Hello!

Voilà, je reviens avec une petite fanfic bien sinistre centrée sur Cornelia!


Alors que le soleil commençait à disparaitre derrière les gratte-ciels de New-York, prenant dès lors une couleur rougeâtre qui le faisait ressembler à une orange, une jeune femme blonde aux cheveux longs et raides se frayait un chemin parmi la foule, tenant fermement la main d'une petite fille.

Elle avait mis du temps à s'habituer à la vie new-yorkaise, elle qui avait toujours vécu à Heatherfield il lui avait fallu s'accoutumer aux immenses embouteillages, à la pollution, aux bruits mais surtout au rythme de vie des habitants de la ville. Ils vivaient à cent à l'heure ici, vacant sans cesse à milles occupations, n'ayant jamais de temps de repos et pourtant ne semblaient jamais fatiguer. La jeune femme soupira profondément.

« Maman, Maman ! Dépêche-toi ! Tom and Jerry ! Marmonna la fillette en trépignant impatiemment. Ça va commencer ! »

Sa mère soupira davantage, regrettant amèrement d'avoir introduit la télévision dans leur appartement, sa vie étant dorénavant rythmée par les horaires de dessins animés pour jeunes enfants.

Arrivées dans le hall de leur immeuble, la fillette se précipita vivement dans l'ascenseur, bousculant au passage deux de leurs voisins avant de se dandiner et de sautiller devant les boutons. « Maman ! » lança-t-elle de sa petite voix alors que l'adulte était en train de discuter de la prochaine réunion organisée par le syndicat de l'immeuble. Comprenant que décidément, les aventures du chat et de la souris étaient d'une importance capitale, la jeune femme salua poliment les adultes et s'engouffra dans l'ascenseur. Alors que celui-ci les montait vers leur foyer, elle fronça ses sourcils, fixant sa fille d'un air désapprobateur.

« Milly, on ne bouscule pas les gens quand ils sont dans l'ascenseur ! C'est comme dans le métro ! Ça ne se fait pas, c'est mal élevé. Je ne veux plus te voir le faire, tu m'entends ? ! »

La grondée baissa honteusement la tête, les mains enfouies dans les poches de son manteau bleu. « Milly est désolée, murmura-t-elle du bout de ses lèvres dodues et bien roses."

Sa mère roula ses prunelles azure avant de sourire d'un air plus doux. « Allez, je passe l'éponge pour cette fois si tu me promets de ne plus le faire et d'être bien sage ce soir, je suis vraiment fatiguée, rajouta-t-elle en faisant tourner la clé dans la porte d'entrée."

Alors que la fillette s'installait avec joie dans les coussins du canapé devant la télévision pour savourer avec délice son émission, l'adulte, elle, referma avec mille précautions la porte d'entrée, la verrouillant autant que possible. Elle soupira. Elle savait que s'il voulait venir, ça n'était pas qu'une simple porte – aussi solide fût-elle, qui allait l'en empêcher. Elle secoua vigoureusement la tête. Même s'il voulait entrer, même s'il leur voulait du mal, jamais, jamais elle ne le laisserait faire. Elle fut tirée de ses pensées par le bruit des gouttes d'eau qui tombaient avec force sur les fenêtres. Non, plus de doute possible, l'automne était bien installé et l'hiver ne tarderait pas à venir, affaiblissant encore plus le peu de pouvoir qui lui restait. Elle grelotta un moment à rester là, devant la fenêtre à regarder le ciel s'assombrir puis alla prendre l'enfant dans ses bras afin de la cajoler. Ce ne fut qu'en sentant le battement de son petit cœur contre son corps que Cornelia se sentit enfin apaisée.

Ne comprenant pas bien ce qui prenait à sa mère, la fillette se retourna légèrement et vînt lui déposer plusieurs baisers sur le visage.

« Maman a peur ? »

La jeune femme fronça les sourcils. Elle ne voulait pas que sa fille sache ce qu'il se passait, elle ne voulait pas qu'elle renonce à une vie de petite fille ordinaire. Mais en même temps, elle avait vu avec les parents d'Elyon combien le mensonge était néfaste et surtout inutile. Ses yeux bleus dans lesquels l'inquiétude se reflétait, rencontrèrent les prunelles noirâtres de l'enfant.

