Londres, Powell Estate… 1990 :

Le TARDIS venait de se poser là où il en avait maintenant pris l'habitude : dans la petite aire de jeux du Powell Estate. Le Docteur, bien habillé avec un nœud papillon bleu tout neuf, où brillaient des étoiles, qu'il avait acheté quelques jours plus tôt dans la marché stellaire de Comen de Comedia au CXème siècle, sortit d'un pas empressé de son vaisseau temporel et spatial et se dirigea vers l'appartement de sa belle-mère.

C'était l'été à Londres. Le soleil brillait haut dans un ciel sans nuages. Un temps idyllique pour la capitale britannique – et tellement mieux que la tempête qu'il venait d'essuyer en pleine mer au IXème siècle dans un drakkar wiking…

Derrière lui, des enfants d'assez bas-âge jouaient fort bruyamment dans le bac à sable de l'aire de jeux. L'un d'entre eux se mit soudainement à hurler puis à pleurer, le Docteur s'arrêta de marcher et hésita à intervenir. Il était toujours alarmé par les pleurs des enfants comme le lui avait fait remarquer sa jeune femme à propos de leur fils… Une fillette, plus jeune que le garçonnet toujours en pleurs, commencer à crier à son tour et taper en même temps un autre garçon plus âgé et aussi plus costaud – pour un enfant de cinq ou six ans tout au plus.

« Eh ! Arrête Rose ! Cria celui-ci.

- Dis pardon à Mickey, répondit la fillette. »

Sa voix était assez aigue mais elle frappa quand même les oreilles du Seigneur du Temps. Le Docteur se retourna très vite et s'approcha du bac à sable, où quatre enfants se disputaient à présent. Parmi eux, il y avait deux garçons qui semblaient avoir cinq ou six ans.

L'un des deux, qui avait la peau plus sombre que les trois autres, lui était extrêmement familier, pour l'avoir vu déjà une fois enfant. Même si c'était avec d'autres yeux… Mickey Smith. C'était lui qui pleurait, il semblait pourtant le plus grand et le plus âgé mais il était aussi de toute évidence le plus faible d'entre eux. Devant lui, une petite fille blonde continuait de taper l'autre garçonnet Le Gallifréen continua de marcher vers eux mais plus lentement, avec plus d'hésitations aussi. Pouvait-il vraiment rester là alors qu'il reconnaissait sous des traits aussi juvéniles la femme de ses vies ?

« Lâche-moi, hurlait le petit garçon blond.

- Dis pardon, répéta la petite fille sans cesser de lui tirer les cheveux.

- Aille ! D'accord ! Pardon ! Mais lâche-moi, Rose ! »

Ladite Rose obéit enfin, tout sourire, et se tourna vers Mickey.

« Tu n'as pas trop mal ? Lui demanda-t-elle. »

A ce moment précis, Rose, faisant face à Mickey, faisait aussi face au Docteur. Le Seigneur du Temps, son futur mari, se rendit compte à quel point ses yeux, d'habitude noisettes, qu'il connaissait si bien et où il lisait déjà la même énergie, la même vitalité que dans ceux de sa femme d'une vingtaine d'années, étaient encore d'un bleu très clair et très doux. Tout comme ses cheveux dont le blond déjà affirmé était adouci par leur finesse.

Rose Tyler avait déjà ce feu dans les yeux et il se voyait aussi à la rougeur de ses joues. Tout autant de détails qu'il appréciait et qui le charmait sans qu'il s'en rende vraiment compte…

« Un peu à la tête, il a frappé fort, Jimmy !

- Montre-moi ça, lui suggéra sans réfléchir le Docteur.

- Vous êtes qui ? Demanda Mickey en fixant des yeux éberlués sur le drôle de costume que portait le Seigneur du Temps.

- Je suis Docteur. Montre-moi ta bosse, petit. »

Mickey Smith accepta et le Docteur s'agenouilla pour observer la petite tête du jeune Mickey. Il fut soulagé de constater qu'il n'allait avoir qu'une vilaine bosse et rien de plus grave.

