-Laurence ? Laurence ? Vous êtes là ? hurlait Alice sur le pas de la porte du commissaire

- Seigneur, pire qu'une glue ! soupira-t-il en train d'endosser sa veste

Après avoir bouclé l'enquête sur le meurtre de Nicki et dit adieu à Maillol, Laurence avait été entrainé par Marlène et Alice pour aller à boire un verre.

Tout en ronchonnant, l'attention n'avait pas manqué de le toucher. Les deux filles s'étaient inquiétées pour lui et intriguées par ses visions. Reparler d'Euphrasie avait fait remonter l'émotion et la tristesse qu'il avait eu tant de mal à surmonter quand l'accident s'était produit.

Il pensait avoir su gérer son deuil, sans succès. Le coup de grâce fut le courrier qu'il avait découvert en rentrant chez lui. Quoique… s'éloigner pourrait faire du bien.

Il avait mis Elvis en sourdine…. Can't stop falling in love with you. Quelle irone ! Take my hand… disait la chanson…

Glissant et Tricard les avaient accompagnés et la soirée s'était avérée sympathique. Tout le monde reconnaissait à Alice ses qualités de chanteuse à l'exception de Laurence, restant dans son rôle d'ours mal léché. Il devait cependant reconnaître sa capacité à n'avoir peur de rien.

Il avait constaté qu'ils partageaient leur désintérêt pour la chanson yéyé guimauve, sourit-il.

Prétextant un appel au commissariat, Laurence avait filé à l'anglaise laissant les quatre autres rire et s'amuser. Le cœur n'y était pas pour lui. Il avait le cœur à la mélancolie.

Alice avait remarqué que son absence s'éternisait et elle jeta un œil à Marlène. Assez préoccupée par sa conversation avec Glissant et Tricard, elle avait occulté le départ du commissaire. Elle avait également constaté le voile de tristesse que portait le commissaire. En échangeant avec Alice, Marlène haussa tristement les épaules. Il était vain ce soir d'essayer de réconforter le commissaire, la blessure était rouverte. Comme les animaux, il irait panser sa plaie dans son terrier.

Prenant ses affaires, Alice salua le trio et s'était donc dirigé vers l'appartement de Laurence.

- Laurence ! Laurence ! Ça va ? répétait Alice

- Quoi Avril ! en ouvrant la porte avec fracas.

- Pourquoi vous répondez pas, merde ! avec son style habituel. Elle s'arrêta de parler alors qu'elle voyait un Laurence habillé en uniforme.

- C'est quoi c'te uniforme Laurence ? Vous partez à un mariage ? ironisa-t-elle.

- Ouais c'est ça ! pour lui couper la chique et la faire taire.

- Qu'est ce que vous foutez Laurence, des voix vous ont parlé…

Le regard de Laurence l'arrêta net car il y avait dans son regard encore la tristesse d'avoir dû revivre le deuil d'Euphrasie. Pardon, excusez-moi.

- Vous voulez quoi Avril, vous foutre de ma gueule ? Allez-y vous gênez, je sens que vous êtes devenue cruche comme les fans qui vous lèchent les pieds !

- Eh, ho ça va, quoi ! Je me suis excusée. Je venais vous voir parce que je m'inquiétais pour vous mais là je comprends pas votre accoutrement ? Ya bal masqué ?

Laurence lui tourna le dos pour retourner dans son fauteuil et pour allumer une cigarette.

- Dégagez Avril, je vais bien ! En sirotant son whisky. Vous serez gentille de fermer la porte derrière vous, j'ai ma valise à faire.

- Votre valise ? Le sol se dérobait sous les pieds d'Alice désormais angoissée par l'attitude de Laurence. Son visage s'éclaira : vous prenez quelques jours de vacances pour décompresser ?

- Ouais c'est ça Alice, je prends des jours de vacances… à Berlin Ouest, très touristique, d'un ton sarcastique.

- Mais c'est quoi votre histoire ? Vous grésillez encore du trolley ? Après Brigitte vous vous déguisez encore dit elle mi-figue mi raisin.

- Non, non…. Laissez-moi, ça ne vous regarde pas et puis comme ça j'aurai une paix royale loin de vous. Ce qu'il ne faut pas que je fasse pour me débarrasser de vous !

