« Hé, Sati, Sati ! »

Sati Zabini, assise à l'autre bout de la table, jeta un œil inquiet à Slughorn, occupé à corriger des copies à son bureau, à l'autre bout de la pièce, avant de se tourner vers sa camarade.

« Quoi ? »

Héméra n'eut pas le temps de répondre ; l'horloge, au fond de la salle, sonna six coups avant de se mettre à vociférer, d'une voix mécanique :

« Rangée quatre, rangée quatre ! Deux élèves en train de discuter ! Rangée quatre, rangée quatre ! »

Le gong retentit à une cadence irrégulière, les aiguilles pointèrent Sati et Héméra, alors que la voix métallique piallait toujours : Rangée quatre ! Rangée quatre ! Slughorn se leva, les yeux rivés sur la rangée quatre, les mains croisés dans le dos, les boutons de sa chemise poussés dans leurs derniers retranchement par son ventre bedonnant.

« Mesdemoiselles Vanity et Zabini, vous êtes priés de cesser immédiatement toute communication ou vous me verriez dans l'obligation de vous attribuer à chacune un T. Croyez bien que j'en serais profondément navré, mais ainsi va le monde cruel des examens de Potions. »

Personne ne crut, ne serait-ce qu'un instant, qu'il en serait navré d'une quelconque manière. Rien qu'à voir son sourire faussement compatissant, et le plus candide des Serpentard se serait rendu à l'évidence : rien de tel que l'attribution d'une mauvaise note à un élève aléatoire pour égayer la journée de Slughorn. Héméra crut bon de hocher la tête d'un air de chien battu avant de se focaliser de nouveau sur sa copie. Son petit cinéma dura, en tout et pour tout, trois minutes et quarante-deux secondes avant qu'elle ne reprenne :

« Sati ! »

Sati poussa un long soupir avant de souffler, en coin, les yeux rivés sur sa copie :

« Emma, t'as pas entendu Slughorn ? Tu veux vraiment qu'il nous colle un T ? »

« Ecoute, de toute façon, je vais me taper un T si tu m'aides pas, donc je tente le tout pour le tout. C'est quoi, la réponse à la question huit ? Les ingrédients de la Potion de Sommeil-Heureux ? »

« Mais j'en sais rien, moi. »

« Taisez-vous, bon sang, j'arrive pas à me concentrer. Et l'horloge va vous repérer », les menaça Dolly Greengrass, flanquée entre les deux, tentant en vain d'ignorer leurs murmures depuis cinq minutes.

« Mais je m'en fous, si elle m'aide pas, je vais avoir un T. »

« Mais puisque je te dis que j'en sais rien ! J'y suis même pas encore, à la question huit ! »

« C'est vrai, ça, pourquoi tu demandes de l'aide à Sati ? »

« Parce que je sais très bien que tu voudras pas m'aider, toi. »

« Bien vu. Mais laisse Sati tranquille et débrouille-toi toute seule. »

Héméra poussa un long soupir dramatique, avant de retourner à sa copie d'examen. Potion de Sommeil-Heureux, Potion de Sommeil-Heureux... Elle avait vu ça quelque part, la veille. Ah oui, dans les notes de Dolly qu'elle avait vaguement parcourues avant que Rabastan ne lui propose une partie de bataille explosive. Elle essaya de se concentrer, les yeux fermés, tentant de se souvenir de l'écriture en pattes de mouche de Dolly, de la cinquantaine de page consacrée aux ingrédients de Potions. Quelque chose avec un S ? Du soufre ? Du salpètre ? Non, rien à faire, sa mémoire était brouillée, son cerveau calciné.

« Dolly, tu veux pas m'aider ? Juste pour la huit... »

La main d'Alecto, à la rangée devant, se leva droite vers le ciel.

« Excusez-moi, Professeur Slughorn, je n'arrive pas à me concentrer, il me semble que mes camarades parlent, derrière moi. »

« Et merde... », soufflèrent en choeur Héméra et Dolly.

L'horloge s'excita, se relançant dans une clameur à deux mille décibels : Rangée quatre ! Rangée quatre ! Communication dans la rangée quatre ! Rangée quatre, rangée quatre !

« Bien, bien, bien », commença Slughorn en levant la voix pour couvrir les cris hystériques de l'horloge. « Je vais devoir sévir. Ce sera donc un T pour Mesdemoiselles Vanity et Zabini. »

« Quoi ? Mais j'ai rien fait ! », s'offusqua Sati, les yeux grands ouverts d'indignation, la lèvre tremblante.

Rangée quatre, rangée quatre !, continuait de hurler à tue-tête l'horloge.

Héméra entendit vaguement le ricanement moqueur de Rabastan et d'Evan Rosier, à sa gauche, les protestations confuses de Sati, à sa droite, le ksh ksh ksh de la plume de Dolly sur sa copie qui continuait son examen comme si de rien n'était, le rire mesquin d'Alecto, devant elle, et les piaillements de l'horloge, aigus comme les pépiements d'une poule à qui on aurait injecté une dose de Potion d'Hystérie, le tout se mêlant dans une cacophonie infernale.

Elle se leva, attrapa son sac, réunit les six feuillets constituant leur examen théorique de Potions et se planta devant le bureau de Slughorn.

« Je vous rends ma copie. Vous pouvez me mettre un T, mais s'il vous plaît, laissez Sati finir son examen, elle n'y est pour rien. »

« Voyez-vous ça. Vous parliez toute seule, j'imagine ? »

Héméra fut prise de court, elle composa une expression navrée – à peu près aussi convaincante que celle de Slughorn quand il distribue les mauvaises notes – et hocha gravement la tête.

« Exactement. Je m'auto-encourage. Du genre, allez, Emma, tu peux le faire. Ou, question huit, Héméra, question huit... plus que vingt-deux questions ! Non, Héméra, ne te laisse pas abattre, tu peux réussir, non, ne pleure pas, ne pense pas au fait que tes parents vont t'enfermer dans un placard sans nourriture ni eau si tu n'obtiens pas une bonne note en Potions, et peut-être même que tu vas rater ta vie et que tu n'auras pas d'autre choix que d'épouser un vieux millionnaire pour subvenir à tes besoins parce que tu auras eu un T à ce fameux examen de Potions et que tu seras allée traîner Allées des Embrumes pour noyer ta peine en... »

« Oui, oui, j'ai compris l'idée, Mademoiselle Vanity », l'interrompit Slughorn. « Rendez-moi cette copie et sortez immédiatement de ma classe. »

Après un pouce levé adressé à Dolly et Sati, qui roulèrent des yeux de concert, Héméra s'exécuta et quitta la salle pour rejoindre sa Salle Commune. Elle se laissa tomber dans une méridienne de velours vert, accolée à la statue de Salazar Serpentard.

