Si j'étais elle

Chapitre 1

Il s'approche de moi.
Il me sourit de ce sourire que j'aime tant, que je ne peux m'empêcher d'admirer. Un sourire si franc, si sincère qu'il a pour seule conséquence d'accélérer les battements de mon cœur.

Perdu dans mes pensées, je n'ai pas remarqué qu'il s'est encore rapproché. Je crois que je n'ai jamais été aussi proche de lui : nos visages ne sont seulement qu'à quelques centimètres l'un de l'autre, nos nez se touchent presque. Je sens sa respiration lente sur mes lèvres. Ce qui me fait perdre la raison. Je veux me noyer dans ce regard que j'aime tant, dans cet océan de mystère que contiennent ses yeux rieurs.

J'approche mon visage. Toujours plus près. Je veux combler la faible distance qui nous sépare, je veux le sentir contre moi, je veux l'embrasser, je veux lui dire ce que je ressens, je veux …

« Toshimasa ! Toshimasa réveille-toi tu vas encore être en retard ! »

J'ouvre les yeux et vois ma mère penchée sur le lit. Elle tire brusquement la couette, me faisant sortir de ma torpeur. Je frissonne.

Un rêve … ce n'était qu'un rêve. Semblable à ceux que je fais quasiment toutes les nuits en pensant à lui. A mon meilleur ami. Die.

« C'est bon m'man … j'me lève. »

Pour lui prouver mes dires je m'extirpe maladroitement de mon lit en baillant longuement. Elle me regarde, me sourit et quitte la chambre d'un pas rapide. Une fois la porte fermée je m'assoie et me prends la tête entre les mains.

Pourquoi faut-il que je pense à Die de cette manière ?
Tout allait très bien lorsque je le voyais comme un simple ami. Je n'étais pas spécialement proche de lui, le connaissant depuis trop peu de temps pour lui faire entièrement confiance. Mais je trainais avec lui au lycée parce que mes autres amis l'appréciaient. Je le voyais donc presque tous les jours, et ceux pendant plusieurs mois, sans pour autant le connaitre plus que cela.

Mais un jour tout avait dérapé …

Je m'en souviens encore parfaitement. Tous les détails sont restés gravés dans ma mémoire.

Nous avions passées un samedi soir semblable à tous les autres, rythmé par les bouteilles d'alcool qui se vidaient inexorablement et par des parties de jeux vidéos. Nous avions tous finis raides mort … comme à l'accoutumé. Aucun de nous ne tient réellement l'alcool.

Le lendemain les autres étaient partis rapidement, me laissant seul avec Die. La soirée avait eu lieu chez moi et je devais donc tout ranger avant l'arrivé de mes parents qui ne supporteraient jamais de voir l'appartement dans cet état. Die m'avait gentiment proposé son aide, que j'eu vite fait d'accepter.

Mais avant tout nous devions nous remettre d'aplomb et virer cette satanée gueule de bois qui nous meurtrissait la cervelle. Une bonne douche et une aspirine seraient suffisantes.

J'y étais allé en premier et Die avait ensuite prit ma place. Mais au bout d'une dizaine de minutes m'apercevant que j'avais oublié ma montre dans la salle de bain, je retournai dans la pièce sans prendre le temps de frapper à la porte. Ce que je vis annihila toutes pensées cohérentes de mon esprit.
Die était juste devant moi, de dos en train de se recoiffer en se regardant dans le miroir avec seulement une serviette autour de sa taille si fine. Il était magnifique, le corps encore humide de la douche qu'il venait de prendre. Des gouttes d'eau dégoulinaient de ses cheveux, entreprenaient une longue descente le long de son dos pour finir leur course sur la serviette d'une blancheur immaculée.

Quand il vit mon reflet dans la glace, il se retourna me laissant ainsi admirer son torse finement musclé. Je le trouvais tellement sublime, l'image même de la perfection. Un mélange d'androgynie et de force. Le David de Donatello.

J'avais les yeux ronds, la bouche entrouverte dans une admiration muette, il devait certainement se demander ce qui me prenait. Mais il était si beau, si désirable.

Il me fixa étrangement un instant, les sourcils arqués puis se mit à agiter sa main devant mes yeux. Pour me faire réagir.

« Tochi ! Tochi ! … Houhou ! La Terre appelle Tochi … »

Je sortis de ma contemplation, rouge de honte. Comment avais-je pu me complaire de la vue d'un de mes amis à moitié nu. Je n'en revenais pas.

Il remarqua vite les rougeurs sur mes joues et éclata de rire. Un rire franc et communicatif.

« Hé Tochi fait pas être gêné tu sais. On est entre mec. Je sais que je suis pas mal mais quand même ! »

J'ai jamais vu quelqu'un avec un corps comme le tien, pensais-je silencieusement. Je me retins néanmoins d'en faire la remarque, me mordant la lèvre inférieure. Il reprit la parole.

