Le dernier soir de l'été

Chroniques de Pleine Nuit – Partie 3

Pairing : Dave/Jade / Rating : T (langage vulgaire, violence légère)

NdA : Voilà la suite que j'avais promis il y a 3000 ans. Plus personne ne l'attendait, vous l'avez quand même. Eh oui, cette partie sera centrée sur Dave et Jade, surprise surprise. Pas besoin d'avoir lu les parties précédentes, mais quitte à le faire c'est mieux de le faire dans l'ordre. Enjoy !


Chapitre 1 : Est-ce qu'il faut que je prenne rendez-vous chez le véto ?

...

Comme tous les jours depuis le début du mois d'août, Dave fut réveillé par la chaleur étouffante de la fin de matinée qui l'obligea à se traîner hors de son lit, les mèches de cheveux blondes de son front collées par la sueur. Le jeune homme avait beau être habitué aux étés torrides de la région, les températures cette année-là étaient particulièrement rudes. Et puis, en réalité, on ne s'habituait jamais vraiment.

Dave avança à tâtons dans la pièce plongée dans l'obscurité, éclairée seulement par quelques rayons de soleil passant à travers les ouvertures des stores mal fermés de sa chambre. Arrivé à la salle de bain, la première chose qu'il fit fut de passer sa tête sous le robinet d'eau froide jusqu'à être complètement rafraichi, comme il faisait tous les matins. Cette nouvelle journée qui commençait s'annonçait plutôt normale.

Ce qui n'était peut-être pas si normal, remarqua Dave en regardant dans le miroir, c'était la chose noire et visqueuse aux centaines d'yeux accrochée au plafond. Il grimaça en observant la créature gigoter curieusement, ses yeux s'ouvrant et se fermant les uns après les autres. Poussant un long soupir, il sécha son visage avec une serviette propre et plaça ses lunettes de soleil sur son nez. Aussitôt, la monstruosité disparut de son champ de vision. Voilà qui était mieux.

Tous les enfants de la famille Strider venaient au monde avec deux particularités pour le moins étonnantes. La première était une couleur d'iris inhabituelle, virant souvent dans les tons rouge orangés – rouge vif, dans le cas de Dave. La seconde était la capacité, dès le plus jeune âge, de voir certaines choses invisibles pour le commun des mortels. Appelez-les esprits, ectoplasmes ou juste manifestations surnaturelles si vous voulez – ce qu'il faut retenir ici, c'est que ces créatures immatérielles existent partout, sans réellement exister. Pour cette raison, la majorité d'entre eux est complètement inoffensive, et en dix-sept ans de vie, Dave avait appris à s'y accoutumer. Les lunettes de soleil étaient un avantage, puisque les verres teintés, pour une raison ou une autre, faisaient disparaître complètement toutes les anomalies de sa vue.

Tant qu'il portait ses lunettes, Dave pouvait presque mener une vie normale. Presque, parce que même sans pouvoir les voir, il demeure certaines choses qu'un médium est capable de discerner. C'est ainsi qu'il avait su, des années plus tôt, que ce garçon aux airs timides de son école qui deviendrait plus tard son meilleur ami n'était pas un humain ordinaire.

Plus personne ne saurait dire, de nos jours, si c'est à cause de ce don que la famille Strider s'était spécialisée dans l'exorcisme, ou si au contraire c'est à force de pratiquer cette profession particulière qu'ils avaient fini par développer ces capacités ; quoi qu'il en soit, chaque enfant né dans cette famille était plus ou moins prédestiné à la naissance à devenir médium. Et même si aujourd'hui les humains vivent sans se douter de la présence de créatures surnaturelles parmi eux et que, par conséquent, presque plus personne ne fait appel à de vrais exorcistes, ce n'est pas pour autant que leur travail est devenu moins important.

La capacité à discerner et éliminer les créatures spirituelles ou surnaturelles jugées dangereuses – voilà ce pour quoi Dave avait été entraîné toute son enfance et son adolescence durant. Et à présent qu'il avait terminé le lycée et que son frère avait disparu quelque part, Dave avait plus ou moins compris que la tâche de protéger la ville de ces créatures lui revenait.

Mais le seul problème, c'est que Dave Strider n'avait rien demandé.