Devant les fenêtres rondes, coulantes de reflets bleutés, donnant sur les profondeurs du Lac, trois élèves de cinquième année s'entraînaient à métamorphoser une boîte d'allumettes en verre à pied. Sur un des canapés, près de la cheminée, Rodolphus Lestrange recyclait le même éternel barratin à trois jolies vert-et-argent, qui buvaient ses paroles, les yeux ronds d'admiration. Le même discours depuis cinq ans, depuis, précisément, le jour où, au milieu de la Grande Salle, Bellatrix Black avait ri aux éclats alors qu'il lui avait confessé ses sentiments. Héméra était en première année, assise derrière sa tarte au potiron, assistant au spectacle d'un Rodolphus, le cœur brisé, des larmes plein les yeux, s'enfuyant de la Grande Salle à toute jambe. Il avait bien changé, depuis, et il draguait tout ce qui bougeait en leur resservant le même discours bien rodé sur ses exploits exceptionnels. Quelque chose dans ce goût-là. Héméra n'y avait jamais prêté assez d'attention pour pouvoir se souvenir avec précision de ses élucubrations.

Tête renversée, jambes étendues sur la méridienne, elle ne l'écoutait pas plus aujourd'hui : toute son attention était focalisée sur Augustus Rookwood, affairé à son laboratoire de botanique – camouflé dans une armoire au fond de la Salle Commune, en cas de visite intempestive de Professeurs. Des décoctions fumantes, des pousses d'herbe-aux-fées, des racines d'asphodèles en vrac, des éprouvettes colorées et des cocktails translucides de liquides clandestins. La panoplie complète du parfait petit alchimiste. C'était à lui qu'ils devaient leurs remontants de soirées. Accessoirement, Héméra lui devait aussi son premier chagrin d'amour. Passe ô combien mémorable qui lui coûta un mois de pleurs continus devant une photo d'elle et Dolly à Pré-Au-Lard sur laquelle l'épaule d'Augustus apparaissait en arrière plan. C'était en troisième année. Depuis, elle avait eu le temps de se consoler.

« T'as besoin d'un coup de main, Augustus ? »

Il se tourna vers elle, sceptique.

« Rassure-moi, Emma, t'es pas en train de me proposer ton aide, là ? »

La tête toujours à l'envers, elle sourit.

« Si. »

« Si j'ai envie de foirer mes liqueurs, je te ferais signe, d'accord ? »

« D'accord. »

Elle lui sourit de nouveau et détourna le regard, passant en revue chaque détail qui aurait pu la distraire de l'ennui qui la gagnait peu à peu. Rodolphus en train de courtiser. Non, vraiment, il doit y avoir plus intéressant que ça. Un deuxième année en train d'essayer de réparer sa montre-à-rappel, qui lâchait, toutes les cinq minutes, des détonations à lui brûler le bout des doigts. Bof. Les rires s'échappant d'un dortoir. Pas convaincue. Les deux élèves qui en venaient aux mains pour une affaire d'examen trafiqué. Hmm, non. Faute de mieux, elle concentra son attention sur les tableaux accrochés au-dessus de l'entrée du cachot. Sir Vandersen, en armure sur son cheval, se disputant avec la Muse grecque du tableau d'à côté. Quelque chose à propos de vertu et d'abstinence.

Une journée comme les autres à Serpentard, en somme.

X

« Sati, y a un truc bizarre qui te suit. »

Sati se retourna, alarmée, avant de voir une cocotte en papier voletant dans son sillage. Elle s'arrêta et tendit la main. L'oiseau se posa au creux de sa paume, se déplia, laissant échapper une voix qui chanta d'un air faux : Satiiiii, j'aimerais te faire grimper aux rideaux toutes les nuits, Satiiii, voudrais-tu partager mon lit ? Satiiiii, dis-moi oui, Satiiiii, je vais...

Elle froissa le papier et le fourra dans sa poche, rouge de honte, avant d'avoir pu entendre la suite. Toute la Grande Salle ayant assisté à la scène, une chorale de cris, de sifflements et d'applaudissements retentit, embarrassant un peu plus la Serpentard.

« Non mais vraiment, ils savent plus quoi inventer, ces débiles », compatit Dolly en lui tapotant le dos.

« Tu sais... », commença Héméra d'un ton docte en s'asseyant à la table des Serpentard, un plat d'œufs brouillés déjà entre les mains. « Ce qui les rend fou, outre tes yeux noirs à faire fondre l'Alaska, tes jambes infinies, et ta peau mate aux effluves exotiques, c'est que tu n'aies encore couché avec personne. Je suis sûre que si tu sautais le pas, ils te lâcheraient. »

Dolly lui jeta un regard outré.

« Non mais prostitue-la, tant que t'y es. »

« Ok, je me suis mal exprimée. Tout ce que je dis, moi, c'est que tu devrais pas attendre la personne parfaite, Sati. On s'en fout, franchement, la première fois c'est toujours de la merde. »

« Pas faux », acquiesça Dolly. « De toute façon, les relations humaines c'est une perte de temps monumentale. »

Sati reposa sa fourchette de purée de carotte, un soupir au bord des lèvres.

« Fantastique. Donc si je vous écoute, je devrais m'envoyer en l'air avec le premier venu et ensuite adopter vingt-cinq chats pour finir ma vie seule et désespérée dans une hutte au fond de la forêt. »

« Exactement », acquiesça Dolly.

« Tout à fait », ponctua Héméra.

« Vous me désespérez », marmonna-t-elle en ignorant les sourires hilares de ses deux amies.

Au moment où elle attrapa le plat de soupe, une rose se matérialisa à l'intérieur, et les vermicelles se réunirent d'eux-même pour former les lettres SATI, déclenchant un fou-rire à Dolly et Héméra. A l'autre bout de la table des Serpentard, Mulciber adressa un clin d'œil explicite à Sati qui se contenta de l'ignorer en repoussant la marmite de soupe.

« Je te jure, il y'en a, c'est quand même de grands tarés », se moqua Héméra entre deux éclats de rire. « J'ai jamais vu ça... Une déclaration d'amour dans un bol de soupe, non mais sans déconner ! »

« Tiens, en parlant de tarés, regarde qui vient d'entrer, Emma », murmura Dolly en pointant quelque chose dans son dos.

