Il a dû se passer un truc, cette nuit du 6 au 7 janvier, qui a imposé le mot « Papier » à on esprit.

Alors pour cette Octante-et-unième Nuit du FoF, voici un recueil de textes à propos de différents papiers. En plus le papier c'est cool, ça sert à écrire.

Papier Photo

Ventus enfila une veste un peu classe par-dessus une vieille chemise bleue, et regarda vaguement son jean visiblement élimé. Il devait bien avouer n'avoir aucune idée de ce qu'on devait porter à un vernissage, mais n'ayant de toute façon pas grand-chose d'autre à enfiler, se dit que ça irait bien. Il n'avait pas exactement le choix.

Il mit un chapeau sur sa tête, et des lunettes de soleil. À dix-neuf heures le soleil frappait encore les rues, et si son chapeau le protègerait bien de la lumière directe, sa réflexion sur les multiples bâtiments blancs de la ville ne l'épargnerait pas.

Il entra dans la galerie, peu sûre, et fut heureux d'être un peu en retard, pour avoir manqué le mouvement de foule. Il retira ses lunettes de soleil et regarda les gens dans les salles, face au mur. C'était un peu intimidant, pour lui, de voir tous ces gens qui le fixaient, lui, figé en papier photo sur les murs blancs.

Il n'y avait pas que lui, bien sûr, mais il était le modèle principal de Naminé. Non seulement étant cousins ils se connaissaient de naissance, mais en plus ils étaient depuis deux ans en colocation ensemble. Forcément, il était plus susceptible que la plupart d'être son modèle.

« Waouh. »

Émoustillé par le bruit, Ventus se retrouva pour se retrouver face à un homme qui devait faire à peu près sa taille, les cheveux incroyablement noirs et les yeux comme de l'acide. L'inconnu fixait avec attention une photo de lui, prise dans leur appartement, sur son lit, avec une lumière plutôt forte et un contraste important. La photographie était en noir et blanc, comme la plupart de celles exposées aujourd'hui. Se posant dans un faux naturel à côté du brun, Ventus l'écouta discrètement.

« C'est fou, alors. »

Ventus se sentit sourire. Il était fier de cette exposition. Ça n'étaient pas ses œuvres, et à vrai dire il touchait peu à l'art, mais c'était tout de même une partie de lui.

« Qu'est-ce qui cloche ? On m'avait dit que la photographe était prometteuse, mais c'est juste une greluche de plus qui s'est acheté un appareil photo coûteux et croit que la technique suffit. La lumière est bonne, le cadrage est superbe, le modèle est beau et le contraste est bien exploité. Mais y a rien. Y a pas de sentiment, pas d'âme. Y a pas à dire, ces photos sont toutes ratées. L'artiste doit être vraiment mauvaise – enfin, si je peux l'appeler comme ça. C'est mauvais. Larx', on s'en va. »

Le visage de Ventus avait perdu toute couleur. Et c'était beaucoup dire de lui, qui avait toujours l'air lumineux. Il avait vu la passion dans les yeux de sa cousine, son acharnement, son travail, son amour de l'art. Il ne pouvait pas juste la laisser se faire insulter comme ça. Il se retourna vers l'homme, qui s'apprêtait à partir, et l'interpela.

« Hey ! »

L'inconnu darda ses yeux jaunes sur lui, et Ventus se sentit faible. Mais toujours aussi enragé.

« Je ne te permets pas de juger ce travail sans même connaître Naminé ! »

L'homme eut une sorte de rire sans joie, moqueur et écœurant.

« Mais c'est le but de l'art, je te signale. Une œuvre à elle seule peut définir un artiste. Si tu fais de la merde. Mais tu as raison, je me suis trompé. Désolé. »

Ventus fronça les sourcils, étonné que son vis-à-vis change si facilement d'avis.

« Ça n'est pas la photographe qui est mauvaise. Si cette photo est ratée, c'est à cause de toi. C'est toi, le truc qui cloche. Tu n'exprimes rien, je pensais que c'était la photo, mais non, tu es plat, sans saveur, aussi lisse que ce papier photo gâché. Quoi qu'il en soit, cette exposition est mauvaise. Dis à cette Naminé d'arrêter de te prendre en photo. J'ai rarement vu une personne si lisse, en dehors du papier glacé des magazines de mode pour midinettes. »

Et l'homme s'en fut, laissant Ventus seul parmi la foule. Le blondin jura, et alla chercher sa cousine. Il ne lui parla pas de cette critique blessante. Après tout, le reste des personnes présentes semblait apprécier le travail.

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En entendant le clic familier, Ventus se retourna vers Naminé, qui le regardait à travers l'appareil photographique. Il ferma les yeux, pour balayer ses pensées. Pour balayer l'idée de ce monde lisse qu'il aplatissait encore avec son manque de personnalité.

Pour oublier des yeux jaunes trop francs, trop méchants, des yeux qui avec leur lumière vive avaient creusé deux tombes sous ses yeux à lui, dans lesquelles il s'enterrait chaque nuit, recouvert de son coton-linceul. Sa cousine posa une main sur son épaule, sentant que quelque chose n'allait pas, mais il la repoussa doucement, prétextant un blues de la rentrée.

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Un mètre cinquante par soixante-dix centimètres. Un visage en gros plan, simplement, des cheveux plus noirs que noirs, une peau pâle comme morte et des yeux jaunes, sur papier glacé.

De la colère, de la fierté.

Une ambigüité infinie, entre la force illimitée et la faiblesse extrême.

Le brillant humide des yeux, la droiture du regard.

