Disclaimer : Les personnages appartiennent à la CW. L'univers est le fruit de mon imagination mais des éléments de l'intrigue font écho à la série.

Pairing : Destiel (très) progressif et autres couples. Normalement, il n'y aura pas de pairing surprise.

Avertissements : Mort de personnages secondaires, torture, violence, relations homosexuelles explicites. La TFW sera épargnée et le Destiel vaincra.

Remerciements : Merci à Ivinary et Sloloth-Cassie qui ont discuté avec moi de cet univers pendant que l'on attendait Tom Hiddleston dans le froid londonien et d'avoir continué bien après notre retour. Vos questions et vos conseils m'ont été bien utiles ! Merci à ma sœur, qui m'a également donnée son point de vue. Merci à Cody, pour m'avoir écoutée déblatérer mon histoire pendant que je déménageais.

Et, enfin, un grand merci à Dupond et Dupont, qui a été bien plus qu'une bêta dans cette histoire, à corriger, me conseiller, m'épauler, sans jamais baisser les bras. Si j'en suis là, c'est grâce à elle. Merci, merci, merci. Tu me diras à quel parfum tu voudras ton pâté de remerciements.

Notes de l'auteur : Cette histoire existe dans ma tête depuis plus d'un an mais je n'ai commencé son écriture que cinq mois plus tôt. A l'origine, il s'agissait d'un univers original, prenant place dans un récit d'anticipation, mais lorsque les personnages de Supernatural ont commencé à y pénétrer, bien malgré-moi, il m'a alors paru évident d'en faire un Univers Alternatif. Depuis, je n'ai cessé d'écrire cette histoire et ce sont eux, Dean, Sam, Castiel et tous les autres qui rendent mon univers vivant ! C'était un vrai plaisir d'écrire cette première partie.

The Shortest Straw est une chanson de Metallica tiré de l'album «… And Justice for All ». Elle évoque la surveillance excessive et l'atteinte aux libertés de penser et d'agir. La musique a été ma troisième compagne pendant l'écriture de cette fiction. Metallica, Led Zepellin, Foreigner, Nine Inch Nails, et j'en passe, apportent donc leur touche tout au long de cette histoire. Si un morceau est cité, que ce soit par des paroles ou des allusions, je ferai une note à ce sujet en fin de chapitre.

Cessons tout ce blabla et place au premier chapitre de cette longue histoire. Bonne lecture !


PREMIÈRE PARTIE

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« If the doors of perception were cleansed every thing would appear to man as it is, infinite. For man has closed himself up, till he sees all things through narrow chinks of his cavern. » – William Blake, The Marriage of Heaven and Hell.

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Premier chapitre

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Lawrence, Kansas

Décembre 2136

Dans la nuit noire et glaciale de Lawrence, quelques feuilles s'envolèrent, emportées par une impulsion silencieuse. Une carrosserie caractéristique des voitures de l'Agence – argentée et acérée – perça l'obscurité, éclairant les routes de ses phares luminescents. Des maisons désertées défilaient inlassablement sur son pare-brise, teintant le paysage d'une atmosphère sinistre. Les vieux quartiers étaient laissés à l'abandon, fuis par les civils depuis de nombreuses années. Ils demeuraient désormais dans le cœur de la ville, jonchée d'immeubles de métal et de plexiglas, dans l'attente de la rénovation de leurs anciennes maisons. Seulement, les Bots s'attelaient tout juste à la périphérie du centre-ville, progressant sensiblement. Après tout, même si elles n'avaient pas besoin de boire, de manger et encore moins de dormir, les machines réclamaient des révisions régulières. Et la ville ne possédait que trop peu d'Ingénieurs spécialisés dans ce domaine. Alors, ils attendaient tous patiemment. La Haute Autorité le leur avait promis, ils allaient bientôt tous vivre en harmonie. Tout se façonnait comme cela avait été envisagé. Tout suivait la justesse de l'Algorithme.

En attendant, la banlieue qui touchait les frontières de la ville était devenue une région malfamée et lugubre, où de nombreux Déviants s'étaient érigés maîtres des lieux. Il fallait se débarrasser de cette vermine, un par un, jusqu'à une totale annihilation.

Le véhicule continuait sur sa lancée, dévalant à toute allure les rues dépeuplées.

« Dean, je crois qu'il est parti vers l'ancien centre de traitement des eaux usées, interpella une voix grave. Un Bot y a repéré du mouvement. Je te retrouve là-bas.

L'interpellé porta sa main à son oreille et appuya sur son récepteur, enclenchant le système de communication.

– Entendu, j'arrive.

Dean tourna sur sa droite, dans un mouvement brusque mais maîtrisé, puis accéléra nerveusement. Ce fils de Bot n'allait pas lui échapper. Pas ce soir. Accompagné par le bruit sourd de son véhicule de fonction, l'agent se pressa vers le nord de la ville dans une détermination despotique.

Une fois sur place, Dean sortit précipitamment de la voiture et glissa son arme entre son pantalon et sa peau, laissant la portière se refermer seule dans un mouvement fluide et feutré. Il activa son bracelet – il enclencha le système de localisation – et retrouva Victor accompagné de deux Bots armés, dissimulés derrière une grue branlante.

– Alors ? souffla Dean une fois arrivé près de son partenaire.

– J'ai aperçu une ombre bouger à onze heures, répondit l'homme en désignant des amas de sable, de graviers et de détritus situés derrière le centre de traitement. Un drone est en train de scanner le périmètre. J'attends les résultats.

– Il y a la rivière derrière, Victor. S'il nous échappe encore une fois… commença l'agent, irrité par les souvenirs de leurs précédents échecs.

– On va l'avoir, Dean. D'autres Bots encerclent le bâtiment. Il ne peut pas nous échapper. Je les hais autant que toi, ces Déviants de mes deux. Je le veux derrière les barreaux, qu'il nous demande de ne pas l'envoyer à Topeka, qu'il nous supplie de ne pas le faire, cracha Victor avec mépris.

Dean ne répondit pas et se mordit la lèvre inférieure, observant l'horizon de son regard alerte. Les rayons laiteux de la lune d'Hiver n'éclairaient que trop peu l'édifice de tôle et de ferraille, abîmé par l'érosion des années et l'abandon des Hommes. L'électricité n'atteignait même plus cette partie de la ville. La Haute Autorité ne la jugeait plus utile, puisque plus personne ne vivait ici. Dean s'en mordait les doigts, agacé par leur incompétence et leur aveuglement. Ils ne pensaient qu'aux chiffres, qu'aux résultats et se souciait peu de l'état actuel des choses. Eux, ils étaient bien lotis dans leurs bureaux. Ils ne se rendaient pas compte de comment c'était, ici, sur le terrain, à la traque de ceux qui semaient la terreur. Ce n'est pas eux qui risquaient leur vie, jour après jour, pour sauver les civils. Non, eux, ils se contentaient d'idolâtrer leurs chiffres, leur logique, et leur vénéré Algorithme.

Foutus bureaucrates.

– J'ai un signal, lâcha Victor. Suivez-moi.

L'agent s'élança vers les îlots de sables, accompagné de ses deux Bots. Dean lui emboîta le pas, la main posée sur sa ceinture, effleurant la rigidité de son arme pour s'assurer qu'elle est était toujours bien présente. Il ne comprenait pas pourquoi Victor s'acharnait à amener des Bots avec eux. Dean s'évertuait à dire que ces boites de conserves ne faisaient que les ralentir mais au fond, c'était juste qu'ils ne les aimaient pas. Faits de silicone et de métal, ils ressemblaient sensiblement aux hommes, sans pour autant en être le portrait craché. Cela se voyait qu'ils n'étaient pas humains. Leurs mouvements n'étaient pas fluides et leur peau ressemblait à du plastique vieilli et abîmé. Leur voix était métallique, saccadée et voilée par un grésillement insupportable. Ces robots lui foutaient les jetons.

