne pas travailler ensemble, cela faisait partie de ce qu'elle aimait partager avec son mari, de ce qui pimentait leur vie. C'est ainsi qu'elle était tombée amoureuse de lui, et lui, d'elle. Rick travaillait toujours avec le 12ème, bien-sûr, toujours aussi passionné par les enquêtes et partant pour toutes les aventures, mais elle, était cloîtrée dans son bureau. Il accompagnait les gars sur le terrain, et même les jours où il restait au loft, il participait, de loin. Il était sa botte-secrète, leur botte-secrète, comme ils s'étaient amusés à l'imaginer quand ils avaient mis au place leur nouvelle organisation, et il n'en était pas peu fier. Mais elle ne travaillait plus vraiment avec lui, ou si ponctuellement. Les moments qu'elle préférait sans doute étaient ceux où il venait s'installer dans son bureau, autour d'un café ou d'un déjeuner, et où ils discutaient comme avant d'une enquête, théorisaient, riaient, se taquinaient. Mais elle n'avait pas toujours le temps avec toutes ses autres obligations. A la maison, elle se félicitait qu'ils aient trouvé un équilibre. Leurs soirées étaient son bonheur de la journée. Une fois les garçons couchés, ils se retrouvaient tous les deux, profitaient l'un de l'autre, savouraient chaque seconde ensemble. Grâce à Martha et son père, toujours désireux de s'occuper de leurs petits-fils, ils s'accordaient régulièrement une soirée et une nuit romantique, ou partaient le temps d'un week-end en amoureux. Mais ce n'était pas aussi souvent qu'elle l'aurait souhaité. Ses obligations professionnelles étaient une vraie contrainte. Rick était le plus compréhensif des hommes, le plus aimant aussi. Toujours tellement attentionné, tendrement amoureux, enjoué par des petits riens, heureux de vivre simplement à ses côtés. Et un merveilleux papa, fou de ses fils, qui le lui rendaient bien. Et elle avait l'impression de ne pas être à la hauteur de tout l'amour qu'il lui donnait, de tout ce qu'il faisait, et de ne pas être assez présente. Elle savait qu'elle aussi lui manquait la journée, et pensait qu'il s'ennuyait un peu dans cette nouvelle vie. Il adorait s'occuper de ses fils au loft, mais il tournait aussi en rond. Il écrivait, certes, mais moins qu'avant. Elle le voyait bien. Il n'avait publié qu'un roman depuis la naissance d'Eliott, contre un par an auparavant. Il prétextait un manque de temps, et lui disait qu'il préférait profiter de ses garçons et de sa femme. Peut-être avait-il moins d'inspiration maintenant qu'ils étaient séparés la plupart du temps.

Alors elle avait profité de cette semaine sans Rick et les enfants pour réfléchir, et tenter d'y voir plus clair dans ce qu'elle voulait. Ce week-end en famille serait l'occasion de lui parler, de lui dire ce qu'elle avait sur le cœur, et de voir ce qu'il en pensait. Peut-être s'était-il rendu compte qu'elle n'était plus aussi enjouée qu'avant par le travail, même si elle tentait de n'en rien laisser paraître pour ne pas l'inquiéter. Et quand elle se tracassait pour ce qu'elle avait manqué de la journée des garçons, il était toujours là pour la rassurer, et lui dire combien elle était une merveilleuse maman. Mais cela ne lui convenait plus ainsi. Elle voulait retrouver du plaisir au travail, passer plus de temps avec Rick et leurs fils. Elle devait trouver des solutions. Mais lesquelles ? Elle n'en voyait qu'une qui résoudrait tous les problèmes à la fois : démissionner. Enfin, tous les problèmes sauf un : Rick et elle aimaient leur travail, les enquêtes, rendre justice. C'était leur vie, c'était ce qui les définissait et les rendait heureux. Alors elle ne savait plus. Elle était perdue. Elle avait besoin de se confier, en espérant que Rick ne se fasse pas trop de soucis pour elle. Elle avait besoin de ses mots rassurants pour prendre une décision.

C'est l'arrivée d'Esposito et Ryan se présentant dans l'encadrement de la porte qui la tira de ses pensées.

- Du nouveau les gars ? demanda-t-elle aussitôt, pour ne pas leur laisser voir qu'elle était lasse et songeuse.
- Oui, on le tient. Enquête bouclée, Capitaine ! annonça fièrement Esposito, en s'avançant pour lui tendre le dossier.
- La science a parlé, expliqua Ryan. Même pas besoin de ses aveux pour le coincer.
- Alors c'était bien ses empreintes ? demanda Beckett, en parcourant rapidement des yeux le rapport d'analyses.
- Eh oui, confirma Esposito. Trahi par un peu de cambouis. Ça craint ...
- Bon boulot, les gars ..., les félicita Kate, fière de leur travail et de leur efficacité sur cette affaire, enfin bouclée.
- Merci, Capitaine, répondirent-ils, en chœur, tout contents.