- Ça suffit Laurence, dit Alice en colère. Vous pouvez m'envoyer balader tant que vous voulez mais je fais attention à vous comme vous le faîtes pour moi. Vous savez quoi : si je me lance dans mes situations pas possibles c'est que je sais que vous serez là pour me sauver la mise. Laurence, parlez moi, Je suis sérieuse.

Elle lui serra la main. Le cœur de Laurence fit un arrêt en sentant la douceur de sa main dans la sienne et l'intérêt sincère qu'elle lui vouait.

- Oui vous avez raison Avril, je vous prie de m'excuser. Ça a été une grosse journée dit il en baissant les yeux, confus.

Avec son autre main, Alice releva le menton de Laurence.

- Alors parlez moi ?

-Porto, lui proposa t-il ? en se levant, cherchant à gagner du temps pour organiser ses pensées et encore troublé par la main d'Alice sur lui.

- S'il vous plaît, remercia Alice, soucieuse de ce que vivait Laurence. Elle qui l'avait toujours vu indestructible et inoxydable, elle se rendait compte que la mort du Dr MAILLOL l'avait rendu …faible, non, humain corrigea Alice.

Swan lui tendit son verre tout en se réinstallant. Il la regarda, pour une fois sans irritation, sans colère. Sans doute soulagé de partager ce qu'il vivait.

- Comme vous le savez, je n'ai pas toujours été policier. Après avoir été résistant, j'ai intégré l'armée français pour continuer à faire du renseignement pour la France… Tout était à reconstruire mais il fallait aussi veiller à la façon dans nos alliés allait reconstruire l'avenir notamment en Allemagne et …

- Vous parlez allemand : s'exclama Alice.

- Est-ce que c'est vraiment important tout de suite ? s'agaça Laurence.

- Euh, non pardon, poursuivez Laurence

- Merci Avril… donc j'ai été envoyé en Allemagne car les alliés ont réorganisé la vie à Berlin, Berlin ouest notamment. J'y suis resté deux ans après la guerre comme officier de liaison et j'ai gardé des contacts chez les américains, les allemands et les russes.

Alice était concentrée comme jamais sur ce que lui racontait Laurence. Elle était subjuguée par cette vie au service de son pays et elle enviait Laurence d'avoir pu participer à l'Histoire. La voix de Swan la réveilla de sa torpeur.

- Après ces deux ans, je suis rentré en France et je suis devenu inspecteur de police. Mais je suis resté réserviste dans l'armée.

- Qu'est ce vous avez fait là bas pendant deux ans Laurence ?

- Je ne peux pas vous le dire. Elle avait l'impression de revivre l'histoire des ballets russes où il s'était travesti.

- Pourquoi vous repartez ?

Il lui tendit le papier : adjoint au directeur de la prison de Spandau à Berlin, le lieu où les nazis jugés à Nuremberg étaient enfermés. Elle regarda l'intitulé : Colonel Swan Laurence.

- Ouahh Laurence, mais c'est énorme ! C'est l'Histoire et vous êtes Colonel ! Mazette !

Laurence sourit en voyant la tête d'Alice, content de la voir émerveillée, presque fière de voir ce qu'il accomplissait. Laurence était moins enjoué sachant que la mission n'était que la face cachée de l'iceberg. Retrouver Berlin ….

- Vous partez quand ? Dans la semaine ?

Swan montra du regard sa valise.

- Quoi demain ? Mais le commissariat ?

- Je vais prévenir Tricard mais il n'a pas son mot à dire puisque c'est une réquisition de la Défense nationale qui m'impose de partir.

- Mais c'est dangereux ? s'inquiéta Alice

- Vous allez avoir la paix et mener Tricard par le bout du nez, c'est une bonne nouvelle pour vous et pour moi aussi, loin de votre caractère de fouine c'est presque du bonheur esquiva Laurence.

Il avait essayé d'y mettre de l'entrain mais sa pique passa à côté. Alice était réellement préoccupée par cet environnement à Berlin qu'elle pressentait assez hostile. Elle était surtout en colère de voir Laurence se moquer d'elle

- Mais vous me prenez pour qui Laurence ? Furieuse. Vous vous effondrez après la mort du Dr Maillol et moi j'étais là pour vous aider à cacher votre vie de toxico. Vous croyez que je me fous de ce qui peut vous arriver ?