« Maman ? »

Elle secoua doucement la tête. « C'est rien, Milly j'ai juste beaucoup de travail. Tu me promets d'être sage, je dois me concentrer. »

La petite hocha docilement la tête avant de se replonger dans les aventures du chat et de la souris. Cornelia se releva et alla s'installer à la table de la cuisine après avoir sorti d'une étagère un très gros dossier duquel plusieurs feuilles s'échappaient. Las, elle commença à chercher l'inspiration, cependant, au lieu de songer à de nouvelles décorations florales, elle ne put s'empêcher de repenser à son passé, à tous les évènements qui s'étaient enchainés depuis cette nuit, depuis qu'elle avait fui, qu'elle les avait tous abandonnés. Elle se releva doucement avant de se remettre à la fenêtre et de regarder la pluie s'abattre violemment sur la ville.

« Irma ? » murmura-t-elle d'une voix amère entre ses dents, un souffle à peine audible, étouffé par son nœud grandissant. Il lui semblait que chaque goutte d'eau était un doigt accusateur pointé sur elle, il lui semblait entendre la rancœur de son amie dans le bruit incessant des gouttes qui tombaient toujours plus. Elle toussa un instant avant de glisser un coup d'œil à la pendule.

« Milly, retire ton collant, ça va être l'heure du bain ! » lança-t-elle en se dirigeant vers la salle de bain et y fit couler l'eau. En plongeant sa main dans l'eau chaude, elle se remémora la bataille de la Mine Sous-marine, se rappelant combien elle avait eu peur dans la bulle d'air qui les avait transportés jusqu'à l'installation, il faut dire qu'à sa décharge, à cette époque, elle ne savait pas nager. Caleb l'avait serrée contre lui pendant tout le trajet, cherchant à la rassurer. Sa gorge se serra. Combien de fois elle avait rêvé de leur corps froids allongés, couverts de sang ? De leur regard vide et dénué de vie ? Combien de fois ? Combien de fois s'était-elle réveillée en sursaut, couverte de sueur, à cause du rire de Phobos qui résonnait encore dans ses tympans ?

Jamais, jamais il ne les retrouverait. Et quand bien même cela arriverait, elle ferait ce qu'il faut pour que sa fille et elle soient en sécurité, quitte à tout laisser derrière elles à nouveau.

Alors qu'elle savonnait l'enfant, elle sursauta, dérangée par la sonnerie de son téléphone. Rapidement, elle se sécha la main sur son jean bleu et décrocha. Elle eut beau appeler plusieurs fois, personne ne lui répondit, elle n'entendit que le grésillement de la ligne téléphonique. Sa respiration se fit saccadée et son rythme cardiaque augmenta. Elle eut un instant d'hésitation avant de mettre fin à l'appel et de recomposer un numéro.

« Olivia ? C'est Cécilia. Oui, ça a recommencé… Non-Non, ce n'est pas la peine d'aller voir la police pour ça, c'était juste un appel cette fois. Mais… Oui, est-ce que tu crois que je peux venir chez toi avec la petite pour ce soir ? Je ne suis pas très rassurée en ce moment… Bah écoute, parfait ! Je la fais dîner puis on te rejoint à ton appart ! Génial ! »

Elle eut un profond soupir de soulagement. Elle se reprit en constatant que la fillette la fixait de ses prunelles brunes. « Maman ? » Elle lui sourit. « C'est rien ma chérie. On va aller chez Olivia ce soir ! Je te fais vite avaler un truc et hop, en route ! » L'enfant baissa la tête un instant, contemplant l'eau savonneuse, l'esprit absent. Ne constatant pas son désarroi, sa mère se redressa, s'éloignant de la baignoire pour aller chercher une serviette dans le placard de la pièce. Milly restait là, toujours l'esprit ailleurs, elle ne tressaillit uniquement lorsque Cornelia lui passa le linge chaud sur ses frêles épaules, laissant celle-ci la redresser et la sortir de la baignoire.