Héméra se tourna aussitôt vers l'entrée de la Grande Salle, le cœur battant. Les Maraudeurs. Evidemment. Les quatre inséparables. James et ses cheveux en bataille, les mains flanquées dans les poches avec nonchalance. Remus et son calme olympien, les yeux soulignés de cernes. Peter et son regard toujours anxieux détaillant la pièce avec une fébrilité palpable. Et Sirius Black. Sirius Black. Son sourire savamment goguenard, ses cheveux savamment décoiffés, sa chemise savamment froissée, comme s'il revenait d'un petit footing dans la Forêt Interdite. En quatre mots comme en mille : le savoureux Sirius Black.

Les Gryffondor rejoignirent leur table, s'assirent en parlant fort et en riant aux éclats. Ils agissaient toujours comme s'ils étaient seuls au monde, ignorant les regards envieux que leur jetait la moitié de la salle. Aussitôt, Héméra bondit de son banc.

« Et c'est toi que je visais, Emma, quand je parlais de tarés ! », s'écria Dolly alors qu'Héméra se dirigeait vers la table des Gryffondor à grandes enjambées.

Elle ignora les regards proprement scandalisés des Gryffondor et se fit une place en poussant un troisième année qui protesta mais finit par se lever pour partir quand il constata qu'Héméra n'avait pas l'intention de bouger. Elle eut tout juste le temps de saisir le roulement d'yeux de Sirius avant de lui adresser un sourire extatique digne d'une folle en plein trip sous poudre de Belladonne.

« Salut, Sirius ! Tu vas bien ? »

Il se contenta de l'ignorer en se rabattant sur sa platrée de pâtes. Remus lui adressa un sourire compréhensif... qui tirait quand même un peu sur la pitié, alors que Peter faisait mine d'être absorbé par la contemplation de sa tarte à la mélasse. On a vu mieux, comme excuse.

« Et sinon, t'as une cavalière pour le Bal de Noël ? », enchaîna Héméra.

Nouveau silence. Qui dura plus longtemps que ne devrait durer n'importe quel silence gênant. Héméra feignit de ne pas sentir l'ambiance pesante qu'elle imposait à la table des Gryffondor. Parce que oui, la plupart des rouge et or la dévisageait maintenant avec un mélange de haine et de mépris. C'est tout juste s'ils ne lui balançaient pas leurs quignons de pain à la figure. Elle avait l'habitude, de toute façon. Quand on passait les trois quart de sa journée affublée d'un uniforme vert et argent, on recevait rarement un accueil chaleureux chez les Gryffondor.

C'est James qui se décida à mettre fin au silence. Il se tourna vers Sirius, l'air las :

« Bon, tu vas te décider à lui répondre ? Parce que tu sais très bien qu'elle va passer la journée ici, si tu le fais pas. »

« Ah oui oui oui, c'était à peu près ce que j'avais en tête », confirma Héméra en hochant excessivement la tête.

Sirius poussa un soupir qui en disait long sur ses envies de meurtre.

« Non, je n'ai pas de cavalière. Mais honnêtement, je préférerais m'ouvrir le ventre en deux et bouffer mes propres entrailles plutôt qu'aller au bal avec toi, Vanity. »

« Graphique », commenta-t-elle avec un sourire. « Bon, ben je sens que c'est pas le jour où tu comptes me déclarer ta flamme donc on en reparle demain ! »

Elle quitta la table avec un petit signe de main qui arracha un ricanement à Potter et un franc roulement d'yeux à Sirius. Regagnant sa table, elle se fit accueillir par les applaudissements de Dolly et Rabastan, assis côte à côte, et le soupir désespéré de Sati.

« On note un progrès, Vanity », l'encouragea Rabastan. « Il n'a pas essayé de t'ébouillanter avec sa soupe, cette fois. »

« Ni de te balancer un sortilège de Chauve-Furie », enchérit Dolly.

Instinctivement, Héméra passa une main dans ses cheveux en se remémorant le jour glorieux où une dizaine de Chauve-Furies l'avaient poursuivie dans les couloirs du château parce qu'elle avait eu le malheur d'essayer d'embrasser Sirius sous une branche de gui. Après ça, elle avait dû utiliser quatre sortilèges de Cheveux-Dociles pour réussir à dompter sa tignasse chahutée par les Chauve-Furies.

« Franchement, c'est du grand art », intervint Rookwood en s'asseyant en face d'elle. « Continue comme ça et d'ici six ans, peut-être qu'il acceptera de te parler sans t'insulter. »

« Je sens comme un vent de jalousie, Augustus. Ça c'est parce que t'aimerais bien me récupérer, hein ? »

Il éclata d'un rire si franc qu'elle ne put s'empêcher d'être légèrement vexée. Bon, elle l'avait cherché, mais tout de même... les bonnes manières se perdent.

« Ah non, je ne pense pas, non. Ça me rappelle juste que j'ai bien fait de te larguer, tiens. »

Rabastan émit un sifflement pour jeter de l'huile sur le feu auquel Héméra répondit d'un juron bien senti.

« Allez, sois gentil, Rookwood, excuse-toi et fais-lui un bisou », le sermonna Dolly.

Tout ce qu'obtint Héméra se résuma à un ébouriffement de cheveux en règle et un baiser bâclé sur le front. Elle protesta, repoussa son assiette et se leva d'un bond, coiffée aussi proprement qu'après une attaque intempestive de Chauve-Furies.

« C'est parce que vous comprenez rien à l'amour », argua Héméra avec philosophie. « Sirius est dingue de moi, c'est juste qu'il a peur que je lui brise le cœur. »

Sur ce beau discours qui ne convainquit personne, elle tourna les talons et quitta la Grande Salle.

X

Allongée sur son lit, feuilletant l'Histoire du Quidditch, Héméra potassait ses stratégies sportives en vue du match contre les Serdaigle. Installée au bureau, flanqué dans un coin du dortoir, Dolly révisait sa Botanique. Une dizaine de Parchemin-Parleur, fixés au mur, répétaient à tour de rôle leur contenu. Bulbe de Terradine-Bleue. A planter au printemps. Premier quartier de lune. Fertilisation : purin d'amanite tricolore. Héméra avait du mal à se concentrer avec la voix criarde des Parchemins-Parleurs qui lui embrouillaient les idées tout en lui rappelant cruellement qu'elle avait un examen de Botanique le lendemain et qu'elle savait à peine orthographier Botanique. Pousse de Pieds-de-Bison. Automne à hiver. Climat tempéré. Si ingéré : hallucinations chroniques. Remède : chrysalide de Nolidea.