Grandir en voyant des choses que les autres enfants ne voyaient pas avait déjà été une expérience assez traumatisante, et avoir des yeux d'une couleur inhabituelle qu'il lui fallait cacher – il avait eu droit durant toute sa scolarité aux fausses ordonnances médicales prétendant une photosensibilité particulière l'obligeant à garder ses lunettes en toutes circonstances – n'avait fait que l'isoler des autres, mais il avait su surmonter ces difficultés. Il s'était fait des amis – pas forcément humains, certes, mais des amis tout de même – et il était plutôt populaire et respecté dans son lycée. Ses notes étaient bonnes, voire excellentes quand il s'en donnait la peine, et son frère lui avait laissé assez d'argent avant de disparaître pour qu'il puisse se payer les études qu'il désirait.

Et honnêtement, cela lui suffisait. Dave n'avait jamais été véritablement intéressé par le surnaturel, et devenir médium ne le tentait pas non plus. Même pas du tout, en réalité. L'idée de passer sa vie à travailler dans l'ombre, sans que ses efforts ne soient jamais remarqués ni reconnus par personne, le démoralisait au plus haut point. Dave voulait de la reconnaissance. Il n'avait pas besoin non plus de devenir la plus grande célébrité qui soit, mais il désirait plus que tout être admiré et respecté pour son talent. Et pendant toute son adolescence, il s'était répété que quoi qu'il puisse arriver, il suivrait la voie qu'il avait choisie, et non celle qui lui avait été imposée.

Mais voilà, il était déjà en août et, ses années de lycée terminées, Dave se devait de faire un choix. D'un coup, le poids de toutes les responsabilités auxquelles il avait tenté de ne pas penser lui était retombé dessus, et il n'arrivait pas à se décider. Le formulaire d'inscription à l'école d'art cinématographique à laquelle il aspirait d'entrer n'avait pas bougé de son bureau depuis des mois. Il avait déjà été accepté, il ne lui restait plus qu'à envoyer la confirmation – mais il se retrouvait bloqué.

Dave tressaillit soudain en sentant une présence juste derrière lui, se retenant de bondir en arrière par réflexe. Il avait beau adorer Jade, il détestait sa capacité à pouvoir s'approcher des gens sans être remarquée.

« Dave, y'a plus de céréales, gémit la jeune fille en passant ses bras autour de son cou.
— Me colle pas comme ça, il fait trop chaud, soupira Dave.
— Hé, fais pas ton grincheux.
— Je pourrai pas aller t'acheter tes céréales si je meurs d'une insolation avant, bébé.
— Hm, c'est un argument acceptable. »

Jade le libéra de son étreinte et il la remercia d'un rapide baiser sur le coin des lèvres avant de se diriger vers la chambre à nouveau pour trouver des vêtements propres. Cela faisait pas loin d'un an qu'il avait commencé à sortir avec Jade Harley, quand il y pensait. D'ordinaire en cette saison la jeune fille préférait passer ses jours et ses nuits en forêt, où il fait plus frais, mais depuis que le frère de Dave était parti, elle avait pris l'habitude de venir occuper son appartement. Dave, bien sûr, n'y voyait absolument aucun inconvénient. Jade n'était pas de nature envahissante ; elle ne ramenait jamais d'affaires à part quelques vêtements et produits de toilette et elle n'essayait pas de lui faire changer son mode de vie. Elle n'avait jamais rien dit non plus à propos des épées dans le frigo, ou des câbles électriques qui traversaient tout le salon et qu'elle enjambait agilement à chaque fois qu'elle devait se déplacer d'un coin à l'autre de la pièce.

En réalité, Dave ne pensait pas vraiment que l'appartement dans lequel il vivait était un espace agréable. Le ménage n'était fait que quand cela devenait une absolue nécessité, et ni lui ni son frère n'avaient jamais pris le temps de décorer ou de faire quoi que ce soit pour rendre la petite pièce qui leur servait de salon accueillante. Les meubles étaient ceux qui se trouvaient déjà dans l'appartement lorsque son frère l'avait acheté, alors que Dave n'était qu'un bébé, et lorsque l'un d'eux cassait, il était simplement rafistolé avec du gros scotch. Tout ce qui ne rentrait pas dans ces quelques meubles était stocké dans des espaces improbables – d'où les épées dans le frigo – ou laissé à même le sol. Ils n'avaient pas non plus l'air climatisé, même s'ils auraient largement pu se permettre cet investissement depuis longtemps. Enfin, son frère était parti en laissant sa chambre telle quelle, et Dave n'avait jamais eu ni le courage ni l'envie de la ranger ou même seulement d'y entrer. Toutefois, c'était ainsi que les frères Strider avaient toujours vécu, et Dave ne voyait pas d'intérêt à changer quelque chose maintenant.