« Maman ? » murmura-t-elle d'une petite voix alors que l'ancienne gardienne s'efforçait à frotter la serviette contre son corps enfantin pour le sécher. « Maman ? » appela-t-elle à nouveau, en posant une main sur le crâne blond de cette dernière qui, sentant le contact, redressa aussitôt la tête pour croiser son regard. « Oui ? »

La fillette se trémoussa, gênée, frottant son pied droit contre sa jambe gauche, montrant ainsi ostensiblement son embarras. « Maman a encore été embêtée ? » osa-t-elle enfin demander. Du haut de ses six ans, elle ne parvenait pas à comprendre clairement ce qu'il se passait mais elle sentait que sa mère était préoccupée, qu'elle avait peur de quelque chose, de quelqu'un. Oui, elle avait écouté une conversation entre elle et son amie Olivia. Elle savait qu'elle aurait dû dormir, qu'elle n'aurait pas dû se relever pour ainsi espionner, attraper quelques bribes de leur conversation. Cependant, non seulement elle l'avait fait mais depuis, ce qu'elle avait entendu lui avait fait très peur. Quelqu'un embêtait sa mère, d'une façon ou d'une autre. C'était pour cela qu'elle fermait toujours à clé la porte de la pièce dans laquelle elle se trouvait ou qu'elle se retournait plusieurs fois sur le trajet de l'école.

« Milly pourrait protéger Maman ? »

L'ancienne gardienne fronça les sourcils, n'aimant pas voir l'impact qu'avait cette situation sur sa fille, cherchant à tout prix à la préserver. Elle secoua la tête. « Ce n'est rien Milly, vraiment rien. Rien qui ne te concerne en tout cas ! Maintenant, va enfiler une culotte et attends-moi dans la chambre s'il te plait. »

Elle se redressa, s'accoudant contre le lavabo alors que la petite obéit. Cornelia souffla longuement avant de se passer une main aux ongles rongés sur le front. Passé un instant, la blonde fixa ses cuticules abîmés, se demandant depuis combien de temps exactement cette sale habitude l'avait reprise. Elle se souvint qu'enfant, elle se mordillait le bout des doigts lorsqu'elle était dans le noir – habitude reprise par sa fille aujourd'hui, qu'adolescente c'était lors des attaques de grandes envergures de Cédric qu'elle portait ses mains à sa bouche. Elle avait dû reprendre ce tic quand elle avait commencé à se sentir observée, épiée, traquée. Où qu'elle aille, elle avait toujours l'impression que, tapie dans l'ombre, dissimulée dans la foule, une paire d'yeux la fixait, la dévorait. Cette sensation ne la quittait jamais, peu importe l'endroit et peu importe qu'elle fut seule ou non. Même en présence Milly ou d'Olivia, cet individu était là, l'étouffant peu à peu. Son amie lui avait plusieurs fois conseillé d'aller voir la police mais pour leur dire quoi exactement ? Qu'elle recevait des appels étranges ? Qu'elle avait l'impression qu'on la suivait ? Ils allaient la prendre pour une dingue et ça n'arrangerait vraiment rien. Pendant une période, elle avait cru que ça pouvait être Phobos mais cette théorie n'avait aucun sens. Il avait vaincu les WITCH, avait écrasé la rébellion, s'était emparé du cœur de Kandrakar. Pourquoi diable la rechercherait-il maintenant qu'il avait tout ? Et puis, elle avait beau le haïr du plus profond de son être, elle devait bien reconnaitre qu'il n'était pas le seul dingue de la galaxie. Perdue au fond de ses pensées, elle sursauta lorsque son amie l'appela à nouveau, lui demandant si elle voulait qu'elle vînt la chercher. Elle se détendit.

O.O.O.O

C'était toute joyeuse que Milly entra dans « l'appartement » d'Olivia, se précipitant sur le grand lit que la pièce de vingt mètres carrés avait en son centre. Comme elle aimait cet endroit, il lui rappelait un petit nid d'oiseau.

« Va te laver les mains, Milly ! Et enlève tes chaussures ! On n'est pas chez les sauvages ici. » La gronda sa mère. « Olivia va encore penser que je ne sais pas t'élever ! »

« Je n'ai jamais rien pensé de tel ! » rit la jeune femme alors qu'elle refermait la porte d'entrée à double tour.