Ils se murent silencieusement, attentif à chaque pas, à chaque respiration. Ils étaient depuis bien trop longtemps sur sa piste. L'homme – Jake Talley – était un membre actif du mouvement terroriste des Déviants. Dean les détestait. Et il n'y avait pas besoin d'expliquer le comment et le pourquoi, dans cette histoire. Tout le monde les redoutait. Ils n'étaient qu'une bande de criminels qui enchaînaient les attentats au nom de la soi-disant liberté, se souciant peu du nombre de victimes qui périssaient pour leurs idéaux insensés. Cela faisait plus de soixante-ans qu'ils assaillaient les rues de Lawrence et du Kansas tout entier. Dean était même persuadé que le mouvement allait au-delà de la Division et qu'ils ne s'arrêtaient pas aux frontières, malgré les murs à la hauteur démesurée édifiés à ses extrémités. Mais tout contact entre chaque Division étant interdit, que ce soit pour les civils, les agents ou même les membres du gouvernement, cela ne restait qu'une simple supposition.

Cela faisait désormais quatre ans que Dean s'était enrôlé à l'Agence. Il s'était rendu à la cellule de la ville, le lendemain de la cérémonie de clôture de l'Initiation, accompagné de son père. Dean se souvenait encore de la lueur de fierté qu'il avait discernée dans les prunelles de John Winchester. C'était la première fois qu'il la voyait. Et la dernière. Son père lui-même était un membre de l'Agence. Et il avait même été l'un des meilleurs, avec son ancien partenaire Bobby Singer. Il avait été celui qui avait arrêté Azazel – Dean ne faisait plus de commentaire sur l'absurdité du nouveau nom de baptême du terroriste puisque, de toute manière, les Déviants se choisissaient tous des noms ridicules–, le leader de l'époque, celui qui avait mené l'attentat de 2116. L'attaque qui avait ôté la vie de Mary Winchester. Le crime qui les avait privés, lui et Sammy, de leur mère alors qu'ils n'étaient encore que des enfants – Sam était seulement âgé de six mois. L'arrestation d'Azazel aurait pu être le plus beau jour de la vie de Dean, sa soif de vengeance enfin assouvie, si seulement elle n'avait pas également causé la mort de son père, les rendant orphelins.

Cette pensée était toujours douloureuse mais l'idée de savoir son père finalement vengé, après toutes ces années de lutte et de dépression, le réconfortait un tant soit peu. C'était toujours ça. Dean s'en contentait.

Seulement, ces réflexions n'avaient pas lieu d'être dans un tel endroit, à un tel moment. Dean devait se concentrer sur sa mission, c'était ce qui importait le plus à l'instant présent. Le terroriste était de toute évidente le responsable de l'attentat que lui et Victor avaient réussi à avorter quelques semaines plus tôt – une sale affaire de voiture piégée, ces terroristes n'étaient décidément que des lâches. Il ne fallait pas qu'il ait l'occasion de recommencer. Il devait payer.

Genoux fléchis, l'agent serpentait sans un bruit. Il s'infiltrait dans chaque recoin, la paume toujours posée sur son arme. Il se glissa derrière la carcasse bombée d'une voiture. L'éclat opalin de la lune scintillait sur sa tôle cobalt. Dans son ancienne vie, la voiture devait être l'une de celles réservées aux civils. Sa couleur bleue en témoignait. Dean posa son dos contre le métal glacé, se dissimulant pour mieux observer le décor. À sa gauche, Victor consultait sa montre – sans doute avait-il reçu de nouvelles données envoyées par le drone de reconnaissance. Dean chercha à croiser son regard, mais son coéquipier restait concentré sur son appareil. Il soupira et scruta les alentours, à la recherche d'un indice, d'un mouvement. Quelque chose. Le regard de Dean se posa ensuite sur une ombre indécise, charbonneuse. Elle se déplaça dans un mouvement confus. L'agent fronça les sourcils. Était-ce un animal ? Un Bot ? Ou bien l'homme qu'ils traquaient ? Quand soudain, ses yeux rencontrèrent des prunelles bien humaines qui s'écarquillèrent aussitôt. Et, en l'espace de quelques secondes seulement, la forme s'évanouit dans la pénombre.

– Fais chier ! Il nous a repérés ! tonna Dean avant de se lancer à la poursuite du terroriste qui venait de décamper en direction de la rivière.

Il saisit son arme et l'activa, calibrant les puces sur la position anesthésiante. Il n'avait pas besoin de le blesser, juste de l'arrêter. Ses foulées étaient rapides, précises. Dean n'allait pas le rater. Le terroriste filait droit devant lui, détalant aussi vite qu'il le pouvait. Dean n'avait pas perdu de vue le Déviant et pressait encore plus le pas, toujours plus vite, toujours plus décidé, une veine palpitant péniblement sur sa tempe. Le vent sifflait dans ses oreilles et il n'arrivait pas à entendre perceptiblement ce que Victor débitait dans son dos. Il semblait parler aux Bots, ou peut-être même au bureau de l'Agence. Quelques propos parvinrent jusqu'à lui et, d'après ce qu'il comprit, il ordonnait aux robots de cerner toute la zone et de ne laisser aucune chance au terroriste.

Dean se hâta, ignorant les élancements qui parcouraient ses jambes, poussées à bout. Si l'homme se rendait jusqu'à la rivière, c'était foutu. Dean tenta d'analyser la situation, cherchant à anticiper les actions du terroriste. S'il bifurquait vers la droite, il allait se retrouver dans les champs. L'agent se mit à espérer que le terroriste ne soit qu'un imbécile et qu'il prenne cette décision. Les champs étaient constamment travaillés par des Bots et étaient scannés à longueur de temps par les drones qui contrôlaient l'état du sol. Il leur suffirait de les calibrer et ils deviendraient une main d'œuvre non négligeable. Une véritable armée. Seulement, si Jake Talley s'aiguillait vers la gauche, il se dirigerait vers le barrage de Bowersock et Dean n'était pas sûr de pouvoir tenir la distance. C'est qu'il était rapide, cet enfoiré.

Préoccupé par ses réflexions, Dean ne remarqua pas la tige de fer qui barrait sa route. Il trébucha, perdant l'équilibre, mais se releva aussitôt. Seulement, le mal était fait : il avait rompu le contact visuel. Le terroriste n'était nulle part. Devant lui, il n'y avait plus rien. Juste ces tas informes. Il n'y avait plus que la nuit noire et Victor qui le suivait, accompagné de ses deux Bots.

– Et merde ! siffla l'agent.

Dean s'arrêta, essoufflé, examinant chaque tas de graviers, analysant la moindre carcasse, la moindre poussière.

– Lance un nouveau scan du périmètre, cracha Dean, irrité par sa propre incompétence.

– C'est en cours, lui signala Victor qui avait déjà pris les devants.

Le poing serré sur son arme chargée, Dean continuait d'observer les alentours, l'oreille attentive. Il n'y avait aucun bruit, mis à part les tintements réguliers du drone qui les surplombait.

– On l'a perdu, finit par lâcher Victor, amer et écœuré. Il a filé.

Il n'avait pas besoin d'en dire plus. C'était fini. Il était certainement passé par la rivière. Les Bots supportant mal l'eau – leur réseau de communication se brouillaient toujours lors des journées de pluie. Ils ne leur seraient désormais d'aucun secours. Il l'avait prédit. Il l'avait dit. Bordel, si seulement il avait écouté son instinct et s'y était précipité directement. Pourquoi avait-il attendu les fichus résultats des drones ? Dean frappa dans un morceau de ferraille qui gisait à terre – complice de son échec – , avant de lâcher un râle de rage.