Le jeune homme fit un saut rapide à la supérette du coin et remonta sans attendre apporter son petit-déjeuner à Jade, qu'il trouva occupée à remplacer les quelques pansements qui décoraient ses jambes nues. Il n'était pas rare que sa petite amie rentre d'une excursion en forêt couverte d'écorchures et blessures plus ou moins légères après une altercation avec d'autres créatures surnaturelles. Dave disait ne pas trop s'en inquiéter et savait qu'il n'avait pas d'autre choix que de l'accepter puisqu'il sortait avec une fille loup-garou, mais il ne pouvait s'empêcher de grimacer à chaque nouvelle cicatrice qu'il découvrait sur le corps de la jeune fille.

« Alors, c'est quoi le plan aujourd'hui ? » demanda-t-il en posant la boite de céréales sur la table face à elle.

Jade s'empressa de l'ouvrir et de s'en verser un bol plein.

« Je pensais faire un tour du côté du cours d'eau à l'ouest, dit-elle distraitement. Dernièrement, j'ai trouvé beaucoup de carcasses de petits lusi dans cette partie de la forêt. Je crois que quelque chose les chasse.
— C'est un problème ?
— Pas pour l'instant, mais ça pourrait le devenir. Les monstres qui se nourrissent de lusi ont tendance à grandir très rapidement. Je suis sur sa trace depuis trois jours, mais j'ai du mal à mettre la main dessus.
— Ok. Je viens avec toi. »

Jade hocha les épaules. Les sorties en forêt n'étaient pas exactement quelque chose que Dave appréciait en temps normal, en grande partie parce qu'il se retrouvait généralement la cible de tout un tas de créatures plus étranges les unes que les autres qui n'appréciaient pas qu'un humain capable de les voir pénètre dans leur territoire. Et puis aussi à cause des insectes. Dave détestait vraiment les insectes. Toutefois, accompagner Jade était la meilleure distraction qu'il avait trouvée pour éviter de penser à ses responsabilités.

...

Ils prirent le bus menant à la forêt en fin de matinée et entamèrent à pieds la longue marche menant à la zone que Jade désirait inspecter. À peine la route quittée, Jade s'était aussitôt changée en louve et avait filé comme une flèche, trop heureuse de pouvoir se défouler. Pendant une heure environ Dave s'était contenté d'avancer dans la direction qu'elle lui avait indiquée, portant à bout de bras les vêtements vite abandonnés par Jade tandis que la jeune louve vadrouillait au gré de ses envies, vérifiant que tout allait bien dans la forêt. Par moments cependant, elle refaisait surface pour s'assurer que Dave ne se perdait pas et lui indiquait le chemin à suivre s'il fallait. On aurait dit un chien de garde qui faisait le tour de son pâté de maisons pour s'assurer qu'aucun intrus ne s'était infiltré sur son territoire, ce qui faisait beaucoup rire Dave intérieurement.

Une fois calmée, Jade avait repris sa forme humaine pour marcher côte à côte avec Dave, discutant avec lui de tout ce qu'elle avait vu et entendu dans la forêt. Le jeune homme se contentait généralement de l'écouter, ne comprenant pas grand-chose aux histoires territoriales, mais entendre Jade en parler avec autant d'enthousiasme le faisait toujours sourire.

Après une longue marche, ils arrivèrent à destination, un petit ruisseau qui s'écoulait calmement au cœur de la forêt. Ils s'y arrêtèrent quelques instants pour se rafraichir, l'eau glacée particulièrement agréable sur leur peau meurtrie par la chaleur de l'été. Dave n'était pas mécontent de pouvoir enfin faire une pause. Il avait toujours été dans les meilleurs en sport de sa classe et était intérieurement fier de son endurance, mais même lui avait parfois du mal à suivre le rythme lorsqu'il s'agissait de s'aventurer en forêt avec Jade. Il connaissait bien moins la forêt qu'elle et n'était pas aussi habitué à devoir passer entre les buissons ou éviter les branches des arbres. Si son frère avait été là, il aurait probablement ri en le voyant et lui aurait fait remarquer son manque d'entraînement.

