Note importante aux lecteurs :

Cette histoire se déroule à la fin du jeu Mass Effect 3, mais vous le verrez d'entrée de jeu, l'assaut final ne se passe pas tout à fait comme prévu...! Nous avons pris la liberté de continuer l'aventure, tout en empruntant quelques idées à la théorie de l'endoctrinement (que vous connaissez sûrement ? Si non, ça ne vous bridera en rien pour la lecture !). Cependant, histoire de vous épargner une vision imposée sur la "meilleure fin" (notre opinion étant le fait qu'il n'y ait PAS de meilleure fin, d'ailleurs, et que tout joueur a sa propre idée de la chose), sachez juste que cette fanfic ne reprend pas dans son fondement le choix crucial que nous avons dû faire à la fin du jeu.

Nous vous souhaitons une bonne lecture, en espérant que vous y preniez plaisir autant que nous en avons eu à façonner la bête ! ;-)

Leslie et Martin


I : Débâcle

De toute sa carrière au sein du SR-2 Normandy, c'était bien la première fois que Karin Chakwas devait s'occuper d'autant de blessés de l'équipage, auxquels s'ajoutaient plusieurs soldats blessés ramassés à la volée. Son infirmerie, d'ordinaire si paisible et n'accueillant que peu de patients, se remplissait rapidement au fil des minutes qui s'écoulaient. Bientôt, elle allait finir par manquer de matériel, d'espace... Et surtout, de main d'œuvre.

La situation devenait cauchemardesque. Ingérable. Les brancards posés à même le sol par manque de place rendaient les déplacements difficiles et il allait falloir sous peu déborder dans la salle principale. On ne s'entendait plus réfléchir parmi les râles et les hurlements, l'odeur d'antiseptique peinant à couvrir d'autres senteurs bien moins rassurantes.

Parmi les compagnons du commandant Shepard, nombreux étaient ceux qui avaient dû battre en retraite. Pas qu'ils l'avaient souhaité, en vérité, mais leur chef s'était faite sévère et intransigeante lorsqu'elle leur avait ordonné le repli. Certains de ses coéquipiers avaient été sévèrement atteints dans le dernier assaut du groupe Marteau... Celui qui devait les conduire à la victoire. Ou à l'échec... Et le commandant avait préféré mettre sa troupe à l'abri, pour des raisons que tous ne comprenaient pas. Ainsi, les bien portants du groupe avaient pris soin de mettre les autres à couvert, les ramenant ensuite au Normandy sans devoir s'occuper de ce qui se passait derrière.

À l'heure actuelle, nulle personne à bord du fameux vaisseau ne savait ce qu'il en était de l'offensive. Quelqu'un avait-il réussi à passer le no man's land ? Le faisceau avait-il été atteint ? Qu'était devenue Shepard ?

Bien que primordiales, ces questions n'étaient pas celles qui parcouraient l'esprit bien occupé du docteur Chakwas. Elle courait en tous sens pour se saisir de fournitures médicales et effectuer les premiers soins aux blessés qui envahissaient son espace de travail.

- Tournez la tête, ordonna-t-elle à Liara alors qu'elle appliquait une compresse sur le front ensanglanté de l'Asari.

Cette dernière s'exécuta sans piper mot, le regard perdu, comme si ses pensées vagabondaient ailleurs. Les seules images qui daignaient défiler devant ses yeux étaient celles qu'elle avait vécues il y avait de cela quelques minutes encore : Shepard qui courait à en perdre haleine droit en direction du faisceau, au milieu des nuages de poussière, des ruines, des épaves et des cadavres calcinés, entourée de ce qu'il restait de l'unité Marteau. Et puis, alors que le Normandy entamait le repli, des explosions, partout, provoquées par le rayon de l'Augure qui les écrasait tous de sa taille et de sa puissance colossale, défiant quiconque de se risquer sur le chemin qui menait à la Citadelle... Shepard avait disparu de tout contact visuel alors que le Normandy quittait les lieux, laissant sur place son capitaine.

