PIERRE DE LUNE


Chapitre 1

La première fois que je mis le pied sur le campus de l'Université de Forks, il faisait chaud et les feuilles des arbres brillaient de cet étrange éclat, presque luisant, typique des grandes chaleurs. Les parterres de roses blanches qui tapissaient la longue allée menant à l'entrée principale du bâtiment semblaient gentiment se défraichir sous le poids de cette chaleur pour le moins inhabituelle dans cette région d'avantage coutumière d'un climat tempéré. Originaire de la principauté de Phoenix par ma mère, ce type de canicule ne m'était en rien étranger. Pourtant, j'avais la désagréable impression de me liquéfier alors que je tentais, péniblement, de parcourir les quelques mètres me séparant du vaste escalier victorien marquant l'entrée de l'institution. En effet, j'avais tenu à me rendre seule à ce qui serait désormais, et pour quelques années je l'espérais, ma nouvelle demeure. J'avais évidemment fait le choix d'apporter mes instruments de musique avec moi et me trouvait par conséquent encombrée d'une guitare sur le dos, un violon à la main, mes cymbales et mes baguettes de batterie sous un bras alors que ma main restante s'efforçait de trainer ma valise qui contenait le reste de mes affaires, principalement des livres. J'étais extrêmement heureuse d'avoir réussi le concours d'entrée à l'Université de Forks et enthousiaste à l'idée de me lancer dans des études qui me semblaient passionnantes mais je ne pouvais m'empêcher de ressentir une sourde angoisse me tenailler l'estomac, comme à chaque fois que j'entreprenais quelque chose me poussant à sortir de ma zone de confort cet espace virtuel que j'avais créé autour de moi, comme un cocon, et qui me protégeait de l'inconnu pour lequel j'avais à la fois de la fascination mais aussi une crainte latente, alimentée par ma timidité et surtout ma réserve naturelle.

Dix-huit ans auparavant, mon père, originaire de Forks avait lui aussi réussi ce concours, mais sa rencontre avec ma mère et l'annonce de notre future naissance à moi et mon jumeau Jasper l'avait poussé à changer ses projets. Il ne regrettait pas d'avoir quitté le pays et d'avoir étudié le droit à l'université de la principauté de Phoenix alors que ma mère terminait sa formation de pianiste, mais il était secrètement fier que je suive ses traces et que je découvre un peu plus ce pays qui était, après tout, aussi le mien. C'était une des raisons pour laquelle j'avais décidé de passer le concours de l'Université de Forks, mais j'avais avant tout fait ce choix car il s'agissait de la meilleure université du pays. De plus, elle proposait des doubles cursus qui m'intéressaient énormément. Grâce à un travail acharné et mes résultats au concours, j'avais réussi à intégrer l'un d'entre eux, la licence de littérature et de musique.

A Phoenix, la musique était un art de vivre plus qu'un loisir, tous les habitants de la ville jouaient d'au moins un instrument et l'industrie musicale était le moteur économique majeur de notre petite principauté. Ma mère, professeur de piano, m'initia très jeune à cet instrument. A l'âge de huit ans, mon frère adoptif, Seth, commença à m'enseigner la batterie et je m'intéressais ensuite par moi-même aux instruments à cordes et à tout ce qui me tombait sous la main. La musique était pour moi comme une seconde nature, elle m'avait toujours habitée, envahie et plus rien pour moi n'était bruit. Tout était son. Ma mère m'avait donné une formation classique et je commençais très jeune à donner des récitals et des concerts mais je supportais très mal la pression liée aux représentations, l'impression constante de devoir répondre à un jugement impartial. Mes parents prirent donc la décision d'interrompre ma jeune carrière et de me laisser aller à la découverte de tous les types de musique par moi-même, du rock indépendant à la musique folklorique. Pour moi, il n'y avait pas de frontière entre tous ces genres et je m'imprégnais de chaque note, de chaque accord comme un homme assoiffé face à une rivière d'eau fraîche et limpide tentant d'apaiser une soif sans fin. Phoenix était un immense carrefour musical et je tentais de tirer l'essence de chaque goutte de cet océan de sons et d'influences que j'avais à ma disposition.