Encore un putain de fiasco.

– J'me tire, Victor, ça ne sert plus à rien. Et je dois me lever tôt demain, c'est le grand jour pour Sam.

Sans attendre une réponse et pestant intérieurement contre les terroristes, Dean retourna à sa était trop impersonnelle, trop droite, trop logique. Elle n'avait aucun cachet. Mais c'était ainsi et que pouvait-il dire ? C'était les ordres. C'était la Loi. Dean passa son pouce sur le contact, enclenchant le démarrage du véhicule dans un léger ronflement, entraînant une secousse presqu'imperceptible.

« Bonsoir, Dean Winchester. Souhaitez-vous utiliser le pilote automatique ? » demanda l'ordinateur de bord, dans une voix féminine et monotone.

– C'est bon, merci, lâcha Dean d'un ton cassant. Je vais me débrouiller. Comme d'habitude.

Puis, il posa son pied droit sur l'accélérateur et quitta les lieux sans un bruit, frôlant un Bot qui se dirigeait visiblement vers les bureaux de l'Agence pour se recharger. Il prit la direction du sud de la ville, à la limite des Nouveaux Quartiers. Il vivait dans l'arrondissement qui était encore en pleine rénovation, assiégé par des amoncellements de métal et d'échafaudages, véritables colonnes vertébrales des édifices. Malgré la poussière et le bruit incessant, Dean tenait à sa maison. Il n'avait pas voulu se rendre dans les Nouveaux Quartiers. C'était là qu'ils avaient grandi, lui et Sammy. Et son petit frère s'apprêtait à finir son Initiation dans quelques heures à peine, il ne vivrait plus seul comme il l'avait fait lors de ces trois dernières années. Dean allait le ramener à la maison. Leur maison. Peut-être même accompagné d'une femme, qui sait ? Puisque, au final, c'était bien cela la finalité de l'Initiation. Trois ans loin du foyer familial, à se former pour son avenir, trouver un métier auquel on restera accrocher tout au long de son existence comme une tique sur un clébard, et à choisir celle qui fera partie de notre vie jusqu'à la fin, jusqu'au tout dernier souffle. Et, ils n'avaient plus qu'à attendre l'autorisation du gouvernement pour procréer. Ces créneaux étaient rares et n'arrivaient parfois qu'une seule fois dans une vie. Ils se devaient de le respecter. Et tout irait parfaitement. C'était bien là les tenants de l'éducation mise en place par le gouvernement.

Bientôt, Sam et lui allaient traquer les Déviants, tous les deux, sillonnant les rues de Lawrence. Comme ils le faisaient lorsqu'ils jouaient, quand ils n'étaient encore que des gamins. Comme John l'avait toujours demandé. Comme Dean l'avait toujours rêvé.

Arrivé chez lui, Dean verrouilla sa porte d'entrée. Il se rendit machinalement dans le garage, où toutes les fenêtres étaient encrassées de suie et de poussière. Il ne pouvait pas prendre le risque que quelqu'un aperçoive ce qu'il y faisait. Depuis bien longtemps, la Haute Autorité avait interdit aux civils et aux agents de posséder des biens datant d'avant l'époque de la Grande Panique, tant bien au niveau culturel qu'au niveau fonctionnel. Une histoire de soi-disant optimisme, où il ne fallait pas vivre dans le passé mais toujours regarder vers l'avant. Ridicule. Et, face à la pénurie d'essence, elle avait également défendu les civils et les agents d'utiliser d'anciennes voitures, les incitants à prendre les transports en communs et à conduire les voitures électriques mis à disposition par l'État. Seuls les membres de l'Agence et du gouvernement avaient le droit à leur propre véhicule de fonction, toutes identiques– mis à part leur couleur qui les différenciaient selon la fonction de leur propriétaire – et dotées d'un système de reconnaissance et de localisation. C'était pour faciliter la vie des civils, avaient-ils dit. Dean n'en était pas franchement convaincu. Comment le fait d'être constamment épié, espionné, pouvait-il être une faveur ? Pourquoi le simple fait de posséder cette voiture dans son garage pouvait l'envoyer pour un aller simple à Topeka ? C'était des conneries. Mais, malgré le risque, il ne respectait pas ces ordres. Son père non plus ne l'avait pas fait. Et ce, même s'il avait été le grand héros de cette ville.

Dean ouvrit la porte et alluma la lumière, inondant la pièce d'une lueur blafarde. Les néons grésillèrent, accompagnés de tintements réguliers. Dean posa sa paume sur la forme indéfinissable qui se trouvait devant lui, recouverte d'une étoffe anthracite. Il la retira délicatement, révélant alors la silhouette parfaite d'une Chevy Impala de 1967.

– Ce soir, c'est encore entre toi et moi Baby, susurra Dean en caressant sa carrosserie.

C'était par pur hasard que John avait trouvé cette voiture, abandonnée dans une forêt avoisinant la ville. Après de nombreux échecs, il avait réussi à recharger ses batteries et l'avait ensuite ramené chez lui en pleine nuit, avec le peu d'essence qu'il lui restait, en toute discrétion. Les drones étaient moins nombreux, à l'époque. Malgré son jeune âge, Dean se souvenait très bien du regard noir émis par sa mère lorsque la voiture avait pénétré dans le garage. Mais personne ne pouvait résister à cette beauté. Mary avait fini par l'accepter.

La voiture était superbe et Dean ne pouvait que comprendre les motivations qui avaient poussé son père à briser la Loi en la ramenant chez eux. Dotée de lignes parfaites et d'un manteau d'aluminium ébène soulignant ses formes anguleuses au détail près, la Chevrolet dominait tout ce qui l'entourait, triomphante et majestueuse. Dean s'aventurait régulièrement à s'imaginer en sa compagnie, sillonnant le macadam abrupt du Kansas. Il se glissait sur le siège du conducteur, accompagné de ce grincement qui lui était propre, effleurant le cuir du volant de ses doigts avides et curieux. Son pied s'hasardait sur l'embrayage ou encore sur l'accélérateur dans des gestes incertains, courtisant la voiture de ses caresses hasardeuses. Et Dean se perdait dans ses interrogations, se demandant quels rugissements l'Impala pouvait bien laisser échapper lorsqu'elle s'élançait, telle une antilope vive et alerte. Les sensations devaient être enivrantes, bien plus excitantes que les semblant de voitures qu'ils se voyaient tous contraint de conduire. La Haute Autorité avait tout misé sur le silence, sur la simplicité. Mais ce silence était étouffant. Lourd. Oppressant. Démuni de toute poésie.

Désormais, l'Impala était cachée dans le garage et l'aîné des Winchester s'attelait à sa réparation – il ne voulait pas que la voiture ne soit plus qu'un énième fantôme du passé – tout comme son père l'avait fait avant lui. Les pièces étant dures à trouver, Dean passait donc une grande partie de son temps libre à les chercher ou à les assembler lui-même. Il ne pouvait peut-être pas conduire la Chevrolet, mais il appréciait l'entretenir, bercé par une musique datant de plus d'un siècle.

L'automobile n'était pas le seul vestige de l'histoire précédant la Grande Panique que John avait ramené lors de la découverte de l'Impala. Dans son coffre reposait une multitude de disques contenant des fichiers audio de ce qui semblait s'appeler du « Rock'n'roll ». Aidé par Bobby, son père avait réussi à numériser les données pour les lire sur leurs lecteurs contemporains. Et, que l'algèbre soit loué, ce son qui pulsait au rythme de « guitares » et de « batteries » était une mélodie que Dean ne voudrait quitter pour rien au monde. Elle n'avait rien de comparable à la musique – si on pouvait nommer ces bruits formés par des sons électroniques et mécaniques – actuelle. Aujourd'hui, tout était créé grâce à des logiciels, grâce à des calculs. On ne se servait même plus de la voix. La musique était devenue logique, s'adaptant aux humeurs et aux envies de chacun. Les mélodies étaient vides d'émotions, plates et monotones. Elle ne surprenait plus.

