C'était officiel : Outre le fait qu'il était chiant, hypocrite et j'en passais et des meilleures, Marian Cross était complètement con, et le pire, c'était qu'on voyait cela dès le début.

Je disais ça parce que, d'après de nombreuses sources, on pourrait croire qu'avoir le - ahem - beau, le - ben voyons - magnifique Marian Cross en face de vous, femmes hétéros ou bisexuelles, tiendrait du rêve - car monsieur n'est pas gay et vous montrera immédiatement son vrai visage si vous faites l'erreur de le draguer en étant du même sexe que lui -, et que vous vous plierez en quatre pour lui, quand bien même c'est le messie des enfoirés de première, et accessoirement le dieu des crevard. Ne serait-ce qu'à cause du fait que même si vous ne l'avez jamais vu en vrai, les femmes, ses principales victimes et les sources en question, en parlent comme d'Apollon, et sont toutes amoureuses de lui, quand bien même elles sont averties de son statut de connard international. Et pour le coup vous ne pourrez pas écouter les hommes, emplis pour la plupart d'une jalousie maladive à son égard.

Bien évidemment, comme ses petites-amies sont toutes belles et haut placées, on suppose que s'il vous approche, vous, pauvre roturière qui oublie souvent de prendre une douche, vous pensez automatiquement que vous avez gagné son cœur et vous vous faites avoir en beauté parce qu'il a juste appris avant vous que vous êtes l'héritière d'une immense fortune.

Et je ne dis pas ça parce qu'il avait tenté de me jeter par-dessus le bord d'un galion, alors qu'il avait fallu cinq jours à ce cher bateau à voile pour arriver à cet endroit de l'Océan pacifique et que l'on était en plein décembre. Ça, c'était parce qu'il voulait clairement me tuer. En même temps, cette enflure se moquait éperdument qu'un clandestin bouffant dans les réserves meurt par noyade ou de froid. Je ne m'attendais pas à ce qu'il m'accueille à bras ouverts.

Je ne dis pas ça non plus parce que ce connard envoyait un équipage entier de marins dévoués et loyaux à la mort, quand môssieur l'un des ennemis numéros un du Japon - qui en passant, était notre destination - avait les moyens d'aller plus vite, plus discrètement et sans victime à déplorer. Ça, il le faisait sciemment, parce que s'il avait utilisé la voie la plus courte il aurait dû sacrifier son si précieux confort et, franchement, il n'en avait rien à foutre des matelots.

Non, je dis ça parce qu'il m'avait dit qu'il y avait seulement des risques, et que l'équipage était préparé à mourir.

... venant de la part d'un combattant surpuissant et magicien censé protéger le galion à lui tout seul, c'était très con.

Car franchement, il fallait être un âne pour ne serait-ce que penser que quelqu'un croit en cette bêtise. Genre, comme si le pays du soleil levant allait épargner le bateau sur le chemin du retour, quand bien même Marian Cross, leur cible, aurait quitté le navire. Enfin bon. Les matelots devaient y croire, ce qui me m'amenait à conclure qu'on trouvait toujours plus con que soi, décidément...

« Cross. » dis-je d'un ton neutre, bien que je m'apprêtais à démolir le petit discours de l'enflure, car ses paroles m'agaçaient prodigieusement. « Si tu parviens à répondre correctement à ma question, je croirais en ces mots que tu viens de prononcer : En sachant que les Akumas, ces monstres vivants pour tuer, composent environ la majorité de la population Japonaise, et qu'ils adorent tuer des humains au nez et à la barbe de la plèbe ignorante de leur existence, j'aurais tendance à dire qu'une fois sans protection sur le chemin du retour, les marins seront sauvagement attaqués puis tués. Étant donné que les Akumas n'ont aucun but sinon tuer les nôtres pour le plaisir, que les humains sont inexistants dans ce pays qui leur fait, à ce stade, pratiquement office de quartier général - ils sont plus nombreux que les humains ! -, et que l'on doit être sur le seul bateau non infestés de leurs membres, c'est plus qu'hautement probable, si tu veux mon avis. Maintenant, ma question : Si ce que tu dis es vrai, qu'il n'est que des risques, qu'avait-tu prévu de faire afin de sauver l'équipage ? »

Silence.

