La chaleur de la mi-journée était écrasante, mais une brise rafraichissante soufflait sur le camp et virevoltait de cime en cime. Les arbres se balançaient paresseusement en suivant le rythme. Suivant la courbe d'une branche, la jeune fille s'allongea sur le dos, une jambe pliée devant elle et l'autre pendant dans le vide. Elle croisa les bras sous sa tête, s'étira et soupira de contentement.

Les yeux fermés, Melian s'imprégnait de l'air ambiant et de sa caresse sur son visage, de l'écorce tendre dans son dos. L'odeur entêtante du bois coupé s'était dispersée et laissait la place à celle de la terre humide. Le chant d'un chardonneret se fit entendre. Surprise par sa clarté, Melian ouvrit un œil et constata que le petit oiseau c'était perché sur la branche voisine. Elle sifflota doucement pour attirer son attention. Il pencha la tête sur le coté avant de s'ébouriffer et de s'envoler, comme indigné d'avoir été interrompu. Elle sourit.

-Melian, où es-tu encore?

Évidement. Elle ne pouvait pas avoir un instant pour elle par cette belle journée. Katie avait besoin d'elle. Melian se releva sur les coudes en baillant longuement.

-J'arrive! répondit-elle malgré son ennui.

Elle descendit avec agilité de l'arbre dans lequel elle s'était perchée. À contrecœur, elle rejoignit sa mère en hâtant le pas.

-Ce n'est pas trop tôt, petite fainéante! Tu crois que tu peux passer ton temps à t'amuser alors que ton père et moi travaillons toute la journée? Tu vas devoir y mettre du tiens toi aussi, que tu le désires ou non!

Katie hunter avait élevé la voix tout au long de sa tirade. La femme semblait réellement en colère, son visage normalement pâle avait pris des couleurs. Pourquoi se mettait-elle dans cet état? Bon... ce n'était pas la première fois que Melian s'évadait ainsi de son labeur pour aller rêvasser, mais de là à enrager...Bien que Melian ne soit guère impressionnée par l'ire de sa mère, elle répondit, veillant toutefois à ne pas jeter de l'huile sur le feu.

-Je n'étais pas partie loin, je suis à peine sortie du camp!

-Et alors? Tu sais parfaitement que des ours, des loups et des murlocs rôdent tout près. As-tu pensé à ce que ton père et moi ferions si jamais nous venions à te perdre?

«Je rêve, s'étonna Melian, elle se faisait réellement du souci pour moi?»

Le reste des mots de sa mère ne l'étonna qu'à moitié.

-Imagine un peu comment nous aurions dû travailler encore plus fort, Randal et moi. Il est vrai que tu ne nous aides pas énormément, mais tu fais ta part, ajouta Katie en s'adoucissant. Cependant, demain tu travailleras toute la journée, n'espère pas avoir du temps libre, rajouta-t-elle.

«Du temps libre, moi? J'ai presqu'oublié la signification de ces mots.»

Sans plus rien dire, Katie Hunter retourna vers Bourrasque, leur magnifique étalon palomino.

«Elle tient plus à lui qu'à moi, constata Melian, sans surprise. Si ça lui permet d'être bien traité, ça me va», songea la jeune fille.

Elle vit son père, Randal Hunter, froncer les sourcils avec désapprobation, mais il ne passa aucun commentaire. Il haussa finalement les épaules et s'approcha de sa femme, qui faisait travailler Bourrasque dans le corral. C'était un bel étalon, qui rendrait de fiers services à son maître si Katie arrivait à dompter sa fougue. Le jeune mâle de deux ans passait en effet plus de temps à se rebeller contre les liens qui l'emprisonnaient qu'à toute autre chose.

Constatant que ses parents ne la surveillaient plus, Melian se dirigea vers l'écurie. Elle l'entendit hennir avant d'être arrivée devant sa stalle. Parvenue près de lui, elle remarqua qu'il avait passé son encolure par-dessus la demi-porte qui fermait son espace. Elle sourit, puis murmura doucement à l'animal.

-Et bien, ça en fait au moins un qui est content de me voir.

Une pointe de tristesse avait été audible dans sa voix, bien malgré elle. Elle s'interdit aussitôt de s'apitoyer sur son sort qui n'était d'ailleurs pas si terrible. Elle caressa distraitement l'encolure d'Onyx, la fierté de ses parents, un bel étalon dans la force de l'âge et aussi noir qu'une nuit sans lune. Ses parents…Les pensées de Melian s'égarèrent vers eux. Elle avait du mal à se reconnaître comme leur fille.

