PROLOGUE

Le garçon courait à perdre haleine, peinant à trouver ses repères dans les coursives labyrinthiques. Essoufflé, en sueur, ses pieds nus butant contre les hernies aiguisées du sol métallique, il s'obstinait à avancer, tentant éperdument de gagner encore un peu de temps.

Son corps agonisant le trahissait avec une rancune implacable, ralentissant sa fuite et troublant son discernement. Ses jambes tremblantes menaçaient de se dérober sous son poids à chaque pas et il perdait fréquemment l'équilibre, se cognant aux parois brûlantes. Chaque choc lui arrachait un cri de désespoir qui disparaissait aussitôt, noyé dans le grondement continu de l'immense dédale de métal.

La galerie sombre et étroite s'animait sur son passage, comme si sa simple présence suffisait à ramener à la vie la plomberie vétuste et les fourneaux vides. Le chuintement strident qu'émit la tuyauterie en crachant brusquement un épais nuage blanc le prit par surprise et il poussa un cri de détresse en se croyant découvert. L'écran de fumée âcre et opaque se diffusa autour de lui, déclenchant une horrible quinte de toux. Le cœur au bord des lèvres, il tomba à genoux et hoqueta violemment, certain de recracher ses tripes qui se tordaient douloureusement à l'intérieur de son ventre.

Il gémissait bruyamment lorsqu'une nouvelle nausée le secoua et il s'effondra au sol, l'abdomen assailli de spasmes incontrôlables.

La bouche grande ouverte, il haletait comme un poisson hors de l'eau, terrassé par la souffrance insoutenable de ses entrailles fouaillées par le poison qu'il avait ingurgité. Son cœur déréglé ébranlait sa poitrine dans un rythme erratique, cognant si brutalement contre ses côtes qu'il lui semblait prêt à éclater.

Le visage dégoulinant de morve et de larmes, il sanglotait comme un petit enfant, seul et misérable.

Jamais il n'aurait cru que cela ferait si mal.

Le soudain crissement de l'acier glissant le long des rambardes réveilla une alarme dans son cerveau, qui éclaircit instantanément ses pensées confuses et le plongea dans l'effroi.

Il approchait.

Il se redressa péniblement et tourna la tête avec difficulté pour surveiller les alentours. À nouveau, le cliquetis familier résonna dans les couloirs, aigu et lancinant, comme une caricature perverse de corne de brume annonçant l'arrivée imminente du monstre.

Pas maintenant ! C'était trop tôt !

Les traits crispés par la douleur, il se contorsionna au sol et rampa sous un poêle énorme, se dissimulant tant bien que mal derrière un entrelacs de câbles déchiquetés et de conduites mangées par la rouille.

Le souffle court, il lutta pour atténuer les soubresauts de son corps malade et guetta fébrilement la plate-forme qu'il venait tout juste de quitter. Il n'eut pas à attendre bien longtemps. Parmi le ronronnement constant des machines et le chuintement des canalisations, il entendit se rapprocher des bruits de pas lents et pesants, étouffés par d'épaisses semelles de caoutchouc. Il se recroquevilla et réprima un gémissement en voyant les jambes de l'homme apparaître dans son champ de vision.

Le croque-mitaine s'arrêta devant la cachette improvisée et tapa plusieurs fois du pied d'une manière impatiente. Se retenant de respirer, le garçon s'avança de quelques centimètres pour apercevoir son visage.

Il frémit en observant le profil de son assaillant. Plongés dans l'ombre d'un vieux chapeau crasseux, ses traits indistincts révélaient des chairs ravagées, tordues et ravaudées par les flammes. Mis à nu, les muscles luisaient, humides et écarlates, au milieu d'immondes plaies qui ne cicatrisaient jamais. Sur sa joue droite, la peau avait été grignotée jusqu'à creuser un ulcère purulent qui laissait entrevoir l'intérieur de sa bouche. Le garçon vit ses tendons effilochés s'agiter et se tendre comme des cordes de piano tandis que l'homme serrait les dents, faisant jouer sa mâchoire de gauche à droite.

