Prompt : Claire/Jamie/Lord John, série et/ou livre, passé, présent ou futur. John Grey aime Jaimie Fraser inconditionnellement depuis de nombreuses années. John le sait, Claire le sait et Jaimie, même s'il prétend le contraire, le sait. Seulement ce dernier ne supporte pas cette idée. Deux hommes ensemble, c'est contre nature et même si parfois l'idée ne lui semblait pas aussi amorale, le spectre de l'infâme Randall plane toujours. Qu'est-ce qui pourrait donc finir par les pousser dans les bras l'un de l'autre ? Une lettre, un testament, une confession, une conversation, les derniers mots d'un condamné, la sagesse d'un enfant ? Est-ce que Jaimie parvient enfin à comprendre qu'il y a une différence entre ce que John ressent et ce que lui a fait subir Randall ? Claire, de son côté, encourage la relation. Elle sait très bien que son mari ne la quittera jamais et puis elle apprécie plutôt le Lord anglais. Alors s'il y a une personne de plus dans cette famille, ce ne sera pas la première fois.
Bonus facultatif : Si le reste de la famille devine leur arrangement particulier, personne n'est véritablement choqué, ce sont leurs affaires après tout.
CLAIRE
Claire n'avait eu besoin que d'un coup d'œil pour savoir que John Grey était totalement et irrémédiablement amoureux de son mari et elle ne le connaissait à ce moment là que depuis quelques secondes. Elle aurait pu le détester pour cela, mais elle avait passé les vingt dernières années à aimer Jamie avec passion malgré la certitude qu'il était mort depuis deux siècles et à jamais perdu pour elle, alors son premier sentiment fut un de compassion. Tomber amoureux de Jamie était aussi simple que de respirer. En rester amoureux était terriblement exaltant mais pouvait vous submerger. Le regard de John Grey était celui d'un noyé qui découvre qu'il est à nouveau capable de respirer, puis il avait vu Claire, compris qui il était et blêmit malgré lui. Claire avait alors jeté un regard discret à Jamie et vu la douceur mêlée de pitié dans ses yeux. Il avait tout autant qu'elle conscience de l'amour que lui portait lord John. Pour Claire, ce comportement était pour le moins surprenant. Elle ne savait que trop bien l'aversion que Jamie portait envers ce genre de ''perversion'', pour reprendre les mots du siècle, surtout après Randall. Qu'il ait connaissance de cet amour que ressentait John Grey et qu'il continue de le tenir en haute estime disait bien que le gouverneur était un homme exceptionnel et digne d'amitié.
Claire et John Grey avaient à peine discuté ce soir là, que ce soit de Jamie ou d'autres choses. L'arrivée de Geilis, et ce qui c'était ensuivi, avait bouleversé tous leurs plans pour la soirée et plus encore. Tout de même, le gouverneur lui avait fait bonne impression, presque malgré elle. Il avait également sauvé Jamie au minimum de la prison et peut être même d'une rapide et infamante exécution. Claire lui était redevable. À contrecœur, Jamie lui parla un peu de l'homme derrière le masque du gouverneur et Claire s'émut. Elle ne ressentait pas d'affection pour lui, mais avait pitié de la lutte qu'il menait visiblement en vain contre ses sentiments pour Jamie.
Elle prit la décision de lui écrire. Au début de leur séjour en Amérique, elle n'en trouva ni le temps, ni l'énergie mais quand ils furent enfin posés à River Run, tandis que Jamie était occupé à préparer leur prochain départ vers leur nouveau foyer, elle prit enfin la plume, en se sentant coupable de ne pas avoir averti plus tôt l'aimable gouverneur. Elle trempa la plume dans l'encrier et resta là un moment, incertaine quand à ce qu'il convenait de dire à un homme amoureux de son mari. La concision lui sembla nécessaire et rassurante à la fois.