Sortie de nulle part, Sati se laissa tomber avec grâce sur le lit, à côté d'Héméra.

« Je comprends vraiment pas pourquoi tu t'obstines comme ça avec Sirius. »

Héméra lui jeta un regard surpris avant de refermer son livre. De toute façon, elle était sur le point de relire la même ligne pour la sixième fois.

« Est-ce que je suis amnésique ? Est-ce qu'on était en pleine discussion ? »

« Non. »

« Ah, d'accord. C'est juste ton entrée en matière qui est déstabilisante, en fait. »

Graines de Boréales. Température : -12°C à -70°C. Pleine lune. Pas d'arrosage. Fleur de prédilection pour la reproduction des Papillons Glaciaires. Papillons Glaciaires. Papillons Glaciaires. Papillons Glaciaires. Papillons Glaciaires. Papillons Glaciaires...

« Merde, j'en étais sûre », pesta Dolly en décrochant le Parchemin-Parleur du mur. « C'est parce que je l'ai acheté d'occasion à une Serdaigle. Evidemment, y'a un grain dans le parchemin. J'aurais dû m'en douter, tous des fourbes, ces Serdaigles, hein. Et après on nous repproche à nous d'être des escrocs, la blague... »

Papillons Glaciaires. Papillons Glaciaires. Papillons Glaciaires...

« Dolly ! Tu fais taire ce parchemin de merde où je le déchire ! »

« Ohlala, c'est parler de Sirius qui te met sur les nerfs comme ça ? », soupira-t-elle en se débarrassant du Parchemin-Parleur non-fonctionnel d'un coup d'Incendio.

Elle décrocha un à un les parchemins du mur, les roula pour les mettre en sourdine et vint s'asseoir au bout du lit.

« Pas du tout », protesta Héméra.

« Non mais sincèrement, je comprends pas. Pourquoi tu insistes avec Sirius ? Pourquoi tu tentes pas ta chance avec Regulus, par exemple ? Lui, au moins, il te déteste pas... Et c'est un Black, donc bon, faute de mieux, t'auras un petit bout de son ADN... », reprit Sati.

« Non mais je rêve, propose-moi de me taper Bellatrix, tant qu'on y est. Et puis franchement, Regulus fait tout le temps la gueule... »

« Ah oui, parce que c'est vrai que Sirius, lui, il respire la joie de vivre en ta compagnie », fit remarquer Dolly en nattant ses cheveux blonds.

« Ou alors Augustus. Augustus il t'aime bien. »

« Oui, ben on a vu ce que ça donnait, une relation avec Augustus. »

« Par pitié, non, pas Augustus. Sati, t'as vraiment envie de te retaper trois mois de pleurs et de est-ce qu'il me regarde ? Est-ce qu'il me regarde ? Et là, maintenant, il me regarde ? »

« Exagère pas non plus. J'étais pas pathétique à ce point, hein ? Sati ? »

Sati lui offrit une moue contrite qui vint corroborer la version de Dolly. Dans un long soupir, Héméra se laissa retomber sur le dos, les yeux fermés.

« C'est bon ? Vous comptez passer la soirée à disserter sur ma vie sentimentale chaotique ou vous me réservez d'autres activités aussi excitantes ? »

Pour toute excuse, Sati l'embrassa sur la joue, avant de se relever.

« Désolée de vous fausser compagnie mais j'ai mon cours d'Arithmancie, les filles. »

D'un même regard, Dolly et Héméra consultèrent l'horloge suspendue au-dessus de la fenêtre.

« A dix-neuf heures ? »

« Oui, le cours a été décalé. Apparemment, notre salle a été réquisitionnée par l'option d'Introduction à la Langue Selkie. »

« Quoi ? Mais qui a pris cette option ? Ils doivent être dix à tout casser dans tout le château. »

« Oui, ben nous on est six. Donc ils nous ont pris notre salle et maintenant, j'ai cours à dix-neuf heures trente, deux fois par semaine. Génial. »

Avec une démotivation clairement exprimée par ses soupirs et ses bougonnements, Sati revêtit son uniforme et quitta le dortoir. Héméra attendit d'entendre le passage de la Salle Commune se refermer avant de se tourner vers Dolly, un sourire équivoque aux lèvres.

« Il faut qu'on la case. »

Dolly se leva, les mains au ciel.

« Compte pas sur moi pour marcher dans tes plans foireux, Vanity. »

D'un geste de la baguette, elle déroula ses parchemins et le brouhaha studieux repris. Plante de Venejo. Climat : tropical. Été. Parfois Automne...

X

« Donc, la position de Vénus rétrograde permet d'ajouter à la valeur f, soit 2y multiplié par la vitesse de rotation de la Lune, la variable du passage de la Comète A245 dans l'orbite de la Terre. Ce qui nous donne un résultat de...? »

Une Serdaigle, au premier rang, leva la main en remuant sur sa chaise. Vraiment, à la voir comme ça, on croirait que sa vie toute entière dépendait très précisément de cette réponse. Sati soupira. Elle n'avait même pas compris que le professeur Auguro posait une question.

« Mademoiselle Preya, je vous écoute. »

Sans mentir, c'était la première phrase de tout le cours que Sati comprenait. Pourquoi elle avait pris Arithmancie ? Jusqu'à l'année dernière, elle comprenait à peu près de quoi il était question. Cette année, en revanche, elle pataugeait dans un flou mathématique qui avait le don de la démoraliser.

« On observe une répétition du chiffre sept, subséquemment... »

Oh Merlin, qui utilisait le mot subséquemment ? Qui, sur Terre, utilisait ce mot, glissé dans une phrase comme si de rien n'était ? Réponse : une Serdaigle, évidemment. Il faudra qu'elle pense à raconter ça à Héméra, ça la fera bien marrer, tiens.

« … on peut conclure que le premier quartier de Lune s'inscrira dans une résonance de 2x exposant 7. Autrement dit, les enfants nés dans le premier décan auront tendance à devenir ambitieux et développeront une fascination pour certaines formes de pouvoirs. »

Ok, là, elle était définitivement perdue. Per-due. Comment était-on passé de Vénus rétrograde à des bébés dictateurs ? Merde.

« Sans oublier... », intervint le professeur.

