ARRIVÉE À SALT LAKE CITY
L'avion de la compagnie Finnair se rapprochait rapidement de sa destination. Pekka Niemelä, l'entraîneur de l'équipe finlandaise, défit sa ceinture, se leva et se pencha sur le dossier de son siège pour faire face à ses athlètes. Il était de corpulence imposante et l'avion semblait trop petit pour lui. Il avait les cheveux blonds coupés courts, les yeux bleu glace et une allure de gros nounous avec son gros pull noir.
- Écoutez-moi bien. Je veux que vous gardiez à l'esprit notre objectif: faire le meilleur résultat possible dont au moins une médaille en individuelle et une par équipe. Tenez-vous bien. Je ne veux pas de déclarations hasardeuses, polémiques ou de mauvaise foi à la presse. Et surtout, pas de scandale, leur annonça-t-il de sa voix calme et posée.
Non, il ne parlait pas à des enfants mais à des athlètes de Coupe du Monde. Les sauteurs à ski acquiescèrent, sourirent ou ignorèrent ses paroles. Pekka se rassit et boucla sa ceinture. Il ne savait absolument pas quoi attendre de ces championnats du monde qui allaient se dérouler dans quelques heures à Salt Lake City sur le site des Jeux Olympiques de 2002. Il croyait au potentiel de son équipe même si les performances des dernières semaines avaient été décevantes. Au mois de janvier, Anssi Koivuranta s'était blessé au genou après un atterrissage manqué. Harri Olli avait signé un podium en tout début de saison mais depuis ne cessait d'aligner les mauvais résultats. Le plus embarrassant avec Harri était son comportement antisportif. Il avait déjà été banni de l'équipe à trois reprises mais cette mesure semblait inefficace. Néanmoins, lorsqu'il était dans une bonne période, il était capable de gagner facilement. Matti Hautamäki était sur la pente descendante depuis plusieurs semaines. Mais il avait toujours bien réussi ses compétitions sur le tremplin américain, raison pour laquelle Pekka l'avait titularisé. Pour finir avec les mauvaises nouvelles, Kalle Keituri avait eu un accident de voiture pendant la pause de Noël et il était hors de l'équipe pour une durée indéterminée. Heureusement, le tableau n'était pas totalement noir. Après avoir presque remporté la Tournée des Quatre Tremplins pour la sixième fois, Janne Ahonen, la star de l'équipe, avait eu une baisse de forme en janvier mais revenait petit à petit à son meilleur niveau. Lors de la dernière compétition en Allemagne, il était monté sur la troisième marche du podium. Ville Larinto, le benjamin de l'équipe, était un véritable trésor. Un immense talent mais qui était épuisé après avoir brillé pendant deux mois.
Après avoir récupéré leurs bagages, l'équipe finlandaise rencontra l'équipe norvégienne qui attendait ses valises à un autre tourniquet. Tom Hilde et Anders Jacobsen éclatèrent de rire après qu'Anders Bardal leur eût raconté une de ses blagues dont lui seul avait le secret. Tous avaient le sourire. Contre les murs, il y avait des affiches touristiques pour la région de Salt Lake City mais aussi certaines pour les championnats du monde avec une immense photo de Simon Ammann et de Gregor Schlierenzauer comme si un duel était annoncé avec comme arbitre, Janne Ahonen. Ce dernier n'apprécia guère d'être mis au rang d'outsider. La plupart ne les remarquèrent même pas.
Hors de cette zone, des journalistes et des fans attendaient les valeureux athlètes qui allaient s'affronter pour décrocher le titre de champion du monde. Gregor Schlierenzauer, l'Autrichien, montra son plus beau sourire aux photographes. Il avait revêtu son bonnet bleu clair en laine avec un pompon.
- Allez-vous devenir champion du monde? demanda un journaliste américain avec un calepin et une petite moustache brune.
