Bonjour bonjour, je publie aujourd'hui ma première fanfiction sur ce site, autant dire que j'ai le trac en fait... Inutile de vous demandez d'être indulgents n'est-ce-pas ? Il est possible que j'ai oublié quelques petites fautes d'orthographes, je m'en excuse par avance, et je vous souhaite une bonne lecture, en espérant que cela vous plaise. J'attends vos avis et vos commentaires sur ce prologue avec impatience !

Amusez-vous!

. . .

Pluies d'automne

Les nuages de pluie se crevèrent en début d'après-midi, déversant des nappes chaudes qui trempèrent bientôt la ville en ébullition. Ce fut comme un grondement sourd, un rugissement imposant qui balaya tous les autres sons, plongeant Bangkok dans cette atmosphère sublime. Les grosses gouttes s'éclataient sur le bitume défoncée des ruelles, rebondissaient dans les flaques qui grossissaient, jusqu'à envahir les trottoirs. Quelques échoppes furent envahis par les eaux, et les marchands se pressaient pour mettre leurs marchandises à l'abris, à toute vitesse, riant pourtant avec des airs de grands enfants. La pluie, ça faisait partie de ce pays, comme l'air que l'on respire. Celui qui n'aime pas la pluie ne peut pas vivre ici. Les touristes fuyaient dans tous les sens, pour se mettre au sec à l'intérieur des bâtiments, faisant le profit des bars et des restaurants alentours. Et c'était sous cette pluie battante tropicale que courrait la jeune femme, une capuche rabattue sur la tête pour éviter d'être trempée trop vite. Par tous les temps elle faisait son footing, dans n'importe quelle ville du monde, ça n'avait pas d'importance. Ses foulées projetaient de l'eau en tous sens, aspergeant les murs et son pantalon déjà mouillé. Le quartier central, véritable réseau touristique de la ville était maintenant vide. En temps normal il était difficile de venir dans ce coin et d'arriver à mettre un pied devant l'autre. Mais dès que les nuages laissaient tomber leur trop plein de pluie, c'était un vrai bonheur. Bien sûr, la jeune femme solitaire ne venait pas ici pour acheter quoi que ce soit, mais juste regarder, se remplir de la quiétude des premières pluies de Thaïlande.

Elle prit la direction du fleuve, qui devait être agitée par les enfants s'amusant dans ses bras tièdes. Au bout de deux jours, la coureuse solitaire avait repéré les plus beaux endroits de Bangkok, prenant le prétexte de s'entraîner pour y passer, même en coup de vent. Des enfants la suivirent, jouant autour d'elle sur plusieurs mètres, arrachant un sourire à sa bouche d'ordinaire figée. Elle aperçut un groupe d'adultes, qui riaient eux aussi, se poussant les uns les autres dans l'eau terreuse, piquées de millions de gouttes de pluie.

La jeune femme ralentit un peu l'allure, pour contempler ce spectacle à couper le souffle, la baie de la grande ville qui se mouvait allègrement sous un ciel gris, crevé par endroit d'un ou deux rayon de soleil étouffé. La coureuse reprit doucement son souffle, goutant les quelques éclats d'eau qui avaient réussi à passer sous sa capuche, et glissaient sur sa peau de porcelaine, jusqu'à ses lèvres. Elle repartit, plus vite, filant sans se retourner, bondissante sur les marches glissantes qui menaient à un temple maintenant vide. Les bâtons d'encens brûlaient pourtant, nombreux, plantés dans des pots de différentes tailles. L'humidité se chargeait des odeurs qui se dégageaient du temple, un moine était là, assit patiemment dans l'ombre. En entendant la jeune femme approcher, il lui sourit et elle saisit un bâton d'encens frais, dans un panier qui en contenait des centaines d'autres. L'homme se leva alors, doucement. Ses pas firent chuchoter le tissu de son habit de cérémonie. Son air curieux amusa un peu la jeune femme, qui prit l'allumette qu'il venait d'allumer et de lui tendre. Elle brûla le bout de l'encens, souffla sur la flamme, faisant mourir le feu pour faire naître la braise. La fumée s'éleva, rejoignant les autres. Sa poitrine se gonfla de cette odeur douce et en même temps épicée, avant de planter le bâton parmi les autres.