« Sans oublier l'angle de réflexion de la lumière du soleil. »

Ils se mirent à rire. Sérieusement, ils étaient en train de rire. Visiblement, ça devait être une blague. Elle jeta un discret coup d'œil aux élèves autour d'elle : ils riaient aussi. Elle espérait sincèrement que c'était la pression de groupe qui les poussaient à se marrer comme ça... Parce que si les autres avaient compris la blague, ça voulait dire qu'elle était la seule à être à la traîne. Faute de mieux, elle se mit à rire aussi. Autant essayer de donner le change.

« Vous pouvez y aller. Et n'oubliez pas... »

« … de prendre en compte la vitesse de rotation de la Lune », répondirent en chœur les élèves, Sati comprise.

C'était la seule chose qu'elle avait retenu de son premier trimestre d'Arithmétique. Principalement parce qu'Auguro le répétait à chaque fin de séance. Elle n'avait toujours pas compris ce que ça venait faire dans l'histoire, mais au moins, elle avait l'impression d'avoir participé au cours.

Elle enfourna rapidement ses affaires dans son sac, et quitta la classe. Des talons firent échos aux siens et en quelques secondes, une Gryffondor l'avait rattrapée. Sati ferma les yeux, pourvu que ce ne soit pas une Gryffondor qui vienne chercher confrontation avec une Serpentard pour passer le temps. Elle n'avait pas la force, là, tout de suite, son cerveau était saturé de chiffres et d'équations. C'est tout juste si elle ne voyait pas des y, des x, et des π danser la farandole en se moquant ouvertement d'elle.

« Sati Zabini, c'est ça ? »

Sati ouvrit un œil, dévisagea la Gryffondor. Polie. C'était déjà un petit exploit pour une Gryffondor. Jolie. Ça, c'était pas franchement surprenant. Blonde, les cheveux ondulés, un sourire franc, des yeux verts et des pommettes hautes. Un grain de beauté sous la lèvre.

« C'est ça. Et toi, c'est Marlène McKinnon, non ? »

Marlène fit une moue appréciative, visiblement impressionnée que la Serpentard se souviennent de son prénom et de son nom. Rien d'inhabituel là-dedans, Sati avait une excellente mémoire des visages et des noms. C'était une des rares qualités qu'elle voulait bien s'accorder.

« Exact. »

Un silence se profila, mais Sati se dépêcha d'y mettre un terme avant qu'il ne devienne gênant. Et puis, Marlène marchait toujours à ses côtés et elles n'allaient pas tarder à arriver aux Cachots. Pas sûre que les Serpentard soient ravis de voir Sati se pointer chez eux avec une rouge et or.

« Je peux... t'aider ? »

« T'y comprends quelque chose, au cours d'Arithmancie ? »

« Non. Franchement, je me suis même demandé si je ne m'étais pas trompé d'option, à un moment... J'ai même cru que j'avais été enrôlée contre mon gré dans un cours d'Arithmétique de l'Astronomie ou une autre matière obscure de ce genre. »

Marlène éclata de rire. Rire cassé. Joli.

« Parfait. Parce que moi non plus. Et j'avais pas vraiment envie de demander de l'aide aux Serdaigle. J'ai pas vraiment envie de subir leurs leçons de morale suintante de mépris. »

« Sans oublier l'angle de réflexion de la lumière du soleil », parodia Sati en imitant la Serdaigle zélée du premier rang.

Marlène laissa échapper un petit rire. Cassé, encore. Joli, toujours.

« Ça te dirait qu'on révise ensemble ? Pour l'exam, le mois prochain. »

« Quoi ? », s'étrangla Sati. « On a un contrôle, le mois prochain ? Même ça, j'avais pas compris », elle lui jeta un regard alarmé. « S'il te plaît, ne retire pas ta proposition. »

« Non, ça tient toujours ! On peut manger ensemble la semaine prochaine, avant le cours d'Arithmancie, et réviser un peu ? »

« Avec plaisir. »

Elles étaient arrivés aux Cachots.

« Bon, je file », déclara Marlène. « J'ai pas envie de finir en otage, libérable contre rançon des Gryffondor. »

Joignant le geste à la parole, elle s'éclipsa. Sati lâcha un soupir de soulagement. De tous les scénarios possible commençant par une Gryffondor interpelant une Serpentard dans les couloirs, c'était de loin le plus sympathique qu'elle aurait pu concevoir.

X

« En formation Mercure, j'ai dit EN-FOR-MA-TION-MER-CURE, BON SANG MAIS VOUS ÊTES COMPLÈTEMENT SOURDS OU JUSTE TOTALEMENT DÉBILES ? », s'égosilla Héméra, du haut de son Flèche d'Argent 100, une batte dans la main droite, un Cognard gigotant sous le bras gauche.

Ses coéquipiers tentèrent tant bien que mal de se mettre en formation Mercure, qui ressembla plus à une étoile de mer qui se serait faite piétiner par une armée de Centaures qu'à n'importe quelle figure de Quidditch. Visiblement, certains avaient oublié de réviser les formations qu'Héméra leur avait gentiment distribué sur parchemins la semaine précédente.

« Non mais vous vous foutez de moi ? Ça vous embête pas trop, qu'on soit les derniers de la Coupe Intermaisons de Quidditch ? Attendez, laissez-moi reformuler... ça vous emmerde pas trop que les Poufsouffle soit devant nous ? Oui, oui, vous m'avez bien entendu LES POUFSOUFFLE NOUS DÉROUILLENT SÉVÈRE ALORS ON SE REPREND EN MAIN, S'IL VOUS PLAÎT. »

Ok, c'est vrai, peut-être qu'elle prenait un peu trop à cœur son rôle de Capitaine. Cela dit, personne n'en avait voulu, de ce poste. Ajoutons à cela qu'elle était la première fille – qui plus est de sixième année – à entraîner l'équipe de Quidditch de Serpentard, et, le résultat de l'équation se trouvait, sur l'échelle du cauchemar, quelque part entre se faire séquestrer par Hagrid dans sa cabane et se réveiller un lendemain de soirée trop arrosée aux côtés de Rusard.

« Allez, on réessaye la formation Mercure ! Lestrange, à gauche ! Voilà. Et toi, Cordello, à droite. A DROITE, J'AI DIT. TU SAIS PAS DIFFÉRENCIER TA DROITE ET TA GAUCHE ? T'AS QUOI, CINQ ANS ET DEMI ? »

Cordello s'arrêta net, les bras croisés, le menton relevé en signe de défi. Aïe. Elle savait ce qui allait suivre.

