1. Caïn Weissmann
La silhouette du navire se découpait noblement dans la brume de ce mois de Novembre 1957. Aux pieds du géant, les quais fourmillaient des incessants allers-retours des employés de la Hamilton Transatlantic Company. Après une traversée sans incident, le paquebot King Arthur était enfin parvenu au port de Glasgow. Dans la foule des passagers qui mettaient pied à terre pour la première fois depuis plusieurs jours se trouvait un grand homme aux cheveux noir de geai. De constitution fine et dynamique, Caïn Weissmann allait sur ses trente deux ans. Il parcourait la cohue des retrouvailles portuaires de ses yeux azurés, mais son visage gardait une expression des plus soucieuses. Il ne parvenait pas à distinguer sa jeune cousine qui l'avait convaincu de la rejoindre en Ecosse. Elle était la seule famille qui lui restait et son invitation était venue après des années de correspondance qui avaient fait d'eux de véritables frère et sœur. Caïn n'avait donc pas hésité un seul instant à quitter son exil américain, et l'absence de sa cousine pour son arrivée l'inquiétait au plus haut point.
Cette après-midi-là, par cinq fois, le jeune homme crut reconnaître sa parente dans la foule et se fit éconduire plus ou moins rudement. Si une demoiselle appela immédiatement son mari au secours, une autre jeune femme reconnu n'être pas sa cousine mais lui affirma avec conviction qu'elle savait « faire plein d'autres choses… » ! Le soir tombant, fatigué et inquiet, Caïn se résigna à dénicher un hébergement abordable. Malheureusement, il eut vite fait de comprendre qu'après cette traversée de l'Océan, il n'avait plus les moyens de payer quoi que ce soit. Il en venait à envisager une nuit à la belle étoile quand une douce pression contre son mollet le fit sursauter. Un chat tigré aux yeux pétillants cernés de noir ronronnait sereinement. Caïn étouffa un hoquet de surprise.
« Mimi ?! »
Le félin fit alors demi-tour et alla s'asseoir quelques pas plus loin, dans la pénombre. Caïn n'en voyait plus que les deux flammes jaunes des prunelles, qui commencèrent une lente ascension dans l'obscurité. Alors que leur éclat s'estompait, une jeune femme émergea des ténèbres. Bien que sobrement vêtue d'une robe noire et d'un pull-over de laine épaisse, elle était très belle, et derrière une paire de petites lunettes sévères son visage fin rayonnait de joie et de malice. Elle s'approcha lentement du jeune homme encore surpris et l'étreignit avec chaleur.
« Je suis désolée de m'être faite attendre, mais j'ai reçu une visite pour le moins inattendue. Un ami de longue date m'a demandé l'hospitalité, et j'aurais été bien ingrate de la lui refuser. Nous serons donc trois à la maison ce soir et les semaines à venir. J'espère que cela ne te dérange pas. J'ai tant attendu ton arrivée que je m'en voudrais terriblement si tu venais à regretter ton voyage…
- Sois tranquille, répondit le jeune homme, rien ne saurait ternir mes retrouvailles avec ma cousine tant aimée… Enfin, si l'on peut vraiment parler de retrouvailles ! La dernière fois que je t'ai vue remonte à une vingtaine d'années, tu avais à peine huit jours ! »
A l'évocation de ce souvenir, les deux cousins échangèrent un sourire mélancolique avant que la jeune femme ne reprenne.
« En tout cas, ce n'est pas si mal que je sois arrivée si tard. Le trajet sera plus aisé de nuit, nous n'aurons pas à nous cacher des moldus. La maison est tout de même à une heure d'ici ! »
Elle entraîna son cousin par la main dans une impasse obscure et décrépite dans laquelle traînaient deux balais miteux. Elle en tendit un à Caïn et enfourcha le sien. Alors que son cousin fixait le manche usé avec ahurissement, elle donna un vigoureux coup de pied sur le sol boueux et décolla en flèche. Après une fulgurante ascension vrillée, elle revint près du sol où Caïn examinait toujours l'outil avec le yeux du célèbre gallinacé confronté au couteau.
« Par Merlin ! Ne me dites pas qu'ils m'ont affublé d'un cousin handicapé du manche !?
- Ngeuh ?
- Toi Caïn connaître bâton à poils volant ?
- Dis donc, Mimi ! Un peu de respect envers les anciens ! C'est pas parce que tu as été la meilleure attrapeuse de Gryffondor de tous les temps que tu dois te moquer de tes camarades plus intellectuels que sportifs !
- Toujours est-il que Monsieur l'Intellectuel va devoir au DIM* de sa cousine Sportive de ne pas se taper dix heures de marche ! »
Et joignant le geste à la parole, la jeune femme changea son cousin abasourdi en épingle à cheveux.
* Diplôme International de Métamorphose [NdA]