La fillette s'exécuta rapidement, retirant non seulement ses souliers mais également son collant afin de se glisser sous la couette colorée. « Ça y est, Olivia, elle t'a piqué ton lit ! » soupira la blonde en s'assoyant à la table se trouvant dans le coin cuisine tandis que son amie préparait une tisane pour la nuit. Celle-ci haussa les épaules, amusée. Quand elle lui versa l'eau bouillante dans une tasse, Cornelia posa ses prunelles bleues sur leur hôte, admirant la grâce dont elle faisait preuve. Étant moitié japonaise, Olivia s'amusait à reproduire la cérémonie du thé dès qu'elle en avait l'occasion, ne serait-ce que pour divertir ses invités. Il y avait peu d'étrangers les déserts du Texas, elle avait l'habitude qu'on scrutât, qu'on s'attardât sur ses longs cheveux de jais, bien lisses, impeccables ou sur ses yeux noirs légèrement bridés. Cornelia admirait ces traits asiatiques qui lui rappelaient méchamment Hay Lin. Ceux de la gardienne de l'air étaient beaucoup plus longs et plus fourchus à la pointe. Ils avaient l'habitude d'onduler le long de sa démarche, de l'entourer comme une douce aura. Quant à ses yeux, ils étaient évidemment beaucoup plus bridés, tous les membres de sa famille étant chinois. La première fois qu'elle avait vu Olivia elle n'avait pas pu s'empêcher de remarquer à quel point elles étaient semblables physiquement, malgré ces quelques différences.

« Ça va ? »

Cornelia sursauta avant de hocher doucement la tête et de boire une chaude gorgée de verveine. « O-Oui ça va… Je suis seulement un peu sonnée par tout ça… C'est tout. » Murmura-t-elle en remettant une mèche de cheveux derrière son oreille afin de dégager une partie de son visage. « Je sais que c'est idiot mais j'ai vraiment peur… Peur pour moi mais surtout pour la petite… J'ai peur qu'un jour il lui arrive un truc… »

Olivia hocha doucement la tête, compréhensive. Elle avait rencontré Cecilia il y avait trois ans de cela et seulement un an et demi plus tard, celle-ci était la proie d'un cinglé. Elle lui avait plusieurs fois proposé de prévenir les autorités mais son amie avait toujours refusé. Et d'un côté, elle devait bien reconnaitre que l'individu n'avait encore rien fait de dangereux. Il ne s'était même pas montré.

« Bon ! Je propose qu'on monte ton lit ! »

La blonde se retourna et rencontra les yeux toujours rieurs de son amie. Elle hocha ensuite la tête et se baissa pour faire glisser l'autre matelas de dessous le lit déjà préparé. Là, elle se pencha afin d'agripper le pied replié, de le redresser et de mettre debout ce nouveau lit d'appoint. La Texane monta ensuite sur un escabeau pour agripper une petite caisse perchée au-dessus des placards du plan de travail de la cuisine, elle la reposa ensuite sur la table et en sortit une paire de draps. Quand le lit fut dressé, les deux jeunes femmes se mirent en pyjama, firent leur toilette et se glissèrent sous les couvertures.

Cornelia restait là, ainsi allongée dans la pénombre, la tête enfouie dans un oreiller, les yeux rivés sur le plafond. Le silence de la pièce était seulement troublé par la respiration régulière de son amie et de sa fille. Si ces deux-là avaient pu tomber dans les bras de Morphée, la blonde, elle, était incapable de trouver le sommeil. Doucement, elle sentit sa gorge se nouer, ses yeux bleus s'humidifier, des larmes couler le long de ses joues roses. Elle hoqueta silencieusement.

Tout l'étouffait.

O.O.O.O

La nuit était déjà tombée depuis plusieurs heures sur les plaines du village, ne laissant aux habitants que la faible lueur de leurs bougies pour seule lumière. Depuis la Dernière Bataille, la situation s'était détériorée : Phobos était sur le Trône pour toujours et à jamais, absorbant inlassablement la force vitale de Meridian. Plus personne, il n'y avait plus de prétendant, plus d'héritière légitime, plus de Gardiennes pour contrecarrer ses plans, en un mot comme en cent, il avait atteint son objectif.

