Ce soir, Matt mourra.

Le concerné était un aveugle de son propre destin, et la seule personne à pouvoir le sauver était un aveugle de la vérité. Mello était doté d'un sixième sens que nul ne pouvait théoriser. Un troisième œil figurait sur son front, comme Matt s'amusait à le mentionner. Il percevait que son alter ego avait tissé sur ses lèvres des fils de secrets que même les plus aiguisés des baisers ne pouvaient couper. Matt ne pouvait pas se douter que Mello avait prévu leur faire passer leur plus belle nuit, car elle était la dernière qu'ils ne partageraient jamais. Même dans les cieux ils ne seraient pas réunis, car comme Mello le disait si souvent, son âme était destinée à passer l'éternité dans le purgatoire pendant que celle de Matt était pure depuis toujours.

Ils avaient réviser leur plan des dizaines de fois, et même s'il paraissait infaillible, Mello savait.

Mello savait que cet instant avec Matt serait sans doute le dernier, et il avait beau remuer dans son lit des nuits durant, accaparé par l'insomnie, aucun plan de secours ne lui venait en tête. Mello avait choisi ses idéaux avant la vie de son âme sœur, il faut croire.

Sans bruits hormis pour leur respiration imitant le vent, Mello éteignit toutes les lumières et remplaça l'éclairage électrique des néons par le feu lancinant de chandelles.

- Dis, tu aimes la poésie?

Matt releva la tête de sa console avec un intérêt feint. Il eut tout de même la décence de baisser le volume de son jeu, et haussa les épaules mollement, comme si elles étaient trop lourdes pour les soulever. Mello s'approcha dangereusement de lui, et retira la cigarette qui pendait au coin des lèvres de son ami. Il en prit lui-même une bouffée, sous les yeux grands comme des soucoupes à Matt, et l'écrasa avec une force insoupçonnée, pareil quand on extermine un microbe nuisible.

- J'en ai lu un une fois, un poème, continua-t-il. Ce genre de trucs ne m'a jamais intéressé, mais une fois lorsque je fouinais dans des bouquins à la Wammy's, je suis tombé sur un qui m'est jamais sortit de là tête, va savoir pourquoi.

- Il parlait de quoi?

Matt déglutis bruyamment. Mello rapetissait l'écart entre leurs deux corps à chaque syllabe prononcée, les obligeant à partager le même air et le même rythme cardiaque.

- D'amour déchirant, comme à chaque fois. C'est à croire que tous les poètes de l'univers n'ont rien d'autre d'intéressant sur quoi écrire.

- C'est que c'est un sujet inépuisable, tu sais. Les hommes ont beau évoluer et devenir plus intelligents, tout le monde reste quand même assez imbécile pour tomber amoureux.

L'expression de Mello se muta d'un coup. À la façon d'un enfant capricieux à qui on aurait révélé l'inexistence du père noël, il recula d'un pas, et s'asseyais à côté de Matt, le regard obnubilé par les flammes dansant avec tant de fougue que la cire en pleurait.

- Tu veux que je te le dises quand même?

- Pourquoi pas.

Mello se tourna une fraction de seconde, uniquement pour voler les lunettes à Matt, qu'il posa sur son visage. Mello, de son timbre plus doux que la plus charmante des demoiselles, s'exécuta, faisant perdre la tête à Matt à chaque lettre, à chaque son émis.

- Plonge au fond du rêve, qu'un slogan ne te submerge…

Matt se rappelle la première fois qu'il a vu Mello, à quel point il lui faisait penser à une grenade : Puissant, solide tout en étant délicat, ravageur, ultime. Dès leurs premières conversations, il était conscient qu'il ne pouvait plus le lâcher. S'il enlevait son doigt de la détente c'en était finit de lui. Sans Mello, il n'y avait plus rien, hormis les débris de son être éparpillés partout par son absence.

- L'arbre est ses racines, et le vent du vent…

- Tu sais…

Mello lui pinça les lèvres. Ce n'était pas une représentation faite pour en parler avec ses lèvres. Matt devait parler avec son âme, avec son sang qui bouillonnait un peu plus à chaque nouveau verset. Mello caressa avec une délicatesse rare les lèvres de Matt, les redessinant à chaque coup de doigt. Matt avait presque l'impression qu'en les touchant, son ami y écrivait des mots qu'il mettait à sa bouche. Des mots tendres. Peut-être même des mots d'amour.