« C'est quoi ton problème, Vanity ? Tes hormones te travaillent ? Va boire un thé en papotant avec tes copines, ça te détendra un bon coup. »

Voilà, dès qu'elle blessait un peu leur orgueil, ils avaient le bon goût d'évoquer sa féminité par des remarques toujours moins subtiles. Excédée, elle relâcha le Cognard qu'elle tenait sous le bras et d'un coup de batte calculé l'envoya à pleine vitesse sur Cordello qui se le prit dans le bras gauche, perdit l'équilibre et se vautra lamentablement au sol.

« Et ça, ça ressemble à une tasse de thé, connard ? », hurla-t-elle, les mains en coupe autour de sa bouche.

Il lui répondit d'un doigt d'honneur. Exaspérés, les autres joueurs ne tardèrent pas à mettre pied à terre, ignorant les appels de leur Capitaine. A bout, elle lâcha un : On reprend l'entraînement Mercredi prochain et APPRENEZ VOS FORMATIONS qui fut accueilli, dans l'équipe, par une succession d'insultes relativement graphiques. Très bien. Ils avaient tenu vingt-huit minutes, cette fois. Pas trop mal. Mieux que les seize minutes de la semaine précédente.

Elle soupira et songea qu'elle ferait bien de travailler un peu sa diplomatie.

X

« Qu'est-ce que vous en pensez ? »

Dolly et Sati observèrent suspicieusement le cliché qu'Héméra agitait sous leur nez en sautillant.

« Et... qu'est-ce qu'on regarde exactement ? », demanda Dolly, de plus en plus méfiante.

« Bah... C'est une photo de Sirius et moi. Enfin, pour être plus exacte, c'est une photo de Sirius que j'ai demandé à un Gryffondor de deuxième année de voler contre cinq gallions. Tu vois de base, c'est une photo avec Remus, il le tient par l'épaule et l'embrasse sur la joue. Bref. Ensuite je l'ai découpée, et puis j'ai découpé une photo de moi – celle où on voyait Augustus en arrière plan, oui, au fait, je t'ai aussi coupée de la photo, Dolly – et je les ai assemblées avec un Sortilège de Glue. Bon, comme je maîtrise pas très bien le sortilège, ça a un peu foiré, ça a légèrement cramé la photo et du coup, on dirait que je me suis pris un seau de Repousse-Troll sur la gueule mais bon, sinon, c'est pas mal, non ? Bon, ok, j'avoue qu'au niveau des proportions, c'est pas top, j'ai l'air de faire deux têtes de plus que Sirius, mais je trouvais pas une photo de moi de plus loin, donc ceci explique cela... Voilà voilà, je comptais lui glisser discrètement dans la poche au prochain cours commun de Botanique, histoire qu'il voit comme on sera beau quand on sera mariés. Alors, qu'est-ce que vous en pensez ? »

Sans grande surprise, le résultat était monstrueux. Un Sirius minuscule passait un bras autour du coude d'une gigantesque Héméra, souriait à l'objectif avant de se pencher pour embrasser l'épaule de la Serpentard – la faute à la mauvaise perspective – le tout traversé, au niveau du visage de la jeune fille, par une ligne bleuâtre résultant de ses capacités limités en matière de sortilèges.

« Alors ? », insista-t-elle.

« T'es complètement folle », conclut Dolly, bouche-bée. « Là, je suis à court de mots. T'es juste complètement folle. »

« Moi je trouve ça plutôt mignon », la défendit Sati.

« L'encourage pas, Zabini ! Je suis à deux doigts d'écrire une lettre anonyme à Dumbledore pour lui demander de t'exclure de Poudlard sur-le-champ... Tu es un danger pour la population sorcière. »

« Exagère pas, Dolly. Si ça se trouve, ça va lui plaire », plaida Sati.

D'un geste vif, Dolly retira la photo des mains d'Héméra, la flanqua sous le nez de son autre camarade.

« Dans quel monde surréaliste, ça, pourrait plaire à qui que ce soit, Sati ? Tu arriverais même à faire flipper le Baron Sanglant, je te jure, Emma. »

Héméra haussa les épaules, affectant un air indifférent alors que ses talents artistiques étaient mis à mal par son amie.

« Franchement, je trouve que tu es un tantinet excessive, Dolly. »

« Un tanti... un tantinet excessive ? Merlin, dites-moi que je rêve ! »

C'est cet instant précis que choisit Rabastan pour sauter par dessus le dossier du canapé et atterrir à gauche de Dolly. Il passa le bras autour de ses épaules – qu'elle s'empressa de dégager – avant de s'allumer une cigarette.

« De quoi tu parlais, Babydolly ? »

« Alors premièrement, arrête immédiatement de m'appeler comme ça. Mais sinon, tu tombes à pic. On a besoin de ton avis objectif, parce que le mien est, semblerait-il, un tantinet excessif. »

Héméra se renfrogna aussitôt, croisant les bras.

« Non mais c'est bon, on n'est pas obligé de mettre toute la Salle Commune au courant, non plus. »

« Ouuuh. On n'est pas obligé de mettre toute la Salle Commune au courant, meilleure début de conversation possible. »

« Regarde. Qu'est-ce que cette photo t'évoque ? »

Avant qu'Héméra ait pu la lui arracher des mains, Dolly fit passer le cliché à Rabastan.

« Hum. Beaucoup de dégoût et... un peu de peur, j'avoue. »

« Qu'est-ce qui te fait peur ? », intervint Augustus en se laissant tomber sur un fauteuil vert à côté du petit groupe.

« Non mais c'est bon, j'ai compris ! Stop ! »

Trop tard. Augustus était déjà en possession de la photo avant qu'Héméra n'ait eu le temps de tenter quoi que ce soit pour préserver sa dignité. Il observa la photo trente longues secondes en silence avant de la lâcher brusquement comme si elle venait de lui brûler les doigts. Dévisageant son ex avec une moue horrifiée, il déclara :

« Il faut vraiment que j'arrête de te fréquenter. A tous les coups, t'as des cartons entiers de photos de nous deux à peu près aussi immondes que celle-là. »

« Dans tes rêves, Augustus. Et puis, arrête de me draguer, ça commence à devenir gênant. »

D'un bond, elle se leva pour récupérer son bien, le fourra dans sa poche en soupirant.

« Bon, ok, merci, message reçu, plus de photos trafiquées. Je la ressortirais à notre mariage, et on rira de cette époque hilarante où il faisait semblant de me détester. »

« Voilà. Fais donc ça », acquiesça Dolly, les yeux au ciel.