Assis sur son trône majestueux, dans la douce pénombre de la grande salle illuminée d'une sinistre lueur, le Prince savourait son succès en se remémorant ses exploits passés. Il se souvenait du visage apeuré de la Gardienne de l'air alors qu'il s'apprêtait à le lui écraser contre une paroi de son palais, il se souvenait du cri poussé par celle du feu quand il lui avait explosé la cage thoracique, mais surtout, il se souvenait de la lente agonie de leur chef, de la gardienne aux cheveux rouges, qui n'avait succombé à ses blessures qu'au bout de plusieurs heures – plusieurs longues heures. Sans oublier les yeux abasourdis de sa stupide sœur lorsqu'elle avait enfin compris ses véritables intentions. Oh oui, décidément, Phobos éprouvait toujours autant de plaisir à chaque fois qu'il se remémorait ces instants de bonheur. Un grognement se fit entendre à sa droite, il tourna son visage et sourit, tendant sa main pour caresser la créature à trois têtes ayant poussé ce râle. La pauvre bête avait faim… Il fallait dire qu'avec sa corpulence ce cerbère devait manger plus souvent que ses autres animaux domestiques. Il roula ses yeux noirs tout en claquant des doigts. Quelques instants plus tard, les lourdes portes de la salle du trône s'entrouvrirent légèrement afin de laisser passer une frêle jeune femme d'une vingtaine d'années, vêtue d'une tenue de domestique sombre constituée d'une chemise brune, d'un corset et d'une jupe longue noire. Timidement, elle passa une main abimée dans ses longs cheveux bruns légèrement ondulés avant de baisser ses yeux bleus vers le marbre du sol. Ainsi soumise, elle attendit qu'il lui donnât un ordre.

« Irma, il a faim ! » susurra-t-il, un sourire narquois dessiné sur ses fines lèvres.

Elle osa lever son regard, elle osa le fixer, lui montrer ainsi l'étendue de sa haine. Oui, elle détestait ce type, elle le maudissait, lui souhaitant de mourir dans les pires souffrances imaginables ! Tout comme celles qu'avaient subies ses amies. La bête grogna, une de ses têtes s'étouffant dans sa bave. « Va-t'occuper lui ! » Elle eut un haut cœur. Cette créature était l'une des plus dégoutantes du bestiaire de Phobos, une des plus dégoutantes et une des plus agressives envers elle. Dès qu'elle s'en approchait, les trois gueules claquaient des crocs, prêtes à lui arracher la main. Alors qu'elle faisait un geste vers lui, un bruissement lui indiqua que quelque chose s'avançait – quelque chose ou quelqu'un. Elle leva la tête et se retrouva nez à nez avec un reptile de plusieurs mètres de haut qui la toisait d'un regard méprisant.

« Allez vite ! Le Prince attend ! »

Elle trembla comme une feuille, hochant doucement la tête avant de disparaitre dans les couloirs en tirant sur la chaîne de métal d'argent qui pendait du collier de la tête centrale. Alors qu'elle puisait dans toutes ses forces pour faire avancer cette horrible bête, Irma ne put s'empêcher d'avoir une mine de dégout. Seulement, l'objet de son ressentiment n'était l'animal qu'elle trainait, le Prince débile ou sa saleté de reptile, non, c'était elle. Elle se dégoutait, se dégoutait tellement. Comment avait-elle pu trembler ainsi devant Cédric ? Oh, elle était bien consciente qu'après plusieurs mois de mauvais traitements, de coups, son instinct était devenu docile, n'osant plus afficher une attitude provocante, insolente. Elle s'était muée en une petite servante soumise. Elle rageait intérieurement, tirant plus violemment sur la chaine au grand dam de la bête.