Parfois – souvent –, Dean ne comprenait pas les décisions de la Haute Autorité. Après la Grande Panique qui avait secoué le monde entier presque quatre-vingt-dix ans plus tôt, un nouvel équilibre avait dû se mettre en place. Dean ne remettait pas les Lois en cause, loin de là. Il comprenait qu'elles étaient importantes pour la survie de l'espèce humaine, qui avait déjà assez bien souffert comme cela. Ils ne pouvaient plus faire comme avant, à tous vivre égoïstement. Leur ancêtre en avait payé le prix fort. Et la Haute Autorité ne se gênait pas pour le leur rappeler. Mais pourquoi les empêcher d'avoir accès à toute cette culture oubliée ? Pourquoi les formater ainsi, les forçant à écouter les mêmes merdes musicales et à lire les mêmes conneries vantant la nouvelle merveilleuse génération de Bots qui pouvait désormais ranger tout un appartement en seulement trente minutes ? Les documentaires montrant les images de tous ces corps, empilés les uns sur les autres, gisant dans leur sang, dans leur propre déjections, que l'on brûlait les uns après les autres par peur d'amplifier les dégâts avec une autre maladie, suffisaient amplement. Dean n'était pas né à cette époque et il en était plus que reconnaissant. Il ne savait pas s'il aurait pu survivre à cette horreur. Comme la plupart de leurs ancêtres, il en serait certainement mort.

Pourtant, tout ça n'avait été mis en place que dans la volonté de préserver l'espèce humaine. En 2050, tout était hors de contrôle. La planète Terre avait plus de dix milliards d'enfants et ces derniers ne semblaient pas s'arrêter là, se souciant peu des chiffres, de la population. Belle bande d'égoïstes. La démographie dépassait toutes les prédictions faites par les scientifiques d'autrefois et l'énergie de la planète était pompée, sucée jusqu'à la moelle. Cela ne pouvait pas durer ainsi.

D'après les vagues souvenirs de ce qu'on lui avait appris lors de son Initiation, tout était différent à l'époque précédant la Grande Panique. Il n'y avait aucune frontière, aucune limite. La Terre était un seul et unique territoire, gouverné par une coalition réunissant les plus grandes richesses. Et c'était eux, face à cette surpopulation démesurée, qui avait pensé à cette solution. Ce nouveau moyen de contraception qui était censé leur faciliter la vie à tous et réguler la population. Mais cette idée n'était qu'une immense et belle connerie. Six mois ne s'étaient même pas écoulés que les résultats étaient clairs : la gélule qui était censée leur apporter leur salut les rendait stériles. Définitivement. Et il ne fallut que six mois supplémentaires pour que l'épée de Damoclès qui les surplombaient tous leur tombe dessus. Cette nouvelle formule causa la mort de la majorité de la population l'ayant ingurgité, bercée par leur foi aveugle.

Dix ans. Dix ans s'étaient écoulés et les hommes étaient tombés comme des mouches, un à un, s'entassant dans tes tombes toutes plus petites les unes que les autres. Les fours des crématoires fonctionnaient nuits et jours, encrassant l'atmosphère d'une fumée noire et funeste. La face du monde avait changé. Ils n'étaient plus que six milliards. Seul les plus jeunes et les plus âgés, ainsi que quelques chanceux, avaient survécu à cette apocalypse. Et les frontières s'étaient refermées, petit à petit, jusqu'à devenir hermétiquement closes.

Chacun s'occupait de son propre territoire. La population était régulée, contrôlée. Il n'y avait plus de débordements. Tout était sous contrôle.

Après la Grande Panique, les États-Unis ne comptaient plus que deux-cent cinquante millions d'habitants. Et c'est dans ce contexte que la Haute Autorité s'est érigé, sous le contrôle du premier Commandant. L'Algorithme fut mis en place. Il était hors de question de retomber dans les affres du passé. Tout devait être maîtrisé. De la culture aux naissances. Tout.

Il y avait tout de même quelque chose de gênant dans toute cette histoire. Ils ne pouvaient même pas communiquer avec les autres Divisions. Ils n'avaient pas le droit de rencontrer le Commandant qui régissait pourtant leur vie à tous. Ils ne savaient même pas comment ce dernier était nommé à la tête du Pays tout entier. Ils obéissaient aveuglement.

Mais Dean n'était qu'un agent, un homme au service du gouvernement. Qui était-il pour juger ? Pour remettre ces décisions en question ?

Le jeune homme soupira et laissa glisser sa main droite sur sa nuque. Il décrocha une combinaison en plastique transparent du porte-manteau et l'enfila. Il ne voulait pas salir sa tenue de travail et ainsi prendre le risque que quelqu'un comprenne ce qu'il faisait dans son garage, à ses heures perdues. Son pantalon et sa veste souple, épousant étroitement la forme de ses muscles, étaient tous deux en gabardine grise et se salissait beaucoup trop rapidement. Et ça, c'était encore une connerie de la part de la Haute Autorité, aux yeux de Dean. Seul son sous-pull – rouge carmin – résistait un tant soit peu aux accidents du métier.

Une fois protégé, il se concentra sur l'Impala. Dean devait changer le filtre à Gazole. Il se retourna et agrippa la vieille caisse à outils de son père avant de prendre le manuel d'entretien de la voiture. Les pages étaient usées et jaunies, parfois mêmes déchirées. John avait pris le soin de laisser des indications au sein de ses marges, pour aider ses fils, et peut-être même ses petits-fils, à comprendre le fonctionnement de la voiture. Dean ouvrit ensuite la caisse et en sortit le filtre. Il avait mis de temps à le trouver et d'après le dessin qui figurait sur le manuel, la pièce devait être bonne. Le jeune homme ouvrit ensuite le capot de la voiture, le bloquant à l'aide d'une tige en fer. Le vieux filtre était situé près du liquide de refroidissement de la voiture. A l'aide d'une clé à molette, il dévissa les fixations de la cuve avant de sortir le filtre encrassé. Il le posa sur la table où se situait la caisse puis prit le nouveau et l'inséra à la place de l'ancien, sans difficulté. Dean ne s'était pas trompé : le filtre était conforme. L'agent ne put s'empêcher de sourire, fier, avant de fixer le nouvel appareil.

Au bout d'une heure passée les mains dans le cambouis, Dean sentit la fatigue s'abattre sur lui. Il jeta un coup d'œil à sa montre.

00:12 AM. Premier janvier 2137.

– Et bonne année », grommela Dean à lui-même.

Il rangea ses outils, recouvrit l'Impala et sorti du garage, avant de se rendre dans le salon et d'allumer son écran de télévision. Deux présentateurs télés vêtus des tenues traditionnelles de la Cérémonie– équivalentes à celle de Dean mais teintée d'or et d'argent– s'extasiaient face à des images des nombreux étudiants de Wabaunsee qui fêtaient la fin de leur Initiation. D'un œil distrait, Dean chercha Sam. Mais dans cette foule et cette succession d'images bien trop rapide, la tâcha se révélait être impossible. Et connaissant son petit frère, ce dernier était certainement entrain de continuer à étudier histoire de profiter jusqu'à la dernière seconde de son apprentissage. Intello.

Il n'y avait pas que les étudiants qui célébraient la fin de l'année en cours et le début de celle à venir – avec sa nouvelle promotion d'étudiants qui allaient bientôt rejoindre les bancs du campus de Wabaunsee. La Division toute entière était en fête, louant les Lois du Premier Commandant, mais aussi toute sa justesse et son équilibre. Les nouvelles années étaient le symbole de la réussite de ces principes. Il n'y avait plus aucune raison d'avoir peur. Plus rien ne serait comme avant la Grande Panique. Et ce, grâce à tous les Commandants qui s'étaient enchaînés au fil des années, veillant à respecter l'Algorithme.

