Titre original : A Mile for the Journey (1/6)

Auteur : SSJL

Traducteur : hotladykisses (avec l'autorisation de l'auteur)

Note du traducteur : SSJL a écrit cette histoire au cours de la diffusion de la saison 2, avant le « ham sandwich gate » et l'effondrement de la complicité entre Alicia et Kalinda. Ce fic est un incontournable du fandom A/K : à la fois la plus longue histoire jamais écrite à ma connaissance, mais aussi l'une des plus belles et des plus romantiques.

Note de l'auteur : Ce fic a débuté comme une brève tentative pour transformer un couple qui dans le canon était plus qu'improbable, en un couple qui paraisse en quelque sorte plus plausible. Des dizaines de milliers de mots plus tard, je me suis convaincue que ces deux-là devraient sans doute avoir une centaine de bébés canon. Mais selon toute probabilité, je devrai juste me contenter de ma petite histoire de rendez-vous galant. :)

Je dois des remerciements à mes suspects habituels, shipperatheart et lizook12, pour l' assistance occasionnelle aux problèmes posés par le fic, mais pour l'essentiel à la ridiculement talentueuse et fabuleuse Limelight, qui m'a accompagnée tout au long du voyage qu'a été cette histoire, m'a tenu la main, et de manière générale a rendu cette histoire cent fois meilleure, ainsi que cette expérience d'écriture cent fois plus drôle. Merci, mon âme-sœur en Kalicia 3


Le divorce avait eu lieu.

Ils avaient essayé. Alicia avait essayé. Mais il n'était possible de détourner le cœur de sa trajectoire que jusqu'à un certain point avant de se sentir perdu.

Elle n'avait vraiment pas de raison se plaindre. Les choses avaient été bien plus faciles pour elle que pour bien des couples qu'elle avait vu passer par son cabinet juridique. Peter n'était pas heureux de sa décision, et ce n'était certainement pas ce qu'il aurait choisi mais il ne la combattit pas bec et ongles, ni ne lui refusa quoi que ce soit par dépit. Pourtant, cela prit plusieurs mois éreintants de négociations globalement polies pour conclure des arrangements concernant les finances, les biens matériels, les enfants, et lorsqu'elle finit par avoir en main le jugement de divorce officiel, tout ce qu'elle ressentait était de l'épuisement.

Et à présent, même si tout était réglé aussi nettement et soigneusement que possible, et qu'elle était enfin libre de faire ce qu'elle voulait et d'être qui elle voulait…

Elle n'était pas entièrement sûre de savoir ce qu'elle voulait, ni qui elle voulait être.

Un de ces jours, elle saurait de nouveau. Exactement où elle en était avec son cabinet, ses enfants, ses amis, sa famille. Peut-être même avec Will.

Will. Ils avaient discuté pendant ses mois de séparation – probablement pas autant qu'ils auraient dû discuter, mais c'était parce qu'aucun d'entre eux ne se faisait entièrement confiance, en ce qui concernait l'autre. Sans aucun doute, lorsqu'elle lui avait révélé son intention de quitter Peter, la première pensée de Will avait été qu'est-ce que cela signifie pour nous ? Et pour être honnête, c'était sur sa liste de préoccupations à elle aussi.

Cependant, il y avait peu de choses dont elle était absolument certaine – et l'une des choses dont elle était convaincue, était qu'il ne lui était pas possible de sortir d'une relation sérieuse, juste pour la remplacer par une autre. C'était une mauvaise idée pour bien des raisons. Elle n'était pas prête à être sérieuse avec qui que ce soit, et avec Will…

Eh bien, il était impossible que cela ne soit pas sérieux, s'ils décidaient d'être ensemble. Il y avait là une histoire trop ancienne, trop de sentiments. Ils le savaient tous deux, et c'était précisément pour cela que leurs conversations restaient en grande partie superficielles, alors même que des yeux ils échangeaient des questions sur ce qui resterait peut-être ou ne resterait pas inaccompli.

La vie continua donc comme d'habitude. Il sortait encore avec Tammy (leur relation avait une longévité surprenante pour Will – mais Alicia ne percevait tout simplement guère d'enthousiasme de sa part derrière tout cela), et elle était encore… en train de chercher à s'y retrouver, sans doute. D'attendre une révélation.

C'est alors qu'assise à son bureau, en train de contempler le jugement qu'elle tenait en main, il ne lui vint pas de révélation. A la place, vint Kalinda Sharma.

Peut-être que Kalinda était une révélation. Alicia ne cesserait jamais d'envier à Kalinda la façon dont tout paraissait facile avec elle. Le travail, la mode, le sexe. Peut-être que c'était l'avantage d'être un tel mystère : le fait que les gens ignorent vos difficultés, équivalait à ne pas en avoir.

« J'ai les clichés que tu voulais. » lui dit Kalinda en entrant, l'air décontracté, toute en bottes jusqu'aux genoux et en mode professionnel. « Décidément ton gars aime bien l'hôtel Omni, et pas pour y être tout seul.

- Bien sûr que non. » dit Alicia dans un souffle, tout en fourrant rapidement les papiers du divorce dans un tiroir afin de faire de la place pour les photos que Kalinda étalait sur le bureau.

« Il va falloir que tu te charges d'annoncer la mauvaise nouvelle, mais peut-être que sa femme va arrêter de mentir pour le protéger.