Phobos, lui, écoutait avait attention le rapport de son subalterne. Pendant six ans, il avait consolidé son régime, écrasant définitivement la rébellion, enracinant des gouvernements locaux dévoués à sa cause, mettant en branle une administration centralisée. Plus aucune parcelle de Méridian ne lui échappait. Maintenant, il fallait voir plus loin. La Terre ? Intéressant ! Il hochait la tête, approuvant le projet. Tendant sa main gauche, il attrapa dans une coupe d'or sculptée, une belle grappe de raisin, les gobant un par un d'un air songeur. Les yeux noirs du Prince s'étaient embrumés, pensant à mille et une stratégies, à mille et un sales coups qui le conduiraient à la victoire. Dans peu de temps, le monde des anciennes Gardiennes serait à lui.

O.O.O.O

Milly regardait par la fenêtre, en soupirant, s'ennuyant profondément. Elle n'aimait pas spécialement les cours de danse, elle se trouvait ridicule dans son justaucorps rose saumon, dans ses collants de la même couleur. Elle avait l'impression de ressembler à un gros bonbon. Sa mère l'avait inscrite à l'académie de danse après avoir appris qu'elle passait tous ses cours de judo dans les toilettes au lieu d'aller sur le tatami. Mais ce n'était pas sa faute, elle n'aimait juste pas le sport. Elle ne comprenait vraiment pas pourquoi est-ce que sa mère s'efforçait à l'inscrire à des activités sportives le mercredi après-midi quand elle pouvait rester à la maison à regarder la télé ou dessiner. La fillette s'entortilla une mèche de cheveux. Allons bon, voilà que la vieille dame voulait qu'elle levât la jambe. Ce fut en sautillant lourdement, en se maintenant à la barre avec sa main potelée qu'elle parvint seulement à effectuer la figure et à tenir sa jambe gauche droit devant elle, gainée comme un piquet. Une bonne trentaine de minutes plus tard, sa mère vint, enfin, la sortir de son calvaire. Alors qu'elle était dans le vestiaire, qu'elle se débarrassait de son costume de bonbon, la blonde parlait avec son professeur de danse.

« Milly tu es prête ? Il faut que j'aille prendre du lait… »

La fillette se hâta davantage, fermant les boutons de sa robe, enfilant son gros pull vert et glissant ses petits pieds dans ses bottes jaunes. Étourdie, elle chercha des yeux son imperméable couleur poussin, le trouva, le mit avant de se rendre compte que sa poche gauche était beaucoup plus lourde. Elle fronça les sourcils, plongea sa mimine et, ô merveille, en sortit plusieurs bonbons enveloppés dans des papiers colorés. Émerveillée, des étoiles dans les yeux, elle les remit discrètement tout en en portant un à sa bouche dodue. Elle soupira, fermant les yeux, savourant la douceur. C'était à la fois sucré, acidulé. Jamais elle n'avait gouté un tel bonbon. Rapidement, elle se retourna vers ses camarades.

« Merchi pour les bonbons ! Ch'est vraiment sympa ! » dit-elle à une de ses petites amies rousses en lui déposant un baiser bien baveux sur la joue avant de s'en aller rejoindre sa mère.

La petite trottinait gentiment devant sa mère tout en mastiquant assidument sa sucrerie. La jeune femme fronça doucement les sourcils n'aimant pas que sa fille s'adonnât comme ça à des banquets derrière son dos.

« Milly, arrête de te goinfrer, sinon tu ne vas jamais manger le dîner ! » Elle s'arrêta un instant, regardant sa fillette si guillerette. « Qui te les a donnés ? »

L'enfant mâchouilla, profitant des derniers instants de sa douceur, puis lorsqu'elle eut fondu, que le parfum s'estompa dans sa bouche, elle lui répondit enfin. « C'est Sophie, Maman ! » L'adulte fronça à nouveau les sourcils. « Sophie ? La petite rousse ? Celle dont les parents tiennent une chocolaterie ? » La fillette hocha doucement la tête. « Elle en rapporte souvent et les partage avec nous ! Elle est chouette Sophie ! » Elle s'arrêta un petit moment, fronçant ses sourcils, réfléchissant intensément. Le bonbon n'avait pas le gout de chocolat. C'était un autre goût. Très bon mais un autre, elle n'en avait jamais gouté de tel !