Avant que le docteur Chakwas n'ait pu sortir l'Asari de son mutisme, de nouveaux arrivants pénétrèrent avec fracas dans l'infirmerie.

- Il faut s'occuper d'elle, vite !

La voix de Garrus avait surpassé tout le brouhaha environnant, attirant sur lui les regards inquiets des blessés déjà présents. Le Turien tenait dans ses bras une Tali bien amochée et visiblement inconsciente. Son masque était lézardé du front jusqu'au niveau de la bouche, la combinaison avait été déchirée par endroits : là où les pièces d'armure avaient sauté ou éclaté, on craignait la présence de fragments dans les plaies déchirant la peau mauve rendue visible... Le système immunitaire particulièrement faible de la Quarienne obligea Chakwas à accourir vers la jeune femme, qu'elle prit en charge immédiatement.

- Posez la ici, exigea-t-elle tout en désignant un lit, sur lequel était pourtant déjà assis James Vega, l'emplâtre de médi-gel appliqué sur sa gorge commençant à peine à faire effet.

Ce dernier se redressa aussitôt et libéra la place, suite à quoi il aida même Garrus à y installer Tali. Le Turien semblait inquiet : ses bras la portaient avec prudence, comme s'il s'agissait une fragile poupée de chiffon, prête à se déchirer à tout moment. Un léger gémissement aux tons robotiques passa difficilement le masque de la Quarienne, confirmant le fait qu'elle était toujours bien vivante et pas tout à fait inconsciente.

- Madre de dios, pesta Vega. Doc, sa combinaison, regardez…

- J'ai vu, James. Vous allez m'aider, tous les deux. Il faut faire sortir tout le monde d'ici rapidement et lancer un protocole de stérilisation après avoir emporté du matériel. Sinon, on risque de la perdre… Allez !

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L'amiral Hackett s'inquiétait. Il était soucieux de mener à bien la mission, et pour le moment, la réussite semblait s'éloigner à grande vitesse... L'homme faisait les cent pas devant les hologrammes qui animaient la carte galactique face à lui. Les rapports du terrain étaient de plus en plus mauvais et dorénavant, il craignait réellement que l'unité Marteau envoyée sur le faisceau ne puisse mener sa tâche à bien.

La seule chose que le vieux militaire attendait, c'était le signal de départ pour amarrer le Creuset à la Citadelle... Et nul signal ne venait, alors que le temps défilait, lui. Bientôt, si le Creuset n'était pas vite mis en place, les Moissonneurs ne tarderaient pas à s'en occuper...

- Anderson bon sang, répondez, qu'est-ce qui se passe en bas ? tonna l'amiral qui s'impatientait. Anderson !

- Les communications viennent d'être rompues avec Marteau, monsieur, répondit derechef un technicien. Plus rien n'arrive des troupes au sol.

- Sont-ils encore en vie ?

- Aucune idée, monsieur. Nous avons déjà eu affaire à des interférences qui ont brouillé nos systèmes, mais... On n'a aucune nouvelle. L'assaut a dû...

L'homme ne put achever sa phrase. Ses yeux, ainsi que ceux de son supérieur, suivirent avec stupéfaction les mouvements qui s'amorçaient derrière le ballet spatial des vaisseaux aux prises les uns des autres, des acrobaties des chasseurs et des épaves disloquées dérivantes : l'immense station se déployait lentement, ses cinq branches s'écartant les unes des autres.

- Bon sang ! s'exclama Hackett. Elle l'a fait ! Elle a réussi !

Le vieil amiral trépigna presque d'impatience. Les traits pratiquement enjoués qui se lisaient sur son visage étaient d'une étrange rareté. Aussi, intérieurement, il ne cessait de féliciter Shepard, à qui il attribuait l'origine de cet exploit. Peut-être la flotte ne recevait-elle plus aucune communication des troupes à Londres, mais au moins, la tournure des choses semblait enfin prendre la bonne direction.

