Ceci est une adaptation (libre) d'un récit de Conan Doyle. Il va de soi que j'ai remplacé Holmes par House et Watson par… Wilson. Si Cuddy se voit attribuer le rôle ingrat de Mrs Hudson, ce n'est pas ma faute… Je tenais d'abord à préciser que j'ai pris pour argent comptant tout ce que Conan Doyle (qui était médecin) indique sur les maladies tropicales. J'ai parfois choisi de laisser des noms de maladies en anglais parce que je préférais ne pas me planter en français… Et ma façon d'examiner les choses est peut-être approximative : deux circonstances aggravantes… Aussi, si d'un point de vue médical le récit est faux, ce n'est pas non plus ma faute !
L'histoire est à l'origine intitulée The Adventure of the Dying Detective (L'histoire du détective mourant). Faut-il préciser qu'elle est tirée du dernier recueil publié et écrit par Conan Doyle au sujet de son héros ?…
Il fallait reconnaître à Cuddy beaucoup de qualités. Après tout, avoir House pour employé était en soi une preuve de bravoure et de stoïcisme. A part l'intéressé évidemment, peu de gens sur terre pouvaient supporter Gregory House. Il ne devait qu'à ses dons hors pair sa position privilégiée dans l'hôpital… et la tolérance de Cuddy excédait bien des limites raisonnables, ce dont Wilson s'émerveillait à chaque fois. Le temps que la directrice passait à lui courir après pour lui crier de faire son boulot, était considérable. Elle ne le virerait toutefois jamais, car on ne pouvait trouver meilleur diagnosticien dans le pays. Elle en était conscience mais arguait souvent de sa supériorité hiérarchique pour amener House à rabaisser ses prétentions. Aussi ne devait-elle que rarement se départir de son autorité si elle voulait conserver un semblant de sérieux ; la misogynie de son employé ne lui laissait pas le droit à l'écart… En d'autres termes, c'était un sacré bordel.
Aussi Wilson fut-il abasourdi lorsqu'un dimanche matin, Cuddy vint le trouver dans sa chambre d'hôtel pour lui parler. L'intrusion de sa directrice était déjà en soi un fait surprenant, mais il arrêta net les sarcasmes qui lui venaient aux lèvres lorsqu'il aperçut son visage. Jamais il ne l'avait vue dans un état pareil. Elle avait les yeux rouges et paraissait dans un désarroi complet. Wilson devina que seul un cataclysme pouvait avoir conduit Cuddy à prendre cette mesure désespérée.
- Cuddy !… Quelqu'un est mort ? lâcha-t-il, dérouté.
Elle eut un petit rire nerveux et s'assit au bout du lit ; Wilson crut remarquer qu'elle frissonnait. On était en mai.
- Que se passe-t-il ?… Il est arrivé quelque chose à l'hôpital ?
Elle secoua la tête en se mordant les lèvres :
- Non, non… C'est House, parvint-elle à articuler. Chase n'arrivait pas à le joindre pour un cas urgent, il a fallu que j'aille chez lui. Il paraît qu'il est comme ça depuis trois jours. Comme ça lui arrive de bouder, personne n'avait d'abord réagi, mais là ça devient…
- Comme ça, quoi ? fit Wilson qui s'inquiétait. Qu'est-ce qu'il a ?
- Il refuse de me parler ! explosa-t-elle. Il ne voulait même pas que je l'examine. Mais j'ai vu ses os saillants et ses yeux… ses yeux… Je ne pouvais pas le supporter… Il ne consentait même pas que je l'emmène à l'hôpital, mais ça fait trois jours qu'il demeure couché au lit sans rien prendre, sans…
- Si vous n'aviez pas l'air aussi angoissée, je diagnostiquerais visites nocturnes et payantes en masse – mais… How bad is he ? insista Wilson.