Comme il faisait bon dans l'ombre des arbres et près de l'eau, Dave et Jade décidèrent de manger ici le repas qu'ils s'étaient amené – un pique-nique assez simple constitué de paquets de chips et sandwichs préparés par Jade. La jeune fille insistait toujours pour préparer le repas lorsqu'ils étaient ensemble, sans quoi Dave ne se nourrirait que de nouilles instantanées et autres plats tout prêts. La cuisine n'était pas vraiment un domaine dans lequel elle excellait, peu habituée à manger autre chose que ce qu'on pouvait trouver en forêt, mais elle faisait des efforts pour s'améliorer, et Dave lui en était reconnaissant sans oser lui avouer.

Au bout d'un moment, les oiseaux et petits animaux ressortirent de leur cachette, considérant sans doute que les deux perturbateurs n'étaient finalement pas un danger puisqu'ils restaient sans bouger. Un lusus en forme de poisson voletant dans les airs passa tout près d'eux, examinant Dave un court instant avant de s'en retourner de là où il venait. Ce n'était pas une vision inhabituelle sachant qu'ils s'étaient aventurés profondément dans la forêt. Au contraire, la rareté des lusi dans ce coin était assez étrange et confirmait les soupçons de Jade.

« Ça a quel goût tu crois, un lusus ? demanda Dave distraitement. J'étais même pas sûr que ces trucs soient comestibles.
— C'est pas le cas. En tout cas, pas pour la plupart des êtres vivants. Leur carapace est déjà dure à briser, mais en dessous, y'a rien que du sang et de l'énergie immatérielle. Ça a pas de goût du tout.
— Tu veux dire que t'as essayé ? »

Dave leva un sourcil mais Jade préféra ignorer la question.

« Dans tous les cas, c'est pas mangeable ! Mais certaines créatures peuvent absorber l'énergie qui les constitue. Enfin je sais même pas si on peut vraiment les appeler des créatures… »

Dave hocha la tête. Du bout des doigts il chassa ce qui ressemblait à une chenille noire qui vadrouillait sur sa jambe et venait d'entrer juste dans son champ de vision que ses lunettes ne cachaient pas. Il vit la chose voltiger et disparaître de sa vue, mais ses doigts n'avaient rien senti d'autre que de l'air en la touchant. Il détestait ces choses. S'il enlevait ses lunettes de soleil, la forêt en serait probablement remplie. Les coins où vivaient les lusi avaient tendance à attirer beaucoup d'autres manifestations surnaturelles, et Dave n'avait pas besoin d'y voir pour sentir l'énergie présente tout autour de lui. Cela lui rappelait les semaines qu'il avait dû passer en forêt durant son entraînement, quand il était enfant. L'endroit était assez dangereux une fois le soleil couché pour que même son frère, d'ordinaire impitoyable, ne l'y laisse jamais seul. Il savait se débrouiller seul à présent, mais l'idée de s'y aventurer de nuit suffisait encore à lui donner des frissons.

Décidant qu'un peu d'exercice pour se changer les idées ne lui ferait pas de mal, il se releva.

« Bon, allons voir à quoi ressemble ce mangeur de lusi. »

Jade acquiesça et nettoya en vitesse les restes du repas avant de repasser le sac à dos dans lequel elle avait tout rangé à Dave. Non pas que le porter l'aurait déranger d'une quelconque façon, mais il y avait certains points sur lesquels Dave Strider ne cédait pas, et la galanterie en faisait partie.

« Au fait, tu as eu des nouvelles de Rose ? demanda Jade en se remettant en marche.
— Pourquoi est-ce que c'est moi qui aurait des nouvelles de Rose ?
— Ben, déjà, t'es sur ton téléphone bien plus souvent que moi. »

C'était vrai, et Dave ne comptait plus les fois où il faisait la morale à Jade parce qu'elle laissait son portable éteint ou oubliait de le prendre avec elle et le laissait sans nouvelles pendant des journées entières.

« Et puis je sais qu'elle aime beaucoup discuter avec toi.
— Si par discuter tu veux dire essayer d'analyser tout ce que je dis pour le ressortir contre moi et m'inventer tout un tas de troubles psychologiques dus à un passé traumatisant et un manque de confiance en soi, alors oui, ça décrit tout à fait ma relation avec elle.
— Et tu passes dix minutes devant ton portable à réfléchir à la réponse parfaite, parce que tu adores ces conversations avec elle. »

Parfois, cela en devenait presque effrayant à quel point Jade le connaissait bien. Il décida de jeter l'éponge.