- Super. » Alicia regarda d'un air sombre les preuves de l'infidélité qui s'étalaient sur son bureau. Cela ne lui apportait aucune joie de penser à l'épouse qui les verrait, et à la douleur qui s'ensuivrait, mais Kalinda avait raison. Il était possible que cela l'incite à commencer à prendre son propre parti plutôt que celui de son mari. Elle releva rapidement les yeux vers sa collègue. « Merci. Bon travail.

- Pas de problème. Je t'ai envoyé des copies numériques. Tu as besoin de celles-ci ? »

Elle n'avait pas vraiment envie de les avoir où que ce soit à proximité. « Non. Prends-les, s'il te plaît. »

Il y avait un éclair de sympathie dans les yeux de Kalinda. Elle n'était jamais terriblement émotive – pas en apparence – mais elle sentait toujours lorsqu'Alicia avait des difficultés c'était l'une des raisons pour lesquelles elle était devenue pour Alicia ce qui ressemblait le plus à une confidente, au cours des mois précédant et suivant sa séparation. « Compris. » Elle repêcha les clichés sur le bureau d'Alicia d'un geste vif et efficace, et les glissa de nouveau dans la pochette qu'elle tenait, avant de changer de sujet : « J'ai appris que c'était officiel. Félicitations. »

La nouvelle avait circulé. Alicia tendit les mains dans le vide dans un geste de célébration parodique. « C'est officiel à présent, j'ai raté mon mariage. Je mérite une médaille. »

Quelqu'un d'autre aurait pu se hâter de lui assurer à quel point au juste la décision qu'elle avait prise de quitter Peter et de demander le divorce était courageuse et justifiée, mais il s'agissait de Kalinda. « C'est ce que tu ressens ? »

Alicia fit signe que non d'un air penaud, avant d'appuyer la tête contre sa main. « Demande-moi dans quelques jours. Quelques mois. Ou à un autre moment, quand j'aurai vraiment eu une chance d'y penser. »

Kalinda accepta cela d'assez bonne grâce. « Tu es célibataire à présent. » fit-elle remarquer.

« Je suppose que oui. » C'était étrange, Peter et elle étaient séparés depuis quelques mois, et cela avait été une curieuse période de latence mais elle ne s'était sentie ni célibataire ni en couple, et le morceau de papier qu'elle avait reçu aujourd'hui avait peu contribué à changer cela.

Plus que célibataire, elle se sentait… déconnectée. Mais c'était toujours mieux que le manque de respect qu'elle avait ressenti pour elle-même pendant le temps où elle avait essayé de faire en sorte que ça marche avec Peter.

N'ayant plus rien à faire là, Kalinda se dirigea de nouveau vers la porte ouverte avant de faire une pause et d'adresser à Alicia un nouveau regard… et une question.

« Tu as envie d'aller prendre un verre un de ces jours ? »

Alicia ouvrit la bouche pour répondre machinalement que grand Dieu, oui, elle avait envie, avait besoin, qu'il lui fallait un verre, le plus vite et le plus plein qu'il était humainement possible. Mais au bout d'un quart de seconde, elle prit conscience de quelque chose – peut-être était-ce le « un de ces jours » qui rendait cette proposition différente – et les mots restèrent coincés dans sa gorge. Elle battit des paupières. Pencha la tête de côté.

Kalinda l'observait patiemment, sa pochette en kraft serrée contre la poitrine – attendant juste une réponse pour pouvoir continuer sa journée.

« Je… » Que se passait-il, pour qu'elle n'arrive même plus à faire une phrase ? « Tu veux dire… ? »

Les yeux noirs et exotiques posés sur elle étaient à la fois empreints d'amusement et d'empathie pour ses difficultés. « Oui. Ce genre-là. »

Après coup, elle se serait donné des gifles pour avoir été aussi sacrément choquée. Elle soupçonnait depuis longtemps que les hommes n'étaient pas les seuls objets de l'intérêt de Kalinda en matière de sexe, et elle avait même remarqué que sa collègue la regardait, à l'occasion, avec quelque chose qui pouvait très bien être un soupçon d'attirance. Et franchement, ce n'était pas comme si le fait qu'une femme s'intéresse à une autre femme était une sorte de nouveauté pour elle bon sang, elle avait assisté aux réunions de l'association des parents et amis des gays et lesbiennes avec ses parents et son frère jusqu'à son départ pour la fac de droit.

En dépit de tout cela, elle regardait à présent Kalinda d'un air abasourdi, comme si celle-ci venait de lui demander de faire avec elle un voyage sur la lune. « Oh. Eh bien. J'ai juste… »

La seconde d'après fut la première où Alicia fut réellement, sincèrement et complètement convaincue qu'il y avait un dieu, car Diane surgit à la porte derrière Kalinda, frappa avec brusquerie, et se mit à parler à cent à l'heure d'un témoin auquel il fallait une préparation complète pour pouvoir comparaître à la barre le lendemain.

Réalisant que ce n'était pas près de finir, Kalinda adressa un rapide signe de tête à Alicia et s'en alla, la laissant saisir un mot sur trois de Diane, tandis que la tête lui tournait à la pensée de ceux bien plus concis de Kalinda.

oOo

Quand elle finit par avoir un moment à elle pour y penser, elle décida que Kalinda avait dû plaisanter. Même si elle était attirée par Alicia (à cette pensée une vague brûlante de confusion lui parcourut le corps, si chaude qu'elle dut retirer sa veste), il n'était pas possible qu'une jeune femme indépendante et sensuelle comme Kalinda ait envie de sortir avec une femme divorcée, qui avait la quarantaine, deux enfants, et un tas de problèmes émotionnels non résolus.

