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Ilvermorny
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— Lumos maxima, murmure Newt en brandissant sa baguette au-dessus de sa tête.
Il examine les alentours. Personne. Depuis que le paquebot transatlantique Olympic l'a déposé sur le quai de New-York, tout au long de son voyage en train, puis de cette randonnée, il a eu l'impression d'être épié, suivi. Malgré une attention perpétuelle, il n'a rien remarqué d'anormal. A sa droite, voici le chemin de Kénathan, il doit être au pied de la montagne. Une fois de plus, il consulte la carte sorcière que lui a remise Bettany Cavenaugh, la directrice de Poudlard. Outre la sente vers l'école de sorcellerie américaine, elle reprend les sources, les rivières, les étangs et lacs, les dix sept pistes moldues qui sillonnent la réserve du mont Greylock ouverte en 1907. Depuis treize ans, les autorités des prétendent que les animaux y sont en sécurité. Il en doute fortement, car l'affaire particulière qui l'amène aujourd'hui prouve que ce n'est pas le cas. Bien que cela concerne les communautés sorcière et moldue, ici en Amérique, il n'y a pas de coopération envisageable. Il ne devra compter que sur lui-même.
Le soir tombe et Ilvermorny est encore loin. Newt ne peut décemment y arriver au milieu de la nuit. Transplaner dans l'obscurité sans connaître ou voir son but est une aberration. Il décide d'avancer jusqu'à la source Tadalah et trouver un endroit où camper à sa proximité. Il n'arrive à la petite cascade qu'une heure plus tard. L'eau cristalline se jette dans un réceptacle rocheux bordé d'herbes fines des sous-bois, d'élancés iris indigo, d'anaphalis immaculés. Une légère brume nimbée d'un halo fluorescent flotte à sa surface rendant la vision du lieu poétiquement belle et surnaturelle. Nulle présence pourtant. Et, étrangement, aucun être vivant.
Ouvrant sa valise, il en extirpe un morceau de tissu qui paraît usé par les ans. Ce qui est le cas. Hérité de son grand-oncle Lysander qui l'avait utilisé pendant des décennies en bon baroudeur avant de le lui donner, il l'accompagne partout depuis trois ans qu'il a entrepris ses recherches. Il le déplie, l'agrandit. D'un simple sort Erigo, il le transforme en une modeste tente dans laquelle il pénètre après l'avoir fixée au sol de quelques sortilèges. Les apparences sont trompeuses. L'intérieur ne reflète en rien l'extérieur étriqué et misérable de l'abri. Son luxe est relatif mais la pièce de vie est grande, meublée d'une table et de deux chaises, d'un large canapé posés sur d'épais tapis d'Orient colorés. Une antique cuisinière pansue en occupe le fond. La chambre n'est garnie que d'un lit confortable. Juste l'essentiel. Des objets amassés par oncle Lysander lors de ses périples : un scrutoscope, un samovar en cuivre rouge, un narghilé, une pensine en pierre, un astrolabe sorcier notamment, tempèrent l'austérité de l'ensemble.
Dans son sac, il cherche une lampe qu'il allume d'un sortilège de Flammes Bleues, puis repart en quête de sa bouilloire afin de confectionner son thé. Il peut à la rigueur manger froid, pas se passer de son breuvage préféré. Il remplit le coquemar à la source. De nouveau, l'impression d'être observé est là. Lorsqu'il se redresse, il reçoit un regard bleu intense. Le regard fier d'un loup. Un magnifique loup gris dont le pelage semble argenté à la lumière opalescente du bassin. Un canis lupus aux yeux d'aigue-marine ? Voilà qui n'est pas banal.
— Ainsi tu es là, souffle-t-il afin de ne pas l'effrayer. C'est toi qui m'escortes. Qui es-tu donc ? Pourquoi m'espionner ? Ne me dis pas que sous ta forme lupine tu m'as suivi à la gare centrale de New-York. Hominum Revelio ! s'exclame-t-il brusquement en brandissant sa baguette.
Le loup le fixe d'un air méprisant avant de s'éloigner au petit trot. Loup, il est resté.
— Désolé, vieux frère, il fallait que je sache, grommelle Newt en se disant qu'il sait seulement qu'il n'est pas un animagus et aucunement sa nature exacte.
Il dispose de trop peu d'informations pour bannir tous soupçons de son esprit. Il est inquiet, méfiant, oui. N'est-il pas là dans le but d'élucider le mystère des cadavres découverts dans la forêt interdite de Poudlard. Et faire punir les responsables. De nombreuses créatures à sang chaud, parfois massives, disparaissaient. Les centaures ont été les premiers à s'en émouvoir. Un jeune sombral, attiré par l'odeur du sang, a trouvé un charnier. Il y en eut d'autres repérés. Les amoncellements de cadavres d'animaux divers étaient dissimulés dans des endroits discrets, des grottes, une cabane désertée. Manifestement, les créatures y avaient été traînées, égorgées puis saignées et abandonnées sur place aux charognards. Les centaures s'en étaient mêlés et la directrice avait été prévenue. Albus Dumbledore, son ancien professeur, connaissant sa passion envers les animaux, sa qualité de magizoologiste, son goût de l'aventure, avait conseillé de s'adresser à lui. Un auror aurait été plus indiqué. Newt était en Grèce où il étudiait les origines des manticores, à son retour il n'avait collecté que bien peu d'indices. Trop de temps s'était écoulé. Une chose est sûre, ce ne pouvait être que le fait de plusieurs sorciers.