Parallèlement à cela, je passais mon temps chez un vieux luthier qui vivait près de chez moi et dont la tâche consistait à restaurer des pianos dans une vieille bicoque qui s'apparentait à une véritable caverne d'Ali-Baba. Dans mon imaginaire d'enfant, cet endroit relevait plus d'une caverne au trésor que d'un atelier d'artisan, et je passais mon temps fourrée dans les jambes du vieil homme lunatique, qui, dans son obscur passé, avait un jour été écrivain. C'est dans cette petite boutique que je fus initiée pour la première fois aux secrets et aux merveilles que pouvait receler les livres. Le vieil homme me rabrouait souvent et prenait parfois un air fâché durant lequel il remontait ses lunettes à monture ronde sur son nez tout fripé de vieillesse. Mais au fil du temps, il fut conquis par ma nature silencieuse et me pris sous son aile. Je savais que ses crises de colères étaient plus théâtrales que véritablement dangereuses. Et c'est ainsi que durant toute mon enfance je dévorais les ouvrages qui tapissaient chaque recoin de cet atelier sous la tutelle bienveillante de cet encyclopédie vivante, trésor ignoré d'une petite bourgade de campagne. Il me guidait dans mes choix, répondaient à mes questions et me laissait l'observer lorsque qu'il redonnait vie à ces cadavres de piano, ces squelettes de bois et d'ivoire qu'il chérissait comme les enfants qu'il n'avait pas eu mais la majorité du temps, nous cohabitions dans un silence confortable, parfois interrompu par une nocturne de Chopin que Billy aimait écouter lorsqu'il était d'humeur mélancolique. Il ne me le dit pas, mais je crois que le vieil homme versa une larme lors de mon départ pour l'université, je n'étais pas sa fille, ni même sa petite-fille mais j'étais ce qui s'en rapprochait le plus et même si nous ne partagions souvent que du silence, mon absence allait tout de même créer un vide, de même que l'odeur du bois, des vieux livres et de la pipe qu'il fumait dans son atelier allaient me manquer.

C'est à lui que je pensais alors que je soulevais difficilement, sur les marches de l'escalier, ma valise pleine d'ouvrages qu'il m'avait offerts avant mon départ. Fatiguée et légèrement désespérée par l'effort je fis une pause et contemplais les larges étendues de gazon légèrement jaunies par le soleil, qui s'étendait devant moi. Les étudiants déjà arrivés dans la matinée étaient négligemment assis dans l'herbe, sous l'ombre des marronniers qui formaient l'allée par laquelle j'étais arrivé. Un doux brouhaha se faisait entendre, entrecoupé parfois de quelques rires, d'exclamations d'amis, qui, après avoir été séparés tout l'été, étaient heureux de se revoir. Tous paraissaient enjoués et l'on ressentait dans l'air cette atmosphère d'excitation joyeuse et d'émulation, typique des rentrées scolaires.

C'est à ce moment-là que ma rêverie fut interrompu par l'apparition d'une main secourable, qui, eut visiblement pitié de mon état : entourée de bagages, les cheveux en bataille et le teint encore rougi de ma tentative d'ascension.

« Salut ! » S'exclama un jeune homme brun à la carrure imposante, les cheveux bouclés et la peau bronzée par le soleil estival.

« Tu as peut être besoin d'un coup de main pour monter tout ça jusqu'au bureau des admissions ? ».

Troublée par cette proposition inattendue je restais un moment interdite mais son large sourire et surtout la difficulté avec laquelle j'étais arrivée jusque-là achevèrent de me convaincre d'accepter son aide.

« Tu es nouvelle ici ? » Je hochais la tête.

« Tu entres en licence de musique ? » Demanda-t-il en pointant du doigt mes instruments, Je hochais à nouveau la tête et ajoutait que j'entamais aussi un cursus de littérature ».

« Waouh ! S'exclama-t-il en haussant les sourcils, un double cursus ! Il y en a très peu ici, tu dois être douée. Pour ma part je redouble ma deuxième année de licence de musique » expliqua-t-il avec un sourire contrit mais néanmoins teinté d'humour qui ne pouvait que lui attirer la sympathie.