« Lord John, écrivit-elle,
« Vous serez, je pense, soulagé d'apprendre que Jamie et moi sommes sortis indemnes de nos dernières mésaventures. Jamie vous ayant raconté, je crois, quelques unes de nos aventures parisinnes et écossaises, vous ne serez guère surpris d'apprendre que ce ne fut pas sans mal. Je regrette seulement de n'avoir pu prendre le temps de revenir vous remercier personnellement de tout ce que vous avez fait pour Jamie – face au lieutenant qui voulait l'emprisonner tout comme lors de ces dernières années – et vous assurer de mon amitié. C.F. »
Se relisant, elle décida que la lettre parvenait à ne pas être trop sèche comme elle l'avait craint au départ. La lettre fut aussitôt confiée à un esclave de la plantation pour être renvoyée, Claire craignant de regretter finalement de l'avoir écrite.
Elle ne s'attendait pas à une réponse. Lord John n'avait aucune raison de rechercher son amitié et toutes les raisons du monde de la haïr. Il est vrai qu'il en allait de même pour elle et qu'elle avait néanmoins pris le temps de lui écrire.
« Mrs Fraser, disait la lettre,
« Je ne puis trouver les mots pour vous signifier l'étendue de mon soulagement en apprenant que vous et vos compagnons êtes indemnes et vous me voyez fort peu étonné, mais très intrigué par ces dernières aventures. Vous vous méprenez par contre en pensant que Jamie m'a rencontré en détail les vôtres, au temps de notre amitié. Je vous assure que votre souvenir lui était trop douloureux pour qu'il puisse s'étendre à ce sujet. Les quelques aventures que nous avons vécu côte à côte me donnent toutefois une idée de ce que vous venez de vivre. Jamie n'est pas un homme auprès de qui l'on s'ennuie, n'est-ce pas ? Aussi suis-je heureux de voir que l'épouse qu'il a choisi fait preuve des mêmes talents. Seulement, il me faudra vivre dans l'inquiétude désormais, ne sachant dans quel nid de guêpe vos talents vous entraîneront.
« Vous m'avez assuré de votre amitié, sachez, madame, que vous avez également la mienne, et tout mon respect. Lord John Grey. »
Cette lettre aurait pu déplaire à Claire, mais il n'en fut rien. Elle s'attendait à ressentir de la jalousie en lisant entre les lignes l'affection de lord John pour Jamie et la connaissance qu'il avait acquise de son caractère pendant son absence. Ces quelques phrases auraient pu paraître condescendantes et narquoises mais elle ne parvint à y lire qu'un humour caustique et la lecture de la lettre, au contraire, fit naître en elle un sentiment de complicité. Un sourire naquit sur ses lèvres qu'elle n'essaya pas de réprimer. Impulsivement, elle saisit à nouveau sa plume.
« Cher lord John,
« Vous n'imaginez même pas la dernière lubie de cet animal.
Réalisant le degré d'intimité qu'elle avait mis dans ces quelques mots, Claire hésita. Cette familiarité pouvait déplaire au gouverneur et paraître condescendante à celui qui était, de facto, son rival. Pourtant, son instinct lui avait dicté cette phrase et elle choisit de l'écouter. Se relisant un peu plus tard à la lueur de la chandelle, elle décida que cela ferait l'affaire. S'il était choqué par sa familiarité, lord John cesserait toute correspondance, voilà tout. Sinon, l'idée d'avoir un correspondant régulier l'amusait. Ce serait comme ces romans épistolaires, si nombreux au XVIIIe siècle. Étrange de se dire que certains des plus célèbres n'avaient pas encore été écrits.
Ses hésitations se révélèrent superflues. Lord John lui répondit à l'avenant. Ils échangèrent plusieurs missives, même après le départ de River Run et l'installation à Fraser's Ridge. Parfois, l'un ou l'autre envoyait deux lettres d'affilée sans attendre de réponse. Ils y parlaient de choses diverses, des activités de la plantation, des déboires de la colonie et de Jamie toujours, ouvertement ou en catimini. L'amour de John pour Jamie restait un non dit dans cette correspondance, peut être la condition tacite à la poursuite de leurs échanges. Petit à petit, les lettres se faisaient plus longues et leur contenu plus intime.