D'un hochement de tête, elle remercia le moine, et reprit son chemin, courant encore, les poumons libres et bondissantes dans les flaques. Bien vite, elle perdit le temple de vue, et s'égara dans les ruelles, à la fois sombres et ouvertes sur le ciel. Quand elle traversait un lotissement, les gens la regardaient passer, étonnée de la voir courir avec autant de tranquillité. Les touristes ne sortaient pas sous la pluie, où quand ils le faisaient, c'était très rare. Mais elle, rien ne l'arrêtait. Elle passait dans ces coins là tous les jours, et malgré la chaleur ou la pluie, ça ne l'empêchait pas de courir.

Quand elle arriva sur une place vide où quelques voitures à bras passaient à toute allure, elle sentit une vibration dans sa poche. D'un geste réglé par l'automatisme, elle décrocha, protégeant l'appareil dans sa capuche.

- Farron j'écoute.

Ses pas se ralentirent, jusqu'à ce qu'elle se mette à marcher, le long de la route abîmée. Une voix joviale lui arracha un rictus amusé :

- Non Serah tu ne me déranges pas. murmura-t-elle en entrant dans un petit magasin vétuste.

- Je ne comprends rien au décalage horaire vraiment, je ne t'ai pas réveillé j'espère ? demanda la voix àl'autre bout du fil.

- Non, il est presque treize heures ici.

- Treize heures ? Bon, j'abandonne.

La jeune femme s'approcha d'un homme qui rêvassait derrière un comptoir. Elle lui désigna une bouteille de thé glacé en posant un billet devant le vendeur.

- Je te le dessinerais si tu veux. finit-elle par dire dans le téléphone en quittant l'échoppe, son achat dans une main.

- Moques-toi de moi ! C'est pas évident je te signale !

- Raison de plus pour te le dessiner.

- Claire!

- Oui oui j'arrête. Comment ça se passe alors ?

La suite de la conversation dériva sur Serah, la plus âgée des deux soeurs ayant décidé de marcher pour s'occuper le corps. Ça lui permettait aussi d'être opérationnel aux inquiétudes de sa soeur, marcher l'aidait à analyser les situations. C'était plus un rituel qu'une réel aide, mais elle ne pouvait pas s'en passer.

- Et il a dit quoi ? s'enquit Claire, le regard perdu dans le vague.

- Que le traitement pourrait marcher, à condition de réduire les périodes de rééducation. répondit Serah, d'une voix perplexe.

- Mais ce n'est pas l'essentiel du processus ?

- Apparemment si, mais le traitement me fatiguerait beaucoup, il serait donc risqué de tout faire d'un coup.

La cadette soupira, pour la énième fois aujourd'hui. Et ça, sa grande soeur le repéra aussitôt.

- Dis-moi.

Ça sonnait comme un ordre, mais c'était plutôt une demande, le genre de chose que quelqu'un qui vous connait pourrait dire, juste en entendant la sonorité de vos respirations. Par téléphone, c'était une chose encore plus fascinante que d'ordinaire. Mais ce n'était pas à plaindre.

- Claire, tu penses que ça finira par marcher, en fin de compte ?

Cette question, la plus âgée se la posait tous les jours. Et elle craignait de dire vraiment le fond de sa pensée. Elle n'était pas connue pour être une personne très optimiste. Plutôt pragmatique. Ce trait de caractère là, elle le laissait à sa petite soeur, plus joviale, plus sociale et vivante qu'elle. Mais comme toute aînée qui se respecte, elle devait aussi rassurer sa petite soeur en pleine phase de doute :

- La seule façon de le savoir c'est d'aller jusqu'au bout Serah, il faut que tu y croies, ta détermination va aider ton corps, j'en suis certaine. finit-elle par dire, le coeur serré. Je crois en toi.