« Mais au fait tu voulais quoi ? »

Et là … Malheur. Qu'est ce que j'étais venu chercher déjà ? Je ne m'en souvenais même plus tellement mon esprit était troublé. Il lui faudrait sûrement du temps pour se remettre du choc.

« Heu … j'ai oublié… euh … mon … ma, bégayai-je.

- Ha oui ta montre non ? Elle est là bas sur le meuble », me dit-il en pointant du doigt l'étagère à ma gauche.

Je le remerciai et sortit précipitamment sans résister à la tentation de détailler son corps une nouvelle fois.

Pendant plusieurs jours j'avais tenté, en vain, de me convaincre que ce n'était rien, que tout le monde, homme ou femme, aurait réagit de la même manière. Mais je devais me rendre à l'évidence. Depuis ce jour je ne cessais de le regarder discrètement en cours, d'avoir le cœur qui battait avec plus de vigueur lorsqu'il m'effleurait, me touchait ou me souriait. Je rêvais toutes les nuit qu'il m'embrasse et bien plus encore. Quand j'étais seul avec lui je me sentais gênée, n'arrivais plus à le regarder dans les yeux. J'étais jaloux quand quelqu'un d'autre que moi arrivait à le faire rire. Je voulais en apprendre tellement plus sur lui, le connaitre sur le bout des doigts, savoir tout ce qui le concerne.

Bref, j'avais tous les symptômes : j'étais amoureux.

Comme tous les matins je suis à la bourre … Je cours pour ne pas arriver trop en retard au lycée.
Quand j'arrive devant la grille je le vois. Il discute tranquillement avec le reste de notre bande. Je ralentis le pas, m'approche d'eux et leur fait un bref signe de tête en guise de bonjour. Je suis trop essoufflé pour dire un mot. Kyo, mon meilleur ami, me répond à peine. Jamais très bavard le matin. Mais les autres me font un sourire. Le sien me réchauffe le cœur.

La cloche sonne. Nous rentrons mollement dans l'établissement allant chacun dans nos classes respectives. Pendant que Kaoru et Shinya, des amis du collège, prennent l'escalier pour se rendre au deuxième étage, je suis les deux autres dans une salle au fond du couloir puis m'installe à ma place habituelle. Juste devant Kyo, près de la fenêtre. Mon regard se perd dans le vide quand soudain …

« Diiiiieeeeee ! »

Une fille aux cheveux décolorés se précipite sur la table juste à ma droite et se jette au cou de mon ami en l'embrassant fougueusement sans se soucier de tous les yeux tournés vers elle. Mon cœur se serre, je détourne tristement le regard et tente tant bien que mal de cacher ma peine.

Comme je la déteste cette fille. Sumire. C'est la petite amie de Die depuis bientôt deux mois. C'est la première fois qu'il reste aussi longtemps avec quelqu'un et ça me tue. D'ordinaire il ne reste qu'une ou deux semaines avec elle, le temps de la mettre dans son lit et de l'expédier aussi sec voir ailleurs. Mais celle là semble durer … je suis si jaloux !
Et comble du malheur, c'est que je dois perpétuellement les supporter en train de fricoter parce qu'en plus de crier fort, Sumire est aussi collante que de la glue.

Pourquoi est-il avec elle ?

J'aimerais tellement pouvoir me jeter sur Die moi aussi, l'embrasser sans aucune gène comme elle le fait. Mais il ne réagirait certainement pas de la même manière … c'est un coureur de jupon, un homme à femme. Son tableau de chasse est plutôt bien rempli. Il collectionne les petites amies avec ardeur, toutes plus belles et plus cruches les unes que les autres. Et celle-ci ne déroge pas à la règle : elle est plutôt grande, mince, avec de long cheveux blonds foncés, un sourire magnifique et des yeux d'un noir profond … mais malheureusement elle possède le QI d'une huitre.

Comment puis-je rivaliser avec elle ? Ce n'est pas que je me trouve laid, loin de là. Je suis plutôt pas mal mais ce n'est pas ce que recherche Die. Il est « normal » lui et intéressé seulement par les filles possédant des arguments convaincants, comprendre par là une poitrine opulente.

Si seulement je n'étais pas un mec, peut être qu'il me regarderait et s'intéresserait à moi. J'aurais peut être, moi aussi, une chance d'être avec lui.

A la pause de midi, nous retrouvons les deux autres et nous installons paisiblement dans l'herbe, à l'ombre d'un chêne dans une partie de l'école un peu à l'écart. Il fait beau aujourd'hui alors nous profitons du soleil pour manger dehors évitant ainsi le brouhaha de la salle de classe. Et pour une fois, pour mon plus grand bonheur, la copine de Die et ses amies ne sont pas présentes.