« Dis-moi, Mickey, quelle est l'année en cours ?

- Quoi ?

- En quelle année sommes-nous ? C'est pour vérifier que tu n'as rien de sérieux à ta tête. Beaucoup de docteurs posent ce genre de questions. Alors, en quelle année ?

- Quatre-vingt-dix.

- Dix-neuf-cent-quatre-vingt-dix ?

- Oui.

- Merci. Euh, enfin, je veux dire… Tu n'as rien, tout va bien. Enfin à part que tu vas avoir une grosse bosse très bientôt. Mais rien de sérieux. Ça aurait pu être pire… »

Mickey acquiesça tout en grimaçant de douleur.

« Tu vas sûrement encore avoir un peu mal. Peut-être que tu devrais rentrer chez toi.

- J'peux pas : Rose est trop jeune pour rester seule !

- Je veillerais sur elle, lui promit le Docteur. »

Mickey grimaça encore et le Seigneur du Temps se demanda si c'était à cause de la bosse ou si c'était à l'idée de laisser Rose seule avec lui…

« Où il va, Mickey ? Demanda Rose en le voyant partir.

- Il rentre chez lui.

- Chez sa mamie ? »

« Ah oui, c'est vrai, Mickey avait déjà dû perdre ses parents et vivait avec sa seule grand-mère, pensa le Docteur. »

« Oui, chez sa grand-mère. Ta maman va bientôt venir te chercher ?

- Je sais pas... Il devait s'occuper de moi.

- Je peux le faire, moi ! Proposa malicieusement le petit garçon blond.

- Je vais m'en occuper, le coupa le Seigneur du Temps. »

Il sentait que ce jeune garçon, Jimmy, allait faire du mal à sa Rose s'il la laissait avec lui.

« Vous connaissez ma maman ? Demanda Rose Tyler. Elle aime pas que je reste seule avec des étrangers.

- Oh ? Ta maman ? Bien sûr que je connais Jackie. Et elle a bien raison. Je comprends parfaitement ses craintes. Et tu fais bien de t'inquiéter des étrangers. Mais tu n'as rien à craindre de moi. »

Rose avait encore du mal à le croire. Dix-neuf-cent-quatre-vingt-dix… Elle devait donc avoir trois ou quatre ans, pensa le Docteur. Elle ne se souviendrait sûrement jamais de cette journée. Pour autant, le Seigneur du Temps n'osa pas se présenter comme le Docteur ou John Smith contrairement à son habitude.

Il resta juste là, à observer la petite Rose Tyler jouer avec son amie, Shareen Greene, et le jeune Jimmy Stone. Et ce pendant une longue demi-heure. Jusqu'à ce que les deux mères de Shareen et Jimmy n'arrivent et récupèrent leur bambin. Jackie Tyler, la mère de Rose, tardait quant à elle à arriver. Le fringant Gallifréen entra à l'intérieur du bac à sable une fois que Rose et lui se furent retrouvés seuls. Le Docteur se mit à jouer avec le seau et la pelle que Mickey avait abandonnés derrière lui en rentrant chez lui. La si jeune Rose qui lui faisait face lui rappelait par beaucoup de ses traits ceux de son si jeune fils qui lui manquait de plus en plus presque autant que sa mère.

« Vous vous appelez comment, monsieur ? C'est gentil à vous de jouer avec moi.

- Je suis papa, commença le Docteur en éludant évidemment la question – que n'allait pas cesser de lui poser par la suite Rose une fois devenue sa compagne de voyage -, mais je suis loin, très loin, de mon enfant.

- Il vous manque ?

- Oui, énormément.

- Vous n'avez pas dit votre nom, remarqua Rose. »

Déjà à trois ou quatre ans, Rose Tyler le harcelait à ce sujet et n'oubliait pas surtout qu'il éludait ses questions.