« Elle passera probablement dans la semaine. »

Jade se mit à sautiller de joie, et Dave pouvait la comprendre. Ce n'était pas souvent qu'ils pouvaient voir Rose, car la jeune fille voyageait aux quatre coins du monde presque en permanence. Ils s'étaient lié d'amitié avec elle les quelques mois qu'elle avait passé en ville l'année de leurs seize ans et ils avaient gardé le contact depuis, mais ses visites étaient rares. Lorsque Dave avait envoyé un message à son meilleur ami ce matin-là pour l'informer de la visite de Rose, celui-ci avait fait preuve d'autant d'enthousiasme qu'il était possible de montrer dans quelques lignes de texte bleu sur un écran d'iPhone.

« Ça remonte à quand, la dernière fois qu'on était tous ensemble ? demanda Jade.
— Noël dernier.
— Oh, c'est vrai ! On s'était tous réunis chez Kanaya ! Elle a juré de ne plus jamais nous inviter chez elle, après ça. »

Dave sourit au souvenir de cette soirée. Il avait toujours les photos embarrassantes de Karkat après qu'il ait accidentellement trop bu de punch sans se rendre compte qu'il était alcoolisé, et il les ressortait à chaque fois que l'occasion se présentait.

« Tu crois qu'on pourra… »

Jade s'interrompit. Ses oreilles de louve se dressèrent sur sa tête, signe que quelque chose d'important avait retenu son attention. Dave scruta les alentours, sur ses gardes. Il n'avait rien ressenti d'inhabituel, mais il avait appris à faire plus confiance aux sens aiguisés de Jade qu'à son propre instinct.

« Bouge pas. »

À peine avait-elle murmuré ces paroles que Jade s'élança en direction des buissons, disparaissant aussitôt de sa vue. La forêt s'était tue et le silence demeura quelques secondes, puis fut interrompu par un jappement aigu. Sans hésiter une seconde Dave se mit à courir dans la direction où Jade était partie, mais il eut à peine le temps de faire quelques pas que déjà Jade était réapparue devant lui, entièrement changée en louve. Dans sa gueule, quelque chose qui ressemblait à un animal au pelage vert gigotait. Poussant un grognement, la louve se mit à secouer sa proie dans sa gueule avant de la recracher au sol.

Dave plaça une main devant sa bouche sous le coup du dégoût. La chose ne ressemblait même pas à une créature vivante. Son corps velu et difforme s'étendait en une unique trompe dont l'extrémité était pourvue de dents pointues. Elle n'avait ni tête ni visage, et de minuscules pattes s'agitaient encore faiblement le long de son corps. Du sang blanc s'écoulait au sol, mais il était difficile de voir où Jade l'avait mordu tant le corps de la monstruosité était couvert de croutes et de bosses.

« Ok c'est la chose la plus dégueu que j'aie jamais vue de ma vie. Je crois que je vais aller vomir. »

Jade, toujours sous sa forme animale, ne quittait pas la créature des yeux. Soudain, ses babines se retroussèrent et un grognement sourd s'en échappa, ce qui remit Dave sur ses gardes. Alors que la chose semblait lâcher son dernier souffle de vie, son corps se tordit soudain de lui-même et se déchira, libérant une masse noire qui se jeta sur Jade en un éclair. La louve eut tout juste le temps de bondir en arrière pour l'éviter et ne laissa pas le temps à la créature de repasser à l'assaut : d'un saut agile elle se jeta sur sa proie et la déchiqueta de ses crocs. La masse noire partit aussitôt en fumée, comme si elle n'avait été qu'un simple effet d'optique.

Aucun des deux ne bougea pendant quelques secondes, jusqu'à ce que Jade s'apaise enfin.

« Je peux aller vomir maintenant ? » demanda Dave.

En guise de réponse Jade se contenta d'un aboiement et ils partirent chercher les vêtements que Jade avait laissés en forêt, abandonnant le cadavre de la créature monstrueuse aux insectes.

Alors que la jeune fille terminait de se rhabiller, Dave remarqua un filet de sang qui s'échappait d'une de ses chevilles et il le lui fit remarquer.