Lorsque les deux hommes entamèrent un débat – débat qui n'en était pas vraiment un puisqu'ils étaient tous deux du même avis – sur la folie du monde d'Hier, avec sa population excessive, son égoïsme exacerbé et sa mondialisation inconsciente, et sur la période sombre qu'elle avait amené, Dean se dit qu'il était temps pour lui d'aller dormir. Et de ne surtout pas penser à ce qu'il allait bien pouvoir dire à Jody dans son rapport. Il allait devoir lui expliquer pourquoi, encore une fois, un terroriste leur avait échappé. Même s'il appréciait sincèrement son partenaire, Dean ne supportait pas sa foi aveugle en la technologie. Victor faisait trop confiance aux Bots et aux drones. Par moment, l'agent se demandait même s'il était capable de prendre des décisions sans consulter l'avis de ces machines. Puis, il finissait par se dire qu'il était sûrement lui-même l'erreur dans l'équation, puisqu'il était une des rares personnes à ne pas apprécier ces pantins de métal.

Dean se dirigea rapidement vers sa salle de bain. Et, seulement quelques minutes après, une pluie tiède ruissela sur le corps éreinté du Winchester. Il passa ses deux mains sur son visage, massant sa peau de ses phalanges calleuses. La pression n'était pas extraordinaire, mais il s'en contentait. Dean ferma ensuite le robinet et sortit de la douche, attachant une serviette beige autour de sa taille. Il effleura le miroir qui se tenait devant lui, gommant la condensation et la buée d'un mouvement apathique. Cela faisait trop longtemps que le miroir lui renvoyait une image harassée de lui-même. Des cernes s'étaient installés sous ses yeux de jade, qui ne brillaient plus depuis de nombreuses années.

Une fois dans sa chambre, Dean s'écroula sur son lit, fixant le plafond. Le vrombissement sourd des travaux perturbait le silence qui planait difficilement dans la pièce. Dean n'arrivait plus à se rappeler d'une nuit où il s'était endormi dans le calme. Il se tourna sur le côté et soupira quand il constata qu'il ne lui restait plus que quatre heures de sommeil. Il s'était pourtant promis de se reposer avant la cérémonie de clôture de l'Initiation. Dean serait seul pour accueillir Sam, il devait être à la hauteur.

Il se laissa néanmoins emporter dans les souvenirs de ses propres années d'Initiation. Ces trois ans loin de Sam et de John avaient été difficiles. Il s'était naturellement affilié à la section de l'Agence, afin d'intégrer la cellule anti-terrorisme après ses études. Il y avait rencontré Cassie, qu'il avait sincèrement aimée. Dean ne savait pas si c'étaient les stigmates de son passé qui avait poussé la jeune femme à le fuir, après un an de relation et de secrets chuchotés dans l'obscurité. Au final, elle n'avait pas réussi à le comprendre. Dean n'était même pas sûr qu'elle ait un jour essayé. Il n'avait fallu qu'une seule dispute pour qu'il se sépare. Juste ça. Lisa aussi avait fini par s'enfuir, apeurée par son obsession de retrouver celui qui avait tué leur mère, clamant que ce n'était pas sain, que ce n'était pas dans de telles conditions qu'elle s'imaginait devenir mère. Ils s'étaient peut-être mis ensemble trop rapidement, se connaissant à peine. Dean l'avait peut-être idéalisé, imaginant toute une famille qui aurait pu être simple avec elle – il s'était visualisé tant de fois avec un gamin sous le bras, elle à ses côtés, rénovant la maison de Lawrence pour y accueillir toute sa nouvelle famille. Peut-être. Dans tous les cas, il était désormais seul.

Dean n'avait pas eu besoin de chercher loin pour comprendre qu'il était le facteur commun de ces deux échecs amoureux. Il avait alors abandonné toute idée de fonder une famille. Dean n'était pas fait pour ça. Lui, il était voué à suivre les traces de son père et à traquer ceux qui semaient la terreur au sein de la population. Il avait alors profité du temps qu'il lui restait au sein du Campus de Wabaunsee, grisé par les courbes féminines et les murmures de celles qui avait partagé son lit, l'espace de quelques instants. De toute évidence, il n'était pas de ceux qui construisent une belle famille, bien structurée comme il le fallait. Alors, le jour de la cérémonie, il avait annoncé à John qu'il n'avait pas de partenaire. Et qu'il n'en voulait pas.

La nouvelle avait été difficile à avouer. Car, les gens comme lui, les solitaires, les ratés, étaient bien trop souvent qualifié de misanthrope, d'anormal et même d'égoïste. Les gens comme lui n'étaient pas compris par la majorité de la population qui suivait rigoureusement les prescriptions de la Haute Autorité. Ils n'étaient pas individualistes, eux. Ils n'étaient pas centrés sur leur petite personne. Ils n'allaient pas prendre le risque de retomber dans la sombre époque précédent la Grande Panique, où personne ne se souciait de la démographie et du nombre d'hommes qui enflait excessivement, atteignant un point de non-retour. Eux, ils suivaient les consignes que la Haute Autorité avait établies il ya de cela soixante-seize ans. Ils suivaient les décisions de l'Algorithme, dicté par le Commandant. La courbe de la population était régulée, contrôlée, adaptée. Et tout se passait pour le mieux. Alors, eux ils obéissaient. Sagement. Docilement. Et Dean, quant à lui, n'était pas fichu de trouver une partenaire et de vivre dans les normes.

C'était ainsi.

Cette révélation, camouflant une part de mensonge qu'il refoulait intimement, l'avait rapproché de son père. Ce dernier s'était alors engagé à faire de lui le meilleur agent de la ville. Seulement, Dean n'était jamais devenu le héros que son père aurait aimé qu'il soit. Et il ne le serait sans doute jamais. Il était juste un gars qui vivait une vie ordonnée et structurée au possible, avec ses hauts et ses bas – surtout ses bas –, s'accordant de temps en temps quelques plaisirs, l'Impala, la musique et les bières, en tête de liste. Il était juste un agent qui vomissait les actions des Déviants et dégustait tous ces moments où il en foutait derrière les barreaux. Il était juste un grand frère surprotecteur et impatient de retrouver Sammy après une trop longue absence. Il était juste Dean Winchester.

Sa vie était pourtant simple, équilibrée, avec la traque des Déviants pour leitmotiv quotidien. Mais chaque soir, quand Dean s'apprêtait à rejoindre les bras de Morphée, une sensation inexpliquée, lourde et pénible, lui tordait les entrailles. Quelque chose n'allait pas.

Comme à son habitude, Dean ne s'y attardait pas et se laissait porter par d'autres songes. Des images mentales interdites, égoïstes. Les hommes et les femmes de la Division n'étaient pas censés avoir de telles rêveries, puisqu'ils avaient dans leur vie un partenaire idéal, qu'ils avaient choisi lors de leur Initiation. Après des mouvements précis et maîtrisés, rythmés et routiniers, il se libérait de toute la pression qui l'habitait, prêt à se laisser porter dans un sommeil profond.

.