Elle plongea ses yeux dans les siens :
-Je suis sûre qu'il est à l'article de la mort, dr Wilson !… Et il ne me dit rien ! Je ne sais pas ce qu'il a fait, je ne sais pas à quelle épouvantable expérience il s'est livré, mais sa respiration se fait de plus en plus difficile, il perdu ses couleurs et refuse d'être soigné… Tout ce que j'ai pu lui arracher, c'est l'assurance que vous le verriez. Il ne me laisse plus approcher.
Horrifié, Wilson bondit à la recherche de son manteau et de ses clés :
- Mais pourquoi n'a-t-il averti personne ?!
- Je n'en sais rien, gémit Cuddy. Une autre conséquence de sa fierté à toute épreuve, je suppose…
Wilson s'apprêtait à sortir. Il dévisagea Cuddy une dernière fois, et mesura sa détresse d'un coup d'œil.
- Retournez à l'hôpital, Cuddy. On a sûrement besoin de vous là-bas, et cela vaut mieux que de vous sentir inutile en restant ici. Je vous promets que je vous avertis dès que je sais ce qui s'est passé chez Greg.
Des idées folles, angoissées, pleines d'interrogations, dansaient dans le cerveau de Wilson quand celui-ci prit sa voiture et démarra à toute allure. Il repassait en revue les maigres symptômes énoncés par Cuddy mais cela ne menait encore à rien. une autre pensée le poignait douloureusement ; si House refusait de parler et avait abandonné tout espoir, alors il ne resterait plus qu'à lui prouver qu'il avait tort – mais personne ne pouvait faire ça avec House ! Un moment il crut encore à une feinte. Ce n'était pas la première fois. Mais justement, lorsque House avait feint d'avoir un cancer, il avait tout fait pour étouffer l'affaire… Or ici il acceptait la visite de son meilleur ami, et la maladie semblait avoir tellement d'emprise sur lui qu'il n'avait même pas réagi à l'appel de Chase pour une urgence médicale… Non, décidément, quelque chose ne tournait pas rond. Wilson priait néanmoins pour qu'il ne s'agisse que d'une mauvaise blague.
Les évènements ne parurent pas confirmer son attente. Lorsqu'il se gara devant le 221, il se pencha à la fenêtre et n'aperçut aucune lumière. Sous la fente d'une porte toutefois un rayon indiquait une veilleuse à l'autre bout de l'appartement. Il enjamba les marches à toute vitesse et usa de sa clef pour ouvrir la porte marquée d'un B.
- House ! cria-t-il en débarquant.
Un faible appel lui répondit. Il se précipita et arriva dans la chambre, qui éveillait désagréablement à l'esprit de Wilson le souvenir d'une chambre d'hôpital.
House gisait étendu dans son lit, les yeux clos, dans un état qui faisait peine à voir. Lorsqu'il ouvrit les paupières, l'oncologue diagnostiqua la fièvre dans son regard ; ses joues étaient marquées d'une rougeur qui n'annonçait rien de bon, tandis que ses lèvres étaient couvertes d'une croûte noire ; Wilson nota le spasme incessant qui animait sa main gauche. House parcourut des yeux la pièce, et lorsqu'il posa ses yeux sur Wilson, son visage émacié se couvrit d'un sourire pâle.
- T'es arrivé tôt, observa-t-il d'une voix éraillée. Cuddy et toi dans une chambre d'hôtel… ça aurait dû durer plus longtemps. Soit elle est vraiment nulle au lit, soit c'est toi qui n'as pas de goût… à moins que tes copines aux prix réduits aient débarqué.
- House ! for God's sake… s'exclama Wilson qui s'avançait, navré.
C'était sans compter la canne que House tenait toujours dans sa main droite, crispée, et dont il usa pour empêcher Wilson de bouger.
- N'avance pas ! hurla-t-il avec un soudain regain d'énergie. Si tu fais un pas de plus, je te chasse d'ici.
- Mais qu'est-ce que ça veut dire ?! Tu es devenu fou ?