-Fais attention ma tante, plaisanta Ian un jour en lui tendant son courrier. La rumeur court que tu as un amant.
-Absurde, éclata-t-elle de rire. J'échange juste avec lord John des platitudes sur ses administrés et nos voisins.
Le regard surpris de Jamie lui fit réaliser qu'elle ne l'avait pas informé de cette correspondance. Il lui jeta un long regard indéchiffrable puis se concentra à nouveau sur les planches qu'il sciait. Il était impossible de savoir si la chose l'étonnait, l'amusait ou l'effarait. Qu'il approuve ou qu'il réprouve importait peu de toute manière il n'avait pas son mot à dire concernant les amitiés de Claire. Celle-ci rangea sans l'ouvrir la lettre dans une poche de son tablier et ils continuèrent leur journée normalement, sans reparler de ce court moment de malaise. Celui-ci revint néanmoins en force dès le soir même.
Après le repas prit en famille, Claire quitta la table pour se placer au coin du feu et récupéra sa lettre, réalisant pour la première fois qu'elle était plus épaisse que d'habitude. Elle ne manqua pas de remarquer les regards curieux de Ian, Fergus et Marsali mais les ignora. Jamie lui jeta à nouveau cet étrange regard en coin.
-Salue lord John pour moi dans ta réponse, finit-il par dire.
-Je n'y manquerais pas, répondit Claire comme si c'était la chose la plus naturelle du monde. Il serait sans doute même ravi de lire quelques lignes de ta main.
Jamie ne répondit que par ce petit grognement typiquement écossais qui pouvait tout et rien dire mais un petit sourire naissait sur ses lèvres. Il se retourna vers Ian et Fergus pour discuter de la suite des travaux – à ce stade là, ils avaient un toit sur la tête mais pas grand chose d'autre – ignorant à son tour les regards curieux du reste de leur petite famille. Toute ambiguïté paraissait levée entre eux, mais Claire savait qu'une longue discussion les attendait une fois qu'ils seraient couchés ou que toutes les oreilles indiscrètes se seraient éloignées. Ils n'avaient jamais parlé de ce que ressentait John. Derrière sa feinte indifférence, Jamie devait se poser de nombreuses questions et hésiter à révéler à Claire le secret de leur ami commun. Il s'en doutait peut être d'ailleurs, Claire étant notoirement mauvaise à dissimuler ses sentiments, peut être son visage avait trahi tout ce qu'elle avait compris lors de leur rencontre avec le gouverneur.
Il y avait en réalité deux lettres dans le paquet de toile cirée qui servait d'enveloppe, écrites à onze jours d'intervalle. Claire saisit la première et commença à rire. Comme toujours, l'humour pince sans rire de John la fit sourire. Sa plume était souvent trempée dans le vitriol et il savait comme nul autre trouver l'ironie d'une situation et se moquer de la bêtise de ses contemporains. De ce qu'en savait Claire, jamais il n'aurait proféré à haute voix ce qu'il disait à l'écrit, son sens de la bienséance prenant le dessus. En attendant, elle se régalait de ces histoires de planteurs, de petits blancs et de rivalités absurdes dans un monde d'anglais qui faisait semblant d'être à Buckingham Palace avant de retourner dans leurs plantations où ils partageaient parfois leur salle à manger avec les cochons. Tout, ou presque, de ce qu'elle avait vu à River Run et qui avait pu heurter sa vision de femme du XXe siècle était ici moqué. Au début, John avait paru rétif à aborder les questions les plus déplorables, notamment en ce qui concernait l'esclavage. Désormais, ils discutaient avec véhémence à propos de celui-ci et c'était le sujet qu'abordait le gouverneur dans sa lettre. Il la suivait totalement dans son indignation en ce qui concernait le traitement de ces esclaves et se déclarait prêt à écouter ses conseils en matière d'hygiène pour améliorer leur vie. Toutefois, il était encore loin d'être ce qu'on appellerait bientôt un abolitionniste, même s'il s'en fallait encore de quelques années pour que ce mouvement émerge réellement. Au moins, si John soutenait que l'esclavage, quoi que répugnant, était nécessaire pour l'économie de la Grande Bretagne, il affichait sans complexe sa répugnance à pourchasser les esclaves marrons réfugiés à l'intérieur des terres.