Au grand soulagement d'Héméra, le sujet en resta là, et ils enchaînèrent sur l'élaboration d'une fête clandestine, avant les vacances de Noël.

X

« Regarde-les, les Gryffondor, là. C'est possible de faire plus prétentieux, tu crois ? »

Dolly, Héméra et Sati étaient assise sur un banc, dans le Parc. Elles avaient profité d'une des rares journées ensoleillées de novembre pour manger dehors. Pas facile avec Rusard qui traîne, ses petits yeux à l'affut de la moindre infraction aux règles du château. A croire que c'était son passe-temps favori.

« Pourquoi tu dis ça ? », demanda Héméra en scrutant le groupe de Gryffondor pour vérifier que Sirius ne traînait pas dans le lot.

« Avec leur chemises rouges, leurs pulls rouges, leurs écharpes rouges. On dirait vraiment qu'ils nous cherchent. »

« Bah, c'est la couleur de leur maison, quoi », souligna très justement Sati.

« Oui, enfin on est en novembre, pas en avril ! Donc nous, en toute logique, on porte nos manteaux. Noirs. On n'a pas besoin de rappeler au monde entier qu'on est des Serpentard. C'est dingue ce manque d'assurance, quand même. »

« Tu portes ton écharpe vert et argent. »

« C'est pas pareil. »

Sati haussa les épaules : inutile de parlementer avec Dolly dans ce genre de situation. Ou dans n'importe quelle situation, d'ailleurs. Elle machônna pensivement une bouchée de salade de pommes de terre.

« J'ai une théorie. »

Sati avait toujours des théories. Que ce soit l'âge de décès d'une personne en fonction de la distance entre ses yeux, le succès d'un couple au regard de la similitude entre leurs lignes de cœur, le meilleur moyen de survivre à une attaque de Centaure ou même la vie sexuelle de Rusard... Sati avait une théorie pour tout.

« On t'écoute. »

« Cette théorie s'appelle : combinaison idéale. Donc, pour un mec Serpentard, l'idéal, c'est une Gryffondor. »

« J'aime bien cette théorie, continue », approuva Héméra, en hochant la tête.

« Attends, parce qu'il y a un twist. Le mieux pour une fille Serpentard, c'est un mec de Serdaigle. C'est bien connu. »

« Bien connu... par qui ? », demanda Dolly, sceptique.

« Je sais pas », avoua Sati. « Mais je trouve que ça a bien l'air d'être le genre de dictons qui pourraient être connus. A studieux Serdaigle, son ingénieuse Serpentard. Non ? Vous trouvez pas que ça sonne bien ? Bref, ensuite les mecs de Gryffondors avec les filles de Poufsouffle, et les filles de Serdaigle avec les mecs de Poufsouffle – il faut bien ça pour les supporter... »

« Qui, les mecs de Poufsouffle ? »

« Non, les filles de Serdaigle. Déjà, quelqu'un qui place subséquemment ni vu ni connu dans une phrase, ça n'augure pas une relation saine. »

« Et sinon, on peut savoir sur quoi elle s'appuie, cette théorie ? », questionna Héméra, qui n'appréciait pas vraiment la tournure qu'avait pris le postulat prometteur de base.

« Je sais pas. L'intuition », voyant que ça ne convainquait pas ses camarades, elle se défendit : « Hé, j'ai dit que c'était une théorie, pas un théorème, hein. Et puis ne t'en fais pas, Emma, il faut bien des contre-exemple dans toute théorie. Donc ça laisse toute la place à ton histoire d'amour avec Sirius. »

Rassurée, Héméra accepta de valider la théorie. Un groupe de Serdaigle, un peu plus loin, s'adonnait à ce qui semblait être de l'improvisation théâtrale en plein air. Un d'eux, debout sur un banc, déclamait avec emphase un parchemin qu'il tenait dans la main. Les autres riaient en l'applaudissant.

« C'est avec ce genre de mecs, que tu veux nous caser, Sati ? », se moqua Dolly.

Elles s'échangèrent un regard dubitatif.

« Bon, alors disons que cette théorie accepte trois contre-exemples. »

X

La bonne odeur des Mandragores germées et du purin d'ortie à huit heures du matin, rien de mieux pour vous mettre en joie le reste de la journée. Héméra n'avait pas l'air de s'en soucier, elle. Les mains couvertes de terre, les yeux rêveurs, elle contemplait Sirius à l'ouvrage, exilé à l'autre bout de la classe.

« Comment c'est possible d'être beau à ce point ? », murmura-t-elle pour la vingt-sixième fois à l'oreille de Dolly.

« J'en sais rien mais par pitié concentre-toi sur... et merde. »

La vessie de crapeau que tenait Héméra venait de lui exploser au visage, les tapissant de liquide poisseux, elle et sa binôme.

« J'en peux plus de toi ! », pesta Dolly en s'épongeant le visage de sa manche.

Chourave tapa dans ses mains pour attirer l'attention de la classe.

« Alors, mes petits pédoncules, à ce stade du cours, vous devriez normalement avoir enterré la vessie de crapeau dans un pot de taille 4, et c'est là que la partie technique commence... »

Dolly jeta un regard noir à sa camarade qui lui répondit d'un sourire coupable.

« Maintenant, vous devez planter la racine d'asphodèle d'un coup sec, en une seule fois, pour qu'elle perce la vessie de crapeau. Attention, la moindre fausse manipulation risque de dégager un gaz toxique potentiellement mortel », expliqua Pomona avec un petit gloussement.

Incroyable. A croire qu'ils recrutaient les professeurs de Poudlard sur leur sadisme.

« Non ! », s'exclama Dolly en arrachant des mains d'Héméra la nouvelle vessie de crapeau qu'elle venait de se procurer. « Tu ne touches plus à rien ! »

A l'autre bout de la serre, Chourave applaudit, le visage illuminé de joie.

« Regardez, regardez tous ! Vous pouvez admirer le travail de vos camarades Remus et Sirius. Vous voyez, la consigne a été respectée scrupuleusement : la racine d'asphodèle est déjà en train de se développer. Cinq points à Gryffondor pour cette application parfaite. »

Alors que le reste des Serpentard était en train de protester contre les cinq points attribués à Gryffondor, Héméra en profita.

« Professeur Chourave ! », s'exclama-t-elle, la main levée. « J'ai peur de mal faire, ce serait possible que Sirius me montre comment il a fait, pour être sûre de ne pas me tromper ? »

Le visage de Pomona s'illumina un peu plus : la ressemblance avec une citrouille lumineuse d'Halloween était flagrante. Elle joignit ses mains sous son menton.

