Rating : M
Disclaimer : Les personnages et le contexte de cette histoire appartiennent à JKR. Je ne tire aucun profit l'emprunt que j'en fais.
N.B. : Ne prend pas en compte les tomes 6 et 7.
REMUS
C'était dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni
La lune
Comme un point sur un i.
Alfred de Musset
-I-
Prologue
(premières lueurs)
.oOo.
Il passa une main ensanglantée sur son abdomen et constata qu'il était toujours en vie. Comme à chaque fois, ce constat le remplit d'une amertume subtile. Sous ses ongles traînait une inconfortable pellicule de terre qu'il ne se sentait pas la force de nettoyer immédiatement.
Sa main passa ensuite sur les poils de sa poitrine et étala involontairement une substance qu'il s'interdit d'analyser comme étant du sang. De la boue, sans doute.
Il porta à son visage sa main devenue plus sûre d'elle et la pressa plusieurs fois sur celui-ci avant de comprendre qu'une fois de plus, il allait avoir une apparence épouvantable. Il saignait en divers endroits : deux coupures béantes sur sa joue gauche et une, plus superficielle, sur la peau froide de son front. Le tout mélangé à de la terre et à Dieu sait quoi d'autre.
Et puis il réalisa qu'il avait froid. Terriblement froid. Où se trouvait-il ?
L'Homme ouvrit enfin les yeux. Le matin était presque là.
Le sol d'une forêt. Etendu sur le matelas d'aiguilles d'une forêt de sapins. Comme à son habitude bien sûr, il était nu, et il sentait peu à peu le froid l'envahir à mesure que le loup en lui se rendormait.
Il amorça un mouvement douloureux pour se relever et ses talons raclèrent le sol, laissant deux traces profondes dans l'humus. Il fallait qu'il se lève s'il ne voulait pas mourir de froid. Son corps se redressa et se tint un instant en équilibre précaire. Le tronc d'un sapin l'aida à se maintenir debout pendant qu'il faisait un effort ultime pour reprendre entièrement ses esprits. Comme à son habitude il s'adressa au loup, le sachant encore un peu présent dans son sang, dans sa poitrine.
Allons…Tu as fait ton temps, à présent. Laisse moi me réveiller, je vais devoir encore une fois réparer tes bêtises…
Rendors-toi, mon heure est venue, pensa-t-il plus fermement. Tu n'as plus de raison d'être. Au mois prochain, mon ami.
Il ferma les yeux et inspira un grand coup. Il se sentait un peu mieux, il allait pouvoir marcher, rentrer chez lui.
Remus Lupin leva les yeux vers les sombres frondaisons qui contrastaient déjà avec le ciel de ce début de mâtinée et se mit en route.
Ses idées, confuses comme à chaque matin d'une transformation, refusaient de s'enchaîner convenablement dans sa tête et il avait du mal à se rappeler où il se trouvait la veille, avant de devenir quelqu'un…Ou plutôt quelque chose d'autre.
Chez lui, sans doute chez lui.
La gêne qu'il ressentait à se promener ainsi dans les bois, nu, relativement perdu, sans baguette n'était cependant rien par rapport au soulagement que cette nuit infernale, une de plus, soit terminée. Il espérait juste ne pas avoir fait trop de mal à trop de monde.
Sa peau diaphane sous la boue et le sang luisait de façon irréelle dans la pénombre de la forêt mais il ne s'en rendait pas compte, les bras serrés autour de ses épaules, frissonnant et pressé de rentrer chez lui. Ses fesses rebondies et haut perchées, saillant depuis la cambrure de son dos, offraient une vision triomphante que personne hormis quelques animaux sauvages ne pouvait contempler.
Chez lui…Il repensa un instant à la cabane misérable qui lui tenait lieu de domicile et chassa cette idée avant qu'elle ne lui empoisonne le cœur. Il resserra davantage ses bras autour de lui et poursuivit sa marche.
Il avait froid. Ses pieds étaient glacés et il ne les sentait plus. Mais il avait l'habitude. Combien de fois s'était-il retrouvé nu, souillé et égaré dans des endroits qu'il ne connaissait pas ? Il lui semblait des millions et des millions. Ce matin il n'était pas si mal loti, oh non. Il arrivait à la lisière d'une prairie qu'il reconnut alors et se mit à courir. Sa maison était juste derrière la colline qu'on voyait là-bas.
Il s'arrêta arrivé au niveau des derniers arbres et jugea préférable de rester à couvert, ne souhaitant pas que quiconque le voie dans cet état. Il repoussa une mèche de cheveux poisseuse et grisonnante qui retombait sur son front et poursuivit sa marche.
Peu de temps après, il aperçut le toit de sa maison. Il se mit à courir. Quelques secondes plus tard il était plié en deux, appuyé au tronc d'un sapin, et vomissait à grands flots tout ce qui se trouvait dans ses entrailles. Il n'aurait pas dû se précipiter ainsi. Il le savait bien…
Il entraperçut à travers sa vision brouillée un inquiétant mélange rougeâtre, sanglant, visiblement le reste des animaux dont il avait fait le festin cette nuit. Non, pas lui, le loup plutôt. Il s'était promis de ne plus jamais faire cet amalgame. Il se redressa, essuya les larmes qui avaient coulé de ses yeux ainsi que les restes dégoûtants qui s'attardaient sur les contours de sa bouche et se remit encore une fois à marcher. Il avait l'habitude de rejeter ainsi ce que le loup avait dévoré, devenu trop indigeste pour l'être humain qu'il était redevenu, mélange de sang, de chair, parfois agrémenté de restes d'os ou de fourrure. C'était une fois de plus, tout simplement.