Cela n'avait tout simplement aucun sens.

Mais cela dit, Kalinda plaisantait rarement. Et jusqu'à présent, elle ne s'était jamais évertuée à susciter la confusion chez Alicia ou à la mettre mal à l'aise.

Quelle importance de toute façon ? Quand bien même elle était sérieuse. Alicia n'était pas prête à sortir avec quelqu'un, avait-elle décidé.

En particulier sortir avec quelqu'un du bureau.

En particulier, sortir avec quelqu'un de gay du bureau.

Elle en était fichtrement sûre. Cela n'avait donc aucun sens que cela la tracasse autant, alors que la réponse était toute trouvée. Et à présent, elle ignorait s'il arriverait jamais à Kalinda d'aborder à nouveau le sujet, sans qu'elle-même ne dise quelque chose.

Eh bien, il fallait qu'elle en dise quelque chose. Laisser les choses en plan sans les résoudre avait été jusqu'à présent l'histoire de sa vie, et elle n'en pouvait plus.

C'est pourquoi elle mit à profit sa frustration et fit preuve d'une soudaine audace lorsque l'occasion se présenta : lorsqu'elle aperçut Kalinda toute seule qui attendait l'ascenseur. Quand les portes s'ouvrirent et qu'elle vit que la cabine était vide, Alicia passa à l'action et se hâta de la rejoindre. Elle y parvint juste avant que les portes ne se referment derrière elles. Enfin seules.

Kalinda haussa à son intention un sourcil parfaitement dessiné.

Elles n'avaient pas beaucoup de temps. « Ce que tu as demandé l'autre fois… Tu le pensais ?

- Oui. » Une réponse simple, sans explication.

Eh bien. Cela faisait déjà une question de résolue. Qui ouvrait la porte à tout le reste.

Alicia s'appuya contre la rampe métallique qui courait tout autour de la cabine de l'ascenseur. « Eh bien, euh… Je suis flattée. Mais… Je ne crois pas que ce serait une très bonne idée ? » Elle n'avait pas eu l'intention faire sonner le dernier mot comme une question, mais ce fut ainsi qu'il franchit ses lèvres.

« Pourquoi pas ? »

Elle craignait que Kalinda ne lui demande cela. « Parce que… Je suis trop vieille pour toi. »

A présent, elle était la cible du regard « Kalinda ne croit pas un mot de ce que tu racontes. » Demande de brevet déposée. « Allons donc. Il y a bien trop de meilleures excuses pour utiliser celle-ci. »

La frustration lui fit monter le rouge aux joues. « C'est vrai pourtant ! J'ai des enfants, et un divorce, et tous ces … bagages ! » Ses mains esquissèrent un geste d'impuissance.

« Je sais tout ça. Et je t'ai demandé quand même. »

Kalinda ne faisait jamais rien sans avoir calculé son coup et y avoir réfléchi en long, en large et en travers, et Alicia le savait. Merde.

Elle essaya de nouveau.

« Le divorce vient à peine d'avoir lieu. Je ne suis pas sûre d'être émotionnellement au mieux pour sortir avec quelqu'un. Et puis… il y a le fait qu'on travaille ensemble.

- Tu sais, tu pourrais te contenter de dire « je suis hétéro », et on en resterait là. » fit remarquer Kalinda.

Qu'avait donc cette femme de particulier qui maintenait perpétuellement Alicia au bord d'un sentiment de malaise pas totalement déplaisant ? La seule occasion où elle était sûre d'aimer cela à cent pour cent, était quand elles buvaient ensemble. Et même alors, le matin, elle avait souvent envie de se donner des gifles pour en avoir autant dit, rien que pour empêcher Kalinda de la regarder de la façon dont elle la regardait en ce moment précis.

« Je ne sais plus toujours ce que je suis. » marmonna-t-elle en baissant les yeux. Elle était sûre que son visage était d'un rouge aussi flamboyant que le pull cramoisi qu'elle portait.

L'ascenseur s'arrêta avec un tintement à l'étage du parking, et les portes s'ouvrirent en coulissant. Aucune d'entre elles ne bougea pendant un instant.

La voix de Kalinda n'avait jamais autant frôlé la gentillesse. « Ecoute Alicia. Je propose juste qu'on aille prendre un café. Pas qu'on se marie. Fais-moi confiance, si jamais j'ai l'impression que ça devient sérieux… » Elle leva les yeux au ciel. « Je serai partie avant toi. »

Elle ne plaisantait qu'à moitié, mais atteignit cependant son but. Kalinda avait raison. Elle était bien la dernière personne dont Alicia avait besoin de s'inquiéter qu'elle n'empiète sur sa nouvelle vie de célibataire indépendante. Elle n'était ni Will, ni Peter, ni qui que ce soit avec qui Alicia avait déjà été.

Et … Alicia l'aimait bien.