« Bien sûr, Miss Vanity ! Dans cette école, nous sommes pour le partage entre les maisons ! »

Elle aurait presque pu entendre les yeux de Sirius rouler dans leurs orbites. Elle lança un sourire vainqueur à Dolly et rejoignit Sirius et Remus au pas de course. Ce dernier l'accueillit d'un hochement de tête approbateur.

« Bien joué, Héméra. Tu te renouvelles dans tes techniques d'approche de Sirius avec beaucoup de créativité. C'est assez impressionnant. »

« Merci. Parce que je me donne franchement du mal. On dirait presque que tu ne m'aimes pas, Sirius. »

« Je ne t'aime pas. »

« Il dit ça parce qu'il est encore un peu timide. Mais continue d'insister, ça va bien finir par payer. »

« Ne l'encourage pas, Remus. 'Continue d'insister', je rêve. Je ferai graver ça sur mon épitaphe quand on m'aura retrouvé assassiné et ligoté dans la cave de cette tarée. »

« Si ça peut te rassurer, j'ai pas de cave », claironna gaiement Héméra. « J'ai un grenier, par contre. Au cas où ça t'intéresserait », ponctua-t-elle avec un sourire suggestif.

« Elle est tarée », soupira Sirius. « Remus, mets-toi entre nous deux, s'il te plaît. »

« Hors de question. »

Héméra profita de cette distraction pour se rapprocher d'un pas de plus de Sirius. Elle était, présentement, collé à son bras gauche. Il lui jeta un regard noir. Gris, plus exactement. Glaçant.

« Recule. Immédiatement. »

Bon, elle n'avait pas non plus envie de finir avec un traumatisme crânien dû à un pot de terre cuite qu'on lui aurait éclaté sur la tête... Elle s'exécuta donc. Sans même avoir besoin de faire un petit tour d'horizon de la salle, elle sentit les regards meurtriers des filles de Gryffondor. C'est vrai que Sirius était courtisé par, environ, la moitié de Poudlard... et le rapprochement forcé d'Héméra ne plaisait pas à tout le monde. A personne, à vrai dire. Pas même au premier concerné.

« Ok, je te propose un marché », annonça-t-elle, en nouant ses cheveux en chignon, les maculant de terre au passage.

Il la dévisagea avec suspicion mais n'émit pas d'objection assez vite, elle enchaîna :

« Je ne t'adresse plus la parole jusqu'au Bal de Noël, si, et seulement si, tu acceptes d'y aller avec moi. »

Il se passa la main dans les cheveux en poussant un long soupir.

« Merde... C'est tentant. »

Avant qu'il n'ait le temps de donner sa réponse, Chourave sonna la fin du cours de la petite cloche suspendue au-dessus de l'entrée de la serre.

« Je te laisse y réfléchir », chantonna Héméra en déposant une bise sur la joue de Sirius.

Il fit la grimace mais n'eut pas le temps de la repousser, elle gambadait déjà vers la sortie.

X

La main tendue de Sirius. Elle la saisit. Des lumières tamisées. Une chanson. Elle ne saurait pas dire quel type de musique, juste un rythme diffus, comme s'il ronronnait dans sa propre tête. Elle reconnut le décor du Bal de Noël. Elle dansait avec Sirius. Son parfum, presque animal, tout autour d'elle. Elle tournait. Tournait. Tournait encore. Maintenant, elle se sentait fiévreuse. Quelque chose n'allait pas. Un éclair déchira le ciel. Elle était à l'extérieur. L'écho de l'éclair résonna et elle se retrouva dans le noir.

Elle se réveilla en sursaut. Dans le noir. Elle tâtonna autour d'elle, en nage, sentit le bois de sa baguette contre ses doigts. Lumos. La lumière balaya deux lits, un étendard vert et argent, une horloge tic-tocante et une coiffeuse avalée par une montagne d'habits, de livres et de bric-à-brac en tout genre. Elle était bien dans son dortoir.

Tout va bien, tout va bien. Juste un cauchemar. Tout va bien, se répéta-t-elle pour essayer de se calmer. Tout va bien.

Sans bruit, elle s'extirpa de son lit, quitta le dortoir. Elle avait besoin d'un peu d'air frais. Pas le Parc, pas à cette heure-là. Juste trouver une fenêtre qui s'ouvre sur autre chose que les eaux vertes du Lac, un peu de vent dans les cheveux. La porte de son dortoir était entrouverte, elle se faufila à pas de loups, rejoignit la Salle Commune.

Une lanterne était allumée, posée sur une table. A côté, deux silhouettes murmuraient des choses qu'elle n'entendait pas. Elle fit un pas de plus, s'arrêta net, hésitant soudain. Quelque chose, dans cette scène, dans la lumière tremblottante de la lanterne, dans l'ambiance pesante qui couvrait ses bras de chair-de-poule, intima à Héméra de rester cachée. Une des deux silhouettes voulut partir mais l'autre l'en empêcha.

« Réfléchis-y », glissa la deuxième silhouette à celle qui avait tenté une retraite.

Impossible de reconnaître la voix. Elle n'aurait même pas su dire si c'était un homme ou une femme. Juste un murmure.

« C'est bon, j'ai compris. »

Héméra se glaça : ça, c'était Dolly. La voix de Dolly. Un peu hébétée, elle fit demi-tour, le plus discrètement possible et retourna dans son lit. Quelques minutes plus tard, la porte du dortoir s'ouvrit et elle entendit Dolly se laisser tomber dans son lit dans un long soupir.


Bonjour !

Vous ne me connaissez pas, je ne vous connais pas encore. Quelle merveilleuse rencontre ! J'espère que vous avez apprécié le début de ma fanfiction. C'est la première fois que je me lance là-dedans, la période des Maraudeurs, c'est un sacré défi. En espérant ne pas trop avoir abîmé nos chers Serpentards. Pour ceux qui se demandaient (ou pas, hein, mais j'explique quand même on sait jamais !) Emma Vanity est un personnage qui est vaguement mentionné dans un film. J'ai trouvé le prénom sympa et je me suis dit pourquoi pas ?

N'hésitez pas à me dire si vous avez bien aimé ou pas, quel personnage vous appréciez et lequel vous aimeriez bien voir sauter depuis le haut de la tour d'Astronomie (c'est parfaitement envisageable). J'attends vos retours avec impatience !