Parfois, en disant ça, elle avait le sentiment de mentir, de trahir sa soeur. Et si rien ne marchait, qu'est-ce qu'il se passerait ? Serah pourrait lui en vouloir d'avoir dit de tels mensonges pendant tout ce temps. Mais qu'aurait-elle dû dire à la place ?

Un autre soupir la sortit de ses pensées.

- Je sais... chuchota Serah. J'aimerais bien que tu sois là...

Ça aussi, c'était une chose pour laquelle elle s'en voulait tous les jours.

- Je suis dans l'armée Serah, je n'ai pas vraiment le choix...

- Oui, je ne te le reproche pas.

La vérité, c'était qu'elle aurait put faire autre chose, mais entre faire un travail qui l'intéressait, comme l'archéologie, elle avait choisit un travail alimentaire, qui rapportait suffisamment pour subvenir aux besoins de sa soeur. À la sortie du lycée, elle avait intégrer la fac d'Histoire, jusqu'à ce qu'elle se rende compte des coups du traitement de Serah, et doive modifier la donne. À 20 ans, elle avait finit par intégrer les brigades d'entraînements militaire, justifiant cette décision comme une envie personnelle pour ne pas blesser sa soeur. Déjà six mois qu'elle suivait les enseignements des meilleurs instructeurs, dans une école japonaise réputée. Mais pour cette fois, elle avait été envoyé ici, en Thaïlande, pour voir comment fonctionnait les troupes d'ici, avec deux autres recrues. Ça pouvait passer pour des vacances, vu qu'elle n'avait que la matinée de prise pour des cours de stratégie et d'études en tous genre, mais le reste du temps, elle avait quartier libre.

- Tu me tiens au courant de la date à laquelle tu pourras venir ?

- Oui. Je la saurais dans quelques jours, les permissions seront attribuées lundi, ou mardi je ne sais pas encore.

- Super ! Je te montrerais le centre, tu verras c'est plutôt pas mal, même si c'est un peu blanc quand même.

- Je n'en doute pas.

- Je vais devoir y aller, j'ai ma séance qui commence. Bon courage grande soeur !

- À toi aussi Serah, fais de ton mieux.

Au moment de presser le bouton de fin d'appel, elle s'était arrêtée au milieu de la rue, le regard rivé sur le nom qui s'affichait sur l'écran. Une douleur lui perça la poitrine. Rageusement, elle fourra le portable dans sa poche, et partit en courant, vite, très vite, bousculant même une personne au passage. Ça la mettait dans une colère sourde de savoir sa soeur réduite à un cas clinique. Elle était hors d'elle de ne pas la voir suffisamment, de la décevoir quand elle lui disait qu'elle ne pouvait pas venir lui rendre visite, quand elle entendait le rapport des médecins, quand elle répétait pour la énième fois qu'elle était sa responsable légale, et que oui, elle était jeune et très peu joignable.

Claire s'arrêta, devant la porte d'un hôtel où elle et ses collègues avaient prit des chambres pour leur séjour. Pendant sa course, sa capuche avait glissé de sa tête, la pluie s'engouffrait dans le col de son sweat sombre, mais elle ne frissonna même pas. Son souffle lui manquait, sa colère commençait à descendre quand elle poussa la porte devant elle, fermant ses traits, glaçant son expression dans un visage neutre et le plus inexpressif possible, juste pour avoir la paix, le temps de monter dans sa chambre et de prendre une douche.

x

- Donc vos demandes de permission ont été rejeté.

Claire ferma les yeux, s'appuyant contre le mur derrière elle, les bras croisés. Elle levait les yeux au ciel, lasse de ce manège habituel. On lui refusait ce genre de demandes, elle ne verrait pas Serah ce mois-ci. La jeune femme avait rejoint les deux collègues qui l'accompagnait dans un petit salon, au rez-de-chaussée de l'hôtel. Là, ils avaient répondu à un appel par webcam, et maintenant, ils étaient effondrés devant la réponse de l'homme qui s'affichait à l'écran. Un grand type sévère, les mains derrière le dos, le regard dur et froid. Parfait militaire dans l'âme. Parfois quelqu'un passait derrière lui, il y avait des conversations étouffées, mais ce n'était pas vraiment l'important.

