Les personnages du manga détective Conan appartiennent à Gosho Aoyama, ainsi que ceux de Magic Kaito. Cette fic est une suite directe de mon one-shot, Juste un rêve et rien de plus…je ne saurait donc trop vous conseiller de le lire, si ce n'est pas déjà fait…

A study in scarlet

La ligue des rouquins

La bourrasque qui souleva brusquement ses cheveux roux était si glaciale que la chimiste ramena immédiatement les pans de son manteau l'un contre l'autre avant de le boutonner prestement.

Un soupir franchit le seuil de ses lèvres tandis qu'elle leva les yeux vers le ciel grisâtre, ce ciel aussi grisâtre que son manteau, ce ciel qui lui correspondait si bien et qui reflétait son humeur tel un miroir lui renvoyant l'image parfaite de son âme…

Après tout ses mois d'effort, elle avait enfin réussi à concevoir un antidote définitif aux effets de l'apotoxine, mais est ce que sa situation allait changer pour autant ?

Elle n'avait aucune raison valable de le donner à celui qui ne cessait de s'inquiéter de l'avancement de ses recherches… Cet insupportable maniaque des enquêtes n'avait mis la main sur aucun indice déterminant susceptible de les aider dans leur lutte contre l'organisation, ils avaient donc toutes les raisons du monde de conserver leur apparence actuelle.

Et quand bien même il aurait été à deux doigts de localiser le quartier général du syndicat, il y avait peu de chance pour qu'elle lui donne cet antidote pour autant.

Connaissant cet imbécile prétentieux, il se serait empressé de se jeter de lui-même dans la gueule du loup si elle lui en donnait la possibilité, au lieu de laisser le FBI ou la police prendre les risques à sa place alors qu'ils avaient infiniment plus de chance de survivre à leurs ennemis que lui…

Non, il était définitivement hors de question de lui confier la clé de cette boite de Pandore, elle ne le ferait que lorsqu'elle serait certaine que cet idiot aurait compris la gravité de leur situation… Ce qui ne risquait pas d'arriver de sitôt…

Malgré tout, la chimiste ne pouvait faire taire cette petite voix qui lui demandait insidieusement si elle allait vraiment faire bénéficier le détective du fruit de ses recherches après la chute du syndicat…

Elle avait beau se rétorquer à elle-même qu'elle n'avait aucune raison valable d'agir autrement, ses propres mots sonnaient pourtant faux à ses oreilles.

Shiho Miyano n'avait ni famille ni ami depuis la mort de sa sœur, elle n'aurait donc aucune raison de contempler son propre visage dans la glace au lieu de celui de cette petite fille qu'elle n'était plus depuis trop longtemps…

Oui, même après la disparition du syndicat, Haibara continuerait d'exister au lieu de disparaître avec ceux qui étaient à l'origine de son existence, mais le meilleur ami de Shiho Miyano disparaîtrait, lui…

Après leur promiscuité forcée de plusieurs mois, elle avait fini par s'habituer à la présence du détective… Non, il était plus juste de dire qu'elle avait de plus en plus de mal à s'habituer à ses absences…

Cet insupportable maniaque des enquêtes qui lui avait plusieurs fois sauvé la vie, cet imbécile trop naïf qui s'était efforcé de lui rendre un semblant de sourire dans cette prison, ce benêt qui avais accompli l'exploit de la persuader qu'il était possible que l'organisation puisse réellement finir par s'effondrer...

Qu'était-il pour elle ? Un ami ? Non, il était bien plus que ça… Mais elle ne pouvait pas admettre pour autant qu'elle pouvait être tombé amoureuse de lui… De toutes façons, il n'y avait aucune chance que ce sentiment puisse être réciproque si c'était réellement cela qu'elle éprouvait pour lui, alors à quoi bon s'encombrer d'un amour impossible ?

Non, il devait y avoir une autre manière de définir leur relation… Il fallait qu'il y ait une autre manière… Mais laquelle ?

Elle avait toujours regardé le monde en scientifique. Chaque chose, chaque être vivant, chaque événement devait être classifié systématiquement dans la catégorie qui lui correspondait le mieux… Et pour la première fois, elle faisait face à une chose, un sentiment pour être plus précis, qui ne rentrait dans aucune catégorie existante… Malgré tout ses efforts pour l'y caser, il avait été trop volumineux pour rentrer dans la case correspondant au concept d'amitié, et il était trop vague et trop fluctuant pour tenir bien longtemps dans celle correspondant au concept d'amour…

Peu importe que ce sentiment demeure inclassable de toutes façons, il n'en était pas moins là, et ses conséquences demeurait les mêmes…

Le détective était devenu une part essentiel de son univers, et elle ne pouvait pas le laisser s'en éloigner pour regagner son ancienne vie, ce qu'il ne manquerait pas de faire une fois qu'il aurait absorbé l'antidote…

Etait-ce la vraie raison pour laquelle elle refusait de lui donner maintenant qu'elle l'avait à sa disposition ? La même raison pour laquelle elle avait refoulé systématiquement l'espoir qu'il réussissait à lui faire regagner ? La seule véritable raison pour laquelle il demeurait prisonnier de son corps d'enfant après tout ses mois ?