-John va bien, annonça Claire à l'attention de Jamie tout en tournant le dernier feuillet de cette première lettre. Ses deux principaux soucis sont les disputes de marins saouls au port et une querelle d'héritage entre planteurs.
-Je n'ai pas hâte d'avoir droit à cette question ici, frissonna Fergus avec outrance. Les disputes de barrière sont bien suffisantes pour l'instant.
-Et essentielles à régler pour éviter ce genre de conflits plus tard, asséna Jamie sans quitter des yeux les plans qu'ils consultaient. Je ne l'envie pas en effet.
Claire opina du chef et commença la lecture de la deuxième lettre avant de jurer doucement, faisant se retourner Jamie.
-J'ai tellement hâte que le système postal soit au point sur ce continent, mais il faudra encore du temps. John fait référence à une lettre précédente qui est absente de ce paquet. J'imagine que toutes ces lettres ont atteint un port à des dates différentes et que l'une s'est perdue en route.
-Encore quelques années à patienter.
-Dans les Treize Colonies peut être, mais le reste de l'Amérique devra attendre encore des décennies, répondit Claire distraitement en reprenant la lettre que dans sa frustration elle avait laissé tombé sur ses genoux. Étrange, il ne m'a jamais écrit de manière aussi rapprochée. Trois lettres en onze jours ?
Jamie fronça les sourcils tandis que Claire essayait de se rappeler si quelque chose de dramatique s'était passé sur l'île de Jamaïque en 1768. Rien ne lui revenait et malheureusement, si elle avait bien étudiée l'histoire de l'Écosse pour préparer son retour dans le temps, jamais il ne lui était venu à l'idée que celle des colonies britannique puisse lui être nécessaire. Pleine d'appréhensions, elle constata que l'écriture était inhabituellement tremblante et la lettre maculée de pâtés. Elle lut alors en diagonale à la recherche d'une mauvaise nouvelle. Cinq mots attirèrent son regard et elle poussa un cri d'angoisse.
« Si je ne survis pas. »
Jamie bondit, saisit la lettre un instant, puis hésita. Finalement, ses doigts la relâchèrent et il s'excusa du regard auprès de Claire, reconnaissant que la lettre ne lui était pas destinée.
Seulement, elle l'était, aussi Claire s'éclaircit la gorge et lut à voix haute.
« Ma chère amie,
« Comme je le présentait et vous le disais dans ma lettre précédente, la situation au port ne s'est pas améliorée. Ces marins malades ont définitivement contracté une forme virulente de fièvre jaune et celle-ci s'est propagée à toute vitesse dans les quartiers proches du port. La promiscuité de ces marins avec la lie de notre petite société jamaïcaine n'a rien fait pour aider la situation. Sans cette maudite fièvre, la colonisation des Amériques serait bien plus avancée aujourd'hui et voilà qu'elle tue dans la colonie à ma charge. Je me sens si impuissant face à ce coup du sort, d'autant que la fièvre m'a frappé à son tour. Je ne perds toutefois pas l'espoir de m'en relever, mais si je ne survis pas, on prendra soin de vous faire parvenir cette lettre.
« Je ne voulais pas vous inquiéter, aussi ais-je minimisé la gravité de la situation dans ma dernière ne puis vous cacher désormais qu'alors même que je vous écrivais, je percevais les premiers symptômes du mal. Peut-être aurais-je pu les voir plus tôt si je n'avais été trop occupé à tenter de maîtriser la situation. Ma fièvre est tombée hier midi et j'ai retrouvé assez de force pour tenir une plume et travailler un moment. Seulement, depuis quelques heures, la fièvre m'a saisi à nouveau, plus virulente que jamais. Mon médecin m'assure que c'est là chose normale et attendue, de même que mes autres symptômes. Je sais à quel point vous vous complaisez en détails qui horrifieraient un mortel ordinaire, aussi sachez que je vomis aussi régulièrement que possible un liquide aussi noir que l'eau qu'on trouve dit-on en enfer, que je suis pris de nausée dès que j'essaie de me lever et que je tremble tellement que je dois faire des efforts titanesques pour rester lisible. J'ai banni le miroir qui trône dans ma chambre, préférant ne pas admirer le teint jaune que j'affiche et vous me permettrez de rester muet quand à ce qui ce passe quand je vais à la selle.
