L'homme avait des cheveux blancs et sales qui lui rappelaient la neige qui tombait en lourds flocons sur la ville depuis plusieurs jours. Elle l'examinait discrètement depuis à présent plusieurs minutes, tout en se consacrant soigneusement, d'un geste habitué, à l'hommage funéraire de son mari. La présence du vagabond ne l'étonnait guère –il n'était pas rare depuis la fin de la guerre de voir des rônins sans abris dans les rues d'Edo. Elle allait se relever quand il parla :

« Eh, grand-mère. Ce sont des boulettes de viandes ? Est-ce que je peux en prendre une ? … je meurs de faim. »

Sa voix était encore jeune, et son ton bourru cachait mal ses tremblements de froid.

« Elles appartiennent à mon mari. Demande-lui. »

Aussitôt, la main pâle et tremblante du vagabond s'empara de la nourriture et la fourra dans sa bouche affamée. Il y eut quelques secondes de silence, seulement peuplées par les bruits de mastication et le léger murmure de la neige qui tombe.

« Demander à ton mari ? Ne dis pas de conneries. Je ne pas parler aux gens qui sont déjà morts. »

Il y avait quelque chose dans son ton, comme un regret, une vérité héritée d'une longue expérience de la mort.

« Ne viens pas te plaindre s'il te maudit, répondit-elle avec un demi-sourire. »

Le jeune homme baissa la tête vers ses mains, à présent cachées dans les plis d'un kimono usé jusqu'aux fils. Le mouvement permit à Otose de distinguer, sous une joue creusée par une faim de plusieurs jours, un léger sourire dévoilant une rangée de dents blanches. Tout était blanc chez cet homme, ses cheveux, sa peau. Mais elle pouvait également deviner une couleur vive, une flamme, que cachait mal le cœur d'argent. La couleur du sang.

« Un homme mort ne peut ni manger des dangos, ni parler. »

Il prit une grande inspiration, presque un soupir, et son sourire s'effaça, laissant place à une moue décidée.

« A la place je ferai une promesse. » Il parla dans le vide, comme s'il s'adressait à quelqu'un qui n'était pas là, comme s'il parlait à son mari. « Je n'oublierai pas ce que tu as fait pour moi… Ce ne sera pas long avant qu'elle ne meurt à son tour et te rejoigne, mais jusqu'à ce que cela arrive… Je protégerai la grand-mère à ta place. »

Sa dernière phrase résonna sous la neige, qui tombait toujours, ignorante et inexorable, en lourds flocons sur le cimetière. Le vagabond se tourna vers Otose, et son regard rouge et triste et déterminé, lui dit que ce n'était pas qu'une promesse faite à son mari, pas que quelques mots lancés en l'air par gratitude. C'était une promesse à lui-même, au mort qui ne pouvait pas parler, et à la grand-mère qu'il devait maintenant protéger.

Alors Otose se releva et tendit une main ridée vers le jeune homme.

« Comment t'appelles-tu ?

-Gintoki. Sakata… Gintoki. »

-Eh bien viens, Gintoki. Tu as une promesse à tenir. »