Kalinda fit un pas hors de l'ascenseur et sortit dans le garage. Les portes allaient à nouveau se refermer dans une seconde, laissant Alicia à la traîne – une chance de manquée pour toujours. Ou du moins, c'est ainsi qu'elle le ressentit. Quelque part, tout au fond de son cerveau, son subconscient lui criait dessus.

Ce fut peut-être ce sentiment d'urgence qui lui fit dire ce qu'elle dit ensuite. « Eh bien… Je suppose… » Elle prit une profonde inspiration. « Un café n'a jamais fait de mal à personne, n'est-ce pas ? »

Kalinda eut un sourire en coin. « Je suppose qu'il peut toujours y avoir une première fois.

- Tu ne me facilites pas les choses ! » la gronda Alicia, et juste avant que les portes ne se referment et les séparent, elle surprit le sourire de Kalinda.

« Ce week-end alors. Juste un café. Je t'appelle. » cria Kalinda dans l'interstice entre les portes qui se réduisait puis disparaissait, laissant Alicia se demander comment au juste il était possible de changer d'avis si vite, le temps d'un trajet dans l'ascenseur.

Jamais de sa vie, elle n'avait été si nerveuse à l'idée d'un café.

oOo

Pour finir, ce fut dimanche. Alicia s'efforça de penser à autre chose le samedi d'avant, retourna au bureau pour finir des paperasses, et consacra la soirée à refaire en partie la décoration de sa chambre (même s'il y avait un bon moment que Peter n'y avait plus dormi, son influence était perceptible partout sur les murs, les rideaux et même les meubles, et c'était une de ses résolutions post-divorce de se l'approprier davantage. ) Cette distraction fut efficace jusque vers dix heures du soir, heure où elle réalisa qu'elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'elle allait mettre pour une première rencontre gay avec une collègue de bureau autour d'un café.

Trois quarts d'heure plus tard, le lit parsemé d'une douzaine de pulls et de chemisiers au bas mot, elle dut se contraindre à croiser son propre regard dans le miroir et dire : « Ca suffit. »

Ce n'était que Kalinda. Elles étaient amies. Ce n'était pas parce qu'elles avaient un rendez-vous galant (non, pas galant, juste un café, elle n'était pas prête à sortir avec quelqu'un), qu'Alicia devait se transformer en adolescente pétrie de nervosité.

En dépit de ses propres arguments rassurants, elle dormit d'un sommeil agité. Dans ses rêves, elle parcourait un labyrinthe où aucune direction possible ne lui paraissait sûre.

oOo

Lorsqu'Alicia arriva au café, Kalinda était déjà là, ce qui la surprit (pourquoi cela la surprit-elle ? Peut-être s'était-elle imaginée que Kalinda prendrait plaisir à user du pouvoir de faire attendre les gens) elle était assise avec son ordinateur portable à une petite table ronde, au milieu de la boutique animée. Elle avait les jambes croisées, une posture impeccable, et même si c'était le week-end, elle était habillée à peu près comme pour le travail, à part le jean qui remplaçait sa jupe habituelle.

Alicia s'arrêta à l'entrée, avant de s'avancer à l'intérieur et de faire savoir qu'elle était arrivée, et regarda Kalinda. Analysant cette image, s'efforçant de distinguer la collègue, de l'amie, de la femme.

Par le passé, elle avait mis toute attirance qu'elle avait pu ressentir pour Kalinda sur le compte de l'admiration ou de l'affection d'une amie. Mais à présent, dans ce contexte, son attention se concentrait sur cette femme en tant qu'être sexué – elle sentait ressurgir cette brûlante confusion d'hier.

Les yeux de Kalida se levèrent soudain comme si elle avait senti qu'on l'observait, et surprirent Alicia en train de la contempler. Prise sur le fait.

« Salut ! » Elle lui fit signe de s'approcher, fermant son portable de son autre main manucurée.

Ne pouvant tarder plus longtemps, Alicia obéit, s'obligeant à afficher un sourire amical. « Salut ! Ca fait longtemps que tu attends ?

- Je n'attendais pas. J'étais en train de travailler. Mais je suis contente que tu sois là, comme ça je peux arrêter. »

Alicia s'assit en face d'elle avec précaution, comme si elle s'attendait à ce que le siège ne supporte pas son poids. Kalinda était en train de faire signe au barman, qui vint jusqu'à leur table et regarda Alicia d'un air interrogateur, car Kalinda avait déjà une tasse posée devant elle.

« Oh. Un cappucino ? » Rien qu'à ce mot, son estomac se retourna, et elle rectifia. « Un déca serait mieux. » lui dit-elle. Si jamais ses nerfs se tendaient davantage, elle avait l'impression que les vibrations risquaient de la faire tomber de son siège.

Kalinda, d'autre part, semblait parfaitement zen, et sirotait son café en considérant Alicia avec intérêt. « Tu es nerveuse.

- Pas exactement nerveuse, juste… » Sa défense était sortie machinalement, mais elle réalisa alors qu'elle n'avait aucune utilité. « Nerveuse. » acheva-t-elle en baissant les yeux.

Et sa nervosité reposait en grande partie sur le fait qu'elle n'avait pas la moindre idée de la manière dont ceci était censé se passer. Etait-elle censée faire quelque chose de différent des autres fois où elle et Kalinda étaient allées boire un verre, ou avaient passé du temps libre ensemble ? Etaient-elles censées discuter de ce que cela changeait, ou se contenter d'ignorer le sujet ? Pourquoi donc était-elle en train de faire cela ?