« Je ne m'inquiéterai pas, me sachant de constitution solide, si je ne savais pas que depuis neuf jours, plus d'un malade sur deux était mort de cette fièvre. Je n'ai pas peur de la mort, même si je répugne à l'idée d'être vaincu par cet ennemi insidieux, et ne suis pas davantage inquiet à l'idée de rencontrer mon créateur. Mes pêchés lui sont connus et je ne peux qu'espérer son indulgence. Mes...
-Cette fièvre jaune, interrompit Jamie d'une voix inquiète. J'en ai entendu parler bien sûr, mais peut-elle lui être mortelle ?
-Comme il le dit lui-même, elle l'est dans dix à cinquante pour cent des cas, plus si le médecin est un incompétent. John est un homme solide et a toutes les chances de survivre. Cependant...
Cependant, Claire connaissait bien cette maladie, ayant eu à traiter quelques cas à Boston de personnes contaminées à l'étranger. Même à son époque, seul le vaccin était réellement efficace et on ne pouvait traiter que les symptômes chez les malades. La lettre était assez précise pour qu'elle puisse se faire une idée du cheminement de la maladie chez leur ami. Au moment où il écrivait, la maladie sévissait depuis neuf jours à Kingston. John avait du être piqué par un moustique contaminé dès les deux premiers jours, puis incubé trois ou quatre jours. La première phase de la maladie avait du durer trois jours, comme la plupart du temps, suivie d'une courte phase de rémission de moins d'une journée. La phase jaune durait habituellement trois jours également et était le stade le plus dangereux de la maladie, celle des hémorragies digestives, le vomito negreto des Espagnols, sans oublier les symptômes dont lord John ne parlait pas, par pudeur ou orgueil, comme l'incapacité d'uriner, les saignements des gencives et des yeux,... Quand à la fièvre, elle n'avait pas l'air d'atteindre chez le gouverneur le stade du délire, mais une fébrilité inhabituelle se distinguait dans son discours. L'idiotie d'un médecin pensant que la saignée est le meilleur remède contre cette fièvre pouvait aggraver son état. Surtout, l'insuffisance hépatite ou rénale pouvait le tuer. Elle le faisait dans cinquante pour cent des cas des malades atteignant ce dernier stade de la maladie. Cette dernière phase durait trois à huit jours en général. La lettre datait d'un mois plus tôt.
À l'heure qu'il était, John Grey était peut être déjà mort. Ils échangèrent un regard angoissé et Claire reprit sa lecture d'une voix nouée.
« Mes seuls regrets seront de ne pas avoir revu mon fils William et Jamie. Je sais le premier entre de bonnes mains, grâce à Dieu. Je l'ai éloigné à temps et envoyé loin d'île et de tout risque de contamination. Mon frère Hal pourvoira à son avenir.
Le visage de Jamie se figea et Claire lui saisit la main avec compassion. John avait visiblement voulu le rassurer avec ces quelques mots, mais la fièvre avait altéré son jugement. Rappeler à Jamie qu'il ne pourrait jamais s'occuper de son fils était cruel, même si le but était louable. Le souvenir de Brianna s'imposa à son esprit. Encore un enfant qu'il ne connaîtrait jamais. Claire était également touchée par la discrétion de cette mention de William. Si elle n'avait pas su qu'il était le fils de Jamie, jamais elle n'aurait réalisé la portée de ces quelques phrases. Jusqu'au bout, John avait tenté d'épargner ses sentiments et de préserver leur couple. Il lui devenait difficile de retenir ses larmes. Il lui fallait achever cette lecture au plus vite.