Katie et Randal Hunter avaient tous les deux des cheveux brun foncé tirant sur le roux. Leurs yeux, bruns pour lui et bleus pour elle, avaient en commun de ne rien laisser deviner de ce qu'ils pensaient. Tous deux étaient assez grands et avaient une forte musculature, acquise pendant de nombreuses années passées à élever et dresser des chevaux. Melian ne leur ressemblait pas du tout, bien qu'elle soit grande pour ses douze ans. Ses longs cheveux étaient noirs comme la nuit, droits comme de la paille mais doux comme de la soie. Elle n'avait pas de stature incroyable. Son corps laissait plutôt entrevoir sa souplesse. Ce qui marquait toutefois le plus dans son physique était son visage. Ses traits étaient incroyablement fins, comme si un artiste anonyme avait tenté de représenter un ange. Mais ce qui attirait indéniablement l'attention, c'était ses yeux. Plus grands que la moyenne, ils étaient d'un gris si pâle que ses iris donnaient parfois l'impression de se fondre dans le blanc de l'œil. À cela s'ajoutait leur luminosité, plus importante dans l'obscurité, chose qu'on ne voyait généralement pas chez les humains. Peu de personnes soutenaient son regard. On pouvait y trouver un éclat qui laissait présager un savoir millénaire, ce qui était impensable pour une petite fille de son âge… ce qui contribuait au malaise des gens.

Les doux naseaux d'Onyx dans son cou la ramenèrent à la réalité. Le grand cheval la regardait avec un air si intelligent que cela la déstabilisa.

-Tu sais que tu n'es pas un cheval ordinaire, toi?

Onyx s'ébroua, comme pour confirmer ses dires. Melian éclata de rire.

-Melian, que fais-tu encore?

La voix sèche de Randal avait claqué, tandis qu'il s'approchait à grands pas de la jeune fille.

- Éloigne-toi de ce cheval tout de suite.

Joignant le geste à la parole, il l'empoigna par le bras et la fit reculer. Il se plaça entre elle et Onyx. Il tournait le dos au grand étalon, et ne le vit donc pas coucher les oreilles et dévoiler ses dents. Lorsqu'Onyx fit mine de le mordre, Melian ne put retenir un éclat de rire, qu'elle étouffa aussitôt en plaquant une main sur sa bouche. Surpris, Randal se retourna vivement, mais l'étalon mangeait tranquillement son foin. L'homme ramena son attention sur sa fille, une mine suspicieuse sur le visage.

-Allez, file! Et que je ne te vois pas lui donner de l'avoine. Si tu le gâtes trop, il va devenir impossible!

Melian défia son père du regard un instant, mais fini par reculer en tentant, difficilement, d'afficher une moue repentante. Elle s'excusa, adressa un dernier regard complice à Onyx et quitta l'écurie.


La nuit venue, Melian ouvrit la fenêtre de sa petite chambre. La brise nocturne balaya doucement la pièce. Melian tendit l'oreille afin d'être certaine que ces parents étaients tous deux endormis. Aucun bruit ne parvenait. Elle enjamba prudemment le bord de l'ouverture et se glissa à l'extérieur. La jeune fille leva la tête. La toiture n'était pas très éloignée et Melian, rompue à ces sorties nocturnes, eut tôt fait de l'atteindre. Elle se coucha sur les tuiles bleutées qui luisaient faiblement à la lueur de la lune et des étoiles. Elle leva les yeux vers la voute céleste. Melian ne savait pas trop ce qu'elle venait chercher presque tous les soirs en la contemplant. Elle tirait un certain réconfort de l'aspect paisible du firmament. La douceur de la nuit l'apaisait. Elle sourit en songeant à ces gamins qui, plus jeunes, craignaient l'ombre. Melian n'avait jamais compris pourquoi. Probablement que l'absence de choses réelles apparentes permettait à leur esprit d'imaginer les pires cauchemars, des créatures tapies dans l'ombre, à l'affût. C'était pourtant cet aspect que Melian adorait tant. Sans pouvoir donner un nom à ce sentiment, elle se sentait détendue en s'imaginant invisible, dissimulée. Observatrice, mais pas observée. Elle secoua la tête en souriant. C'était complètement ridicule. . Évidement que personne ne l'observait depuis l'ombre. Les gens normaux dormait à cette heure, épuisés par leur journée au camp et reprenant des forces pour la suivante. Melian songea qu'elle devrait faire de même. Rester ici à rêvasser, à attendre qu'il se passât quelque chose qui viendrait égayer son morne quotidien...De telles impressions ne la mèneraient à rien.

Pas encore.