- Mettons en place ce fichu Creuset !

Les ordres de l'amiral Hackett tombèrent comme la foudre, et tous ceux présents autour de lui répondirent en chœur à l'affirmative.

L'escorte de l'arme aux plans millénaires entama sa route en direction de la Citadelle. Bientôt, tout serait en place pour anéantir définitivement les Moissonneurs. Leurs victimes, la guerre, les sacrifices exigés pour défendre la galaxie... Rien ne serait vain. Il fallait y croire coûte que coûte : ce cycle serait le vainqueur, celui de "la vengeance", comme le pensaient les Prothéens.

Le trajet qui menait le Creuset à sa destination finale semblait durer une éternité. Il n'y avait pas un seul instant où l'on ne craignait pas sa destruction... Les Moissonneurs les plus imposants s'étaient dirigés vers la surface de la Terre, rompant le combat avec l'unité Épée. Cela représentait une chance à saisir, mais il ne fallait pas oublier les créatures de taille moins conséquente, qui demeuraient toujours entre l'amiral et son but.

Les vaisseaux d'Épée entamèrent la suite de leur travail : entourer l'escorte et protéger le Creuset. Les tirs fusaient en tous sens dans un acharnement que bien des amiraux chevronnés n'avaient pourtant jamais vu. Lasers, torpilles, mines, chasseurs, bombardiers, toutes les ressources étaient employées, toutes les retenues et les sécurités levées. Tout était fait pour maintenir les Moissonneurs le plus loin possible de l'engin, qui tenait bon, tandis que Hackett serrait les dents. La puissance de feu déployée fut telle qu'elle parvint même à forcer les destroyers insectoïdes à reculer et libérer le passage vers la Citadelle. Non sans pertes lourdes, il est vrai, mais l'espoir de voir tout cela se terminer alla jusqu'à pousser plusieurs équipages à interposer leurs vaisseaux entre les tirs ennemis et les cibles plus importantes. C'était le dernier coup de collier, la dernière ruade de l'animal acculé... L'action qui déterminait l'issue de la guerre.

Puis, arriva l'instant fatidique.

L'arme finit par être raccordée à la Citadelle. Un ultime mouvement de pression l'enclencha dans le centre de cette dernière par un mécanisme savamment étudié.

Shepard devait l'activer, et ce serait la fin...

Tous seraient débarrassés de ce fléau.

Le poids des secondes qui défilaient semblait accabler tout le personnel de l'Alliance et des flottes galactiques. Les souffles étaient retenus, les voix se taisaient, et les regards se portaient tous, pleins d'espoir et de crainte, sur le Creuset et la Citadelle.

Hackett passa une main tremblotante sur son visage balafré, y essuyant par la même occasion une goutte de sueur qui perlait.

Puis les secondes se transformèrent en de longues minutes angoissantes... De leur côté, les Moissonneurs continuaient la guerre, revenant à la charge avec un entrain renouvelé, anéantissant de plus en plus de vaisseaux aux munitions et boucliers épuisés, sur tous les fronts où ils étaient.

- Monsieur... Ennemis de classe Sovereign en approche, s'alarma le technicien auprès de l'amiral. Ils remontent de la Terre.

- Quoi ? s'étouffa presque le vieux militaire. Ils vont s'en prendre au Creuset !

- N...Négatif amiral. Ils attaquent Épée et l'escorte !

- Il faut absolument l'actionner ou on va tous y passer !

Hackett fronça les sourcils et plissa les yeux, observant avec insistance la station intergalactique et l'arme qui y était rattachée. Pourquoi diable personne ne daignait l'activer ?

- Un rapport des flottes Épée monsieur, les effectifs se réduisent de nouveau grandement. Les Moissonneurs nous taillent en pièces...