Au lieu de débattre avec elle du fait qu'elle devrait ou non être nerveuse, Kalinda adopta une autre ligne de conduite : « Comment s'est passé ton week-end ? »

La pluie et le beau temps. Sur ce terrain, elle pouvait s'en sortir. Elle émit un soupir de soulagement momentané qu'elle espérait discret. « Ca allait. Je m'habitue peu à peu à ce qu'il y ait des jours où les enfants ne sont pas là. »

Kalinda but une gorgée de son café, et simultanément, le barman revint avec celui d'Alicia. Elle l'accepta avec un sourire poli.

« Peter les a tous les week-ends ?

- A peu près. On essaie d'être souple, et jusqu'ici ça fonctionne. Mais les pauses peuvent être … agréables, quand il n'y a personne d'autre avec qui partager l'autorité parentale pendant la semaine. » Il était tout à fait impossible que ce sujet intéresse Kalinda. Au bout de cinq minutes, Alicia avait déjà l'impression qu'elle n'était pas quelqu'un d'intéressant avec qui sortir. « Mais… J'ai un peu travaillé, et commencé à réaliser mon projet de redécorer la chambre.

- Redécorer, hein ? Ta chambre est si jolie. » dit Kalinda d'un ton songeur.

C'était vrai. Kalinda avait déjà été dans sa chambre. Elle avait même (bien que de façon platonique, et même professionnelle) été dans son lit. Tous ces détails semblaient soudain tellement plus importants et … troublants. « Il y avait un certain nombre de choses que je me suis promise de faire, une fois le divorce réglé. Entre autres, redécorer.

- Quelles étaient les autres ?

- De garder un jour par semaine pour moi, pendant lequel je ne travaillerais pas du tout. De passer plus de temps avec mes enfants quand je les ai, afin de contre-balancer l'influence de mon ex-belle-mère. De me remettre au yoga au bout de … je crois que ça doit faire à peu près trois ans maintenant. » Alicia haussa les épaules. « C'était les plus importantes. »

Kalinda pencha la tête. « Est-ce que c'est ton psy ? On dirait un truc de psy.

- Mon Dieu non, je ne peux pas aller chez le psy. Je n'en sortirais jamais. » Elle ne plaisantait qu'à moitié.

« Tant mieux, parce que je ne sors pas avec les gens qui vont chez le psy. Trop de problèmes. »

Alicia battit rapidement des paupières. « Vraiment ? »

Kalinda lui adressa un regard oblique, amusé. « Non. Pas vraiment. »

Bien sûr, enfin. Qu'est-ce qui lui arrivait donc ? Etait-elle tellement déstabilisée par toute cette situation qu'elle n'était pas capable d'échanger de banales plaisanteries ? Apparemment, son sens de l'humour était l'une des choses qu'elle avait laissées à Peter dans le divorce. « Oh, mon Dieu. » dit-elle en soupirant, certaine que jamais dans sa vie elle n'avait autant rougi qu'elle ne l'avait fait ces derniers jours.

Kalinda avait l'air de s'efforcer de réprimer un sourire ou un franc éclat de rire. « Détends-toi, ce n'est pas un test. »

Alicia se frotta la figure. « Je me sens si stupide. Pourquoi on n'est pas sorties prendre un vrai verre ? La tequila facilite les choses.

- J'y ai pensé. Mais on sort souvent prendre un « vrai » verre, alors je me suis juste dit qu'on ferait quelque chose de différent. Pour faire la distinction. » Kalinda lui adressa un sourire énigmatique. « Pourquoi ne pas voir ça comme une pause : du temps pour toi. L'une de tes résolutions. »

Alicia prit une profonde inspiration, expira. Empoigna fermement sa tasse, même si le verre trop chaud lui brûlait un peu la peau. « Désolée. Je n'ai pas non plus envie de ne faire que me défouler au sujet du divorce en t'en parlant. Ce… ce n'est pas drôle comme sujet.

- Ca te préoccupe. » Kalinda décroisa et recroisa les jambes sous la table. Son pied effleura le mollet d'Alicia, qui dans son état d'hyper-vigilance, dut réprimer l'envie de sursauter. « C'est naturel. » Une pause, et puis quelque chose qu'Alicia était certaine d'avoir forcément mal entendu. « Quand j'ai mis fin à mon mariage, il a fallu quelques … ajustements. »

C'était une bonne chose que son expérience au tribunal l'ait entraînée à se contenir presque entièrement lorsqu'elle était choquée, car sinon, elle aurait très bien pu recracher sa gorgée de café sur le portable de Kalinda. Elle l'avala avec peine. « Pardon ? »

Kalinda la contempla avec calme, clairement confiante dans le fait qu'Alicia l'avait entendue la première fois.

« Kalinda, je ne savais pas du tout. Tu as été mariée ?

- Eh bien. » Elle plissa les lèvres d'un air pensif, comme si elle considérait ce souvenir de très loin. « Ce n'était pas exactement mon choix. »

Alicia ne serait jamais capable de comprendre la nonchalance qui semblait sous-tendre chez cette femme chaque mot, chaque acte, alors qu'elle-même se sentait tellement déconcertée, stupéfaite. « Je… Je ne sais même pas quoi dire.