Les deux recrues qui étaient penchées sur l'écran semblaient au bord de la crise de nerf. Un blond, cheveux très court, plutôt grand et énergique s'étonnait, croisant ses bras massif sur sa poitrine avant de lancer, agacé :

- Mais c'est la troisième fois en deux mois major !

- Je sais, néanmoins je ne peux rien y changer, pour le moment vous devez rester opérationnel. Ça vous laissera plus de temps avec vos proches la prochaine fois, dites-vous ça. répondit l'officier, signant quelque chose d'un air détaché.

- On doit renvoyer une demande alors ? demanda l'autre recrue, plus petit que son camarade, mais tout aussi costaux.

Claire soupira quand elle entendit un «affirmatif» dans les hauts-parleurs. C'était tellement prévisible. Dehors la pluie avait cessé, le soleil revenait faire une dernière apparition avant que le jour ne décline. Il faisait chaud dans l'hôtel, les vitres étaient pleine de condensation, les ventilateurs tournaient avec un bruit permanent. La jeune femme reporta son attention sur les trois interlocuteurs, au bord de la dispute. Le blond, Davis Clegan, il n'avait pas revu sa copine et sa petite fille depuis six mois, il était en pleine crise de nerf, il passait son temps à tripoter la photo de ses deux «trésors» comme il les appelait, s'énervant pour un rien. L'autre jeune homme, Koshiro Konizuka était plus timide, mais il voulait voir ses parents, sa mère malade apparemment. Il avait quitté l'entraînement ce matin, furieux, et à bout. Claire elle se refusait à perdre la face devant les autres, mais quand la porte se refermait et qu'elle se laissait tomber sur son lit, elle abandonnait tout masque de froideur. En fait, elle n'en possédait pas. Elle évitait juste de se mettre à crier et frapper tout le monde dès que quelque chose clochait. Ça la différenciait pas mal de tout ses collègues masculins.

- Major, pourrions-nous connaître la raison de ce refus ? dit-elle soudainement, toujours en retrait, mais la voix suffisamment dure et autoritaire pour faire taire les deux autres.

- Les hautes instances ont simplement refusé, vous n'avez pas terminé votre première phase d'apprentissage, et il faudrait la valider pour avoir droit à une permission. répondit l'officier, sans regarder la caméra.

- Vous nous le sortez à chaque fois le coup de l'apprentissage ! s'énerva Davis Clegan en se levant d'un coup, faisant trembler l'écran.

- Je suis navré recrue, mais c'est un ordre indiscutable. Je vous recontacterais d'ici peu, pour vous communiquez les coordonnées de vol qui vous reconduirons ici. Bon courage.

- Yes Major. dirent-ils tous les trois, sans trop y croire.

Konizuka ferma l'ordinateur portable, alors que Clegan quittait l'hôtel, fulminant. Claire se décolla du mur, vite rejointe par le japonais qui lui sourit, timidement. Il était le moins affecté par la décision du major, même si cela lui pesait beaucoup. Il n'était pas très social, comme Claire en fait. Pourtant, il essayait toujours d'engager la conversation avec elle, ce qui avait le don de l'ennuyer profondément. Mais dans l'armée, il n'y avait pas de place pour la haine envers ses camarades, non ?

- Je suis désolée pour toi Farron, tu avais quelqu'un à voir hein ? s'enquit-il en se passant une main derrière la nuque.

- En quelques sortes, oui. répondit-elle froidement, allant pour sortir à son tour.

- Moi aussi, ma mère va être très triste quand je vais lui dire.

- C'est le risque du métier comme on dit.

- Exactement, j'allais le dire !