Elle repensa soudainement à la conversation qu'elle avait eue avec ces deux inconnus dans un parc il y a quelques jours…

Allait-elle se tenir à la résolution qu'elle avait eue à ce moment là ou bien à celle qu'elle avait maintenant ?

La présence d'un homme en noir, à quelques mètres de l'ancienne maison de la victime de son poison, la fit tressaillir en même temps qu'elle détourna ses pensées du dilemme qui les obsédaient…

Demeurant figé dans la terreur durant un instant, la chimiste reprît brusquement son souffle lorsqu'elle avisa la couleur des cheveux de l'inconnu…

Le faucon perché sur la grille du manoir devant lequel il patientait acheva de dissiper ses doutes.

Il s'agissait bien du détective avec qui elle s'était entretenue il y a quelques jours. Qu'était-il venu faire ici ?

De toutes façons, elle allait pouvoir lui poser directement la question puisqu'il était en train de se rapprocher d'elle..

« Eh bien, si ce n'est pas notre petite Alice que voilà… Pardonnez moi de ne vous désigner que par ce sobriquet, mais nous n'avons même pas eu la courtoisie de nous présenter lors de notre première rencontre… Peut-être que nous pourrions corriger cet oubli dès le début de la seconde ? »

La chimiste fixa d'un regard glacial le visage arrogant qui lui faisait face.

« La moindre des politesse serait de vous présenter vous-même avant d'exiger des autres qu'ils ne le fassent… »

Un sourire légèrement amusé plissa les lèvres du détective.

« Pardonnez mon manque de courtoise… Mon nom est Saguru…Saguru Hakuba… Aie-je maintenant le droit de connaître le vôtre ?»

« Ai Haibara… Mais ne vous avisez pas de m'appeler par mon prénom… »

« Haibara… je comprend maintenant pourquoi vous disiez que vous et Watson étiez tout deux associé à la couleur grise… »

La fillette renifla.

« Et contrairement à moi, vous avez la chance d'être associé à la blancheur… Maintenant, si vous voulez bien m'excuser, ce n'est visiblement pas moi que vous attendiez, et je viens déjà de passer toute la matinée avec un fanatique de Holmes, je ne suis guère d'humeur à en supporter un autre… »

« Un fanatique de Holmes, dites-vous… S'agirait-il par le plus grand des hasards de mon collègue Shinichi Kudo ? »

Haibara s'efforça de dissimuler son trouble devant le regard brusquement intéressé du métis.

« Je n'ai jamais eu la malchance de croiser la route de cet idiot… Il y a malheureusement d'autres imbéciles obsédés par Sherlock Holmes dans ce pays, en dehors de vous deux…Beaucoup trop à mon goût d'ailleurs… »

Pour toute réponse, le détective désigna la grille sur laquelle était perché Watson.

« Pour ce que je peux en juger, vous avez la chance de vivre dans la maison jouxtant celle de mon collègue, la probabilité pour que vous ne l'ayez jamais, ne serait ce qu'entrevu, est donc des plus négligeable… »

« J'ai emménagé ici récemment, et à cette époque, mon voisin avait déjà disparu sans laisser aucune nouvelle derrière lui… Pour un détective, vous ne me semblez guère brillant, les journaux s'étaient pourtant fait l'écho du mystère entourant sa disparition, et vous êtes malgré tout en train de l'attendre devant une maison où on ne le revoit plus depuis bientôt un an … »

Hakuba scruta la maison vide avec une expression narquoise.

« Je suis parfaitement au courant… C'est d'ailleurs fort discourtois de la part de mon collègue d'avoir quitté la scène au moment où j'arrivais dans ce pays avec la ferme intention de me confronter à lui dès que possible… »

Le détective extirpa une montre gousset en argent de la poche de sa veste noire.

« Oui, ce n'est pas très aimable de sa part d'arriver en retard à notre premier rencontre…Un retard qui se prolonge depuis, non pas un an, mais dix mois, trois semaines, quatre jours, treize heures, neuf minutes, vingt secondes et neuf dixièmes… »

« Quel exactitude… Mais peut-être que c'est vous qui êtes arrivés en retard et qu'il n'a pas eus la patience de vous attendre… Si c'est le cas, vous devriez vous y résigner au lieu de l'attendre…Vous avez manqué l'occasion de le voir et si vous vous obstinez à vouloir vous opposez au cours du temps… »

« …je finirais par en être puni… C'est en substance ce que vous disiez lors de notre dernière rencontre… »

Un sourire sarcastique plissa les lèvres de la scientifique.