Elle leur sourit en retour, partageant avec eux le plaisir du devoir accompli et de la justice rendue.

- Au fait, continua Ryan. Un journaliste du New-York Post a appelé, il veut faire un article sur RedSword et le 12ème District ...
- Il ne s'appelle pas RedSword ..., soupira Esposito, d'un air blasé.
- Il s'appelle RedSword ! objecta Ryan. C'est écrit noir sur blanc !
- Les gars, de quoi parlez-vous ? demanda Beckett, ne comprenant rien à leur discussion.
- Du super-héros qui nous a livré Cole Brown ce matin, répondit Ryan, comme une évidence.

Ce matin, en arrivant au poste à l'aube, des officiers avaient eu la surprise de trouver, attaché à un réverbère, à une centaine de mètres du commissariat, un dénommé Cole Brown. L'homme, ligoté et bâillonné, avait la tête recouverte d'un sac de tissu noir. Il était accompagné d'une petite pancarte de carton sur laquelle était expliqué qu'il était l'auteur du braquage de l'épicerie Wang sur la 52ème rue. Passé la surprise de se voir livrer un probable coupable directement au commissariat, les officiers avaient informé le Capitaine Beckett, qui, aussitôt avait fait vérifier au sein de la brigade de répression du banditisme si ce Cole Brown pouvait être l'auteur de ce braquage, qui avait eu lieu une semaine plus tôt, et n'était pas résolu. C'était une affaire des plus banales. Sans blessé, ni victime, et il n'y avait eu que trois cent dollars de volés et quelques bouteilles de bières et spiritueux. Mais cela faisait huit jours qu'on tournait en rond sans parvenir à identifier un suspect. Malgré les protestations et le déni dudit Cole Brown, on avait établi qu'il était bien celui dont on avait retrouvé l'ADN dans des traces de sang, sur la caisse de la supérette Wang, et sur les bouteilles de bière qui avaient été volées, puis abandonnées dans la rue. Les lieutenants en charge de l'enquête avaient été plus vexés que satisfaits de ce dénouement heureux, puisqu'ils n'étaient pas parvenus à résoudre l'affaire d'eux-mêmes. Quant à Cole Brown, il avait été incapable d'expliquer comment il s'était retrouvé ligoté à ce réverbère. Tout ce dont il se souvenait c'était qu'il était rentré tard d'une soirée un peu trop arrosée, et qu'alors qu'il s'apprêtait à rentrer chez lui, un homme en noir avait surgi et l'avait plaqué au sol. Il ne se souvenait de rien d'autre. Il n'avait pas été maltraité, ni violenté a priori, et le mystère demeurait sur la façon dont il avait atterri devant le commissariat, où on n'avait eu qu'à le cueillir pour le mettre sous les verrous. Un élément de taille interpellait tout le monde, Cole Brown, avait été retrouvé couvert de peinture jaune des pieds à la tête. Si les officiers avaient beaucoup ri, Brown avait maugréé et pesté pendant tout son interrogatoire. Il était maintenant en route pour la prison, mais Beckett avait chargé ses hommes de préciser les faits. C'était bien joli de boucler une affaire, mais comprendre comment ce Brown avait été ficelé à ce réverbère et enduit de peinture jaune était aussi important. Il n'y avait pas de caméra de surveillance à l'endroit où il avait été retrouvé, et l'enquête de voisinage dans son quartier, n'avait rien donné. Elle était certes satisfaite d'avoir une affaire résolue, mais ce mystérieux justicier l'intriguait malgré tout. Alors si maintenant, on lui racontait une histoire de super-héros, elle n'y comprenait plus rien.

- Ce gars n'est pas un super-héros, mec ..., lui fit remarquer Esposito. Arrête de délirer ...
- C'est un super-héros ..., affirma Ryan, sûr de lui.
- Ce n'est pas parce que les gens disent que c'est un super-héros que c'en est un, grogna Esposito. On croirait entendre Castle ...
- Ce qu'il a fait est digne d'un super-héros, non ?
- Bon, les gars, vous m'expliquez ? leur lança Kate, un peu sèchement, agacée de les voir se quereller sans qu'elle n'y comprenne rien.