Elle ignora son air fasciné et ouvrit la porte d'entrée de l'hôtel, lui jetant un regard surprit en le voyant la suivre. Elle devait l'envoyer balader rien qu'avec ses prunelles puisqu'il sursauta :

- Ça te dérange si je t'accompagne ? J'ai envi de marcher.

Sans répondre, elle sortit, il lui emboîta le pas, sûrement ravis qu'elle ne lui ai pas brisé une jambe ou deux. Claire n'avait pas pour habitude de casser la tête à tous les types qui lui faisaient plus ou moins des avances, mais selon les cas, elle se montrait tantôt indifférente, tantôt cinglante. Et avec Konizuka, c'était de l'indifférence glaciale. Elle compta mentalement, levant d'avance les yeux au ciel. Une. Deux. Trois. Quatre. Cinq.

- Au fait Farron, depuis la dernière fois que je t'ai demandé, tu es toujours célibataire ?

Douze fois, c'était le nombre de fois où il lui avait posé la question. Ça devenait du harcèlement à ce stade ou non ? Elle haussa les épaules, joignant le geste à la parole, toujours la même :

- Toujours.

Après, il attaquait toujours, ravi qu'elle soit disponible. Sauf qu'il ignorait une chose, c'était que Claire n'aimait pas du tout les histoires d'amour, le genre de trucs futiles et sucrés qui passionnaient plutôt sa soeur. Chez elle, il y avait une étagère entière remplie de romans à l'eau de rose que dévoraient régulièrement sa soeur, plaidant un besoin d'amour et de tendresse. De la guimauve quoi.

Et le japonais qui la suivait comme son ombre depuis cinq minutes, il espérait depuis qu'elle était entrée dans la brigade d'entraînement... Il espérait quoi au juste ? Une relation de quel type ?

- Pourtant tu dois en avoir des prétendants toi ! Tu es le genre à faire tomber les hommes comme des fruits mûrs ! dit-il, jouant le jeu de l'homme soit-disant drôle.

- Peut-être, je n'en sais rien.

- Et tu...

- Arrêtez.

Il se tut automatiquement. En fait, le énième refus de sa demande de permission, l'impossibilité d'aller voir sa petite soeur, ajouté en plus l'idiot qui ne cessait de lui faire des propositions masquées. Ou pas. Non, là elle commençait à ne plus être indifférente, juste très très agacée. Elle venait de se tourner, se plantant devant lui, faisant la même taille que le futur militaire soudain un peu moins sûr de lui.

- Écoutes-moi bien, si le message n'est toujours pas passé dans ton semblant de cerveau atrophié. cracha-telle en avançant d'un pas, un éclair furieux passant dans ses yeux bleus devenus soudain effrayant. En supposant que je sois intéressée dans une hypothétique relation avec quelqu'un, je doute que tu fasses partit ne serait-ce que des suppositions les plus farfelues que je puisse faire. Alors maintenant, tu vas arrêter de me suivre, de tenter ta chance pour la trentième fois, sinon je te brise non seulement les bras, mais je m'arrangerais pour que les filles te fassent tellement peur que tu ne puisses plus en croiser une sans trembler des genoux. Est-ce que là tu as comprit ?

Il recula, apeurée par l'aura meurtrier qui émanait de la recrue, puis se détourna pour repartir dans l'autre sens, enfonçant les mains dans ses poches, marchant d'un pas énergique vers l'hôtel. Claire attendit qu'il disparaisse de son champ de vision pour se redresser, faire craquer ses épaules et étouffer un bâillement dans le creux de sa main. Trop de colère ces temps-ci, c'était difficile de tout contenir, voire quasiment impossible. Parfois elle se demandait si elle n'était pas insensible pour laisser passer autant de choses. Enfin pas si insensible que ça puisque quand elle acceptait de craquer juste une seconde, ce n'était pas quelques larmes ou quelques haussements de ton, mais bien un raz-de-marée qui faisait des victimes collatérales. Elle venait d'en faire une, mais celle-ci l'avait cherché.

