Chapitre 1: Tout s'efface et tout s'échappe.

Mon coeur, lassé de tout, même de l'espérance,
N'ira plus de ses voeux importuner le sort ;
Prêtez-moi seulement, vallon de mon enfance,
Un asile d'un jour pour attendre la mort.


Tout s'efface, et tout s'échappe. Autour d'elle le monde semblait s'effacer, les murs devenu des formes élusives se refermaient sur elle, la laissant suffocante. Elle regardait les escaliers se tenant derrière elle, une main serrant son buste, les pieds ancrés au sol. Un nouveau pas, son pieds se détacha du sol pour revenir s'y plaquer à nouveau, semblant se fondre dans le ballottement de la pièce. Sous la lumière du hall d'entrée, un long tapis précédait Sansa, semblant prendre sa source dans la chambre de ses parents. Il brillait sous les lumières fuyantes de la pièce, prenant tantôt la forme d'un ruisseau sirupeux, tantôt l'aspect des cheveux auburn de sa mère. Dans l'esprit de Sansa, la différence entre les cheveux de sa mère, les siens, ou la traînée de sang qui la précédait semblait inexistante; tout se mêlait, les mèches rousses de sa mère, le sang de son père, ses propres cheveux, la pièce entière se refermait sur elle, l'asphyxiant dans ses effluves d'hémoglobines. L'emprisonnant dans un océan écarlate. "Tu dois t'échapper" se dit-elle alors, ses pieds semblant s'enfoncer toujours plus profondément dans le sol. "Tu dois t'échapper, avant d'être effacée."

La jeune fille s'écroula sur le sol, ne pouvant plus arrêter le tremblement de ses jambes. Elle ne saisissait pas ce qu'il se passait et comprenait encore moins comment cela avait pu arriver. Tout semblait si irréel, la pièce autour d'elle, sa maison dévastée, le corps de ses parents, elle. Elle ne parvenait plus à accepter sa propre existence. À quoi bon s'échapper? Il lui suffisait juste de se laisser bercer par le mouvement du monde autour d'elle. De se laisser engloutir par cette pièce, par tout ce sang, en espérant ne jamais se réveiller, en espérant suffoquer pour de bon. Elle n'avait nulle part où aller, plus personne sur qui compter. Quelle valeur avait donc sa vie à présent? Un mèche de cheveux sembla se glisser sur son visage, laissant une trainée rouge le long de sa joue. Etait-ce le sang qui rendait son visage si humide, ou était-ce ses larmes? Pleurait-elle du sang?

"...sa!"
"...ansa!"

Elle ressentit une douleur fulgurante sur sa joue qui la sortit de la torpeur dans laquelle elle était plongée depuis ce qui semblait être une éternité. Le visage d'Arya lui apparut alors clairement, première chose à laquelle elle pouvait réellement se rattacher. Elle s'y accrocha tel à une planche de salut. Sa jeune sœur la regardait, couverte de sang, un couteau à la main. Arya semblait être la seule chose qui ne sombrait pas dans cette pièce; elle portait encore son pyjama et avait les cheveux décoiffés, Sansa ne savait pas très bien si c'était car elle s'était battue ou si c'était car il était deux heures du matin passé. L'esprit de Sansa s'embla s'ouvrir petit à petit, et elle remarqua le sang qui coulait du couteau que tenait Arya. Le couteau de leur père. Son visage était tendu, et ses yeux sombres, électriques. Sa bouche bougeait et des mots parvenaient à l'oreille de Sansa. "Mais qu'est-ce que tu attends? Il faut partir d'ici, et vite!" lui criait désespérément la voix de sa sœur. "Tu ne veux pas mourir ici quand même, hein?" Un éclair de lumière. Soudainement, les ténèbres. La porte se referma derrière elles, Arya lui tenant la main, elles coururent en direction du bois.

Rapidement, et toujours plus rapidement, les pieds de Sansa martelaient le sol, mais sa tête flottait au travers des arbres et des buissons. La nuit était claire, les étoiles brillaient, la lune était pleine. Elle pouvait entendre le bruit du vent des les feuilles, le bruit nocturne de la nature. Elle pouvait entendre les animaux, et elle pouvait entendre des voix. Des chiens. Elle sentit la main d'Arya se tendre et serrer la sienne encore plus fort, puis la lâcher.
– Ils ont envoyé les chiens, dit-elle en regardant sa sœur, un air significatif. On ne peut pas rester ensemble. Tu ne le dois pas, ajouta Arya en lui souriant tristement. Je vais les ralentir, passe devant. Continue tout droit, encore tout droit. Tu devrais arriver à Winterfell... On se retrouve là-bas. Promets-le moi.
– Attends, tu ne vas pas... Ar..