In your face, bastard. pensais-je : Je le voyais mal m'avouer qu'en réalité, il n'avait rien prévu pour les matelots. Je risquais de le dire à l'équipage qui ferait aussitôt demi-tour.

« Je n'ai rien entendu. » fit Cross d'un ton désinvolte. « Si tu veux parler, dis-le moi en face et ne le fait pas dans ta barbe, clochard. »

Et bim ! C'est qu'il se défendait bien, ce crétin des Alpes.

Salaud.

De fait, ma tête était enfouie dans le creux de mes genoux et n'avait pas bougée depuis que Cross était venu à l'arrière du galion, où j'avais élu résidence avec une couverture rapiécée, dans le vain espoir de dormir à la belle étoile.

« Et c'est pour ça que tu as attendu que je finisse avec un supplément de temps pour m'affirmer cette belle connerie, dis-je, devinant sa prochaine réaction, qui m'énervait déjà et alimentait ma colère envers lui.

- Hein ? Je n'entends toujours rien, poisseux. »

Prévisible. Je relevais la tête et je le fixais avec colère, ce tombeur à la con qui, malgré ses cheveux bouclés et yeux rouge qui lui donnaient l'air d'un vaurien, ainsi que du manteau des exorcistes, qui lui, lui donnait un air ridicule. C'était l'un des mystères de ce crétin : Il ressemblait à un troll sorti d'un manga, mais toutes les femmes tombaient à ses pieds.

« Écoutez-moi bien, Cross » m'exclamais-je d'un ton dur, et en le vouvoyant comme je le faisais à chaque fois que quelqu'un passait un palier ma colère. « Je n'ai strictement aucune envie de vous parler, et vous non plus. C'est suffisamment clair, merci. Alors est-ce que vous pourriez, je ne sais pas, aller droit au but quant à votre venue ici, sachant que vous alliez me trouver, moi et mon hygiène douteuse ? Vous détestez les gens crades, qu'est-ce que vous foutez avec moi, exactement ?

- Rien. » sourit l'homme en face et à droite de moi, que du coup je voyais mi de dos, mi de côté. « Je suis juste venu observer les étoiles. »

Pour le coup, ma tête stupéfaite devant l'absurdité de ce mensonge qui avait la prétention de se vouloir crédible devait valoir tout l'or du monde. Ma fureur en avait fondue comme de la neige au soleil. J'avais même envie d'éclater de rire, mais si je le faisais il me tuerait, et je n'étais plus suffisamment en colère pour m'en moquer.

Je décidais donc de l'ignorer complètement et de m'allonger.

A l'aube, j'eu la surprise de découvrir l'empreinte d'une grosse semelle sur mon visage. J'avais cependant déjà remarqué que Cross avait vraisemblablement tenté de me réveiller - et de manière brute à en juger par mon corps endolori -, donc ce ne fut pas une surprise.

Néanmoins, la stupéfaction s'empara tout de même de moi quand je vis mon visage se refléter dans la glace des toilettes pour hommes. Je ne me souvenais pas de la dernière fois où j'avais ne serait-ce que vu un miroir. Je savais encore vaguement ce que c'était ; mais j'avais presque oublié.

J'avais d'abord eu un mouvement de recul en me voyant ; J'avais cru avoir affaire à quelqu'un d'autre. Puis j'avais bêtement observé la surface réfléchissante et mes souvenirs concernant la nature de cet objet avaient fini par refaire surface.

Puis, j'avais ressenti l'effroi. Parce c'était moi, cet être hideux qui se reflétait dans le miroir. Tout comme avec la glace, je ne me souvenais plus de mon ancien visage ou de comment m'occuper de mon corps.

J'avais oublié.

Encore.

Depuis ce qui me semblait être une éternité, mon corps avait été laissé à l'abandon : Outre la marque de chaussure, mes joues creuses indiquaient ma malnutrition et mes cernes mon manque quotidien de sommeil. Pourtant, j'avais les moyens de m'acheter de la nourriture et de dormir décemment.