La jeune femme reprit sa route, se perdant au grès des rues qui s'étaient à nouveau remplie après le passage de la pluie. Les commerçants ressortaient à nouveau leurs marchandises, appelaient les touristes à venir voir ce qu'ils proposaient, les rires, les cris, les voix, les différentes langues, tout se mélangeaient autour d'elle. Mais elle n'arrivait pas à se mêler à ça, à entrer dans ce bouillonnement urbain, dans cette cohue bruyante qui aurait put lui faire oublier ces problèmes l'espace de quelques foulées. Au lieu de ça, elle passait entre les corps, esquivait les hommes, les femmes, les enfants qui passaient autour d'elle, comme si elle était un rocher émergeant au milieu d'un fleuve grouillant. Longtemps elle se perdit dans le marché, dans les rues mouillés, elle sentait parfois une goutte froide tomber sur sa peau nue, dans le creux du col, sous le débardeur. Mais elle n'y faisait pas vraiment attention, les yeux perdus au-delà des avalanches de couleurs et de fleurs qui se bousculaient devant ses yeux.

Il fallait qu'elle appelle Serah.

x

Le crissement de pneus sur le bitume, la nuit si douce et tranquille transpercée par le vrombissement de la grosse automobile bleue, qui filait à toute allure sur une route de montagne étroite. Elle entendait des rires, ceux d'une petite fille qui plaisantait avec un homme, au volant. Son père. Ses cheveux blonds aux reflets roses, coupés courts brillaient dans le rétroviseur centrale. Il riait, à gorge déployée, tournant le volant avec une aisance de pilote. Derrière lui, une petite fille âgée d'une dizaine d'année se cramponnait à ses grandes épaules, chantant à tue-tête un refrain qui jaillissait de la radio. Une belle femme riait aussi, à côté de son mari. Sa mère.

C'était comme si elle s'entendait respirer, au-dessus de tout ces bruits parasites. Le rire de Serah, la voix bourrue de son père, le grésillement du poste, le froissement de la robe de sa mère qui remuait sur place.

Elle se prit à sourire, sur son siège, les regardant s'agiter, s'amuser sur un air de musique qu'elle avait finit par bannir de ses souvenirs. Elle cligna des yeux, perdant une seconde le film qui défilait devant ses yeux. Son coeur battait tellement vite. Elle avait le ventre noué par l'angoisse de ce qui allait suivre, qui se rejouait toujours en boucle. Il y eut soudain un bruit assourdissant, de klaxon, le son de la tôle qui percute quelque chose, des secousses dans tous les sens. Elle se retrouva plaquée contre le dossier de son siège, une douleur lui tiraillant la nuque. Elle aurait voulu crier mais rien ne se passa, son corps bougea tout seul, elle saisit sa petite soeur, se projetant au-dessus d'elle pour planter ses ongles dans le siège, la maintenir recroquevillée contre elle. Le choc ébranla ses os, ses mâchoires s'entrechoquèrent. Elle lutta contre une force qui la précipitait vers l'avant de la voiture. Il y eut un hurlement de douleur, et le son des vitres qui se brise. Le verre se déversa sur elle. Son dos lui faisait mal, quelque chose lui coula sur le tibias. Doucement, face à ce silence, la jeune fille finit par relever un peu la tête, lentement.

Deux orbes bleus purs étaient rivées sur elle, là, un peu plus loin, sous un pare-brise défoncée par une paroi rocheuse. Sa mère la regardait, enfin ses yeux la regardaient, et elle se serra un peu plus sur la petite soeur fragile qui essayait de se dégager, pleurant sous la panique qui envahissait la jeune fille qui forçait sur ses muscles douloureux pour ne pas la laisser se redresser. Sa vision se brouilla. Il y avait du rouge sur son mollet, le bras de son père pendait mollement, juste à côté de son pied, des tâches sombres se formaient sur la peau pâle de la fille. Elle sentait ses nerfs ployer sous une charge monstrueuse, repoussa l'envie de dormir qui faisait tomber ses paupières peu à peu, et tourna la tête vers sa soeur, donc les jambes étaient happées entre les plis de la porte, froissée comme du tissu, baignée d'un rouge luisant sous la lumière crépitante d'un phare de voiture.