- Non, c'est parce que je le veux. Voilà.
C'était bien House, toujours impérieux, toujours gamin, toujours House. Mais Wilson diagnostiqua un moment de crise, et ça, ce n'était pas bon signe.
- Tu as besoin d'aide !
- Exactement ! et pour ça tu dois faire tout ce que je t'ordonne.
- Laisse-moi au moins examiner tes constantes…
- Je m'en fous, de mes constantes !
Wilson parvint à maîtriser son émotion.
House l'observait cependant avec sa perspicacité coutumière, plissant les yeux et grimaçant, sans doute à lutter contre la fièvre qui lui venait :
- Tu n'es pas en colère ? demanda-t-il, peinant à retrouver son souffle.
Wilson serrait les dents, agitait ses bras en signe de désespoir :
- Comment veux-tu que je me mettes en colère quand je te vois dans cet état ?
- C'est pour toi que je dis ça… pour… - il paraissait indécis, ennuyé – pour ton bien.
- What ?
- Je sais ce qui ne va pas. Je suis encore capable d'établir un diagnostic cohérent. J'ai fais médecine, tout de même. Je sais ce qui ne va pas…
Il délire, se dit Wilson.
- Non, je ne délire pas ! cria House qui s'était renversé en arrière… Et c'est bien ce que tu penses, parce que sinon, tu m'aurais pressé pour connaître la réponse… Au lieu de cela, tu ne crois pas en mon jugement et tu refuses de m'écouter…
Ce fut alors que House se pencha en avant et prononça, grelottant :
- Si tu n'as plus foi en mon jugement, je ne sais pas ce qui va arriver… Il faut que tu restes ici. Il faut que tu m'écoutes. Tu me fais toujours confiance d'habitude, quand il s'agit de patients.
- Tu es le patient. Je devrais être le médecin.
- J'en ai décidé autrement, voilà tout… Il faut que tu m'écoutes. The whole thing is over, unless you start believing in my theories… C'est paradoxal, mais pour une fois, il faut que je te supplie de croire à mon jugement médical. Beside the fact that you're my friend. Tu me tues directement en refusant de m'écouter.
On était en plein cauchemar. Wilson s'était assis sur une table et regardé, frappé, son meilleur ami qui le mettait à distance en le suppliant de l'écouter. House prit son silence pour un assentiment et repris :
- J'ai chopé un mal qui est peu connu aux Etats-Unis. Très peu de cas recensés. Memento : toujours laisser à un subalterne le soin de rendre visite au domicile des patients morts… Oh, il est pas mort de ça, se hâta-t-il de préciser devant le visage décomposé de Wilson. Mais son voisin de pallier, oui. C'est un machin de Sumatra. Je ne sais pas exactement. Une chose est sûre : c'est contagieux, et horriblement dangereux. Ça tue, irrémédiablement.
Wilson était effondré. House s'était redressé à demi, s'exprimant désormais avec une fougue peu commune.
- Tu n'auras rien si je ne te touche pas – c'est par le toucher que ça s'attrape.
- Et tu crois que ça va m'empêcher de t'approcher ? Tu rêves…
Wilson dut reculer et se protéger le visage pour éviter les assauts d'une canne furieuse :
- Tu restes là, je parle. Sinon, dégage.
- House, tu n'es plus toi-même ! Un patient est toujours à traiter comme un enfant. Toi à plus forte raison. Et toi-même tu t'opposerais toujours à la volonté du patient. Cette fois ne doit pas faire exception. Que ça te plaise ou non, je dois observer tes symptômes et faire un diagnostic.
- Déjà fait. Tu te crois meilleur diagnosticien que moi, peut-être ?
- Oublie, coupa Wilson qui préféra ne pas relever cette marque d'un orgueil en délire. Laisse-moi te soigner.
Les yeux de House parurent projeter des éclairs :
- Fine. Mais si je dois être traité, alors que ce soit au moins par un docteur en qui j'ai confiance.