- Tu n'es pas obligée de dire quoi que ce soit. » Kalinda semblait être en train de l'étudier, de chercher des indices de … quelque chose. « On a tous des choses dans notre passé. Elles se produisent, on y fait face, et on passe à autre chose. Exactement comme tu es en train de faire. »

L'esprit d'Alicia était à présent envahi par un million de questions, mais la posture de Kalinda avait changé, ses yeux reflétaient une prudence nouvelle. Et même si cela avait été son choix de révéler ce scoop en particulier, à présent, son expression semblait décourager toute autre discussion sur le sujet.

Retrouvant la faculté de bouger, Alicia se contraignit à ramener la tasse jusqu'à ses lèvres pour boire à nouveau, tâchant de redonner à tout cela un quelconque sens de la normalité. Lorsqu'elle la reposa sur la table, Kalinda était toujours en train de la contempler stoïquement. Elle la défiait de … quoi ? d'insister ? de laisser tomber ? de se contenter de se lever et de s'en aller ?

« Kalinda Sharma, qui es-tu ? » murmura-t-elle tout haut.

De manière inattendue, Kalinda rejeta la tête en arrière et émit un petit rire. « Il vaudrait mieux trouver d'abord qui tu es, toi. »

Et peut-être qu'elle n'avait pas tort.

Puis, elle changea de sujet, comme si elle ne venait nullement de dire à l'instant à Alicia quelque chose qui avait l'air très sérieux. En particulier pour ce qui était juste un café.

Elles discutèrent ensuite pendant un moment elles se remirent à parler du travail, un sujet plus confortable (« confortable » au sens large même si techniquement, cela enfreignait sans doute sa résolution du « jour sans travail », cela lui paraissait un petit soulagement). Et Kalinda était agréable, nullement embarrassée vraiment, elle était comme d'habitude, et cela aurait dû mettre Alicia encore davantage à son aise.

Mais il y avait quelque chose dans un coin de son esprit qui ne voulait pas la lâcher – comment Kalinda avait-elle appelé ça ? – la distinction. Elles n'étaient pas que des collègues qui se détendaient après une dure semaine de travail, ni même que deux bonnes copines qui papotaient le dimanche autour d'un brunch.

Elles étaient deux personnes attirées l'une par l'autre.

Elle. Etait attirée par Kalinda.

L'idée ne la lâchait pas, et ne l'autorisait pas à se sentir à l'aise ne serait-ce qu'un instant. Elle resta sur les nerfs, faisant machinalement la conversation tout en buvant une autre tasse de café, jusqu'à ce que Kalinda regarde sa montre.

« Il faut que j'y aille.

- Ah oui ? » Alicia ressentit du soulagement, et rien qu'une infime trace de déception irrationnelle.

« C'était amusant, cela dit. J'espère qu'on pourra remettre ça. » Sans attendre qu'Alicia réponde, elle se leva, prit sa veste en cuir sur le dossier de son siège, et la glissa sur ses épaules. Puis elle tira son portefeuille et posa quelques billets sur la table… assez pour couvrir toute l'addition.

Lorsqu'elle vit qu'Alicia se mettait à protester, Kalinda leva une main pour l'interrompre. « Quand tu m'inviteras, tu pourras payer. » Alicia se tut.

Kalinda se pencha et pressa ses lèvres chaudes du café sur la joue d'Alicia. « On se voit au boulot. » Puis elle sortit, ses hanches parfaites se balançant à chacun de ses pas assurés.

Le visage d'Alicia la brûlait à l'endroit que les lèvres de Kalinda avaient touché, comme si elles avaient été chauffées au point de l'ébouillanter. Elle eut soudain la folle pensée que c'était sans doute le cas : que tout ce qui reposait sous la froide surface de Kalinda était d'une chaleur infernale, et peut-être était-ce pourquoi Kalinda le contenait si bien – autrement, elle réduirait tout le monde autour d'elle en cendre.

Elle resta assise seule un long moment, tandis que la demi-tasse de café qui lui restait refroidissait. Elle n'était pas sûre de ce qui venait de se passer, encore moins de savoir si elle avait envie que cela se reproduise. Mais ce serait sans doute une bonne chose que de trouver la réponse.

oOo

L'une des plaies de son métier – avoir du travail à faire aussi bien chez elle qu'au bureau – devint pour le reste de la journée une bénédiction, même si cela officialisait le faut qu'elle avait failli à l'une de ses « résolutions ». Elle l'employa de nouveau comme moyen de se distraire, avec une efficacité discutable, et ses enfants lui manquèrent désespérément, car ils étaient toujours la meilleure diversion de toutes. A chaque fois qu'elle faisait une pause pour manger, faire les corvées, ou respirer, son esprit revenait au même dilemme.

Elle avait eu un rendez-vous galant… avec Kalinda (elle avait à présent dépassé le stade du « juste un café », et si ce n'était pas sortir avec elle, c'était tout de même bien un rendez-vous galant.) Et même si elles n'avaient rien fait pendant ce rendez-vous qu'elles n'aient déjà fait les autres fois où elles avaient passé du temps ensemble hors du travail (à part ce petit baiser sur la joue), l'intention était différente – et cela était suffisant pour bouleverser complètement l'équilibre d'Alicia. Elle avait toujours pris plaisir à la compagnie de Kalinda, mais à peine pouvait-elle faire ne serait-ce que cela, quand elle ne parvenait à penser à rien d'autre qu'à l'étrangeté de toute cette situation.