« Ce truc m'a mordue ! s'indigna-t-elle. Il était rapide, pour un si petit truc. »

Dave leva les yeux au ciel et s'agenouilla pour s'occuper de lui mettre un bandage. Il emmenait toujours du désinfectant et de quoi traiter les blessures de Jade quand il l'accompagnait en forêt.

« Bon, j'espère que t'as rien d'autre à faire ici parce que je crois que perso, j'ai eu ma dose de machins immondes pour la journée. Je te jure que ce truc m'a plus écœuré que la chose verte qui moisit sous le canapé.
— Dave, tu m'avais promis que tu nettoierais ce truc la dernière fois !
— Euh, je suis à peu près 200% sûr de jamais avoir promis ça.
— Si, tu l'as fait.
— Est-ce que j'étais bourré ? Tu sais ce que j'ai dit sur les promesses que je fais quand je suis bourré. Et de toute façon, ces magnifiques mains ne sont pas adaptées pour nettoyer les trucs dégueu sous les canapés. C'est un handicap reconnu. Le terme médical, c'est incapacité aux tâches ménagères écœurantes. Cherche sur Google.
— C'est fini, je m'assoirai plus jamais sur ce canapé. »

Jade passa une main dans sa longue chevelure pour la remettre en place. Les rayons du soleil qui passaient à travers les arbres faisaient apparaître les reflets châtains dans ses cheveux et la fourrure de sa queue de louve. Une autre des raisons pour laquelle Dave surmontait volontiers tous les inconvénients des sorties en forêt : Jade y semblait toujours à l'aise, comme dans son élément naturel ; et, pour une raison qu'il ne s'expliquait pas, il la trouvait plus belle que jamais.

La jeune fille se massa brièvement les tempes avant de s'étirer longuement, l'air fatiguée tout à coup.

« Tout va bien ?
— Ouais, juste encore un peu secouée. On rentre ? »

Dave ne répondit rien. Il avait la sensation que quelque chose n'était pas normal, mais il n'arrivait pas à dire quoi. Ce n'était probablement qu'une impression. La forêt perturbait tous ses sens quand il y restait trop longtemps, de toute façon.

...

Le chemin du retour se passa aussi tranquillement qu'à l'aller. Le soleil brillait toujours fort quand ils sortirent de la forêt et rapidement la chaleur de la ville remplaça la fraicheur des arbres. Dave avait reçu plusieurs messages de son meilleur ami John sur la route lui annonçant qu'il avait déjà commencé les préparatifs de la fête d'accueil de Rose. Sa préoccupation principale semblant être le choix du dvd qu'il allait passer en premier, la soirée s'annonçait déjà bien amusante. Ironiquement parlant.

Lorsqu'ils regagnèrent l'appartement de Dave cependant, sa bonne humeur fut rapidement remplacée par une nouvelle poussée d'inquiétude. Depuis qu'ils étaient sortis de la forêt, Jade semblait encore plus épuisée que précédemment et n'avait pratiquement pas parlé de tout le trajet.

« T'es vraiment sûre que ce machin était pas vénéneux ?
— Tu t'inquiètes pour rien, soupira la jeune fille. Je t'ai déjà dit que j'étais immunisée contre presque tous les poisons, non ? Je suis juste fatiguée, ça arrive ! Et puis vénéneux, c'est pour les plantes. On dit venimeux.
— Ok. Peu importe. Et s'il avait une maladie ? Genre, je sais pas, la rage. »

Jade se tourna vers lui et haussa un sourcil blasé.

« Dave, je suis pas un chien.
— Je sais, mais est-ce que tu es vaccinée ? »

Sa réponse lui valut une chaussure lancée droit sur sa tête, qu'il esquiva avec autant d'agilité et de style que sa réputation de mec cool exigeait.

« J'irai voir un médecin si je vois que ça s'aggrave, ça te va ? En attendant, je vais prendre une douche.
— Est-ce qu'il faut que je prenne rendez-vous chez le véto ? »

La deuxième chaussure fut un peu plus difficile à esquiver, mais il s'en tira de justesse. Jade s'éloigna en riant. Sa blessure ne semblait pas s'être rouverte, vu l'état impeccable du bandage sur sa jambe. Mais quelque chose l'inquiétait malgré tout.

Avant qu'elle ne passe la porte, Dave baissa légèrement ses lunettes de soleil. Une étrange aura grise enveloppait la jeune fille – presque transparente, mais elle était là. Il y avait clairement quelque chose qui n'allait pas.