- Tu n'as pas confiance en moi ? fit Wilson peiné. Tu es peut-être en train de mourir et toi, tu parles de m'éjecter ?
- J'ai confiance in your friendship. Mais t'as beau être un oncologue doué, hormis cela t'es juste un toubib comme les autres avec une expérience limitée et des qualifications médiocres. Ce n'est pas un cancer, donc tu ne sers à rien. Aujourd'hui, tu joues le rôle de larbin. C'est tout. Et non, ce n'est pas douloureux pour moi de dire des choses pareilles en face, et NON, je ne délire pas : c'est vrai.
- Même toi tu ne dis pas ce genre de remarques, observa Wilson, blessé à vif quoiqu'il en eût. Ça montre clairement l'état de tes nerfs. Puisque tu ne veux pas de moi, laisse-moi aller chercher Cameron ou Chase. En tout cas je dois aller trouver quelqu'un. Tu te figurais peut-être que je te laisserais crever sans rien faire ?…
Wilson enfouit sa tête dans ses mains à ces derniers mots. House eut un soupir contempteur :
- It's tragedy-time. Arrête un peu cette comédie.
- Ce n'est pas une comédie ! cria Wilson.
- Of course it is. Du moins, t'en as pas conscience. Tout ce que tu sais faire depuis que tu es au monde, c'est te charger de la souffrance de ton prochain. Je ne chiale pas, ergo tu vas te mettre à chialer pour deux ; ça ne sera ni beau, ni noble. Je vais me faire chier et épuiser mes salive en sarcasmes, et toi, gaspiller ton temps à pleurer comme un veau…
- That's crap ! c'est toi qui joue un rôle. Je ne sais pas à quel point la maladie affecte tes émotions, mais n'essaie quand même pas de cacher que ça te fait peur ! que ça te laisse indifférent !
- Je ne crois qu'en la raison, trancha House. Mon cerveau. Je ne vais pas me ramollir parce qu'un moron, un imbécile, se met à me dire qu'il faut que je pleure pour montrer que je suis un être humain. Mais on sait tous que je suis un être humain ! je suis mortel.
- Les chiens aussi.
- Merci pour le compliment. Au moins tu ne chiales plus, c'est l'essentiel.
- Qu'est-ce que tu attends de moi au juste ?
- J'avais néanmoins raison : ton expérience de médecin est très limitée. Si je te dis : Tapanuli fever ? black Formosa corruption ?
- Je n'en ai jamais entendu parler…
- Recalé. Tu ne peux rien faire.
- Peut-être bien ! Mais le dr Ainstree, la plus grande autorité internationale en matière de maladies tropicales, est justement de passage dans le New Jersey. Tu auras beau me crier dessus, ça ne sert à rien, je vais le chercher.
En un instant le moribond s'était rué sur Wilson. ce dernier sentit une canne qui lui agrippait la cheville, il tomba à la renverse ; d'un saut House avait fermé la porte à clé, et regagné son lit en quatrième vitesse, haletant.
- Je te connais, Wilson. T'auras jamais les couilles pour attraper la clé de force. I'm sick. Tu es coincé ici, jusqu'à ce que t'acceptes de faire ce que je te dis. C'est ça ou me regarder mourir.
- A quoi tu joues ?!
- Il est onze heures, Wilson. Onze heures. Dans une demi-heure je te laisserai repartir. T'as pas vraiment le choix. C'est moi qui mène la danse, like I always have. C'est ce que j'ai toujours fait.
Il partit soudain d'un grand rire de dément, et qui figea le sang de Wilson :
- Even if I die, I win ! Même quand je suis mourant c'est moi qui gagne. Tu ne peux rien faire contre moi. Tu es obligé d'en passer par mes volontés.
L'oncologue, perdu, ne savait comment réagir entre la perplexité devant un le dessein obscur que poursuivait son meilleur ami, et l'anéantissement face à un si bel exemple de délire.