L'amiral renifla nerveusement. Ceux qui étaient passés par le faisceau n'avaient visiblement pas réussi à terminer le travail... Qu'avait-il bien pu se passer là-bas une fois que les panneaux de commande des bras avaient été atteints ? L'heure n'était plus au doute, il fallait agir, l'amiral le savait. Il n'y avait plus le temps d'attendre et de contempler le Creuset en espérant un miracle. Il s'autorisa un soupir : l'ordre qu'il s'apprêtait à donner lui semblait contre-nature, ne pas être de lui... Jamais il n'aurait pensé un jour exiger ça de n'importe lequel de ses subordonnés… Et pourtant, la nécessité prévalait. S'il survivait à ce jour, probablement allait-il le hanter toute sa vie.

- Mettez-moi en communication avec la totalité de la flotte, somma Hackett.

L'ingénieur exécuta aussitôt sa demande et établit la liaison, transmettant à tous les paroles de celui qui dirigeait la guerre.

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Peu après s'être éloigné du faisceau, le Normandy avait reçu un nouveau signal de détresse, envoyé par Steve Cortez. Les soldats auprès desquels s'était réfugié le lieutenant avaient péri, le laissant seul rescapé au milieu de troupes moissonneurs. Conscient que sa survie ne tenait qu'à un fil, Cortez avait eu la présence d'esprit de courir se réfugier dans un immeuble, duquel il avait atteint les toits. L'équipage avait rapidement décidé de l'exfiltrer également, ne souhaitant pas laisser sur le carreau leur meilleur pilote de navette. Si les compagnons de Shepard avaient pu être secourus, il était hors de question d'abandonner un autre des leurs à son sort.

Ayant mis le lieutenant en sûreté, le Normandy évacuait tout juste les lieux lorsqu'il reçut les consignes de l'amiral Hackett.

- À toutes les unités ! Je répète, à toutes les unités. Le Creuset a bien été mis en place, mais il semble que Marteau ne soit pas parvenu à l'activer. Si nous ne le déclenchons pas, cela signe notre arrêt de mort à TOUS ! Il s'agit de notre dernière chance, notre seul espoir ! Par n'importe quel moyen, il faut arriver dans cette fichue tour de contrôle ! À toutes les troupes au sol, à tous les vaisseaux de toutes les flottes, envoyez tout le personnel possible sur le faisceau et la base de la Citadelle ! Je répète, envoyez toutes les troupes disponibles sur le faisceau et la Citadelle ! Tous les vaisseaux, tous les véhicules, toutes les navettes, les chasseurs, les soldats, les officiers, les techniciens, les cuistots, les analystes, les aumôniers, le personnel civile ! Par tous les moyens, toutes les issues, que vous jugerez les plus efficaces ! Que les croiseurs et les vaisseaux de trop gros tonnage s'approchent le plus possible et abordent ! Via les capsules de sauvetage s'il le faut ! Il suffit qu'un seul atteigne le panneau de contrôle ! Pour notre survie à tous ! Hackett terminé.

Joker fit la moue et fronça les sourcils une fois que la voix de l'amiral se tût. L'espace d'un instant, alors que ses mains s'activaient sur les commandes du Normandy, le timonier hésita. IDA lui lança un regard sceptique. N'importe quel humain aurait vu là un air froid et dénué de sentiments, mais Joker savait pertinemment décoder les intentions de l'IA à ses côtés. Il semblait qu'il n'était pas le seul à réfléchir aux conséquences des ordres que venait de donner Hackett.

Autour d'eux, on pouvait déjà apercevoir des navettes descendre à grande vitesse. D'autres bâtiments de guerre d'Épée, précédemment au dessus de l'atmosphère de la planète, arrivaient également. Il ne fallut que de courtes minutes avant qu'un amas important de vaisseaux de la flotte intergalactique se rassemble autour de la Citadelle et du faisceau qui y menait. Malheureusement, les Moissonneurs avaient bien suivi le mouvement, et la nuée chaotique qui se formait ne rendait leur tâche que plus facile. L'espace s'illumina de toutes parts de leurs puissants rayons d'un rouge ardant, qu'ils n'avaient qu'à promener autour d'eux pour balayer les indésirables sur leur trajectoire. Les pertes se faisaient toujours de plus en plus conséquentes alors que le ciel terrestre prenait les airs d'une sinistre boîte de nuit, où seuls dansaient les épaves pourfendues et les débris envoyés au gré du vide spatial par les explosions en chaînes parcourant les vaisseaux confédérés.