- Je n'en ai aucun doute. Je suis en super forme et personne n'est aussi fort que moi en ce moment, se vanta-t-il en bombant le torse.
Au même moment, les Finlandais et les Norvégiens sortirent et se dirigèrent vers leur minibus qui allait les conduire à leurs hôtels. Anders Jacobsen se demanda comment pouvait-on pareillement se vanter et Janne Ahonen souhaita secrètement qu'il se rate complètement. Lorsque le Suisse Simon Amman fit son entrée dans le hall avec son bonnet noir, sa veste rouge et un petit sourire, tous les regards se tournèrent vers lui, délaissant l'Autrichien qui se sentit vexé. Il fronça les sourcils, prit son sac et s'en alla vers le bus qui l'attendait déjà depuis plusieurs minutes.
En arrivant dans le village des athlètes, l'accueil fut chaleureux. Chacun trouva son hôtel sans problème. Cette première journée était consacrée à la détente après plusieurs heures de vol et un décalage horaire à gérer. La plupart choisirent d'aller dormir.
Les Allemands Martin Schmitt et Michael Uhrmann faisaient du lèche vitrines. Ils comparaient les prix en dollars des vestes de sports avec ceux en euros dans leur pays. Puis, ils allèrent au café du coin de la rue, boire un thé chaud et faire leur liste de paris comme ils le faisaient sur chaque épreuve. Le perdant devant payer une bière sur la prochaine compétition. Michael avait perdu son pari à Klingenthal la semaine précédente. Il pensait que quelqu'un allait battre Gregor Schlierenzauer.
- Tu t'es bien raté lors du dernier pari. Schlieri a gagné en collant presque 20 points à Ammann, lui rappela Martin.
- Je sais. Mais il me gonfle. J'aimerai que quelqu'un le batte à plat de couture. Parfois, je rêve que je l'étrangle. Et il n'a aucune gêne. Il se vante comme un paon dans les médias. C'est hallucinant.
- T'inquiète pas. La roule va tourner. Il va le payer, ajouta Martin qui but une gorgée de son thé noir sans sucre pour se réchauffer.
Björn Einar Romören le Norvégien était sous pression. Il devait sa qualification à une inespérée cinquième place en Allemagne. Il maudissait ses nouvelles fixations dont il n'arrivait pas à s'habituer. Il avait demandé à son entraîneur, Mika Kojonkoski, s'il pouvait utiliser les anciennes mais il reçut un non sec comme réponse. Il était le recordman du monde et ne voulait pas faire de la figuration. Le problème était que chaque nation ne pouvait aligner que quatre sauteurs et la concurrence était rude pour la Norvège surtout qu'en ce moment presque tous étaient en forme.
Le lendemain, après les sauts d'entraînement et la qualification, les Autrichiens profitaient des services de l'hôtel. Ils étaient tous plongés dans un relaxant jacuzzi. Ils étaient tous détendus après leur écrasante domination durant la saison. La seule question était de savoir qui allait remporter les titres individuels sur le petit et le grand tremplin. Le titre en équipe leur était promis. Aucune autre équipe ne disposait de quatre hommes en top forme.
- Si vous pouviez faire deux triplés, je serai aux anges, leur confia leur entraîneur Alexander Pointner. L'Autriche entrerait à jamais dans l'histoire comme LA meilleure nation de tous les temps.
- Il ne devrait pas y avoir de problème. J'aurai un des titres et Thomas l'autre. Ou peut-être aurai-je les deux. Et Andreas sera deux fois troisième. Ou peut-être que Wolfgang pourra aussi avoir une médaille de bronze. Oui, comme ça, ça sera plus juste. Et les autres pourront pleurer! On est les meilleurs! s'exclama Gregor Schlierenzauer.
- Tu crois qu'on va t'offrir les titres? Tu devras les mériter. On va se battre jusqu'au dernier saut, rétorqua Andreas Kofler qui n'apprécia guère d'être mis dans la catégorie des viennent ensuite.