« Je joue de la batterie et je chante, mais je suis un peu paresseux ajouta-t-il avec un clin d'œil et un air complice. Je ne répondis rien mais riais légèrement, son air malicieux me rappelait un peu Seth et il m'inspirait confiance. Une fois arrivés en haut des escaliers, je le remerciais timidement.

« Je suis dans la chambre 317 » répondit-il. « Passe me voir si tu as besoin de quelque chose, on se reverra surement en cours demain de toute manière. Au fait ! Je m'appelle Emmett, et toi ? »

« Isabella » répondis-je avec un sourire timide, « Isabella Swan ».

« Joli nom » dit-il. « A plus tard Isabella » ! Et après un signe de la main et un large sourire dévoilant ses dents blanches, il s'éloigna, montant deux à deux les marches de l'escalier menant aux chambres étudiantes.

Heureuse d'avoir fait la rencontre de quelqu'un de sympathique et d'un musicien en plus de cela, je m'avançais vers l'accueil destiné aux nouveaux étudiants. Je fis la queue avec les autres, certains commençaient déjà à nouer connaissance mais j'étais d'avantage intéressée par le cadre que je découvrais pour la première fois. J'avais mille fois contemplé l'architecture victorienne et les peinture murales qui ornaient l'intérieur de l'édifice sur le site internet de l'université; mais pouvoir admirer la coupole centrale au tambour percé de petites fenêtres rondes par lesquelles s'infiltraient les rayons du soleil de fin d'après-midi me firent réaliser le chemin parcouru depuis le moment où j'avais rempli le formulaire d'inscription au concours d'entrée. Une fois mon tour arrivé, une secrétaire très aimable me fournit un plan du campus, mon emploi du temps et les clés de ma chambre, m'annonçant que ma future colocataire était déjà arrivée dans la matinée.

Toujours encombrée de tous mes bagages, je me dirigeais vers l'escalier emprunté quelques minutes plus tôt par Emmett, le nez plongé dans le plan que je venais de recevoir. Au moment où je levais les yeux j'aperçus une haute silhouette descendre négligemment les marches. Instinctivement, je fronçais les sourcils, je connaissais ce visage : le teint pâle, des cheveux d'un châtain étrange, légèrement cuivré il avait les yeux d'un vert très clair donnant à son regard un air perçant presque surnaturel. Autour de son cou, une chaine argentée retenait un pendentif circulaire aussi noir que l'ébène mais orné d'une délicate rune blanche. La couleur sombre de l'objet semblait absorber chaque rayon de lumière qui effleurait sa surface il s'agissait de sa pierre runique. La mienne était également ronde mais plus petite, d'une blancheur nacrée et recouverte de petites runes plus claires au dessin végétalisé. Certaines personnes n'hésitaient pas à porter leur pierre de naissance en ras du coup, aux vues de tous, mais dès l'âge de douze ans, j'avais fait ajouter au collier traditionnel obligatoire et incassable, une longue chaine qui me permettait de dissimuler mon pendentif sous mes vêtements car je préférais garder pour moi ce que je considérais comme quelque chose d'extrêmement intime.

Les pierres runiques étaient d'une importance cruciale dans notre société. Nous les portions dès le jour de notre naissance. A l'origine multicolores et toutes de la même forme, les pierres se singularisaient au fur et à mesure de notre croissance, autant physique que mentale car elles constituaient un reflet de notre personnalité en devenir. Elles prenaient généralement leur couleur et leur forme définitive aux alentours de la majorité, mais il arrivait parfois que cela prenne d'avantage de temps. Une fois le processus achevé commençait alors l'attente de l'un des évènements le plus marquants des possesseurs de pierre runique : le changement. Cette attente pouvait durer un mois, un an, ou même dix mais avait généralement lieu durant les quelques années suivant l'achèvement du processus de colorisation de la pierre. Le changement était lié à la rencontre de ce que l'on appelait son âme associée. Chaque possesseur de pierre runique rencontrait un jour sa moitié et cet évènement était marqué par la métamorphose de sa pierre runique. Les pendentifs des deux personnes prenaient respectivement l'apparence de celle de leur âme associée, marquant un attachement destiné à durer toute une vie. Il en était ainsi des possesseurs de pierres runiques, ils n'aimaient qu'une fois.