« Quand à Jamie, je dois vous demander de lui transmettre toute mon affection. Je voudrais qu'il sache à quel point son amitié aura compté pour moi et à quel point la mienne fut sincère et ardente. S'il y eut parfois des désaccords et des malentendus entre nous, je les regrette infiniment et j'espère que le souvenir qu'il aura de moi n'en sera pas entaché. J'ai désiré, et désire encore que disparaissent tous ces non-dits et ces obstacles entre nous. Il doit savoir que jamais je ne lui aurais demandé ce qu'il était incapable de me donner. L'intimité que je souhaitais entre nous était toute autre. Je regrette seulement de ne pas lui avoir dit tout ce que j'aurais voulu lui dire et lui faire comprendre la profondeur et la sincérité de cette affection. Elle n'a jamais faibli et le réconfort de notre amitié me soutiendra jusqu'au bout. Je reste et resterai, encore son dévoué ami et le vôtre Claire.
« J'ai conscience de ce que je vous demande en réclamant que ces mots parviennent à Jamie. J'aurais aimé avoir le courage et le temps de les lui dire moi même à notre dernière rencontre. L'idée de les emporter avec moi m'est hélas odieuse. J'ose encore espérer brûler cette lettre et oublier que j'ai jamais posé ces mots sur le papier. Si je meurt, mon intendant à ordre de vous l'envoyer. Dans ce cas, j'espère que vous me pardonnerez tous deux ma franchise, un jour.
« John Grey. »
Les derniers mots de la lettre résonnèrent dans le silence absolu de la pièce et Claire réalisa soudain qu'ils étaient seuls désormais. Ian, Fergus et Marsali s'étaient éclipsés sans qu'ils s'en aperçoivent, les laissant seuls à leur chagrin. Jamie avait la tête baissée et fixait ses mains, si crispées sur ses genoux qu'elles en étaient livides. Claire le laissa à sa douleur et cessa de lutter contre la sienne. Elle sanglota silencieusement tout en pliant et dépliant machinalement la lettre.
-Ce qu'il a écrit, finit par dire Jamie avant de s'interrompre pour chercher ses mots, ce qu'il dit ressentir...
Claire posa sa main sur une des siennes. Elle était glacée.
-Je sais. Je l'ai su dès que j'ai vu comment il te regardait.
Son regard trahi son étonnement et surprit Claire. Elle s'était sincèrement attendue à ce que son époux, si perspicace, réalise qu'elle était informée.
-Vous êtes pourtant devenus amis. Ne devrait-tu pas le détester ? Le haïr ?
-Pourquoi ? Nous tenons tous deux à toi, c'est quelque chose que nous avons en commun et qui nous a rapproché.
-Je ne comprend pas. Tu haïssait Randall.
Claire fronça les sourcils.
-Ne compare pas ce qui n'est pas comparable. Nieras-tu la bonté de lord John ?
-Un sodomite est un sodomite.
-Et alors ?, s'irrita Claire. Les deux termes sont-ils incompatibles ? En ce qui me concerne, l'Église, le pape et les sois-disant bonnes mœurs peuvent aller se faire voir. Aimer son propre sexe ne fait pas d'un homme un monstre, pas quand il a la droiture et l'honneur de John.
En général, elle comprenait l'aversion de Jamie pour l'homosexualité. Il était à bien des égards un homme en avance sur son temps mais le conservatisme du XVIIIe siècle lui était aussi naturel que l'air qu'il respirait. En temps normal, il aurait été trop bon catholique pour vraiment accepter et comprendre cette ''perversion'', mais il aimait trop l'idée de liberté pour ne pas détourner un œil tolérant. Seulement, Randall avait posé ses mains sur lui et l'avait souillé jusqu'au plus profond de l'âme. Claire aussi avait regardé avec méfiance les homosexuels qu'elle avait rencontré depuis. Il suffisait qu'on lui dise que quelqu'un était un capitaine dans l'armée britannique pour qu'elle ait un à priori négatif à son sujet. Pendant des mois après son retour au XXème siècle, elle avait ressenti le besoin de se laver si Frank la touchait. Tout cela, c'était Black Jack.