Et puis ce quelque chose, en plus, indéfinissable, qui fait les bonnes photo.

Ce quelque chose qui faisait sans aucun doute de ce cliché le plus beau que Ventus aie vu de toute sa vie. Et ça le foutait en rogne, un peu, de l'admettre sans concession. Mais il ne pouvait pas nier combien cette photographie était sublime. Il ne pouvait pas nier que c'était cet inconnu qui l'avait insulté sans vergogne.

Il aurait préféré que cet inconnu reste pour toujours un connard sans nom, un type juste imbu de lui-même pensant tout savoir sur tout. Mais il était excellent, et Ventus jeta un œil au bout de papier collé au mur. Vanitas 5, Larxène Szczurowski. Vanitas … est-ce que c'était son nom, ou bien juste le titre de l'œuvre ? Ventus secoua la tête, tentant encore de se débarrasser des pensées gênantes. Cette exposition collective était une mauvaise idée. Il voulut rejoindre sa cousine, mais un pas si inconnu lui rentra littéralement dedans.

« Je me disais bien que tu serais là. Toujours aussi lisse. Normalement, avec l'expérience on progresse mais t'as pas avancé d'un chouï. Tu serais supposé prendre forme, te trouver un volume expressif, mais si jamais on avait du noter un changement, on dirait que tu creuses. Tu cherches à t'enterrer dans des photos lisses ? Tu devrais vraiment arrêter de pourrir le travail de cette photographe. Quoique, non, sur ce cliché, là, c'est pas mal. On dirait presque que c'est pas toi. »

Ventus serra la mâchoire malgré lui. Merde, ce type avait vraiment l'œil. Il ne pouvait plus continuer de renvoyer au loin le caractère par trop lisse de ses photos. Ce foutu Vanitas avait sûrement raison.

« C'est mon frère jumeau.

—Ceci explique cela. »

Et l'homme l'abandonna à nouveau à la foule.

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Ventus fixa les clichés, encore sur l'écran d'un ordinateur. Ils ne menaient à rien. Ils ne voulaient rien dire. Il aurait voulu les supprimer, les effacer à jamais, mais ça ne lui appartenait pas. C'était le travail de Naminé. Il soupira. C'était ce dont il voulait se convaincre, mais en réalité s'il ne voulait pas les supprimer c'était parce qu'il se reconnaissait dedans. Ils étaient une partie de lui.

Alors il était vraiment lisse. Est-ce qu'il flotterait si on le fichait à la surface de l'eau ? Est-ce qu'il volèterait simplement s'il se jetait du haut d'un immeuble ? Comme la photo vieillie, le papier journal, les feuilles des arbres à l'automne. Avec moins de poésie, sûrement. Ou alors il s'éclaterait le crâne bien proprement, mais avec une platitude jamais vue pour un humain. Ouais, certainement ça.

Il aurait bien envie d'essayer, pour savoir.

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Il n'avait pas essayé, mais il y pensait encore. Deux ans. Deux ans qu'il posait, et il commençait à avoir l'habitude des vernissages, des expos, d'être présenté et complimenté. Il avait plus de mal à s'habituer à Vanitas, en revanche. Il n'y arrivait toujours pas.

Pourtant, l'homme était là à chaque fois. Il ne se souvenait que d'une exposition où le brun avait été absent, depuis le début de Naminé. Ventus était bien déterminé à lui demander pourquoi, cette fois. Parce qu'il était certain qu'il viendrait, et ça ne manqua pas. Il se tenait devant une photo de lui, qu'il avait déjà dû voir puisqu'elle datait de l'année dernière.

« Qu'est-ce que tu fais ici ?

—Quoi, c'est une soirée privée ? »

Ventus grogna. Les yeux du bruns le mettaient toujours mal à l'aise.

« Pourquoi tu viens voir ces expositions, alors que tu n'aimes pas ?

—Je n'ai jamais dit ça.

—Pardon ?

—Je n'ai jamais dit que je n'aimais pas ces clichés. Ils sont mauvais, c'est tout. Non, ne réponds pas. Je vais t'expliquer clairement, pour être bien sûr que tu comprenne, puisque tu me semble un peu retardé. Tu es lisse, comme une photo. Depuis le début, ça n'a pas changé, tu es toujours aussi plat. Regardes tes pauses, franchement, ça ne signifie rien. Mais tu as pris en intensité. Rien dans le corps, tout dans les yeux. Comme une photo, i plate et minuscule, la forme est ridicule mais le fond est là. Il faut que je te dise, Ven, j'aime profondément le papier photo. »

Ventus écarquilla les yeux, puisque le regard de Vanitas ne laissait place à aucun doute. Il s'agissait bel et bien d'une déclaration d'amour. C'était comme une larme, une caresse, une goutte de sentiments. Ventus se redressa lentement.

Vous savez ce que les gouttes font, quand elles tombent sur une surface lisse ?

Il se mit à sourire, d'une joie étrange.

C'est facile, les deux mots se ressemblent.

Il avait toujours ressenti une chose ambigüe pour Vanitas, dont il ne savait trop si c'était de la haine ou de l'amour. Maintenant, il savait.

Elles glissent.

« Oh, eh bien continue de venir, alors, Naminé en est heureuse à chaque fois. Franchement, il est dommage que le papier photo nous renvoie toujours la même chose, peu importe ce qu'on lui offre, pas vrai ? »

Et il abandonna Vanitas à la foule.

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Je ne savais pas comment finir cet OS, mais au final je suis vraiment contente.

Hm.

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