Sept heures, mon réveil sonne. Je déteste ce réveil. En fait, je déteste me réveiller tout court. Je jette un œil par la fenêtre : le soleil est au beau fixe ce qui me remonte le moral. Je sors de mon lit et file prendre ma douche.

Je suis anxieuse : aujourd'hui, c'est mon premier jour dans mon nouveau lycée. J'ai l'habitude des déménagements car ma mère étant ambassadrice des Etats-Unis dans pas mal de pays étrangers, nous voyageons beaucoup. Mais cette année, c'est différent : après avoir été à l'école en Ukraine, en Italie, en France et au Maroc, je suis enfin de retour dans un lycée américain et compte bien y rester !

Je m'habillai en m'efforçant de choisir des vêtements à la mode, puis descendis dans la cuisine prendre mon petit déjeuner.

- Tu as été longue à descendre, me lança ma mère qui buvait son café. Tu vas te mettre en retard à ton premier jour dans ton nouveau lycée !

- Mais non, maman… répondis-je.

Ma mère est très forte pour les leçons de morale et son caractère « pète-sec » et moi ne faisons pas bon ménage.

- C'est l'année du bac, Emily. Je tiens à ce que tu l'aies. Travaille suffisamment et tu seras récompensée.

- Ce n'est pas avec tous ces déménagements que je vais réussir à décrocher mon bac…

- De quoi te plains-tu ? Tu voyages, tu te fais des amis aux quatre coins de la planète, tu apprends plusieurs langues et je te donne une vie très confortable ! Il y en a des milliers d'enfants qui voudraient être à ta place, avoir ce que tu as !

Je la laissais parler le temps de manger ma tartine de confiture. Enervée, je mâchais tellement fort que la nourriture devait se désintégrer à l'intérieur de ma bouche.

- J'y vais, n'oublie pas de débarrasser ton assiette et ton verre avant de partir. Que je ne retrouve pas la cuisine en désordre en rentrant ce soir !

- C'est dans ta tête, qu'il y a le désordre ! rétorquai-je à voix basse.

- Pardon ? Que dis-tu ?

- Rien d'important.

- Dans ce cas, garde ta salive pour répondre aux questions de tes professeurs. Je te préviens, Emily, pas de notes en dessous de quinze, cette année ! Compris ?! J'exige que tu aies ton baccalauréat avec mention ! Si tu veux aller à Yale, il faut s'en donner les moyens !

Ma mère partit en claquant la porte d'entrée.

Maman et moi avons toujours été en désaccord. Je ne supporte pas son caractère et elle, le mien. Je suppose que j'ai le caractère de mon père. Je ne le connais malheureusement pas. Ma mère ne m'en parle jamais. Elle déteste ça. Tout ce que je sais de lui, c'est qu'il l'a quitté en apprenant qu'elle était enceinte de lui mais je ne pense pas que cette version soit véridique.

Lorsque j'arrivais à mon nouveau lycée, le Chicago West School (un lycée bilingue anglais-français), je me sentais vraiment mal à l'aise. Je ne connaissais personne et tout le monde avait l'air de se connaître.

- Excuse-moi, dis-je à un jeune homme un peu boutonneux qui devait sûrement faire parti du club d'échecs. Pourrais-tu me dire où se trouve le bureau du principal s'il te plaît ?

- Bien sûr, au fond du couloir à droite, me répondit-il.

- Merci.

Je pris la direction indiquée et frappais à la porte.

- Entrez !

J'obéis.

- Bonjour, je suis Emily Prentiss, nouvelle élève, on m'a dit de me présenter à votre bureau à mon arrivée alors…

- Ah bien sûr, mademoiselle Prentiss ! J'ai lu votre dossier scolaire, il est formidable ! Notre école est très fière d'accueillir une élève aussi brillante que vous.

Au fil des jours, je m'adaptais plutôt bien à mon nouvel environnement, me fit de nouveaux amis et mes notes étaient plutôt bonnes même si elles ne satisfaisaient jamais assez ma mère.

Au mois de février, les examens approchaient et tout le monde était en stress. Alors que je discutais avec mon amie, April, un mec m'interpella :

- C'est toi Emily ?