O.O.O.O

Il faisait beau à New York en ce jour hivernal, les faibles rayons du soleil rendaient étincelant la poudreuse qui était tombée toute la nuit et toute la matinée. Alors qu'elle se trouvait à l'arrière de sa petite boutique, arrangeant au mieux les décorations florales, jouant avec les roses et les jonquilles, elle s'arrêta un instant, contemplant son œuvre. Même durant cette saison, ses fleurs étaient toujours aussi resplendissantes, avaient leurs couleurs aussi vives qu'en été. La fleuriste eut un sourire. Pas étonnant pour une Gardienne de la terre, pensa-t-elle en son for intérieur avant que de baisser la tête, incapable de regarder plus longtemps son œuvre. Will était morte, elle le savait… Elles étaient toutes mortes à cause d'elle, parce qu'elle avait été incapable d'affronter la réalité, incapable de se confronter à ses peurs et de se battre parmi ses amies le jour du Couronnement… Elle n'avait pas le droit d'être fière de ses fleurs, de ses pouvoirs. Le tintement d'une cloche la tira de ses rêveries et, s'essuyant les mains avec son tablier, elle entra dans la boutique, derrière le comptoir.

« Oh, bonjour Lizzy, comment allez-vous ? Puis-je faire quelque chose pour vous ? » demanda-t-elle à la cliente rousse qui humait jusqu'à lors, les senteurs des pivoines de la devanture.

« Bonjour Cecilia, je souhaiterais un bouquet de roses, s'il vous plait, comme la dernière fois. Elles étaient si jolies ! Vous avez la main incroyablement verte ! » Répondit-elle en tripotant le bout de sa grosse écharpe laineuse.

La blonde s'exécuta en souriant, appréciant – malgré sa résolution, le compliment que l'on venait de lui faire, attrapa lesdites fleurs et alors qu'elle les dressait en bouquet, lança « encore merci pour les chocolats de mercredi, Milly a tout dévoré en quelques minutes ! Ils avaient l'air vraiment délicieux ! » Sa cliente la fixa un moment l'air étonné. « Mais Sophie n'a rien apporté ce mercredi-ci, on avait une grosse commande à honorer pour un anniversaire… »

Cornelia l'observa un instant, interloquée. « Ah, elle – elle a dû en retrouver dans son manteau et a cru que c'était Sophie… Elle avait dû les mettre de côté, puis les a simplement oubliés dans sa poche, ça arrive – j'imagine. » La voix de la blonde était un peu tremblante, non elle devait se faire des idées. Elle secoua vivement la tête sous l'air surpris de sa cliente. « Excusez-moi, je suis un peu fatiguée en ce moment… »

Cet après-midi-là, en raccompagnant sa fille après l'école, la blonde se retourna plusieurs fois, aux aguets, scrutant de ses prunelles bleues, un signe, un geste, quelque chose qui lui aurait indiqué qu'elle n'avait pas perdu l'esprit et qu'il y avait bien quelqu'un qui lui suivait. Elle déglutit. Tout semblait silencieux depuis que la poudreuse recouvrait les ruelles de la ville, les bruits étant étouffés par le manteau blanc. Elle étreignit davantage la main gantée de l'enfant qui lui lança un regard étonné, ne comprenant pas ce qui justifiait cette pression.

« Maman est énervée ? J'ai rien fait… »

La jeune femme s'arrêta un instant et lui tapota la joue, un peu surprise. Elle n'avait pas imaginé lui faire peur. Doucement elle lui sourit avant de lui poser un baiser sur son petit front.

« Non, non, Milly, je ne suis pas en colère contre toi… C'est juste ma tête qui me fait vraiment mal… On va vite rentrer, d'accord ? »

Candide, l'enfant lui sourit davantage, embrassant la main gantée de Cornelia. Celle-ci lui rendit son sourire. « On va se dépêcher pour que tu puisses regarder ton dessin animé, Milly. » La fillette sautilla avant d'accourir vers leur domicile. Une fois devant leur porte, l'adulte fouilla dans son sac à la recherche de la clé. Milly, elle, trépignait d'impatience, gonflant ses joues pour passer le temps.