Et puis, Kalinda lui avait dit cette chose. Cette chose qui, venant de quelqu'un d'aussi réservé que Kalinda, était… stupéfiante. Pourquoi lui avait-elle dit ça, pour se contenter de le minimiser un instant après ? Il était si étrange de se dire que peut-être, pour Kalinda, absolument rien de tout cela n'était une affaire – un précédent mariage, une nouvelle identité, ou un rendez-vous galant avec une collègue de travail plus âgée et divorcée.

Toute cette histoire projetait Alicia complètement hors de son élément, et la nuit d'après ce qui était censé n'être qu'un café, elle resta allongée dans son lit à y réfléchir. Au cours de ces heures d'insomnie, la pensée que c'était une folie se fit de plus en plus insistante.

C'était ridicule de sa part, de prétendre qu'elle pouvait se contenter de sortir avec Kalinda. D'agir comme s'il était un jour possible qu'elle se sente à l'aise en sortant avec une femme, ou seulement qu'elle passe du « bon temps », sans avoir au moins la possibilité que cela devienne quelque chose de plus. Orientation sexuelle mise à part, Alicia aimait les relations, et Kalinda…

Eh bien, elles étaient l'ennemi mortel de Kalinda.

Aux petites heures, elle avait tout résolu. Ca suffisait. Elle ne pouvait pas faire ça. Elle allait devoir parler à Kalinda le lendemain, être honnête avec elle - ça n'allait pas être gai - et essayer de revenir à la normale.

L'idée la frappa que « ne pas être gaie » avec Kalinda était d'une drôlerie hilarante, et avant de finir par sombrer dans le sommeil, elle rit dans son oreiller de son propre ridicule.

oOo

Il n'y avait pas officiellement de pause déjeuner chez Lockhart-Gardner, mais les employés prenaient le temps quand ils pouvaient. Ce jour-là, Alicia en fit une priorité lorsqu'elle trouva Kalinda en route pour le bureau de Diane dans la matinée, et lui demanda si elle voulait bien aller faire un tour avec elle à l'heure du déjeuner. Aller faire un tour était terriblement cliché, mais Alicia ne se sentait tout simplement pas à l'aise pour discuter de ces choses-là dans les murs de son sanctuaire professionnel. Il était déjà assez fâcheux qu'à chaque fois qu'elle entrait dans le bureau de Will, elle se souvienne d'eux en train d'agir de manière… guère professionnelle.

Kalinda ne laissa paraître ni inquiétude ni surprise (à quoi s'attendait-elle ? Kalinda n'était pas du genre inquiet ni surpris), mais accepta assez aimablement.

A présent, il fallait qu'Alicia aille jusqu'au bout.

Il tombait quelques flocons lorsqu'elles sortirent du bâtiment et se dirigèrent vers le parc voisin. L'air était d'un froid mordant, qui incitait la plupart des gens à rester douillettement dans leur bureau, et rendait le parc bien moins peuplé qu'à l'accoutumée, à part une poignée de joggers intrépides et emmitouflés. Les préoccupations d'Alicia l'empêchaient de ressentir pleinement le froid, mais elle resserra néanmoins plus étroitement son manteau autour de son corps d'un geste inconscient. Elle avait préparé ce qu'elle allait dire, mais malgré cela, elle découvrit que les mots ne voulaient pas sortir dans l'air glacial, et elles marchèrent toutes deux en silence pendant presque un quart d'heure, les mains gantées enfouies dans leurs poches tandis qu'elles faisaient presque le tour du parc.

« Alors, qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ? » finit par lui demander Kalinda, brisant le silence et lisant en Alicia comme dans le livre ouvert qu'elle avait toujours eu l'impression d'être en la présence de la jeune enquêtrice.

Il ne servait plus à rien désormais d'éviter le sujet ou de remettre à plus tard – si elle agissait ainsi, tout l'intérêt de cette promenade serait perdu à cause de sa lâcheté – Alicia ne se donna donc pas la peine d'essayer. Elle se contenta de soupirer et de commencer à expliquer.

« Tu vois… Je t'aime bien. » commença-t-elle d'un ton hésitant. « Ces dernières années ont changé beaucoup de choses, et sans doute la plus importante est qu'elles ont fait radicalement diminuer le nombre de personnes que j'aime bien. Et auxquelles je fais confiance. Et je ne veux pas perdre une des seules personnes qui me restent, à cause d'une… vague histoire pour me remettre de mon divorce.

Kalinda lui jeta un coup d'œil et haussa un sourcil tout en marchant. « Tu penses que passer plus de temps avec moi va t'inciter à m'aimer moins ?

- Non ! Je pense que passer plus de temps avec toi va t'inciter à en avoir marre de mes névroses et c'est toi qui m'aimeras moins. » Et Dieu en était témoin, c'était la pure vérité.

Cette déclaration ne lui valut pas de réponse, à part un regard ironique. Kalinda ne se sentait jamais tenue d'offrir des paroles de réconfort quand on ne les lui demandait pas spécifiquement.

« C'est juste que… » Alicia soupira et rejeta la tête en arrière. Elle sentait les flocons de neige, froids et vifs sur son visage. « J'ai presque 40 ans, Kalinda. J'en suis un peu trop loin dans la vie pour être en train d'expérimenter. Et je ne veux pas me servir de toi et de … ceci… comme moyen de trouver qui je suis.