Ils se turent tous deux, sentant qu'elle perdait patience et Ryan se lança.

- Deux vidéos circulent sur le net, expliqua-t-il, sur la première, on voit RedSword qui ...
- Qui est RedSword ? l'interrompit-elle, aussitôt.
- Le super-héros ... On le voit cueillir Brown ..., comme s'il avait une caméra fixée sur sa tête ou son casque, et qu'il volait ...
- Il ne vole pas, corrigea Esposito. Il doit simplement se déplacer sur un hoverboard, ou un truc de ce genre ...
- Pourquoi vous l'appelez RedSword ? demanda Beckett.
- Parce que c'est le nom du gars qui a mis les vidéos en ligne, répondit Esposito.
- Et il tient une épée rouge lumineuse ..., ajouta Ryan.
- Vous vous fichez de moi ? soupira-t-elle, les dévisageant tous deux, en se demandant s'ils avaient décidé de la faire tourner en bourrique avec une histoire abracadabrante.
- Euh ... non ..., répondit Ryan, alors qu'Esposito préférait ne rien ajouter.
- Et l'autre vidéo ? demanda-t-elle.
- On voit Brown ficelé à son réverbère, cette nuit ..., comme on l'a trouvé.
- Montrez-moi ces vidéos, ordonna-t-elle, soucieuse d'y voir clair au plus vite dans cette histoire.
- Tout de suite, répondit Ryan, en sortant son téléphone. Elles ont été postées il y a une heure, et il y a déjà des milliers de vues ...
- J'ignore qui est ce type, mais il fait sensation ..., répondit Esposito. Tout le monde parle déjà d'un super-héros, et ça se propage à la vitesse de l'éclair ...
- Voilà ..., fit Ryan, en tendant son téléphone à Beckett. On ne parle que de ça sur les réseaux sociaux.

Elle observa, concentrée et intriguée, les trente secondes d'images, plutôt sombres, où effectivement on voyait un homme se déplacer à vive allure, comme s'il volait à quelques centimètres au-dessus du sol, et bondir sur Brown, qui, de dos, ne l'avait pas vu venir et se retrouvait plaqué au sol. On n'en voyait pas davantage, si ce n'est que cet homme semblait porter une épée d'un métal luminescent rouge. La vidéo avait en effet été mise en ligne par un certain RedSword, et un commentaire précisait que les images avaient été filmées lors de l'arrestation de Cole Brown, coupable d'un vol à main armée. L'auteur avait ajouté que le coupable était maintenant entre les mains de la police, avec un lien vers la seconde vidéo, montrant Cole Brown s'agitant contre le réverbère pour tenter de défaire ses liens. Elle était stupéfaite, et plus que surprise face à ce mystérieux inconnu qui non seulement aidait la police, mais en plus semblait fier d'afficher ses glorieux actes de bravoure sur Internet.

- Transmettez ces vidéos à Tory qu'elle essaie d'en tirer quelque chose, conclut Beckett, rendant à Ryan son téléphone. Je veux savoir qui est ce type qui se prend pour un justicier, et comment il a fait pour savoir que Brown était le coupable.
- Il pourrait être lié au braquage ..., suggéra Esposito.
- Oui. Possible, répondit Kate. Un complice mécontent qui balance son pote ...
- Pourquoi cette mise en scène ?
- Parce que c'est marrant ..., répondit Ryan.
- Ouais ... tu parles ..., bougonna son coéquipier.
- Il fait le buzz en tout cas ..., sourit Ryan, admiratif. Si Castle était là, il aurait une théorie du tonnerre ...
- Oui, répondit Kate, ne pouvant s'empêcher d'esquisser un sourire, en pensant aux idées farfelues que pourrait avoir son mari. Si le journaliste du New-York Post insiste, dites-lui qu'on n'a rien à dire sur le sujet. Pas besoin d'en rajouter avec du sensationnalisme et de faire de ce gars un héros ...
- Surtout qu'on va passer pour des amateurs dans cette histoire. Il n'y a pas mieux pour ridiculiser la Police de New-York, constata Esposito.
- Eh bien ... il a quand même déniché un coupable alors que nos gars piétinaient sur l'enquête depuis un moment ..., leur fit remarquer Ryan.
- Justement, il y a forcément une explication derrière tout ça, et ce gars est peut-être aussi criminel et coupable que Brown.
- Oui, confirma Kate. On verra ça ...
- Capitaine, reprit Ryan, puisqu'on a bouclé notre enquête, est-ce qu'exceptionnellement je pourrais finir plus tôt ? Daniel et Eyrinn sont malades. Jenny pense qu'ils ont la varicelle, elle doit les emmener chez le médecin, et on n'a personne pour garder Nicholas et Sarah-Grace ... alors ...
- Pas de problème ..., répondit aussitôt Kate qui savait combien la vie chez les Ryan était compliquée en ce moment.