Mes cheveux noirs, dispersés en touffes inégales sur ma tête, résultat d'une tentative d'avoir la boule à zéro, combinés à mes yeux noirs hagards et ma peau sale me donnait l'air d'un clochard louche. J'aurais dû aller chez le coiffeur. Et en plus, j'étais tellement pâle que j'avais l'air d'un cadavre.

Pitoyable. songeais-je.

Vaguement, je me dis que Cross devait vraiment avoir une excellente raison de vouloir me parler, parce que franchement, j'avais tout du type qui chie dans la rue.

Ce qui n'était pas faux.

Je sortis des toilettes et remontais sur le pont. Une fois là-haut, je demandais poliment à un jeune mousse d'une quinzaine d'année sur le point de monter sur le nid de pie si je pouvais utiliser les douches. Et s'il avait un rasoir, aussi.

Il me regarda, mi-étonné, mi-amusé. C'était un petit espagnol à qui l'on donnerait le bon Dieu sans confession. Teint mat, yeux et cheveux marron, petit nez et oreilles, une peau épargnée par l'acné, d'assez grande taille.

« Vous ne saviez pas ce qu'étaient les toilettes quand on vous a trouvé. Si je vous laisse seul dans les douches avec un rasoir, vous allez glisser et mourir par accident. » rit-il.

Je le regardais d'un air torve. Il ne se départi pas de son sourire et parti dans la direction d'où je venais :

« Vous venez ? Je vais vous expliquer comment marche une douche. Et vous raser. »

OoOoO

Je sortis de la douche avec le crâne aussi lisse qu'un œuf. Je venais de passer trois heures à la nettoyer. Le mousse, qui était retourné travailler pendant ce laps de temps, arriva cinq minutes plus tard.

« C'est votre faute. » me dit-il sévèrement, quand nos regards se croisèrent. « La salle de bain était dans un sale état après votre premier passage. Il fallait que vous la nettoyiez. »

Je n'ai rien dit, tu sais...

Devant mon expression, l'adolescent eût un sourire qui ne présageait rien de bon :

« A la façon dont vous teniez la serviette, on croirait que vous êtes une femme. Quoique, je ne vous ai vu que de dos, et peut-être nous cachez-vous quelque chose... »

J'haussais les épaules d'un air je m'en foutiste absolu, en haussant un sourcil. Le mousse, voyant mon absence de réaction, en déduisit que j'étais bel et bien un homme, et changea de sujet avec la subtilité d'un éléphant.

« Dites, pourquoi vous voulez aller au Japon ? »

Je plantais mon regard dans le sien, l'interrogeant du regard. Il piqua un fard, mais trouva la force de s'expliquer.

« Si vous êtes sur ce bateau, c'est parce que vous voulez aller au Japon. Mais... personne d'humain ne peut survivre là-bas. C'est impossible. Alors, je me...

- Qui t'envoie ? » le coupais-je.

Le mousse me considéra quelques instants, avant de lâcher :

« Les membres de l'équipage... ils veulent savoir si vous êtes comme monsieur Cross. Vous avez un sabre et...

- C'est un bôkken. Un sabre en bois. Et non, je n'ai jamais eu l'intention de poser un pied à Edo en compagnie de cet homme. Il m'enverrait en pâture aux Akumas. »

Sur ce, je me tournais vers la sortie des douches et, sans aucune autre forme de procès, je plantais le jeune mousse dont je ne connaissais même pas le prénom.

Je croisais l'enflure une fois sortie, accoudé sur la rambarde du bateau. Je m'approchais de lui avant de lui faire un grand sourire, qui l'étonna, parce qu'il voyait bien que j'avais une idée derrière la tête.

... ou peut-être la propreté de mon crâne luisant l'étonnait. En tout cas il faisait une drôle de tête. Il en fit une encore plus étonnante quand je commençais à parler :

« Cross. » Lui dis-je sérieusement. « Je suis une femme, et une prostituée. »

Je disais la vérité.