« Milly, reste là. »

La fillette stoppa son petit jeu aussi sec, ne comprenant pas le ton grave, sérieux teinté d'inquiétude de sa mère. Cette dernière lui indiqua des yeux d'aller vers la cage d'escaliers, ce qu'elle fit sans vraiment en saisir le sens.

Rassurée de voir la fillette se dissimuler dans la pénombre, Cornelia donna un petit coup dans la porte d'entrée, juste assez pour se glisser à l'intérieur sans se faire remarquer. Il n'y avait comme lumière que la faible lueur de la lune, illuminant ce crépuscule d'hiver, ce qui accentuait l'angoisse de la jeune femme. Quelqu'un était entré chez elle, elle en était persuadée, pour une raison simple : en partant, elle avait fermé la porte à clé. Or, quand elle avait voulu tourner la clé dans la serrure à leur arrivée, un seul tour avait suffi, prouvant que quelqu'un s'était introduit dans l'appartement mais n'avait pas pensé à refermer à clé la porte. Elle déglutit. Elle avait fini par atteindre sa petite chambre, au bout de leur domicile et, prenant son courage à deux mains, elle entra.

Là encore, la pièce baignait dans l'obscurité. La blonde ne parvenait pas à distinguer grand-chose. A tâtons, elle parvint à trouver l'interrupteur mais lorsqu'elle l'actionna, la pénombre demeura. L'intrus avait dû couper l'électricité. Elle fit quelques pas avant de s'écrouler sur son lit, faute de l'avoir vu. Quelque chose entra dans sa peau, la piquait, la brulait. Ne comprenant pas ce dont il s'agissait, elle s'agrippa davantage à ses draps, accentuant ainsi sa peine. Elle se redressa d'un bond, valsant en arrière, retombant contre le parquet de la chambre. La jeune femme gémit avant de saisir de sa main blessée son portable se trouvant dans la poche arrière de son jean. D'une poigne hésitante, elle réussit à enclencher l'application « lampe de poche », parvenant enfin à éclairer la pièce. Finalement, hésitante, elle le dirigea vers son lit et là, ses yeux s'écarquillèrent.

Étaient flanqués tout au long du couvre-lit et sur les oreillers, des ronces aiguisées, des roses et des pétales noirs. Instinctivement, elle recula de quelques pas avant de sursauter après avoir heurté le grand miroir qui se trouvait dans l'angle de la chambre. Ses prunelles bleues se focalisèrent sur son pathétique reflet. Cornelia était là, le cœur battant à tout rompre, en sueur, les bras ballants, la tête lourde, la respiration haletante. Elle porta ses mains à ses oreilles, cherchant à taire le rire cynique qui vrillait ses tympans. Ses pupilles s'agrandirent à nouveau.

Elle voyait de la fumée sombre, semblable au brouillard, provenir du miroir comme si ce dernier était devenu une porte ou pire, un portail. Elle crut apercevoir une ombre devenant de plus en plus proche, de plus en plus distincte. Son sang se mit à pulser dans ses tempes.

« Tu m'as beaucoup manqué, Cornelia… »

La jeune femme sursauta avec une telle force qu'elle retomba à nouveau à terre. Là, la seule chose qu'elle parvint à faire fut de se carapater à genoux à l'autre bout de la pièce, se recroquevillant autant que possible contre le coin du mur, enfouissant sa tête dans ses genoux, fixant du coin d'un œil rougi par les larmes, le miroir. Le rire s'encrait dans son esprit. De même, le parfum lourd, enivrant des roses noires l'asphyxiait davantage, lui faisant perdre conscience au fur et à mesure. Tout devenait flou. Elle crut distinguer dans la noirceur de la chambre, une large main qui s'apprêtait à la saisir.

« Je vais prendre bien soin de toi, Cornelia. »

Elle gémit davantage, se recroquevillant encore plus, comme si elle cherchait à disparaitre dans le mur de la pièce. Elle en était réduite à sangloter, à renifler contre ses genoux alors qu'elle avait l'impression que tout tournait autour d'elle, que chaque objet était déformé. Relevant la tête, balayant du regard la pièce, elle aperçut, près de la porte, deux grands yeux noirs qui la fixaient, presque teintés d'inquiétude. Cornelia poussa un cri avant de perdre connaissance.

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