Ça sentait le brûlé, de la fumée noirâtre montait de nul part, autour d'elles. La jeune fille poussa un premier cri quand elle tenta de se redresser, un vive douleur se propageant dans son bras gauche, coulant dans ses veines. Des dizaines d'images se succédèrent ensuite devant ses yeux, mêlées à une souffrance dans chaque bout de chair. C'était comme si on enfonçait des milliers d'épines partout dans son corps, jusque dans les tréfonds de son cerveau. Un hurlement lui échappa encore, quand elle sentit la petite fille dans ses bras froide, immobile, et silencieuse.

Claire ouvrit les paupières, d'un coup, fixant maintenant le tournoiement irrégulier des pales du ventilateurs rouillé, au-dessus de son lit. La pluie s'était remise à tomber, le jour n'avait pas encore réapparu. Il faisait froid dans sa chambre, son corps fatigué voulut rester encore allongé mais son esprit ne tint pas en place bien longtemps. Elle s'assit sur le matelas, un léger courant d'air mordillant ses jambes nues.

Les cauchemars, elle vivait avec depuis pas mal de temps. Pourquoi elle devrait les expliquer ? C'était une part d'elle que son esprit buté n'arrivait pas à repousser avec suffisamment de force. Sans cesse, sa mémoire lui repassait les images de son père, le crâne fracassé, des yeux bleus froids de sa mère, rivés sur elle dans une expression éteinte. Morts.

Sans s'en rendre compte, sa main caressa une cicatrice épaisse sur son épaule gauche, triturant la chair légèrement rose qui se démarquait de sa peau de porcelaine. La blonde finit par se lever, histoire de chasser la sensation désagréable qui lui hantait encore le moindre muscle du corps, et se convint d'aller faire un tour. Juste pour se vider l'esprit avant de débuter une matinée d'enseignement laborieuse.

Elle jeta son vieux t'shirt sur une chaise, près de sa valise éventrée, saisit un débardeur gris, pas trop moulant, l'enfila, fit pareil avec un pantalon de raid d'un gris plus clair, et enfin laça ses rangers brunes qui lui tenaient bien les chevilles. Quand enfin elle quittait sa chambre, un blouson à capuche sous le bras, elle prit à peine le temps de fermer la porte à clef, sans un regard derrière le désordre qu'elle laissait.

Sa gorge était nouée. Elle fit attention à ne pas réveiller tout l'hôtel en descendant les marches qui menaient à l'entrée, et ce n'est que quand elle émergea dans la rue, qu'elle put respirer enfin normalement. Son coeur battait trop vite, les images se bousculaient dans sa tête. Elle ne parvenait pas à se calmer, se détendre, juste arriver à reprendre son souffle une toute petite seconde. Ça la hantait, tournait en boucle, comme un film rayé. Elle se mit à marcher, sans même y faire attention. Ses jambes la guidaient toutes seules, sachant sûrement mieux que sa raison. Elle rabattit sa capuche sur sa tête pour se protéger de la pluie chaude. Il pleuvait beaucoup dans ce pays.

Elle aimait vraiment la pluie, ça effaçait les souvenirs, les traces, les coupures et le sang. Ça lavait les pensées tout simplement. Et peut-être un peu le coeur parfois, quand les peines étaient trop lourdes. Claire prit un autre chemin que d'habitude, ne se rendant pas vers les commerces mais vers les docks, où elle pourrait sûrement se perdre un peu avant de rentrer se préparer pour les cours matinaux.

Ses semelles faisaient gicler l'eau des flaques autour d'elle. Il n'y avait personne dans les rues, elles étaient silencieuses. Mais ça, elle ne le nota même pas. Elle avançait sans se soucier réellement de là où elle allait, perdue dans ses souvenirs.