- Oui, répondis-je.

- Salut, je suis Derek Morgan, on est dans la même classe.

Evidemment que je savais qui c'était ! Le plus beau mec de la classe et capitaine de l'équipe de baseball du lycée. Un beau métis, tout en muscles, avec un regard magnifique et un sourire inégalable.

- Oui, je sais, rétorquai-je bêtement.

- Voilà, j'aurais besoin de tes services. Est-ce que tu pourrais me donner des cours ? Parce que tu es la meilleure élève du lycée et si je veux aller à l'Université, il va falloir que je décroche mon bac et une bourse de baseball. Pour le sport, il n'y a pas de problème mais le bac…

- Euh, ben…

- Je te paierais ! se précipita Derek. Et je suis un élève discipliné ! S'il te plaît !

J'acceptai de lui venir en aide.

Les cours passant, Derek et moi apprîmes à nous connaître et nous sortîmes ensemble même en dehors du lycée et des cours particuliers. J'avais chassé tous mes préjugés sur le fait que tous les sportifs avaient un petit pois à la place du cerveau : Derek était un homme intelligent avec un corps de rêve, attentionné et, je pense, amoureux de moi.

- Tu crois qu'on restera ensemble pour toujours ? me demanda t-il alors nous étions censés étudier les maths sur la table de ma cuisine.

- J'aimerais qu'on reste ensemble pour toujours, répondis-je. Mais l'année prochaine, nous irons dans deux universités différentes, toi au sud des Etats-Unis et moi au nord…

- On se rejoindra pendant les vacances !

- J'espère que ça marchera.

- Il n'y a pas de raison.

Derek m'embrassa et ma mère rentra juste à ce moment-là. Je ne lui avais jamais rien dit de mon histoire avec Derek. Je ne lui disais jamais rien : ma mère ne me connaissait pas. En découvrant la scène, elle m'arracha des bras de mon petit copain et me décolla une gifle magistrale.

- Comment oses-tu ?! cria t-elle. Comment oses-tu fréquenter un garçon sous mon toit alors que tu es censée travailler tes examens !

Ce n'était pas la première claque que je recevais : ma mère a toujours eu la main légère en ce qui concerne les gifles mais j'étais vexée d'en avoir reçue une devant Derek. Elle m'ordonna :

- Emily Prentiss, renvoie immédiatement ce garçon chez lui et monte dans ta chambre !

- Non, répondis-je.

- Je reçus une autre gifle. Derek s'interposa entre ma mère et moi.

- Pousses-toi, veux-tu ?! C'est une affaire entre ma fille et moi ! dit maman à Derek alors qu'il faisait deux têtes de plus qu'elle et sûrement deux fois son poids en muscles.

- Je ne m'écarterais pas tant que vous ne vous serez pas calmée, dit mon amoureux.

Gênée de la situation, je sortis de mes gons :

- J'en ai marre ! vociférai-je, j'en ai marre de toi et de ton obsession de l'excellence, marre de tes stupides manies qui visent à salir ma vie, marre d'avoir une mère comme toi !

- Quand tu auras des enfants, tu comprendras ! me rétorqua l'ambassadrice.

- Je ferais tout pour ne pas être la mère que tu as été pour moi ! D'ailleurs, tu n'es pas une mère, tu es un monstre ! Plus jamais tu ne me reverras !

Je montai prendre toutes mes affaires et les mis dans ma voiture avant de disparaître avec Derek, qui m'accueillit chez lui le temps que l'année scolaire se finisse.

La vie chez Derek était plus compliquée que je ne le pensais. Sa mère, Fran, une femme blanche avec de magnifiques cheveux châtains, élève seule ses trois enfants depuis la mort de son mari en 1983 (cela fait bientôt huit ans) : Déborah (alias Debbie), dix-neuf ans, Derek, dix-sept ans et Désirée, dix ans.

Fran galère à joindre les deux bouts mais dit que tout ce qui compte, c'est l'amour. Elle aime ses enfants à un point que personne ne peut imaginer et elle m'a accueillit comme une vraie mère. Une mère aimante, que je n'ai visiblement jamais eu.