« Non, je ne te l'ai pas dit, Rose. Tu veux que je te le dise ? Je vais le faire mais seulement parce que je sais que de toute façon tu ne te souviendras jamais de cet instant. Je suis Thétalordrilmanuilversil, de la maison seigneuriale Arvalia de Gallifrey.

- Waouh, c'est long !

- Pour faire court, appelle-moi juste Théta.

- Théta ? C'est joli.

- Rose aussi c'est joli, dit-il, c'est même très joli comme prénom. Et toi aussi tu l'es ma chérie. »

Il ne put alors plus s'empêcher d'effleurer du bout des doigts le visage de porcelaine de sa bien-aimée, la joue si douce et si chaude de Rose Tyler. Sa peau blanche et encore sans défaut ne faisait que le tenter depuis près d'une heure. Et il avait su se retenir. Jusque-là.

Le Docteur caressa ensuite les fins cheveux de l'enfant. Au moment-même où Jackie pointait enfin son nez à l'autre bout de l'aire de jeux. Elle courut vers sa fille unique avec la férocité d'une lionne il sembla au Docteur.

« Rose ! S'écria-t-elle tout en courant vers eux. Lâchez ma fille, vous ! Quel pervers êtes-vous donc pour vous attaquer à ma toute petite fille ? »

La claque de Jackie ne tarda pas. Il s'y était de toute façon attendu en la voyant débouler comme une furie. Rose se mit à pleurer en voyant la gifle voler; Le Docteur dut se retenir pour ne pas s'agenouiller auprès d'elle pour la consoler. Ce n'était pas son rôle, pas encore. Pas pour cette Rose Tyler. A la place, il choisit de s'éloigner au plus vite des deux Tyler qui rentraient déjà vers leur appartement. De toute façon, comment aurait-il pu s'expliquer ? Jackie n'avait jamais accepté ses excuses alors que sa fille le soutenait alors maintenant qu'il était un étranger pour toutes les deux…

Dans les bras surprotecteurs de sa mère, la jeune Rose Tyler vit le Gallifréen s'en aller et se diriger vers une drôle de boite bleue. Celle-ci commença à disparaitre sous ses yeux. Rose prit ça pour de la magie et en était seulement émerveillée et pas du tout inquiète. Elle n'en parla pas, jamais, de la boite bleue qui avait disparu dans les airs De toute façon comme l'avait bien compris le Docteur, Rose Tyler n'allait même jamais se souvenir de cette journée. Mais par contre, le son du TARDIS, qui retentit pour la première fois à ces oreilles ce jour-là, n'allait dès lors cesser de la hanter pour le reste de sa vie. Ce son si particulier allait se graver en elle, à tout jamais.

De son côté, dans le TARDIS, le Docteur se remettait difficilement de ce qu'il avait vécu. Pas de la claque de Jackie. Ça n'avait pas été la première et elle lui avait même fait du bien en fait. Il avait un peu perdu le sens des réalités auprès de cette si jeune version de la femme qu'il aimait.

C'était justement de cette rencontre, rencontre qui l'avait bouleversé, qu'il se remettait difficilement à présent. Rencontrer Rose Tyler aussi jeune avait été très émouvant et surtout très éprouvant pour le Seigneur du Temps. Surtout d'éviter de toucher sa future compagne. Il y était presque parvenu… Mais il avait cédé à la tentation. A la toute fin, au pire moment. Juste à temps…

Il n'aspirait maintenant plus qu'à rentrer chez lui. Il voulait retrouver l'époque où l'attendait Rose et leur fils. Le Seigneur du Temps se rendit alors compte que pour la première fois il appartenait vraiment à une époque, à un lieu donné, à un temps donné. Là où on l'attendait, où sa famille l'attendait. Après avoir lancé son TARDIS dans le vortex du Temps, le Docteur se surprit à prier la seule déesse qu'il n'aurait jamais, la seule à laquelle il se permettrait de croire et d'adorer, de le ramener enfin auprès d'elle...