Subitement, il pivota vers la chaudière sous laquelle se trouvait le jeune homme et celui-ci recula maladroitement pour se dissimuler à sa vue. Les mains pressées sur la bouche pour s'empêcher de crier, il rentra la tête et attendit, persuadé d'avoir été repéré. De longues secondes s'écoulèrent sans que rien ne se passât et il finit par relever les yeux, perplexe.

L'homme lui tournait le dos, immobile, sa main gantée battant contre sa cuisse. Les griffes de métal effilées qui prolongeaient ses doigts pianotaient fébrilement l'étoffe grossière de son pantalon, trahissant son irritation. Il fixait un point situé vers la gauche et le garçon le vit se mordre les lèvres avec nervosité.

Le son étouffé d'un choc retentit à leur droite et l'homme tourna brusquement la tête, en alerte. Il s'élança dans la direction du fracas et s'éloigna rapidement. Le garçon le suivit des yeux jusqu'à le voir disparaître derrière un angle de mur et il soupira, soulagé de ce répit inespéré.

Soudain, il sentit quelque chose empoigner fermement sa cheville et le tirer en arrière hors de son trou. Le croque-mitaine l'agrippa par le col et le releva sans ménagement avant de le plaquer contre le fourneau en fonte. Le visage pressé contre la paroi brûlante, le garçon pleura et supplia, terrifié. L'homme se colla à lui et l'écrasa, son visage mutilé à quelques centimètres seulement de celui de sa victime.

« Alors, fils, gronda-t-il d'une voix rauque, on joue à cache-cache ? »

Il s'écarta et, le tirant violemment en arrière, l'envoya valdinguer dans les airs. Le gosse atterrit lourdement contre une cloison et retomba à terre dans un bruit d'os brisé. L'homme le rejoignit lentement, d'un pas calme et confiant. Il le saisit par le devant de son T-shirt et le hissa d'une main, un sourire vicieux aux lèvres. Le garçon résista et voulut le repousser de ses bras décharnés, mais le croque-mitaine ricana, se moquant sans délicatesse de ses misérables tentatives. Il resserra sa poigne puissante sur la trachée comprimée, se délectant d'entendre sa respiration sibilante se faire de plus en plus ténue. Il leva sa main gantée, exhibant ses griffes aiguisées qu'il remua avec une langueur obscène sous les yeux horrifiés de sa proie.

L'homme s'interrompit brutalement et fronça les sourcils. Son sourire s'effaça, remplacé par une expression hésitante. Il se pencha vers le garçon et le renifla avec insistance.

« Qu'est-ce que… », commença-t-il, stupéfait.

Il n'eut pas le temps d'en dire davantage. Pris d'un haut-le-cœur, le gosse convulsa et vomit un épais liquide jaune qui jaillit comme un geyser. L'homme recula en jurant, le pull maculé d'une gerbe de pus nauséabond.

« Sale petit fils de pute ! », rugit-il en relevant la tête vers le garçon.

Celui-ci hoquetait, la bouche barbouillée de sanies jaunâtres. Il inspira profondément et ravala une nouvelle montée de bile avant d'essuyer le bas de son visage d'un revers de manche. Puis il se redressa et fit face à son bourreau, un sourire triomphant aux lèvres. L'instant d'après, il s'écroula au sol comme un pantin désarticulé et ne bougea plus.

Le croque-mitaine le regarda, incrédule, pendant quelques secondes, le temps de passer de l'étonnement à la compréhension. Lorsqu'enfin il réalisa la situation, il poussa un hurlement de rage qui retentit dans toute la chaufferie et se jeta sur le garçon, déchaînant sa colère sur son corps sans vie, bien décidé à le punir sévèrement avec toute la cruauté dont il était capable.