Topeka, Kansas

Dean ne vivait qu'à une demi-heure de Topeka et pourtant il ne s'y rendait que rarement. La capitale de la Division du Kansas était un lieu qu'il n'aimait vraiment pas. Il n'arrivait pas à déterminer si c'en était les habitants – arrogants et tous emplis d'une suffisance indécente – ou bien tout simplement son panorama, paysage de tours de verre et d'acier visant toujours un peu plus le ciel, qu'il rejetait. Une chose était néanmoins sûre : moins de temps il passait dans la capitale, le mieux il se portait. Il lui était déjà arrivé d'y accompagner des Déviants afin qu'ils répondent de leur de leur acte à l'Agence, mais ses visites étaient souvent rapidement expédiées. Seulement, c'était à Topeka que se déroulait la grande cérémonie de clôture de l'Initiation et Dean n'avait pas d'autre choix que de s'y rendre. L'idée de revoir Sam après tant de temps d'absence jouait beaucoup sur sa motivation. Trois ans. L'attente avait été amère. Le gouvernement les avait tenu loin l'un de l'autre pendant six années, en tout et pour tout. Un élément de plus à rajouter à la liste des « conneries que le gouvernement a instauré » que Dean avait inventorié secrètement dans un coin de sa tête.

C'était donc au volant de sa voiture fade et grise qu'il se rendit à Topeka, glissant sur les routes du Kansas, des champs à perte de vue pour panorama. Garé devant l'Agence – le gouvernement ne voyaient pas d'un bon œil les agents qui se décidaient à laisser leur voiture où bon leur semblait – , Dean sortit de son véhicule et le brancha sur une des bornes mises à disposition par le gouvernement. Il observa le bâtiment, dressé fièrement devant lui, et ne put contenir un frisson. « Agence anti-terrorisme de la Division du Kansas » était affiché dans de grandes lettres carbones, surplombant ses portes cristallines, dévoilant l'intérieur harmonieux qu'elles protégeaient. Dean n'y était jamais entré, se contentant de laisser les criminels aux mains des agents de Topeka. La rumeur disait que certains membres du gouvernement venaient personnellement s'occuper de ceux qui donnaient le plus de fil à retordre. Aucun des Déviants envoyés à Topeka n'était revenu. Dean ne préférait pas imaginer quel sort leur était réservé. La Haute Autorité ne cachait pas sa haine envers eux. Elles les considéraient comme pire que la peste, délétères et redoutables. Parfois, Dean pensait qu'il était sans doute préférable de mourir plutôt que de passer une vie derrière ces barreaux.

Après s'être assuré que sa voiture était bien verrouillée, Dean se rendit sur le Boulevard Topeka. La cérémonie se déroulait au sein du nouveau Capitole, érigé dans l'ancienne Université de Topeka. Lors des attentats de 2074, le bâtiment avait été exterminé, pulvérisé, ne laissant que l'empreinte de ses cendres derrière lui. Le gouvernement avait alors établi ses nouveaux quartiers au sein de l'Université de la ville, transférant les étudiants sur le nouveau campus qui se construisait autour du Lac de Wabaunsee. La faculté était la plus grande de la Division – et désormais l'unique – et tous les étudiants s'y rendaient pour leurs trois ans d'Initiation.

Les rues de Topeka étaient différentes de celles de Lawrence. Ici, il y avait beaucoup plus de Bots. Les civils s'en servaient pour leur vie de tous les jours, les accueillant dans leur quotidien sans ciller. Alors, c'était chose commune que de voir les hommes et les femmes de cette ville marcher en compagnie de l'un d'entre eux.

Soudain, un homme – de toute évidence saoul– pointa Dean du doigt, un grand sourire aux lèvres. Il se précipita vers lui et le serra dans ses bras ballottant. Bordel, il détestait quand on le reconnaissait grâce à ses vêtements de travail. L'homme lui tapota le dos, le remerciant d'être un agent, de les sauver face à la menace terroriste. Dean se détacha de son emprise avant de lui faire un sourire forcé, puis examina les alentours. D'autres civils faisaient encore la fête, brandissant le journal du jour qui se félicitait du bon cru de cette nouvelle promotion sortant de l'Initiation.

Vivement qu'il se tire de cette ville.

Le soleil était à son zénith et aucun nuage, ni aucun souffle de vent, n'osait perturber la mordante fraîcheur de ce début de mois de Janvier. Plusieurs navettes étaient déjà passées devant Dean quand il se décida à finalement entrer dans l'une d'entre elle. Dame d'aluminium et d'acier, elle glissa à vive allure sur le macadam mouillé par les quelques flocons qui étaient tombés durant la nuit, dans une caresse silencieuse.

Une fois arrivé au Capitole, Dean se rendit directement à la salle des Cérémonies, indifférent à l'architecture prestigieuse de l'édifice, alliant des structures épurées, faites de grès et de platine, aux parterres verdoyants, légèrement recouverts de neige fondue. La Haute Autorité avait tout chamboulé, comme à son habitude. Cassie lui avait parlé de ces photographies datant d'avant la rénovation, qu'elle avait consultées lors de ses recherches durant son Initiation – Cassie avait pour ambition de rejoindre les rangs du gouvernement. Il y avait, à l'époque, de nombreuses maisons autour de l'édifice, beaucoup moins prestigieux qu'il ne l'était aujourd'hui. La Haute Autorité les avait toutes rasées, préférant border le bâtiment de séquoia dont les feuilles étaient mortes avec le froid de l'Hiver, et de nouveaux immeubles où les membres du gouvernement résidaient. L'Université avait, d'après les propos de la jeune femme, également bien évolué. Il semblait que le gouvernement précédant la Grande Panique avait des ambitions moins grandes en matière d'architecture. Dean n'avait pas vu les photos et s'imaginait difficilement ce à quoi pouvait bien ressembler les lieux à cette époque. Cela n'en valait pas vraiment la peine. Les choses avaient évolué. Les choses avaient changé.

De grandes banderoles albâtres culminaient les portes d'étain et de cuivre de la salle des Cérémonies. « Ad astra per aspera » y était soigneusement brodé. S'il y avait bien une chose qui ne s'était pas perdue suite à la Grande Panique, c'était bien la fierté du Kansas pour sa Division – son État, comme ils l'appelaient autrefois. « Jusqu'aux étoiles par des sentiers ardus » était la devise du territoire et ce depuis sa genèse.

Dean entra dans la grande salle. Plusieurs centaines de sièges enserraient une estrade carmin. De nombreuses familles étaient déjà présentes, discutant entre elles dans un brouhaha sibyllin. Dean chercha du regard les futurs Initiés, espérant apercevoir la somptueuse chevelure de son petit frère.

Un Bot passa à ses côtés, lui proposant une montagne de petits pains aux épices colorées – Dean n'arrivait pas à déterminer à quoi pouvait correspondre les pains pigmentés de violet, de rose clair ou encore d'ocre, puisqu'à Lawrence ils se contentaient du pain complet qu'on leur fournissait. Intrigué, il en saisit une poignée avant de s'en fourrer un dans sa bouche impatiente. Une pointe sucrée titilla son palais, avant d'exploser dans une tempête de saveur – Dean discerna le goût de la cannelle et des pommes qui caramélisaient au four – qui lui rappelait les rares desserts que sa mère cuisinait quand il était enfant. Dean écarquilla les yeux, surpris par une telle bouchée de plaisir et s'empressa pour découvrir ce que lui réservaient les autres pains.

Et, alors que sa bouche était occupée à mâcher un pain aux saveurs exotiques, une main se posa sur son épaule. Dean se retourna et fit face à une femme, vêtue d'une robe noire qui embrassait ses courbes féminines. Il releva le regard et croisa deux yeux verts. Des putains d'yeux qu'il aurait apprécié de ne pas croiser de sitôt, tant il méprisait celle qui les possédait. Bela Talbot.

« Bela ! s'exclama Dean d'un ton faussement enjoué, tout en continuant à mâcher exagérément son pain. Qu'eche tu fais là ?