Soudain, Claire réalisa que si John avait pu être l'ami de Jamie, cette amitié n'avait jamais été dépourvue de méfiance de la part de Jamie. Randall avait perverti cela, comme tout le reste. Et il était peut être mort en ignorant d'où venait la réticence que mettait Jamie à accepter son amitié. Il l'avait aimé, sachant le dégoût que ressentait Jamie vis à vis de ce qu'il était, mais sans réaliser qu'il y avait là une blessure réelle que le temps et l'amitié aurait peut être guérie.
Jamie se releva en lâchant une bordée de jurons en gaélique. Plaçant ses deux mains sur le linteau de la cheminée, il se mit à fixer le feu en silence. Peu à peu, son visage retrouva une contenance.
-J'ai ruiné notre amitié et il est mort en pensant que je le méprisais. Jusqu'au bout j'ai douté, pensant que son amitié n'était qu'un leurre qu'il me tendait pour obtenir de moi ce qu'il voulait. J'ai eu tort, tellement tort.
Claire hocha lentement la tête. Elle était d'accord avec Jamie, mais partageait ses torts. Même après cette dizaine de lettres échangées et l'amitié qui avait commencé à fleurir entre eux, il y avait toujours eu des doutes pour remuer dans ses entrailles. Jamais elle n'aurait cru cet amour si désintéressé et lord John si prêt à s'effacer face aux souhaits de Jamie. Cette erreur s'apparentait à un crime maintenant qu'elle pouvait lire la détresse de lord John à l'idée que sa sincérité soit ignorée. Il n'y avait rien qu'ils pouvaient dire ou faire pour corriger leur erreur. À court de mot, Claire tendit de nouveau la main vers Jamie, sans trop savoir si elle voulait le soutenir ou espérait qu'il la réconforte. Jamie passa près d'elle sans la voir et sortit de la cabine. Par la fenêtre, elle le vit s'asseoir sur le perron et regarder l'horizon. Elle laissa retomber le rideau en étouffant un soupir et rangea les dernières lettres de John avec les autres. Il lui faudrait du temps avant d'être capable de les relire et de sourire en pensant à lui.
Les uns après les autres, Fergus, Marsali et Ian rentrèrent et aidèrent Claire à débarrasser. Tandis qu'elles finissaient d'essuyer la vaisselle, Marsali tourna vers Claire un regard curieux.
-Fergus m'a un peu parlé de ce lord John. Il a été le geôlier de Jamie, non ? J'ignorais qu'ils avaient été si amis. Pourquoi est-ce à vous qu'il écrivait alors ?
Les deux jeunes hommes qui ravivaient le feu en discutant à voix basse se turent, tout aussi curieux.
-Des malentendus et des vieux spectres les ont séparés. Tous deux voulaient y remédier sans savoir comment s'y prendre je le crains.
Et maintenant, John rejoignait la longue cohorte des fantômes qui les suivaient. Claire se retrouvait désemparée, sûre qu'elle aurait dû faire quelque chose. À tout le moins, elle aurait du assurer lord John qu'elle comprenait ses sentiments et l'appréciait malgré tout. Un homme comme lui n'avait pas du souvent rencontrer ce genre d'acceptation. Elle aurait pu lu offrir au moins ça.
Les jeunes gens se retirèrent en silence. Claire se coucha, seule dans un lit sinistre et froid. Le sommeil ne vint pas et elle finit par se relever et sortit, emmitouflée dans sa couverture pour aller s'asseoir à côté de Jamie. Il accepta le plaid qu'elle avait récupéré pour lui au passage et se bougea un peu pour lui faire de la place. Assis l'un contre l'autre, insouciants du froid qui s'insinuait jusque dans leurs os, ils attendirent silencieusement l'aurore.