A la fin de l'année scolaire, nous décrochâmes tous les deux notre bac, Derek de justesse, moi avec la plus haute mention.

Notre amour était tel que pendant les grandes vacances, Derek me fit la surprise de m'emmener à Las Vegas pour me demander en mariage. Nous avions seulement dix-huit ans et la vie devant nous mais nous étions inconscients, fous amoureux l'un de l'autre et invincibles.

Puis, à la rentrée suivante, Derek partit étudier le droit à Northwestern et moi la psychologie à Yale. Malgré la distance, notre amour tenu et à toutes les vacances, nous nous retrouvions à Chicago, chez Derek.

- Salut ma puce, c'est moi, me dit mon petit copain après que j'ai décroché mon téléphone.

Nous étions début septembre 1995 et nous allions tous les deux commencer notre cinquième année à l'Université, toujours loin d'un de l'autre.

- Salut, répondis-je froidement.

- Il y a un problème ? me demanda t-il.

- Derek… Oui, il y a un problème.

- Emily, dis-moi ce qu'il y a.

Je soupirai puis avouai :

- Je suis enceinte.

Ce bébé était le fruit de notre amour à Derek et moi mais nous aspirions tous les deux à entrer au FBI, au Département des Sciences du Comportement et pour ça, il nous fallait un doctorat. Il nous restait donc trois ans d'études et un bébé compromettait toutes nos chances de carrières ambitieuses.

Une semaine après ce coup de fil, Derek et moi attendions à la clinique de Chicago que l'on nous prenne en charge. Nous ne pouvions pas garder ce bébé, nous n'avions pas de quoi l'élever, ni le temps pour le faire. Nous voulions des enfants, bien sûr, mais plus tard.

Ne me demandez pas comment s'est-il fait alors que sept mois plus tard, Aiden vint au monde. Notre fils, le fruit de notre amour. Aiden était tellement magnifique, tellement merveilleux que je ne voulais pas un seul instant repenser au fait que nous voulions nous en séparer.

Pendant trois ans, Aiden a été élevé par Fran, la mère de Derek car nous ne pouvions ni l'un, ni l'autre, abandonner nos études.

En 1999, Derek intégra le FBI au Département des Sciences du Comportement à Quantico. Je fus également mutée dans cette même ville mais bossai pour Interpol. Nous récupérâmes Aiden et nous installâmes dans une belle maison résidentielle à Quantico, non loin de notre lieu de travail. Sarah naquit en 2002. J'intégrai à mon tour le même département et la même équipe que mon mari en 2003 et notre troisième enfant, Kéliyah, vit le jour en 2006.

Nous sommes une nuit de février 2006 et je donne le biberon à Kéliyah, qui a un peu plus d'un mois mais qui ne fais toujours pas ses nuits.

Malgré la fatigue, on peut dire aujourd'hui que je suis une femme comblée.

Derek est un mari aimant, attentionné, adorable et un père merveilleux. Nous sommes très fusionnels l'un et l'autre et nous détestons être séparés. Nous sommes comme deux aimants.

Nous avons tous les deux le job dont nous avons toujours rêvé : nous sommes agents du FBI, au Département des Sciences du Comportement. L'intitulé exact de notre métier est profiler : nous étudions les méthodes des tueurs en série pour anticiper leurs mouvements et les arrêter plus facilement. Ce métier nous passionne mais nous voyons des horreurs au quotidien : quand nous rentrons à la maison le soir, voir nos enfants en bonne santé et pleins de vie nous réchauffe le cœur.

Comme je l'ai toujours voulu, je ne suis pas la mère que j'ai eue. Mes enfants reçoivent énormément d'amour et je ne voudrais pas qu'il en soit autrement.

D'ailleurs, ma mère et moi avons fait la paix quand Sarah est venue au monde. Depuis, nous avons des rapports cordiaux.

Je vais recoucher Kéliyah qui vient de faire son rot et vais me recoucher par la même occasion. Dans moins de trois heures, Aiden (dix ans) et Sarah (quatre ans) vont être debouts, en pleine forme et prêts à aller à l'école.