Depuis la naissance des jumeaux, qui avaient maintenant dix-huit mois, Ryan et Jenny étaient totalement débordés. Non seulement les enfants les accaparaient totalement, mais en plus, ils peinaient à s'en sortir financièrement, et leur couple commençait à battre de l'aile. Ryan avait le moral au plus bas, mais refusait tout aide et tout conseil pour tenter d'améliorer la situation. Le voir ainsi la peinait, et peinait leurs amis, et elle espérait que Ryan et Jenny parviendraient à trouver un équilibre avec leur famille nombreuse.

- Je rattraperai les heures semaine prochaine, ajouta Ryan, avant de s'éloigner vers la porte.
- C'est bon, Ryan, sourit Beckett. Tu fais déjà plus d'heures qu'il n'en faut.
- Merci, lui fit-il, la regardant avec gratitude. Je transmets les vidéos à Tory, et j'y vais.
- Ok. Bonne soirée, répondit Kate. Embrasse Jenny et les enfants pour moi.
- Bien-sûr.
- A demain, mec, ajouta Esposito avec un sourire.
- Bonne soirée ..., répondit Ryan, avant de filer vers le couloir.
- Comment va-t-il ? demanda Kate, soucieuse.
- Ni mieux ni plus mal qu'hier ... Mais quatre enfants ma parole, il fallait s'attendre à ce que ça finisse comme ça ..., constata Esposito, d'un air dépité. Qui fait quatre enfants de nos jours ?
- Javi ..., ce n'est pas gentil. Ses enfants sont adorables et ... pour rien au monde Kevin et Jenny ne changeraient quoi que ce soit.
- Je sais bien ..., soupira Esposito. Mais bon sang, ça me tue de le voir comme ça ...
- Ça va s'arranger. J'en suis sûre ..., répondit-elle, essayant de rester optimiste.
- J'espère ...
- Dis-moi, est-ce que ça te dérangerait de prendre les commandes pour le reste de la journée ? demanda Beckett, réalisant au moment où elle le disait que son choix était fait.

Elle allait partir pour les Hamptons, retrouver Rick et les garç était calme ici, il n'y avait pas d'urgence. Elle annulerait sa réunion, passerait au loft récupérer ses affaires et prendrait la route. Elle culpabilisait malgré tout. Il ne restait plus que quelques heures à passer loin d'eux. Ce n'était rien. Mais elle ne pouvait plus. Elle avait peur de craquer complètement ce soir. Elle sentait qu'elle se laissait envahir par ses émotions, et elle avait besoin d'eux. De Rick. De leurs fils. Elle songeait déjà aux sourires et cris de joie d'Eliott et Leo quand ils la verraient arriver plus tôt que prévu. Elle avait tellement hâte de retrouver ses bébés, leurs câlins, leurs baisers et leurs petites bouilles coquines. Elle pouvait déjà imaginer la force avec laquelle Rick la prendrait dans ses bras et la serrerait contre lui, tout heureux qu'elle soit déjà là. Et cette pensée adoucit ses autres tracas. Elle savait qu'elle faisait le bon choix.

- Tu veux dire en plus de demain ? demanda Esposito qui était déjà de garde samedi.
- Oui.
- Il y a un souci avec les enfants ? Ou Castle ? s'inquiéta-t-il, un peu surpris.
- Non, non, tout va bien. J'ai juste besoin de partir plus tôt, expliqua-t-elle, se montrant rassurante, et ne voulant pas non plus lui raconter ses états d'âme.
- Ok, répondit-il.

Il n'avait rien de prévu ce soir. Et être ici lui permettrait de profiter tranquillement de l'élue de son coeur, loin des regards curieux de ses amis. Cela tombait bien finalement de devoir remplacer Beckett.

- Merci, Javi ...
- Pas de problème, sourit-il. J'adore prendre la place du boss !

Elle savait qu'elle pouvait compter sur lui, et sur Ryan aussi. Elle leur faisait entièrement confiance. Tous les deux étaient ses fidèles bras droits, et l'un ou l'autre était toujours disponible, comme Rick et elle l'étaient pour eux, quand elle avait besoin de s'absenter le temps de quelques heures pour les enfants.

- Je sais ..., sourit-elle, en se saisissant du téléphone. J'appelle pour annuler ma réunion, et je file.
- Ok.