Pourtant les lieux avaient retrouvé la tranquillité. Les coupables, conscients de l'agitation provoquée, avaient cessé leurs funestes activités. Six mois avaient passés. Pendant ce temps, il avait voyagé au Caire, au Congo, puis en Hongrie. Revenu à Londres, Bettany Cavenaugh lui avait envoyé un second hibou. Par le réseau de cheminette, il s'était rendu à Poudlard sans tarder. L'affaire des charniers lui avait laissé un souvenir amer de défaite et il avait horreur de cette sensation. Il pressentait que ça n'était pas sans rapport. C'était le cas. Le directeur de Ilvermorny, une école américaine de sorcellerie, s'était plaint à sa consœur d'avoir découvert, lors d'une leçon extérieure sur la faune de la région, un massacre de bêtes autant moldues que fantastiques, récemment abattues et exsangues. Les élèves accompagnaient leur enseignant et avaient été traumatisés par le spectacle. Newt doit avouer que lui-même a éprouvé des difficultés à oublier ce qu'il a vu à Poudlard. Même modus operandi, même but inconnu et certainement mêmes individus.
Il se remémore son entretien avec Matthew Perkins, éminent zoologiste, recteur à l'université moldue de Cambridge et très ouvert au monde sorcier. Il voulait discuter de ses trouvailles en Grèce sur les manticores. Il s'était quelque peu écarté du sujet, évoquant l'affaire qui l'attendait à son retour.
A qui peuvent profiter ces exactions ? lui avait demandé le chercheur. Dans le monde moldu, nul ne voudrait utiliser pour les recherches du sang obtenu en ces conditions. Fouillez parmi les êtres magiques en votre communauté.
Les seuls à se nourrir d'hémoglobine sont évidemment les vampires pourtant aucun ne s'abaisserait à ça. Selon le peu de renseignements corroborés par des témoignages, ils s'aventurent peu en dehors et encore moins dans le monde sorcier. Le plus souvent, ils ont leur calice, des moldus attirés par leur beauté, leur charisme. Par le mythe de l'immortalité. Ils pensent, pauvres naïfs, que cela veut dire amour éternel. Mais à moins d'être transformés, ils vieilliront et le compagnon vampire ira quérir ailleurs ce qu'ils ne leur donnent plus. Toujours est-il que ce sang animal est de trop basse qualité pour eux.
Une autre question se pose : pourquoi aux abords des écoles de Poudlard puis d'Ilvermorny ? Hasard ? Newt n'y croit pas. Les seuls points communs entre les lieux sont les sorciers et Salazar Serpentard. Les écoles de Beaux-Bâtons ou Durmstrang étaient beaucoup plus proches. Pourquoi choisir l'américaine ?
Tout à ses réflexions, il a perdu la notion du temps et son Darjeeling est froid. D'un geste machinal, il accomplit le sort ménager qui le réchauffe. Aussitôt, le thé frémit. Après un repas frugal, il consigne sur son carnet son parcours du jour et sa rencontre avec le loup aux yeux céruléens. Il conjure des sorts de protection sur son abri avant de s'endormir du sommeil du juste.
Lorsqu'il s'éveille sur sa couche au matin, ses sens en alerte lui soufflent qu'il y a un problème. Il soulève les paupières et plonge dans deux orbes bleues qui l'observent. Assis devant son lit, le loup le contemple. Cela n'aurait jamais dû se produire. Avec le Protego totalum, le Repello Inimicum, le Repello Moldum, le Salveo maleficia et le sort anti-transplannage, ses défenses étaient presque égales à celles de Poudlard.
— Silver Wolf ! Comment donc a tu vaincu mes boucliers ? soupire-t-il.
Ce loup est une énigme de plus. Son attitude n'est nullement agressive. Son regard est attentif. Il ne lui manque que la parole pour expliquer sa présence. Ce n'est pas un animagus, pas non plus un vrai lupus. Il est trop humain. Alors qu'est-il ? Il tend une main vers lui afin de provoquer sa réaction. Penchant la tête sur le côté, il retrousse les babines. Il jurerait le voir sourire. Cela fait rire Newt et semble vexer le quadrupède qui tourne les talons et s'en va. Il se précipite à sa suite. Personne. Il n'y a rien ni personne en vue. Il s'est volatilisé.
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Les tours élancées de l'école Ilvermorny se dressent, orgueilleuses, vers le ciel. Élégante est le qualificatif qui convient le mieux à l'image qu'offre le château. De part et d'autre de la grande porte, les deux statues de marbre à l'effigie d'Isolt et de James, les fondateurs de l'école, accueillent les visiteurs. En franchissant son seuil, il perçoit l'ancienne magie qui baigne les lieux l'entourer, le pénétrer. Immobile, il la laisse faire. Ce fut déjà le cas à l'acropole de Lindos à Rhode, à la forteresse de Saladin au Caire, mais aussi à l'école Castelobruxo au Brésil.