« Au lieu de vous contenter de répéter mes paroles, vous devriez y réfléchir…et cesser de perdre votre temps… »

Hakuba rendit son sourire à celle qui partageait son statut de métis.

« A ce que je voit Alice n'as pas retenu ce que lui avait dit le chapelier toqué lors du thé qu'elle a partagé avec lui…Si vous connaissiez le temps aussi bien que je le connaît, vous ne parleriez pas de le perdre comme une chose, le temps n'est pas une chose mais une personne… Une personne qui m'a beaucoup aidé dans mes enquêtes, je ne compte plus le nombre d'alibi cousu de fil blanc qu'il m'a aidé à mettre en pièce, en me pointant du doigt l'inexactitude des horaires que me donnait les suspects pour décrire leur emploi du temps… »

Le rouquin souleva de nouveau le couvercle de sa montre avant de lever les yeux vers la fillette.

« D'ailleurs, en parlant de thé… Que diriez vous d'en partager un avec moi ?Je dois cependant vous prévenir, le chapelier toqué est beaucoup trop occupé pour s'entretenir de nouveau avec vous comme il l'a fait dans ce parc, il vous faudra donc vous contenter du lapin blanc, ma petite Alice… »

Haibara écarquilla légèrement les yeux.

« je vous demande pardon ? »

« Si je ne me trompe pas dans mes calculs, avec le décalage horaire, il sera bientôt cinq heures dans notre pays natal… Et dans la mesure où depuis mon arrivée dans ce pays, je n'ai pas eu l'occasion de partager une tasse de thé avec un compatriote… »

La chimiste soupira avec une expression affligée.

« Non content d'être obsédé par Sherlock Holmes et l'heure exacte, il faut que vous le soyez aussi avec les coutumes les plus futiles de votre pays natal ? Votre comportement est si absurde qu'il en devient caricatural… »

Hakuba renifla avec une expression légèrement vexée.

« Vous ne devriez pas mépriser le savoir vivre anglais… Tout l'empire britannique s'est construit autour d'une tasse de thé… »

« …et on voit où ça l'a mené… »

Le sourire moqueur de la petite rouquine s'étira en même temps que l'irritation de son interlocuteur s'accrût.

« je suis quelqu'un de très ponctuel, donc si vous envisager d'accepter ma proposition, ayez la bonté de me le faire savoir dans la minute… »

« Voyons…Passer une après-midi seule chez moi à m'ennuyer ou subir la présence d'un petit snobinard dont la prétention accroît encore plus le ridicule, ce qui est en soi en exploit… Je dois avouer que j'hésite… »

Fermant les yeux lorsqu'elle sentit un courant d'air ébouriffer ses cheveux écarlates, Haibara les rouvrit l'instant d'après, pour mieux fixer celui qui enfonçait ses serres sur son épaule tandis que ses plumes grisâtres effleuraient sa joue.

« Il semblerait que mon brave docteur Watson insiste pour que vous acceptiez mon invitation… »

La chimiste soupira en promenant délicatement sa main sur les ailes de celui qui lui tapotait doucement la tête de son bec.

« Je suppose qu'il serait malvenu de ma part de décevoir mon petit collègue… »

Hakuba adressa un sourire légèrement amusé à celle avec qui il partageait l'affection de son faucon.

« Il est une peu trop tôt pour que vous partagiez son titre de médecin, vous ne pensez pas ? »

Haibara fixa le détective avec un air désabusé.

« Je suis forcé depuis plusieurs mois de servir de docteur Watson à un de vos collègues… Et laissez moi vous dire que si cette pauvre demoiselle subit le même sort depuis plus longtemps que moi, je la plains de tout mon cœur… »

Le métis soupira avant de tourner les talons.

« Si vous voulez bien me suivre, ma voiture est garé à quelques dizaines de mètres seulement… Et je ne voudrais pas faire subir à mon chauffeur un manque de ponctualité auquel il n'est pas habitué de ma part… »

Une expression sceptique plissa les traits de la scientifique tandis qu'elle emboîta le pas du détective.

« Votre chauffeur ? »

« J'ai la chance d'appartenir à une famille des plus aisés… »

Haibara leva les yeux vers le ciel qui partageait la même couleur qu'elle et son nouveau compagnon… Splendide, non content d'être un détective prétentieux qui s'imaginait sans doute au même titre que Kudo qu'aucun criminel ne pouvait lui résister, il semblait également être un gosse de riche qui devait sans doute s'imaginer qu'aucun de ses caprices ne pouvait lui être refusé…

Elle avait cru qu'il ne valait pas mieux que Kudo… Maintenant, elle était bien forcé d'admettre qu'elle se trompait…Il était encore pire, et elle n'aurait jamais cru ça possible…