L'agent mastiqua bruyamment, témoignant sa fausse envie de parler avec Bela. Il n'avait jamais aimé la jeune femme. Il avait fait son Initiation à ses côtés, dans la même filière. Elle voulait également travailler pour l'Agence mais Dean n'appréciait pas ses méthodes – trop personnelles et intéressées.

– Dean, répondit alors la jeune femme, un sourire tout autant hypocrite affiché sur son visage. Je dois parler à Naomi après la cérémonie, une affaire assez importante. Ce n'est pas du ressort de la cellule de Lawrence, malheureusement. Mais on devrait se voir, toi et moi, une fois tout ça fini. Tu es là pour Sammy ?

– Sam. Je suis là pour Sam. Et on rentre directement après la grande fête, rétorqua Dean en désignant vaguement l'estrade.

Bela étira ses lèvres en un sourire mielleux. Hypocrite.

– Une autre fois, alors, souffla Bela dans le creux de son oreille, après s'être rapprochée sensiblement de Dean. Profite bien de la Cérémonie et passe le bonjour à Sammy.

Les mains de Dean se crispèrent, tandis que ses lèvres se dessinèrent en une moue dysphorique. Un Bot lui proposa alors une coupe emplit de Mousseux – cela faisait bien longtemps que le Champagne était devenu hors de prix et réservé aux plus hauts placés– que Dean saisit instinctivement, scrutant à nouveau la salle pour y apercevoir son frère.

Une fois toutes les familles arrivées, ils prirent tous place sur les sièges qui leur étaient destinés. Une femme âgée d'une cinquantaine d'années à la chevelure rigoureusement maîtrisée en un chignon parfait monta sur la scène, accueillie par de nombreux applaudissement appréciateurs. Naomi, pupille de la Haute Autorité, avait pris la tête de la Division du Kansas depuis une dizaine d'années. Dean avait du mal à comprendre les gens comme elle, les Pupilles. Généralement adoptés alors qu'ils n'étaient que des bambins orphelins, ils étaient recueillis par la Haute Autorité. Elle leur fournissait une éducation, une maison, une famille et même une fonction souvent enviée par les civils. Les pupilles étaient facilement reconnaissables. Outre le fait qu'il ne possédait pas de nom de famille, ils étaient généralement naïfs, ignorant de nombreuses choses qui pouvaient sembler logiques pour des hommes et des femmes ayant grandis dans la réalité. Ils étaient un peu étranges. Dean était toujours mal à l'aise en leur compagnie.

Naomi attendit patiemment que les applaudissements cessent, un léger sourire aux lèvres. Puis, elle commença son discours. C'était le même, d'années en années, et Dean l'avait déjà entendu lors de sa propre cérémonie.

– Chers parents, chers frères et sœurs, chères familles, je vous remercie de votre présence pour cette soixante-quinzième cérémonie. Cela fait trois années que votre fils, votre fille, ou encore votre frère ou votre sœur, se forme au sein du merveilleux campus de Wabaunsee. La Division est fière de leur apporter une éducation de qualité qui leur ouvre les portes vers leur avenir, vers le métier dans lequel ils s'épanouiront mais surtout vers la personne qui les accompagnera tout au long de leur vie. Notre nation a essuyé de grandes crises, faisant face à la colère rouge des conflits, la noirceur de la famine, au teint blafard et verdâtre de la maladie mais surtout à la blême mort qui a touché un bon nombre de nos ancêtres. Nous avons mis du temps à nous relever, à établir un nouvel ordre qui assure à l'Homme sa pérennité. La Haute Autorité a réussi à en sortir du bon, de l'espoir et l'envie d'un renouveau. C'est pourquoi nous assurons à la jeunesse, à notre avenir, une éducation de qualité. C'est pourquoi le Commandant tient à ce que chacun ait une existence digne de son nom. C'est pourquoi l'Algorithme a été mis en place, maintenant un équilibre parfait, une balance juste et mesurée. Nos étudiants sont désormais à l'apogée de leur Initiation, prêt à dévorer la vie qui les attend, prêt à faire fonctionner leur Division, à lui apporter tout ce qu'ils peuvent lui offrir. Nous sommes heureux de les avoir eus dans nos rangs. Nous sommes heureux de les avoir vus mûrir, découvrant toutes les beautés de la vie. Et nous sommes heureux de vous les rendre grandis. Ils vont faire de belles choses et toucheront les étoiles, qu'importent les sentiers qu'ils emprunteront. Maintenant, si vous voulez vous lever pour les applaudir comme il se doit.

A l'unisson, toute l'assemblée se leva. Dressé sur la pointe des pieds, Dean fouillait la pièce du regard. Les étudiants montèrent un à un sur l'estrade, toujours dans leur tenue d'étudiant – grise et blanche – sous un tonnerre d'acclamations et de sifflements. Dean ne se faisait pas prier, il applaudissait également, fier de son frère qui venait à bout de ces trois années d'études. Quand soudain, il le vit. Il l'aurait reconnu entre mille. Dean ne put s'empêcher de rire en découvrant le nombre de tête que son petit frère avait pris lors de son absence. Ses cheveux étaient toujours aussi soyeux, magnifiant les formes de son visage. Dean se promit alors de ne jamais dire à son petit frère la pensée qu'il venait tout juste d'avoir – jamais il ne lui avouerait qu'il enviait parfois sa chevelure, jamais – et tenta d'accrocher son regard. Mais Sam ne le vit pas, trop occupé à lui-même sonder la salle, les sourcils froncés. Dean tenta de le saluer de la main, un sourire idiot plaqué sur le visage, mais ce fut sans succès.

– Félicitations, déclama ensuite Naomi, recouvrant la cacophonie qui régnait dans la salle. Vous pourrez retrouver dans quelques instants votre famille, ne vous en faites pas. Avant, laissez-moi vous rappeler que vous avez quelques mois pour faire part de votre choix pour votre partenaire de vie et de votre métier – la date butoir étant la fin de cette année, comme à son habitude. Vous pouvez le faire dans chaque Annexe de la Haute Autorité et ce dans n'importe quelle ville, ou bien le faire directement au Capitole. Vous savez tout comme moi que c'est une décision importante, tant pour votre vie que pour la Division. Toutes les données doivent être entrées au sein de l'Algorithme pour qu'il puisse définir les ordres de la nouvelle année qui suivra celle-ci. Le Commandant doit être tenu au courant au plus vite, afin de palier toutes les éventuelles erreurs. Je vous remercie à toutes et à tous pour votre attention et je vous souhaite de joyeuses retrouvailles avec les votre. A l'année prochaine !

Quelques applaudissements retentirent, vite remplacés par des exclamations de joies et des larmes de bonheur. Dean se précipita vers l'estrade, prêt à rejoindre son petit frère et l'entendre parler de toute sa nouvelle vie, ses découvertes, ses expériences.

– Sammy ! s'exclama Dean, une fois arrivé à sa hauteur.

Et, sans attendre, il le saisit dans ses bras, le serrant aussi fort qu'il le pouvait. Depuis le temps qu'il attendait ce moment. Il n'était pas du genre à embrasser ses amis, ni même sa famille en temps normal, mais l'attente avait été trop interminable. Sam, d'abord immobile face au choc, lui répondit rapidement, glissant fermement ses bras contre le dos de son frère. Dean lui tapota l'épaule avant de s'éloigner de lui et de se racler la gorge, reprenant toute la virilité qu'il avait perdu lors de ces quelques secondes qui lui avaient échappé.

– Ça fait plaisir de te revoir, déclara ensuite Dean, tout sourire. T'as encore grandi, c'est pas croyable. Tu ne pouvais pas t'empêcher de me dépasser, c'est ça ?

– Tout tourne toujours autour du grand Dean Winchester, oui, se moqua Sam.

Bitch.

