Que votre vol hanté soit fête.
« Les cons, mais quels cons … »
Sam leva les yeux de son ordinateur. Dean était avachi sur l'un des lits (celui de Sam, comme par hasard) et laissait ses doigts couverts de ketchup parcourir le papier poisseux d'un journal local, le visage figé dans une expression à mi-chemin entre la colère et la stupéfaction. « Quoi ? »
« Je vais les tuer, c'est pas possible. »
Les réponses sibyllines de son frère avaient fini par piquer la curiosité du plus jeune. « Tu comptes me mettre au courant ou tu vas continuer à t'énerver tout seul dans ton coin ? »
Dean sembla seulement remarquer la présence de Sam. Il poussa un soupir sonore en levant les yeux au ciel puis, roulant sur le côté pour sortir du lit avec une certaine grâce, il s'avança vers son cadet et lui tendit la page du quotidien qui l'avait tant énervé avant de sauter sur le lit dans une grande éclaboussure de frites. Il garda les yeux rivés au plafond en respirant bruyamment, contrôlant sa contrariété en attendant la réaction de son petit frère.
Intrigué par ce manège, Sam entreprit de lire l'article à voix haute. Sous une photo en noir et blanc d'une demeure un tantinet délabrée se trouvait le texte en question. « Une nouvelle attraction fait polémique à Salem. Après plusieurs mois durant lesquels les travaux se sont déroulés dans le plus grand secret, les nouveaux acquéreurs du manoir du Lac Salem ont dévoilé leur objectif. Cette demeure d'architecture victorienne longtemps laissée à l'abandon et désignée comme hantée dans l'imaginaire collectif a donc été transformée en attraction à sensations fortes, que nous avons pu visiter avant son ouverture au public ce soir. Les visiteurs désireux d'avoir la peur de leur vie embarquent donc à bord de wagonnets sécurisés qui les emmènent au cœur du manoir. Après quelques déambulations dans des couloirs sombres décorés à la mode des fêtes foraines et sans grande originalité, nous pouvons découvrir le point d'orgue de l'attraction, la salle des esprits. Et le spectacle commence. Les lumières vacillent, des plaintes assaillent nos oreilles et des personnages horribles surgissent de nulle part, apparaissant et disparaissant sans laisser de traces. Nous ne sommes pas en mesure au moment où nous écrivons d'affirmer s'il s'agit de figurants ou d'hologrammes, même si les propriétaires du manoir affirment qu'il s'agit bien là de revenants et qu'aucun trucage n'intervient dans l'histoire. Les associations religieuses de la ville protestent contre ce qu'ils appellent une célébration des rituels sataniques. Info ou intox, ce soir les curieux seront nombreux à se presser devant la billetterie tenue par les heureux propriétaires, Messieurs Harry Spangler et Ed Zeddmore. »
Abasourdi, le jeune homme reposa le journal en silence et regarda son frère toujours allongé qui semblait compter les imperfections de la peinture du plafond. « Ils le font exprès, tu crois ? »
Dean soupira en s'asseyant. « Ils doivent aimer qu'on leur botte le cul. » Sam eut un petit rire. « Ça te fait rire ? Je te rappelle qu'a chaque fois qu'on a croisé le chemin de ces crétins congénitaux, tu as failli y passer. » Aucune trace d'humour dans sa voix grave.
Sam haussa les épaules en souriant. « Dans tous les cas, nous devons aller vérifier s'il s'agit bien de fantômes ou non. Si on se dépêche, on peut être arrivés pour l'ouverture et contenir d'éventuels problèmes. Même si je me demande comment ils auraient pu faire pour… »
Dean se leva complètement et attrapa son sac, commençant à le remplir d'armes diverses, de sel et de liquide inflammable. « Je ne me pose même pas la question, avec ces demeurés il faut tout envisager. » Il referma le sac et le jeta sur son épaule en regardant son frère. « Alors, qu'est-ce que t'attends ? »
Quelques minutes plus tard, ils arrivaient en vue de la demeure du lac Salem. Il s'agissait d'une immense demeure de style victorien sur trois niveaux et aux fenêtres entravées par des planches. Les boiseries qui décoraient la façade étaient passées depuis des décennies bien qu'on devinât encore des traces de couleur rose. La bâtisse s'ouvrait en son centre par une immense double porte, mise en relief par des colonnes grises rappelant la couleur ardoise du toit pentu et décoré de corniches et de petites fenêtres. Le tout était entouré d'un parc aménagé de telle façon que les haies s'assemblaient en une sorte de labyrinthe végétal et sombre, parcouru de rails menant jusqu'à la porte d'entrée de la maison et dont le point de départ, situé à quelques mètres seulement d'un portail sinistre, était un guichet d'accueil. Une douzaine de curieux s'agglutinaient déjà dans une file d'attente en face du guichet, une espèce de réplique miniature de la maison en carton pâte surmontée d'un horrible panneau sur lequel était inscrite l'accroche la plus nulle de l'histoire des attractions de fêtes foraines : « Venez vous faire pEur dans le Manoir de la TerReur. Avec de Vrais fantÔmes garantis pur hectoplamSe. » S'approchant de la billetterie avec son énorme sac porté en bandoulière, Dean laissa échapper un ricanement et secoua la tête en levant les yeux au ciel. « On aura tout vu. »
A ses côtés, Sam se sentait d'humeur encore moins conciliante. « Ça se dit chasseur de fantômes et ça ne sait même pas écrire ectoplasme. » Le jeune homme se planta dans la file d'attente et jeta un œil vers son frère aîné. Qui commençait déjà à resquiller sans que la file ne s'en aperçoive. Sam l'attrapa par le col et le ramena à ses côtés. « T'es pas possible. Tu ne sais vraiment pas attendre plus de deux minutes ? »
Dean souffla d'agacement. « Je hais les files d'attente. » A ces mots, il commença à sautiller sur place puis, une quinzaine de secondes plus tard, à jouer avec la cordelette du sac de son frère.
Sam leva les yeux au ciel en soupirant. Les quelques minutes qui allaient suivre seraient probablement longues, très, très longues.
