Sara arriva dans son appartement. Il était vide, deséspérement vide. Le long soupir qui suivit cette constatation resta suspendu en l'air, comme figé par ce lieu aussi impersonnel qu'intemporel. Elle se débarrassa de sa veste et l'envoya négligemment sur le meuble de l'entrée. Les clés ne furent pas traitées avec plus d'égards. Quelques idées fugitives lui traversèrent la tête quant à ce qu'elle pourrait bien faire de son jour de repos. Peut-être que, pour une fois, elle pourrait sortir un peu, profiter de cet hiver clément pour se balader, comme tout le monde.
Cela lui ferait du bien. Depuis quelques temps, un air fatigué, presque blasé s'était emparé de son visage pour ne plus la quitter. Excepté lors de rares moments, des moments qu'elle gardait dans une petite partie de son cœur pour les longues soirées.
Seulement elle n'était pas comme tout le monde. Alors elle passerait sa journée cloîtrée chez elle et les seuls rayons de soleil qui lui effleureront le visage devront se frayer un chemin à travers les rideaux. Elle était trop habituée à la nuit, à l'ambiance feutrée, intime qu'elle apportait. Et puis elle n'avait pas envie de sortir, de voir du monde.
Résolue cependant à ne pas gâcher son temps en de vaines lamentations, elle s'avança vers la chaîne, effleura quelques cds du bout des doigts avant de s'arrêter sur l'un d'entre eux. Beautiful Day résonna dans la pièce, réveilla son sourire. Après un instant de réflexion, elle s'approcha de la fenêtre sur la pointe des pieds, comme si elle avait peur de briser ce doux moment d'éveil. Elle observa les rideaux, fit une moue qui lui donnait 10 ans de moins, et les ouvrit d'un coup sec. La lumière s'appropria la pièce comme un territoire qu'on conquit après des années de combat. La pièce rayonnait, la jeune femme également. Dans un élan d'inspiration, elle s'assit sur son canapé, installa son ordinateur en équilibre précaire sur ses genoux et commença à taper. Un soudain courant libérateur la parcourut et une pensée s'imposa. Elle aurait dû faire cela depuis bien longtemps. Exorciser tout ça. Ses envies, ses appréhensions, ses déceptions. Elle voyageait dans son esprit mais pour une fois, c'était elle qui décidait du trajet. Mettant des mots sur des impressions qu'elle ne se serait pas cru capable de définir. Ses doigts parcouraient cet intermédiaire sacré avec une habilité surprenante. Jamais elle n'avait écrit avec une telle frénésie et jamais elle ne s'était exprimée aussi librement. Personne ne lirait jamais tout ça, mais elle n'écrivait pas pour les autres. C'était pour elle, pour elle seule. Pour ne plus ressasser les mêmes pensées qui la rongeaient, pour ne plus garder des illusions inutiles au fond du cœur et qui la détruisaient chaque fois qu'elles volaient en éclat. C'était un grand ménage du cœur et de l'esprit qui, malheureusement, ne s'entendent pas toujours.
Une ombre de sourire vint accrocher ses lèvres avant de s'y installer définitivement. Ici, elle était le maître, elle contrôlait la situation. Elle se contrôlait ; et surtout, elle se découvrait.
Le soleil était à son apogée lorsqu'un grésillement se fit entendre par-dessus With or Without you. L'imprimante libéra cet ensemble de mots auquel la jeune femme avait enfin donné un sens. Elle regardait son chef d'œuvre quand le téléphone lui fit relever la tête. La sonnerie ne lui semblait même pas familière. En général c'était sur son portable qu'on la joignait.
-Sara Sidle.
-Ah, Sara, c'est vous, fit une voix hésitante.
-Grissom ?
-Euh oui, c'est moi. Hm…Je voulais juste vous demander si ça vous tentait d'aller déjeuner dehors…Il fait bon et, enfin, je ne sais pas si vous êtes occupée…
-Ah, dit-elle d'abord, prise au dépourvu. Parce que vous pensez qu'en dehors du boulot, je n'ai jamais rien à faire ? ajouta-t-elle faussement en colère. Son petit récit avait ajouté à sa voix une nuance d'assurance qu'elle n'avait pas avant. Elle était curieuse de voir jusqu'où elle pourrait aller.
-Non, non je vous assure mais…Bon, ça vous dit ?
-Passez me prendre dans une demi-heure, répondit-elle sans pourvoir s'empêcher de sourire au combiné- geste, elle en était consciente, parfaitement stupide. Vous voulez mon adresse ?
-Non, je l'ai merci. A tout à l'heure ! dit-il, enjoué.
Il raccrocha avant qu'elle n'ait pu lui demander par quelle mystérieuse coïncidence il connaissait son adresse.
Et bien quoi, on ne peut plus changer d'avis maintenant ? Et puis après tout, ce serait stupide ne pas profiter de ce temps radieux.