- Eh bien, si tu n'arrives pas à prononcer le mot qui décrit ce que nous faisons, c'est sans doute une bonne indication que tu ne devrais pas le faire. »

Son approbation était une porte de sortie, et Alicia se sentit simultanément soulagée … et blessée. Rien qu'un peu. Essaie de me convaincre. Rien qu'un peu plus que ça.

« On peut rester amies, n'est-ce pas ? » supplia-t-elle. Elle n'était même pas entièrement sûre que Kalinda l'ait jamais considérée comme une amie en premier lieu : elle révélait si peu. Mais assez tristement, en dépit du fait qu'elle n'avait guère plus qu'une connaissance superficielle de Kalinda – celle-ci était pourtant la meilleure amie d'Alicia en ce moment précis. La seule personne à qui elle avait jamais fait part de ce qu'elle ressentait au sujet de Peter, de Will, des enfants, de sa vie. La pensée que cela lui soit retiré la rendait anxieuse, voire même légèrement paniquée.

Kalinda eut un petit rire léger. « Rien n'a changé Alicia. Ne t'en fais pas. »

Elles étaient presque revenues à la grille, à l'entrée du parc. La neige tombait un peu plus fort, à présent elle adhérait à l'herbe et aux arbres, et peu de gens passaient sur le chemin – quelques personnes se dépêchaient de retourner au travail après avoir un peu trop traîné pendant leur pause déjeuner.

Alicia posa sa main gantée sur le bras de Kalinda, qui s'arrêta net. « Merci », lui dit-elle avec une intense reconnaissance, « Pour ta compréhension. »

Kalinda se tourna vers elle, dans ses bottes à hauts talons, malgré tout plus petite qu'Alicia. Des flocons se prenaient dans ses cheveux et dans ses cils surnaturellement longs et noirs. « Hé. N'en parlons plus. »

Une rafale plus forte souffla, et la neige tourbillonna autour d'elles : de gros flocons épais qui semblaient bien trop lourds pour tournoyer si joyeusement en l'air. L'un d'eux tomba sur la lèvre inférieure de Kalinda, pleine, couleur framboise, et s'y accrocha. Alicia se retrouva préoccupée par ce flocon, et le regarda devenir de plus en plus petit puis finir par fondre, laissant derrière lui une trace d'humidité qui rendit la bouche de Kalinda encore plus brillante qu'auparavant.

Le temps sembla s'écouler au ralenti. Pour la première fois depuis que Kalinda lui avait fait perdre son équilibre en l'invitant à aller prendre un café (juste un café), toute pensée consciente la quitta.

Et puis, tout d'un coup, Alicia Cavanaugh Florrick fit quelque chose d'imprévu, et d'extrêmement téméraire.

Elle embrassa Kalinda Sharma.

Ce ne fut pas le meilleur premier baiser qu'elle ait jamais échangé. Il était rapide – trop rapide – et il n'y avait pas eu une semaine, une heure, ou ne serait-ce qu'une minute d'anticipation et d'excitation pour y conduire. Mais il était doux, exaltant car inattendu, et plein d'un potentiel qu'Alicia ne pouvait même pas commencer à saisir.

Lorsqu'elle recula, elle fut ébahie de voir que, peut-être pour la première fois dans l'histoire de leur amitié, elle avait réussi à surprendre Kalinda – même si ce n'était presque rien si l'on considérait à quel point elle venait de se surprendre elle-même.

« … Vraiment ? » demanda Kalinda, incrédule.

« Je suppose… ? » Les mots étaient incertains, interrogateurs, mais avant qu'elle ait pu se décider pour d'autres, Kalinda jeta subrepticement un regard à droite, puis à gauche – puis attrapa Alicia par les revers de son caban, et l'attira pour un baiser bien plus déterminé.

Celui-ci fut plus long, mais bien loin de l'être assez. Il y avait un vertigineux contraste entre ce qui était assurément les lèvres les plus douces qu'elle ait jamais embrassées, et la manière d'embrasser la plus magistrale qu'elle ait jamais expérimentée. La langue de Kalinda, douce comme le velours, trouvait dans la bouche d'Alicia tous les bons endroits pour la rendre frémissante de plaisir, et pendant quelques secondes d'impuissance, elle n'eut d'autre choix que de faire confiance à Kalinda pour s'être assurée que ni collègues ni appareils photos n'étaient témoins de ce moment, parce qu'il était certainement hors de question qu'Alicia soit la première à s'écarter cette fois-ci.

Quand elles finirent par se séparer, il fallut un certain temps pour que tout redevienne net. Les premières choses qu'Alicia remarqua furent une mèche de cheveux qui s'était échappée du chignon toujours parfait de Kalinda, et le fait que son rouge à lèvres avait à peine bavé. La pensée lui traversa paresseusement l'esprit, qu'elle devrait demander à Kalinda à l'occasion quelle marque elle utilisait, et plus tard dans la journée, elle trouverait comique que ce soit là le détail qu'elle avait trouvé important, après avoir fait ce qu'elle venait de faire.

Kalinda pencha la tête. Son visage était malicieux à présent, son haleine chaude visible dans l'air froid. « Tu disais donc que tu étais trop vieille pour expérimenter ? »

Alicia supposa que, prête ou non, la prochaine étape était de sortir ensemble.