Il se tient dans un immense hall circulaire coiffé d'une coupole de verre. Il n'y a là que quatre énormes sculptures de bois, chacune représentant l'une des maisons : le Serpent cornu, la panthère Womatou, l'Oiseau-tonnerre et le Puckwoodgenie. Une galerie surplombe toute la circonférence de la pièce. Face à lui, s'y campe un homme d'un certain âge à la stature impressionnante. Vêtu d'une robe sorcière bleu nuit rebrodée de carmin foncé, les couleurs de l'école, il a une expression d'oiseau de proie. Newt se sent jaugé, disséqué. Décidément, il me faut plaire à tout le monde, pense-t-il avec dérision.
— Soyez le bienvenu, Newton Scamander.
Installé dans son bureau, en face du directeur d'Ilvermorny, Newt écoute le récit de leurs tribulations. Depuis sa conversation avec la directrice, un second massacre, puis un troisième ont été perpétrés et les cadavres dissimulés dans une grotte au flanc de la montagne et dans un relais de chasseurs aujourd'hui abandonné. C'est un Non-Maj' qui a découvert ces dernières carcasses. Leur communauté est en émoi. Autant pour l'atrocité des faits que pour les animaux extraordinaires tués. Les uns évoquent des expériences génétiques pratiquées sur des bêtes dignes de "L'Île du docteur Moreau" de l'écrivain H. dont on a tiré un film populaire il y a quelques années. (1) Les autres incriminent les vampires. Où il y a de l'hémoglobine à profusion, ces êtres sanguinaires y sont forcément pour quelque chose. Les plus pragmatiques rappellent que ces hypothèses sont fantaisistes, basées la première sur un roman, la seconde sur un mythe. La police, quant à elle, piétine mais s'active. Il sera difficile d'opérer une enquête discrète.
— Il est urgent de mettre fin à ces horreurs pour la sûreté de nos créatures et la préservation du monde sorcier, termine Aaron Tregonwell. Séraphine Picquery, la nouvelle présidente du MACUSA, ancienne élève de notre établissement, nous presse d'élucider ce mystère avec diligence et prudence. Les No Maj' doivent être impérativement tenus à l'écart. Nommée depuis six mois seulement, elle doit démontrer ses capacités, voilà qui ne nous facilite pas les choses.
— Nos rapports avec la communauté moldue, ainsi que nous l'appelons en Angleterre, sont bien différents de l'Amérique. En tant que botaniste et zoologiste, j'ai, en mes bagages, une lettre d'accréditation de l'université moldue de Cambridge justifiant mes recherches sur la faune et la flore du mont Greylock. La police locale n'y trouvera rien à redire. Il est, simplement, très regrettable que je tombe à un mauvais moment, n'est-ce pas, raille Newt avec un léger sourire narquois.
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Le Britannique a suivi le Puckwoodgenie chargé de le conduire à sa chambre. Ils se reverront au déjeuner lorsqu'il se sera rafraîchi. Le vieux sorcier caresse d'un geste machinal sa courte barbe noire. Un bruit tenu de pas derrière lui ne le trouble pas.
— Il est tellement jeune, constate le directeur. Je ne m'y attendais pas.
— Il n'a que vingt trois ans, c'est vrai, pourtant il est intelligent et courageux, commente le visiteur. C'est un sorcier puissant. Ses protections sur son abri étaient parfaites. Et il n'est pas vilain du tout à regarder. Il a des yeux et un sourire superbes, ajoute-t-il d'un ton amusé.
— Adamias ! s'exclame Aaron d'un ton exaspéré.
— Oui, je sais, tu n'es pas sensible au charme masculin, ricane-t-il.
— Et toi, trop.
— Imagine que c'est Lucrezia.
— Cela m'est impossible, grogne le directeur excédé. Afin de le guider, il faut que tu prennes le rôle prévu.
— Je l'ai étudié depuis deux jours. C'est une erreur. Il comprendra immédiatement.
— On s'en tient au plan élaboré.
— Nous ne le connaissions pas, proteste Adamias. Ne le sous-estime pas. Si je suis arrivé après lui, c'est parce que soudain il a transplané pour éviter de m'amener ici.
— Nous ne le connaissons pas plus maintenant, lâche l'autre d'un ton sec. Ne t'avise pas de tenter un rapprochement.
— Tu oublies le respect que tu me dois. Utilise ce ton avec tes élèves, Aaron. Je n'ai aucun ordre à recevoir de toi. Je suis ici dans le but que ma communauté ne soit pas impliquée à tort en cette déplorable affaire. Je ferai ce que je juge préférable.
— Ton charisme est suffisant pour qu'il gobe ça sans preuve ?
— Garde ton ironie. Quoi qu'il se passe, à la fin de l'enquête, c'est toi qui me sera redevable et non le contraire.
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