Avant que Sansa n'ait le temps de protester, Arya avait disparu, évanouie dans les ténèbres. Reviens, pensa-t-elle, l'envie d'hurler déchirant son coeur. Mais elle ne pouvait pas hurler, elle ne le devait pas.. Elle ne pouvait que courir. Elle ne pouvait que fuir, s'échapper. Tout s'efface, et tout s'échappe. Alors elle couru à travers les arbres, laissant s'effacer le bruit des chiens, laissant s'effacer sa maison, sa famille. S'échappant elle même, de peur d'être effacée également.

"Reviens, reviens, reviens."

Sansa se rendit compte qu'elle sanglotait, les pieds douloureux, rouge de sang. Etait-ce le sang de ses parents, était-ce le sien? Depuis quand avait-elle perdu ses chaussures? Elle ne le savait pas. Autour d'elle la forêt tournait, lui faisant perdre tout ses repères. Elle accrocha des ronces et trébucha, projetée sur le sol. Elle roula, encore, et encore, ne sachant pas où sa chute la menait, ni même pourquoi elle roulait. Sa course s'arrêtant brutalement, elle sanglota en silence, recroquevillée sur elle même.

"Pitié, je veux me réveiller, je veux que ça se termine..."

Quand elle fut certaine d'avoir terminée sa descente, au moins une bonne dizaine de minutes après être tombée, elle tenta de se relever dans un ultime effort, mais n'y parvint pas. Elle regarda alors les étoiles, la vue embuée par les larmes et elle s'arrêta ses efforts inutiles. Le vent était frais, le bruit des feuilles relaxants. Un bruit de craquement retentit non loin d'elle rompant le silence religieux de la forêt, et Sansa sentit son estomac de serrer. Elle s'appuya sur ses coudes, dirigeant son regard vers l'origine du craquement, lentement. Dans l'obscurité, elle ne voyait presque rien, et le sang s'était mélangé avec les larmes dans ses yeux, ce qui l'empêchait de discerner les formes humaines des arbres. Cela devait sans doute être un petit animal, rien de bien méchant. Un oiseau peut-être. À cette pensée, elle se détendit et examina les lieux autour d'elle. "J'ai certainement quitté le chemin de Winterfell" pensa la jeune fille. L'idée qu'Arya la retrouverait facilement la rassurait cependant, elle devrait emprunter le même chemin qu'elle et elles se croiseraient surement. "Si Arya arrive à leur échapper"murmura une petite voix dans sa tête, voix qu'elle fit vite taire. "Mais échapper à qui?" continua la petite voix, tandis que Sansa se tenait la tête dans les mains. Elle n'en avait aucune idée, elle n'arrivait même plus à réfléchir, son esprit bien trop occupé à gérer le douleur cuisante que ressentait son corps.

Non loin d'elle, elle remarqua dans l'obscurité l'ombre d'un arbre et rampa pour aller s'appuyer contre lui. Chaque mouvement était une torture pour la jeune fille qui sentait son esprit lâcher face à l'élancement qui provenait du bas de son corps et qui remontait le long de sa colonne vertébrale. Son esprit était partagé entre la lucidité et la démence dans laquelle la plongeait cette même douleur. Elle ne savait plus si ce qu'elle voyait était réel, si cet arbre existait. Si elle était vivante. Concentrée dans sa tâche, elle n'avait pas encore remarquée la lumière mouvante se situant à a peine quelques dizaines de mètre d'elle. Elle s'appuya contre le tronc, et jeta un coup d'œil à ce qu'il restait de son corps. De ce qu'elle pouvait voir, ses pieds étaient couverts de feuilles et de terre, ainsi que ses jambes. Elle passa sa main tremblante sur ses jambes, sur son visage. La terre et les feuilles s'étaient collés au sang, et ce mélange séché lui donnait une impression de lourdeur. Elle souffla, et de la buée sorti de sa bouche. Sa robe s'était déchirée lors de sa fuite et elle réalisa à peine maintenant qu'elle avait arrêté de courir à quel point elle avait froid. Elle essaya de se rappeler la sensation de la chaleur, l'étreinte de son père, les baisers de sa mère. Mais l'évidence de leur absence définitive dans sa vie ne fit qu'aggraver la sensation de manque, et redoubler les tremblements de son corps. Elle n'arrivait même plus à pleurer, n'arrivait même plus à respirer. Elle se laissa tomber sur le côté et se demanda de quelles couleurs les feuilles qui tapissaient le sol étaient. Si elles aussi formaient un tapis rouge. "Après tout, on est en automne.. c'est normal qu'il fasse.. aussi froid.." pensa la jeune fille.