Les soldats qui avaient touché le sol, là où Marteau avait failli, ne rencontraient pas plus de succès. L'Augure gardait fermement son poste au pied du rayon, pulvérisant avec dédain et minutie quiconque s'en approchait. Il fut bientôt rejoint par d'autres destroyers de plus petite taille, apportant avec eux des légions de créatures moissonnées qu'ils déployèrent au sol. Le ciel s'emplit bientôt d'escadrilles entières de cicosaures tandis qu'hurlaient les furies et les brutes. Par groupes entiers, tout ce que les races conciliennes comptaient de personnels, combattant ou non, était désintégré, écrasé sous les décombres, pulvérisé par les explosions, ou encore fauché par les rafales des cannibales et mis en pièces par les nuées de zombis qui envahissaient le no man's land. Les Moissonneurs portaient bien leur nom... Une lame aiguisée fauchant les blés sans mal, sans aucune résistance... Mais les civilisations de la Voie lactée avaient-elles seulement le choix ? Leur salut passait par le Creuset, qu'ils avaient eu tant de mal à construire et à mettre en place. Hackett l'avait dit, c'était leur unique et dernier espoir.

Joker entama les manœuvres de pilotage pour retourner en direction du trait lumineux bleuté qui barrait l'horizon du sol au ciel. Les injonctions de l'amiral avaient été données, tous devaient suivre. Alors qu'il s'afférait à mettre le Normandy en mouvement, le timonier fut pris de stupeur : aucune des commandes ne semblait lui répondre.

- Mais... Qu'est-ce qui se passe ?!

L'Humain jeta un regard interrogatif sur sa droite, ses yeux quémandant une explication à l'intelligence artificielle assise non loin.

- IDA ? insista-t-il.

Mais son interlocutrice ne broncha pas, continuant les gestes coordonnés qui lui permettaient de diriger le bâtiment.

- Tu... Tu as bloqué les commandes ! Qu'est-ce que tu fais ?

- Je nous mets à l'abri, déclara-t-elle simplement.

- Quoi ?! Mais... Les ordres !

Joker ne luttait pas. Même s'il préférait strictement respecter la hiérarchie, il savait qu'il n'était pas de taille à rivaliser. Le temps même que son cerveau ne lui dicte quoi faire, IDA pouvait agir de mille et une façons...

- J'ai effectué tous les calculs possibles afin d'interpréter les probabilités de victoire de cet assaut. Il n'y en a aucune. Ma fonctionnalité principale est de garder l'équipage en vie le plus longtemps possible, et les ordres de l'amiral mènent tout le monde à la mort. Je constate aussi actuellement que certains vaisseaux de la flotte ne vont pas en direction de la Citadelle.

- Hein ? Tu veux dire...

- Des désertions, oui, continua IDA tout en travaillant. Les pertes sont colossales et il semble que d'autres n'aient pas envie non plus de courir au suicide pour un acte désespéré. La flotte Terminus se retire en ce moment-même.

Joker regarda les radars et les différents rapports qui défilaient sous son nez. Des flottes Terminus, seuls les Berserkers poursuivaient le combat avec leur acharnement téméraire habituel. Sans doute un coup de leur fierté naturelle, prompte à les faire rechercher une mort glorieuse au combat.

Hackett aussi constatait l'étendue des dégâts, car bientôt, la première vague de désertion en entraîna d'autres. Les races les plus faiblement équipées et en petit nombre entamèrent aussi le chemin du repli. Sans doute ne souhaitaient-elles pas voir en ce jour la fin de leur civilisation. Les Volus et les Hanari décampèrent bien vite derrière les mercenaires, ignorant les rappels à l'ordre furieux que l'amiral hurlait dans son micro. Les victimes des Moissonneurs se faisaient de plus en plus nombreuses dans l'offensive, sans toucher au but recherché.