Ce fût sa pierre runique sombre si caractéristique qui me permit de comprendre que j'étais face à Edward Cullen, la vedette de l'Université de Forks. Ce jeune-homme était connu pour être une sorte de génie. D'abord catalogué comme un enfant extrêmement précoce, il fût rapidement constaté que même pour un surdoué, cet enfant avait une intelligence extrêmement développée. Elle s'affirma encore plus à son adolescence, époque à laquelle il commença à intéresser les médias et où il fût contacté par l'Université de Forks, car il avait évidemment obtenu son baccalauréat avec plusieurs années d'avance. L'administration de l'université n'hésitait pas à s'enorgueillir de la présence d'Edward Cullen dans ses murs, et il participait indirectement à leur promotion en tant que meilleure université du pays. Aujourd'hui, à vingt-trois ans, il avait achevé ses études mais poursuivait ses recherches en mathématiques, discipline qu'il avait choisie, tout en donnant quelques cours, notamment de philosophie. Son intelligence avait fait sa réputation mais le jeune homme était aussi particulièrement charismatique. Malgré son jeune âge, il disposait du charme conféré par l'expérience et l'aura de celui qui perçoit en chaque chose une subtilité que le commun des mortels passe une vie à saisir. De plus, par un étrange truchement du destin qui semblait lui avoir accordé toutes ses faveurs, il était issu d'une des familles les plus fortunées du pays. L'association de ces caractéristiques faisait de lui un objet d'intérêt, non seulement pour la gente féminine mais aussi pour les médias. Il faisait régulièrement la une des journaux à scandales qui se plaisaient à diffuser la rumeur selon laquelle il avait enfin connu le changement rumeur qui jusqu'à présent s'était toujours révélée fausse mais témoignait de l'impatience avec lequel le monde attendait de connaître l'identité de l'heureuse élue qui partagerait l'existence de ce célibataire tant convoité.

Durant le peu de temps qu'il m'avait fallu pour le reconnaître, Edward Cullen avait descendu l'escalier sans un regard envers le monde qui l'entourait, comme absorbé par son monde intérieur. Les visages des nouveaux étudiants se tournaient vers lui, curieux d'apercevoir pour la première fois la célébrité de l'université les autres, apparemment habitués à sa présence lui accordaient moins d'attention mais ne pouvaient s'empêcher de lever les yeux vers lui. Au moment où il passa devant moi, je baissais la tête, soucieuse qu'il ne me surprenne pas alors que je l'observais. En vérité cette précaution était inutile car il ne sembla même pas avoir pris conscience de mon existence. J'eus seulement le temps de sentir la faible brise provoquée par sa marche rapide avant qu'il ne poursuive son chemin, tel un bateau suivant son cap.

Ainsi eu lieu ma première rencontre avec Edward Cullen, si l'on pouvait seulement appeler cela une rencontre. Elle me laissa un sentiment semblable à celui que j'avais ressenti lorsque j'avais aperçu dans la rue mon auteur favori. Je l'avais vu de loin, il souriait à la jeune femme qui l'accompagnait, ignorant le fait que, quelque part dans la foule, quelqu'un l'observait et l'avait reconnu. Être connu, ou du moins reconnu sans connaître en retour, là était le paradoxe de la célébrité. Je me plaisais dans ce rôle d'observatrice anonyme, sans existence et sans influence auprès de ces personnages autour desquels tant de personnes gravitaient. Cela correspondait bien à ma nature timide et observatrice. Interagir avec gens me semblait parfois difficile mais je me nourrissais de tous ces petits détails que personne ne remarquait, ils étaient pour moi comme les centimes que l'on trouve parterre dans la rue ces petites pièces auxquelles personne ne fait attention mais dont la somme a, au bout du compte, une certaine valeur.

Mais je ne savais pas encore que la vie, le destin, ou encore le hasard n'allaient pas en rester là et allaient laisser sur mon chemin beaucoup plus de centimes que prévus, en particulier concernant un certain Edward Cullen.


Les personnages de cette histoire de m'appartiennent évidemment pas puisqu'ils ont été créés par Stephenie Meyer, mais je les utilise pour matérialiser les fruits de mon imagination, j'espère que cela vous plaira.

A très bientôt :)

Una