Jerk, répondit Sam en riant. T'as pas changé toi, par contre. Mais ça me fait plaisir de te voir. Si tu savais tout ce que j'ai à te raconter. Faut que je te parle de Jess, de ma filière, de tout ça. Et toi, tu dois en avoir des choses à me dire aussi. J'ai hâte de rentrer à Lawrence !

– Bientôt ! D'abord j'aimerai bien aller piquer à nouveau quelques pains à un Bot. Faut que tu les goûtes Sammy, je te l'assure. Surtout les violets, ils t'emmèneront… Attends, Jess qui ?

– Jessica Moore, souffla Sam qui ne pouvait s'empêcher de sourire.

– Ah j'en étais sûr qu'un bel homme comme mon petit frère n'allait pas revenir seul, affirma Dean en posant sa main sur l'épaule de Sam, fier de lui.

– Elle est juste… géniale. Belle, intelligente. Elle m'a soutenu tout le long de mes études, m'encourageant à faire ce que j'avais envie de faire, m'incitant à intégrer le droit pour intégrer le gouvernement et vraiment changer les choses comme j'en ai envie et…

– Pardon ? Le droit quoi ?

– Oui ! J'ai intégré la filière au bout de quelques semaines, à vrai dire. Je suivais en parallèle les cours enseignés par l'Agence mais je me plaisais beaucoup plus dans le droit. J'ai envie de changer les choses, Dean. Il y a tellement de choses qui ne vont pas avec le gouvernement. Mais c'est normal, qui peut leur en vouloir ? La Grande panique a laissé les rênes du gouvernement dans les mains d'une bande d'adolescents qui ne se connaissaient même pas eux-mêmes et à des retraités qui avaient peur de revivre le même enfer.

Dean ne répondit pas et détourna le regard. Du coin de l'œil, il pouvait voir Sam froncer les sourcils, la mine renfrognée.

– Il y a un problème Dean ?

– Et toi et moi, contre les Déviants ? lâcha alors Dean, vexé. Contre ceux qui ont tué maman et papa ? Ça ne tient plus ?

– Il faut voir au-delà de tout ça, Dean, rétorqua Sam, légèrement exaspéré.

Ignorant les propos de son frère, Dean remarqua à quel point l'estrade était passionnante, ornée de tissu rouge et de filaments dorés.

– Hey, regarde-moi, soupira le cadet.

Dean se mordit la lèvre et posa à nouveau son regard dans celui de son frère, ne le privant pas de sa sévérité.

– Le combat de papa était noble, je le respecte. Mais je veux faire autre chose. Je veux changer les choses. Je veux changer tout ça, expliqua-t-il en désignant toutes les familles qui retrouvaient les leurs. Ce n'est pas normal que l'on soit séparé ainsi. Ce n'est pas normal que tu sois un paria tout simplement car tu n'as pas trouvé l'amour en seulement trois ans. Ce n'est pas normal que nous devions choisir dès à présent avec qui on veut faire notre vie, et forcément avec le sexe opposé. Et ce n'est pas normal que l'on puisse avoir des enfants que lorsque le gouvernement le décide. Trop de choses ne sont pas normales. Tu ne comprends pas ? C'est pour toi aussi que je fais ça.

– Ouais, pour moi, jeta Dean, la mâchoire crispée. Bref, fin de l'histoire. Tu me la présentes, cette fille bien trop bien pour toi ?

Sam soupira.

– Je ne sais pas où elle est.

– Comment ça, tu ne sais pas où elle est ?

– Nous ne sommes pas venus ensemble jusqu'à Topeka et depuis que je suis arrivé je la cherche. Mais je ne l'ai pas vu. J'en ai parlé à d'autres, ils ne l'ont pas croisée non plus. J'ai tenté de la joindre avec mon communicateur, ils me l'ont rendu dès que je suis arrivé à Topeka, mais je ne reçois aucun signal. Peut-être qu'elle ne l'a toujours pas récupéré, je ne sais pas.

– On va bien finir par la trouver, répliqua Dean, avant de piquer un pain sur le plateau qu'un Bot venait de leur présenter.

Seulement, ils ne la trouvèrent pas.

Sam continua, encore et encore, à tenter de la joindre. Sans succès. Dean attendait patiemment, adossé contre un mur. Ils ne se soucièrent pas des multiples discours tenus par les élèves, ni des longues explications de leurs professeurs. Une fois la cérémonie finie, Dean vit un jeune homme approcher Sam et lui poser une main sur l'épaule tandis qu'il lui parlait à voix basse. Son jeune frère recula, les sourcils froncés.

– Quoi ? s'exclama-t-il, le ton sec.

Dean, un sourcil relevé, se redressa et s'approcha de Sammy, légèrement inquiet.

– Je ne fais que te transmettre l'information, vieux. Ses parents l'ont ramenée chez elle, ils n'ont pas voulu qu'elle assiste à la cérémonie. Elle est tout de même initiée.

– Mais pourquoi ? demanda Sam, choqué.

– Apparemment, elle n'en aurait pas besoin. Ils ont déjà quelqu'un pour elle, quelqu'un du gouvernement. Elle va annoncer ça à l'Algorithme dès demain. Je n'ai entendu qu'à demi-mots, désolé... Je dois y aller, mes parents m'attendent. Désolé Sam, vraiment ! Je voulais juste te prévenir, ça ne sert à rien que tu l'attendes. Appelle-moi un de ces quatre, d'accord ? »

Le jeune homme fit un geste de la main à Dean, avant de lancer un regard triste à Sam et quitter la pièce. Sam, muet, s'assit sur une des chaises à ses côtés. Dean avança vers lui, mais se ravisa. Que pouvait-il dire ? Les espoirs de son frère venaient de se briser devant lui et il était incapable de les recoller. Il était juste inutile. Et ce fut une fois la salle complètement vide de monde, où quelques Bots s'activaient pour nettoyer la pièce au plus vite, qu'ils se décidèrent à rentrer, sans un mot, sans un regard.

Ils rejoignirent la voiture en silence et Sam se glissa sur son siège, dans un mouvement las et mélancolique. Il passa le trajet à observer le paysage, contemplant le travail acharné des Bots qui s'employaient à travailler la terre qui allait leur fournir des céréales pour toute la Division du Kansas. Dean lui jeta des coups d'œil furtifs, ouvrant plusieurs fois la bouche pour tenter de le consoler, de le faire penser à autre chose. Oui, il était énervé contre son frère, contre son choix stupide qui ne respectait aucunement les volontés de leur père. Mais Dean n'avait pas le droit de penser à ça pour le moment. Il se devait d'être là pour son frère. Seulement, rien ne lui venait. Pas une sale blague, pas une seule anecdote. Pas même une moquerie.

De toutes les retrouvailles que Dean s'était imaginé au cours de ces trois dernières années, des larmes de joies aux regards indifférents, la version que lui offrait la réalité était bien cruelle. Alors, Dean fredonna des paroles d'une de ces musiques interdites qu'il affectionnait tant, afin de distraire un minimum son petit frère, tandis que l'automobile fusait en direction de Lawrence.

Waiting, hours of waiting, I could feel the tension. I was longing for home.


À suivre


Musique : Long, long way from home – Foreigner

Note de l'auteur : Et voilà pour ce tout premier chapitre. Comme je le disais plus haut, cela fait maintenant cinq mois que je couve cette histoire et c'est la première fois que je la rends publique. J'avoue faire cette publication avec une pointe d'anxiété mêlée à une note l'excitation. J'espère que avez apprécié mon histoire et que ce premier chapitre vous donne envie d'en découvrir plus. N'hésitez pas à me donner votre avis, je serais ravie de découvrir ce que vous avez pensé de tout ça ! Je réponds à toutes les reviews, mais cela peut néanmoins prendre du temps. Ma connexion internet est très bancale, il arrive que je sois longuement privée d'internet.

Merci pour votre lecture !