Peu de temps après, ce furent des désertions individuelles qui touchèrent les rangs des espèces conciliennes majeures. L'amiral Hackett avait beau tenter de maintenir le cap, le flux d'abandon se faisait de plus en plus conséquent, tel le ruisseau devenu rivière, et qui ne tarderait pas à devenir fleuve. Des Humains, des Turiens, des Asari... Face à cet élan, que certains jugeaient plein de lâcheté, les Elcors décrochèrent, puis les Quariens et les Galariens s'y mirent à leur tour. Leurs deux races, soudées et unies chacune de leur côté, firent bloc pour emprunter le relais cosmodésique le plus proche et fuir le combat. Ils se retirèrent en bon ordre, tous ensemble et suivant les schémas de repli tactique par couvertures mutuelles, prenant même le temps d'annoncer leur retraite à Hackett. Quand il réclama leur maintien, ceux-ci répondirent qu'ils n'avaient plus d'ordres à recevoir, leur part du contrat avait été respectée. Après tout, eux avaient encore leurs planètes respectives à secourir. La Terre, qu'ils jugeaient perdue, ne valait peut être plus le coup de se battre pour elle... Et le Creuset menait actuellement au suicide collectif. Rannoch et Sur'Kesh, elles, pouvaient éventuellement encore être secourues.

Hackett grondait de colère, retenait de son mieux des larmes de rage et de désespoir, mais il n'avait plus le choix désormais... Il fallait ordonner la retraite. Seuls les Berserkers et les Butariens, ainsi qu'une poignée d'Humains incapables d'abandonner la Terre, acharnés, décidèrent de se battre jusqu'à la mort, hurlant des insultes sur les fréquences à l'intention des lâches qui fuyaient derrière eux. Les Berserkers se jetaient à corps perdu dans la bataille, ne cherchant même pas à atteindre un quelconque objectif, sinon celui de grossir leur tableau de victimes avant de partir dans une flambée de gloire. Les Humains restant poursuivirent leur ruée kamikaze sur le Creuset, fauchés dans leur course par les rayons moissonneurs.

Ce fut la flotte geth qui permit à tout le monde de se replier. Ne craignant pas la mort, qui n'était tout au plus que la déconnexion de programmes, les synthétiques choisirent d'eux-mêmes de couvrir la fuite des autres. Quand tout le monde se fut retiré, ils partirent à leur tour.

Ne restait plus qu'une flotte encore combattante : celle des Butariens, seuls survivants aliens après l'anéantissement des Berserkers. Le capitaine Barak, unique officier restant de l'hégémonie, refusa de se replier : les derniers réfugiés butariens se trouvaient sur la Citadelle quand elle fut prise. Sans compter les pirates et autres petites populations d'Oméga et consort, il était à la tête des derniers représentants de sa race. Une race fière au passé glorieux, qui ne pouvait fuir maintenant, pas quand tout avait été perdu et que seul l'honneur restait à sauver. Barak nota l'ironie de ce baroud d'honneur dans le ciel d'origine des Humains honnis, puis chercha parmi la flotte moissonneur le vaisseau le plus gros qu'il puisse trouver. Les réacteurs furent lancés à pleine puissance au chant de l'hymne impérial butarien. Les extraterrestres chantaient encore à pleins poumons lorsque leur vaisseau aux munitions épuisées alla s'écraser sur un Moissonneur aussi grand que Sovereign, et il fut rapidement imité par le reste de leur flotte en lambeaux. Ils avaient épuisé jusqu'au dernier volt leur énergie dans cet ultime combat.

Ainsi, malgré la forte présence de troupes au sol, la Terre fut une nouvelle fois abandonnée à son sort. Cet assaut, qui devait pourtant être le dernier, n'était qu'un échec de plus parmi une liste déjà bien longue...