- Fie-toi à ton cœur quand s'embrasent les mers…

Les énormes lunettes de Matt retenaient l'eau saline qui s'évacuait des yeux de Mello, qui malgré le regard qui criait à la rescousse, ne demandant qu'une bouée de sauvetage pour ne pas se noyer, sa voix restait confiante, restait belle pour le plaisir des oreilles de Matt, ignorant le déluge qui le submergeait.

- Et ne vis que d'amour même si le ciel tourne à l'envers…

Mello sourit à son compagnon. Le genre de sourire fait par les bébés naissants qui observent les anges. Matt était son ange sur terre, et le serait au ciel, comme en enfer. Il caressa les cheveux auburn de son compagnon, et le fixa droit dans les yeux sans toutefois le regarder. Matt n'avait jamais vu Mello sourire de cette façon. D'une pureté dont il ne l'aurait pas cru capable. C'est à cet instant que Matt réalisa que quelque chose allait arriver. Une chose si terrible qui lui faisait déployer son plus beau sourire. Son dernier.

- Honores le passé, mais fête le futur, et danse ta mort absente de cette noce…

Assis à califourchon sur son pur sang, Mello entoura ses bras pour enfermer Matt dans son étreinte. Il voulait le recouvrir tout entier. Il voulait former un tout qui permettrait peut-être d'éviter sa fatalité.

Matt allait mourir, et il semblait que le principal intéressé n'avait pas reçu la notice d'avertissement. Mello s'était réveillé en pleine nuit, la veille, parce qu'une odeur inquiétante lui emplissait les narines. Un mélange d'air sec comme l'hiver et de métal, mélangé à une odeur de chaire carbonisée. Il s'était penché vers le corps endormi de son compagnon, et réalisa que cette odeur émanait de lui. Était-ce son sixième sens ultra développé, ou une paranoïa injustifiée, mais Mello eut comme premier réflexe d'imaginer le pire. Ses organes avaient cessés de fonctionner tant cette peur le paralysait. Matt ne pouvait pas mourir, car les anges ne mourraient pas. D'habitude. Il continua sa sérénade, désormais incapable de dissimuler le tremblement de sa voix.

- Ne t'occupe d'un monde où l'on est héros ou traître…

Matt avait rit avec une faible intonation. C'était trop beau, c'était trop tendre. Toute cette scène était trop à l'opposée de Mello. C'est à cet instant que des cloches tintèrent à ses oreilles. Cloches funéraires ou cloches nuptiales, il ne pouvait pas les discerner avec précision, trop hypnotisé et déconcentré par l'envoûtement que provoquait Mello sur lui.

- Car Dieu aime les Hommes…

Il l'aimait. Mais pas assez pour le sauver, il ne le pouvait pas. Tout ce qui était en son pouvoir se résumait à cette dernière nuit. Il ne pouvait même pas rivaliser avec Near, comment aurait-il pu en être autrement avec Dieu? Mais il aimait assez Matt pour lui faire comprendre qu'en plus de dix ans d'amitié, il avait plus compté que tout. Plus que cette soif de victoire contre ses rivaux, plus que ce désir de pouvoir, plus que son honneur de surdoué. Plus que sa vie, sans doute.

- Et demain la Terre.

Mello se tut pour de bon et enfouit sa tête dans le creux du cou d'un Matt confus. Plus que la confusion s'insérait en Matt une attraction incommensurable envers son idole qui lui semblait depuis toujours si inaccessible. Matt resserra son étreinte, ils ne se lâchèrent pas de toute la nuit.

- C'est un chouette poème, murmura Matt. J'aimerais bien en entendre un comme ça à tous les jours.

Mello pleura, et Matt aussi.

Il avait hélas compris.

Merci pour votre lecture et surtout, j'espère que vous avez apprécié! Le poème récité par Mello est du fantastique poète américain E.E Cummings que je vous conseille d'aller lire dans sa langue d'origine. Il est tout simplement renversant! Ceci conclut ce petit one shot sur mon ship favoris de tous les temps (je ne me lasse jamais de les imager tous les deux!). J'en ajouterai probablement d'autres qui les mettront en scène, mais ce ne sera pas une histoire linéaire (les one shot auront plus ou moins de liens entre eux)

Je serais ravie de lire vos commentaires/critiques pour m'améliorer et savoir ce qui vous a plut, prenez soins de vous,

N.M xx