Et si elle s'était assise du côté droit, ça aurait changé quelque chose ? Bien sûr que ça aurait changé la donne, tout aurait put être différent. Elle sera peut-être à la place de Serah à cette heure-ci, et sa soeur irait au lycée, paisiblement, sans se soucier des tracas de la vie, de la douleur et de toutes ses choses qu'elle connaissait depuis trop longtemps. C'était trop.

Et si elle avait réussi à crier, à se faire entendre pour faire baisser la musique et calmer sa famille, ça aurait changé quelque chose ? Au lieu de ça, elle était restée à sourire bêtement sur son siège. Treize ans, c'était son âge quand la voiture avait percuté une camionnette, sur une route perdue entre deux montagnes, lors d'une nuit qui depuis repassait dans sa tête en boucle. Elle pensait souvent à ce qui aurait put se passer si elle avait fait ça au lieu de ça, si sa soeur s'était assise ailleurs ou différemment, si ils n'étaient pas aller dans ce foutu chalet perdu elle ne savait même plus où.

Elle se passa une main humide sur le visage, repoussant cette colère contre elle-même qui montait peu à peu dans son coeur. Ça ne servait à rien de s'en vouloir. C'était ce qu'on lui disait tout le temps, mais c'était plus fort qu'elle.

La jeune femme arrivait sur les docks, les yeux rivés sur le sol, cherchant une manière de ne plus penser à rien, de juste un peu oublier sa peine, ne serait-ce que quelques heures. Elle ne pouvait pas en parler à sa soeur, ça lui ferait trop de mal. Et puis avec son travail futur, elle ne pouvait pas trop se faire cataloguer comme traumatisée, ça poserait problèmes pour sa carrière militaire et elle aurait du mal à subvenir aux besoins de Serah.

Un son la fit brusquement lever la tête. Un objet qui percute quelque chose. Le bruit recommença encore, très espacé du premier son. Plus sourd aussi. Lentement, la jeune femme regarda autour d'elle, tourna sur place pour tenter de localiser l'endroit d'où provenait le son. À gauche. Elle s'approcha sans bruits d'un container rouillé, prenant garde à éviter le moindre bruit. Plus elle avançait, plus elle percevait une rumeur, comme celle d'une conversation entre plus de deux personnes. Elle se colla contre l'angle du container et jeta un coup d'oeil dans la direction des voix.

Trois personnes parlaient, une femme et deux hommes. Ils lui tournaient le dos, mais elle put quand même voir un mystérieux emblème, comme un sigle, cousue sur le t'shirt d'un des deux hommes. Une sorte de poisson rouge, enroulé sur lui-même. De là où elle se tenait, Claire pensait voir un requin. Mais elle était trop loin pour en être certaine. Le bruit sourd de tout à l'heure attira à nouveau son attention. Elle se pencha un peu plus, pour voir de quoi il s'agissait. À l'écart des trois personnes qui bavardaient, une dizaine de dockers transportaient de longues caisses épaisses jusque dans un petit bateau, une sorte de gros chalutier en mauvais état au-dessus duquel s'élevait des nappes de mouettes avides.

«En principe on part en pêche les cales vides, et pas le contraire.» songea Claire en fronçant les sourcils.

Deux hommes ressortaient de la cale quand deux autres échappèrent subitement une caisse. Tandis que des jurons s'élevaient, la jeune femme dû se faire violence pour ne pas sursauter. En tombant, le couvercle de la caisse s'était ouvert, et quelque chose était tombé. Un corps. Sensiblement sans vie puisqu'il ne bougeait pas d'un centimètre. Après plusieurs engueulades, le corps fut remit dans la caisse et descendu avec les autres, suivit d'encore une boite.

La jeune femme en comptant une dizaine. Il y avait peut-être d'autre corps dans les caisses. Elle tira son téléphone de sa poche de sweat. Pas de réseau. Forcément. Elle pesta intérieurement et recula derrière le container, notant l'emplacement du chalutier et du groupes de personnes, avant de chiffrer automatiquement le numéro de la police et de pivoter.

Un coup dans la tempe la fit s'écrouler sans qu'elle ait put crier.

...

Alors ? Vos avis ? :)