Ils sortent leurs bentos et moi je me mets à chercher désespérément le mien avant de me rendre compte que je suis parti tellement rapidement ce matin que dans la précipitation j'ai oublié mon repas sur la table de la cuisine. Toujours aussi tête en l'air.

« Bah tu manges pas ? » me demande Kyo tout en dévorant son riz.

Shinya me regarde, la tête légèrement penchée sur le côté, puis devant mon air boudeur se met à rire.

« T'as encore oublié le tien pas vrai ?

- Si tu veux je veux bien partager le mien avec toi, ma mère m'en met toujours trois fois trop. »

Je tourne la tête vers Die. C'est lui qui m'a fait cette proposition. Il me fait son plus beau sourire et place son bento entre nous deux. Je rougis et accepte le geste en le remerciant.

Pendant que les autres discutent de petites choses sans intérêt je me perds dans mes pensées. Si Die apprend que les sentiments que j'ai pour lui dépassent de loin la simple amitié il n'aura plus toutes ses petites attentions, ne sera plus aussi prévenant envers moi. Je me demande même s'il accepterait encore de me parler, après tout je ne suis pas comme lui : qui fantasmerait sur un de ses amis ? Alors que celui-ci est déjà pris en plus. Je suis persuadé qu'il commencerait à m'éviter.
Et puis les autres comment réagiront-ils s'ils apprennent que je suis gay ? Je n'ai pas envie de les perdre, je tiens trop à eux. C'est pour cela que je n'ai jamais rien dit, même pas à Kyo que je connais depuis notre plus tendre enfance. Je ne veux pas que leurs regards changent, qu'ils refusent de me parler, me rejettent, ou pire encore…

La sonnerie de reprise des cours me fait sortir de mes sombres réflexions. Les autres arrêtent leurs discussions en soupirant.

« Aller encore quatre heures d'ennui mortel. C'est pas humain de nous faire travailler alors qu'il fait aussi beau. »

Quatre hochements de tête.

Mais il faut bien qu'on y retourne. Nous reprenons donc nos sacs et partons, pleins de mauvaises volontés, en direction de nos salles de cours.

Quand je rentre chez moi ce soir là, il est déjà 22 heures. Après les cours nous sommes allés au karaoké. Je dois l'avouer je chante comme un pied, et les autres ne sont pas vraiment meilleurs que moi. Sauf Kyo qui nous envoute à chaque fois par sa voix si singulière. Il a vraiment du talent et ça nous étonne toujours de savoir qu'un si petit homme puisse chanter avec tant de force. Quand il se laisse emporter par la mélodie, il ne pense à rien d'autre, reste indifférent à ce qui l'entoure, tout ce qui compte pour lui c'est la musique qui parvient à ses oreilles, les notes qui s'enchainent avec douceur. Il semble tellement sûr de lui dans ces moments là.

Certaines fois j'envie son assurance, son je-m'en-foutisme complet. Il fait toujours ce qu'il veut, même si cela ne convient pas aux autres. Mais moi, je suis tellement sensible au regard d'autrui. Si seulement je pouvais avoir sa force de caractère…

Je vais dans ma chambre après être passé voir mes parents dans le salon pour leur souhaiter un bon voyage. En effet ils partent très tôt demain matin pour deux semaines de vacances à Hokkaido. Ils y vont seulement tous les deux, me laissant la garde de la maison, pour se retrouver en tête à tête sans avoir leur fils dans les pattes. C'est leur cadeau pour leurs vingt ans de mariage.

Je m'installe à mon bureau et commence avec résignation mes devoirs pour le lendemain, mais découragé par la quantité d'exercice fièrement inscrit sur mon agenda, je referme vite tous mes cahiers et vais me coucher heureux de retrouver mon lit et la chaleur de ma couverture.

Je vais encore rêver de Die, je le sais. Mais au moins dans mes rêves il m'aime en retour. Dans mon sommeil je suis si heureux, baigné d'un amour réciproque. Cependant le réveil est toujours brutal.
Enfin quelques fois plus que d'autre …

TUUUT TUUUT TUUUT

J'éteins mon réveil en grognant et tente de ne pas refermer les yeux. Ce matin il n'y aura personne pour me réveiller si je me rendors. Au bout de cinq minutes je me décide à me lever.
C'est étrange j'ai une drôle d'impression ce matin. Je me sens différent. Bizarre …

Sans me poser plus de question je vais dans la cuisine mettre la cafetière en route puis me dirige, trainant des pieds, dans la salle de bain pour prendre une douche bien chaude histoire de m'enlever cette étrange sensation.

Une fois dans la pièce je tombe nez à nez avec mon reflet dans le miroir. Stupéfaction. Je reste figé, touche mon visage, mon corps. Je sens bien la texture de la peau sous mes doigts. Je me pince mais rien ne se passe. Je suis bel et bien réveillé. Alors ce n'est pas un rêve mais … mais ce n'est pas possible !

Que m'arrive-t-il ?

A suivre …