Enfin, il était arrivé chez lui. Il poussa la barrière du jardin restée entrouverte, tout comme la porte d'entrée de la maison. A l'intérieur les quelques meubles bancals qui servaient à faire sembler les pièces un peu moins vides étaient renversés, pour certains réduits en miette. Remus avait pour habitude de ne jamais trop s'attacher aux meubles, obligé comme il l'était d'en remplacer une partie après chacune de ses transformations.
Sans un geste vers les décombres de son mobilier et avec une démarche qui trahissait l'habitude, il se dirigea vers la pièce qui abritait la salle de bain, espérant seulement avoir épargné ces lieux-là.
Il n'avait jamais réalisé la pointe de lassitude qui avait peu à peu gagné sa démarche au cours des dernières années. Jamais. Trop occupé à se convaincre de ne pas haïr le monde entier pour l'avoir ainsi mis au banc de la société, séparé de ses amis, et privé de la seule chance qu'il aurait jamais d'enseigner. Il s'était fait un devoir de ne jamais se laisser gagner par la haine. Sur son visage et dans ses mots, rien ne se voyait. Mais dans sa démarche et surtout lors de ces matins difficiles, cela transparaissait de façon flagrante.
Le jet d'eau chaude s'écrasa sur sa peau et il inspira profondément. Il commençait à se sentir mieux, sachant que d'ici la fin de la journée tout malaise physique se serait dissipé au profit de quelques simples courbatures et d'une amertume naissante qu'il ferait sans doute taire à l'aide d'un sortilège de sommeil. Mais en attendant…Il parcourut la peau de son torse, celle de son dos, en une recherche plus approfondie des blessures qu'il avait récoltées. Aucune n'était très profonde, et la majorité du sang qui avait séché sur sa poitrine ne lui appartenait pas. Quelques poils inconnus y adhéraient encore et il eut l'impression, à leur couleur et leur apparence, qu'ils appartenaient à un lapin ou à un lièvre. Le loup, il le savait, était friand de ces animaux-la.
Ils finirent de partir avec l'eau.
Depuis qu'il n'était plus à Poudlard il avait réappris à subir douloureusement chacune de ses transformations. La potion tue-loup demeurait dans sa mémoire une expérience amère plutôt qu'un remède : il aurait voulu ne plus avoir à s'en passer.
Ses muscles courbatus se détendaient peu à peu et il finit par ressentir ce qui ressemblait à un frisson de bien-être.
Il resta longtemps ainsi, savourant le semblant de purification que lui offrait l'eau chaude, soulagé. Oui, il n'y avait pas d'autre mot. Soulagé. Le seul sentiment de bien-être auquel il avait droit ces dernières années.
Remus se sentait presque heureux en sortant de la douche.
La journée se traîna. Il fit une sieste, puis cuisina les quelques restes qui traînaient dans son garde-manger avant de lire et de penser un peu à la réunion de l'Ordre qui l'attendait le lendemain. Il pensa à Sirius, longtemps. Il resta longtemps immobile, figé dans ses souvenirs. Son ami…Qu'il avait retrouvé, puis perdu à nouveau. S'il avait été plus habile, plus futé…Il l'aurait sauvé, il en était certain. Si seulement il…Si seulement.
Le ciel couvert empêchait toute observation, mais il savait en scrutant au-dehors les ténèbres que la lune était encore relativement pleine, même si elle ne l'était plus assez pour mettre en route sa transformation. Il pensa à cette satisfaction primaire qu'il ressentait lorsque sa transformation débutait. Il y avait de la douleur, oui. Mais à chaque fois un râle profond, un cri de pure délivrance à toutes les frustrations que lui imposait la vie sortait immanquablement de sa gorge avant que la souffrance, ce voile rouge, vienne recouvrir sa vue et que le loup finisse d'enterrer sa conscience.
Il pensa à cela : ce cri, ce frisson de satisfaction primaire, violent, dévastateur, avide, ressemblait à celui que l'on ressentait pendant l'amour, au moment où les sensations s'intensifient et où l'approche de l'orgasme fait perdre tout contrôle sur soi, faisant fi de la délicatesse et de la maîtrise de soi.
Plus tard, bien plus tard dans la soirée il tenterait de s'endormir en écoutant le vent s'engouffrer dans le brèches du toit, essayant de ne pas penser à sa solitude, à la femme qui pourrait partager son lit si le monde était plus clément. Il se ferait la leçon, comme d'habitude, s'interdisant de tomber dans l'analyse de ces questions inutiles, se concentrant sur l'avenir. Alors il tendrait la main vers sa baguette afin de s'ensorceler pour dormir, mais ce soir-là, son geste serait suspendu par la conscience soudaine d'une certaine partie enflée de son entrejambe réclamant à présent d'être apaisée.
Il masserait un instant ses yeux fatigués malgré l'obscurité, puis ramènerait sa main au-dessus de lui avant de la passer sous les draps et d'accomplir ce qu'il avait à accomplir.
Plus tard, en un dernier effort avant de s'enfoncer dans le sommeil il attraperait sa baguette magique d'une main moite et tremblante, non plus pour s'ensorceler mais pour faire disparaître la tâche humide qu'il aurait répandue dans les draps.
Plus tard (et comme à son habitude), il s'endormirait en serrant dans ses bras un fantôme.