C'est alors qu'elle remarqua la lumière au loin, le faisceau pointant dans sa direction, faible et tremblotant. Intérieurement, elle regrettait de ne pas avoir dit au revoir convenablement à sa sœur. Elles n'avaient jamais été très proche, mais Sansa l'avait toujours profondément aimée. Profondément chérie. Elle regrettait toutes sortes de choses, regrettait la vie qu'elle n'aurait pas, regrettait ses rêves d'enfants. Ses pensées étaient un mélange de peur et de tristesse. La douleur dans son dos s'estompa petit à petit, laissant place à des picotements. La lumière se rapprochait, jouant avec les ombres des arbres et Sansa se retrouvait à présent au milieu d'un carrousels d'ombres. Tout autour d'elle, tout semblait aller au ralentis, elle n'avait de toute manière aucune chance de pouvoir s'échapper dans son état. Elle se concentra sur la lumière qui se rapprochait de plus en plus, serrant des feuilles dans sa main. Soudainement, le carrousel s'arrêta. Fermant les yeux, ses lèvres formèrent des mots que sa bouche pourtant ne prononça pas.

"Evidemment que les feuilles sont rouge."

Sansa leva les yeux vers son père, Eddard Stark.
– On est en quelle saison, papa?
– En automne.. Et l'hiver vient juste après, p'tit loup.
– L'hiver ? demanda la petite fille, jouant avec les feuilles mortes qui tapissaient le sol.
– Oui, l'hiver, répondit Eddard en souriant à sa fille, désignant le reste de la forêt. Bientôt la neige va tomber et bientôt il fera très froid. Les arbres n'auront plus de feuille du tout, et les feuilles rouges seront ensevelies sous la neige, tout sera blanc.
– J'aime pas le froid, répondit Sansa, la mine boudeuse. Et puis j'aime bien le rouge moi, on dirait les cheveux de maman. Et puis, les arbres, ils vont mourir?

Eddard observa la mine déconfite de Sansa en souriant, il se rapprocha d'elle, lui caressant la tête.
– L'hiver n'est qu'un passage ma chérie. Durant l'automne, les arbres meurent petit à petit. Mais l'hiver nettoie tout ça, et permet aux arbres de se soigner et de revenir plus beaux et plus forts qu'auparavant. L'arbre juste en face de toi est celui devant lesquelles ta maman et moi nous sommes marié, et il t des feuilles rouges, en printemps, en été comme en automne.
– L'hiver permets aux arbres de venir plus fort, même si ils perdent leur feuille et meurent?
– Bien plus forts, et bien plus beaux qu'auparavant! À la mort succède toujours la vie, lui répondit Ned, amusé par le regard septique de la jeune enfant. Toute chose doit mourir, mais tu sais ce que l'on dit à la mort? Pas maintenant

Sansa sentit des bras la soulever, et instinctivement elle referma ses bras autour de la nuque de la personne. Il lui semblait sentir l'odeur de la menthe, et à la voix de son père succédait la voix d'une autre personne, qu'elle n'avait jamais entendu auparavant. Elle ouvrit les yeux mais ne vit que le ciel étoilé, et les feuilles de l'arbre sous lequel elle était couché. Elle vit les feuilles rouges. Elle entendit la voix tenter de lui parler, de communiquer avec elle, mais elle n'avait aucune envie de répondre. Elle entendit pourtant distinctement le prénom Arya, suivi du mot Lannister. Plus rien ne lui importait à présent, juste ces deux mots. Les mots de son père.

"Pas maintenant..."