Je n'ai jamais cru aux vampires. Jamais. Bien sûr, j'ai lu Dracula, j'ai lu Carmilla, j'ai vu Prédateurs, j'ai vu toutes les versions de Dracula, depuis celles en noir et blanc jusqu'aux nullités modernes. J'ai même vu le premier Twilight. Mais jamais je n'ai vraiment cru qu'il y en avait quelque part dans le monde. Déjà, comment des êtres sans vie pourraient bouger ? Et puis, comment pourraient-ils, je ne sais pas moi, voyager ou acheter une maison de nos jours s'ils sont déclarés morts ?

J'ai parlé de ça avec quelques filles : majoritairement des fans de séries romantiques ou de vieux goths dépressifs mais hystériques à l'idée qu'un suceur de sang puisse venir dans leur lit la nuit les vider de leur sang. En fait, je trouve ça pathétique parce qu'ils ne se rendent pas compte qu'en fait, ils sont en train de fantasmer. Ouais, c'est sexuel en fait, les vampires : attend, deux 'crocs' qui pénètrent dans la 'chair' d'une jeune femme vierge avec du 'sang' dans leur lit, la nuit. Sérieux ?

J'y ai jamais cru, même si, moi aussi, j'ai fantasmé là-dessus. Et puis, j'en ai rencontré un.

C'était con, vraiment. Je travaillais dans mon appartement dans la banlieue de Londres et puis là, voilà, on frappe à ma porte. Je ne voudrais pas dire que je suis une étudiante en cinéma complètement asociale, mais je voudrais pas non plus dire qu'on frappe à ma porte tous les soirs. Je regarde le hachoir qui est posé sous mon manuel : j'ai beau habiter dans un coin tranquille, on ne sait jamais…Puis, j'ouvre la porte. Un mec s'engouffre chez moi et me crie de refermer la porte avec une voix de fanatique poursuivi par le démon.

Je ferme la porte à clé avant de me tourner vers lui avec mon regard spécial « j'en ai rien à foutre de toi et de ce que tu vas me raconter », assez peu crédible vu que je suis en chemise et que j'ai retiré mon pantalon pour me mettre tranquillement devant mes devoirs. Lui, c'est plutôt le mec genre baraqué, trois têtes de plus que moi, habillé avec les mêmes fringues usées depuis trois ans. Le genre de mec qui serait bien capable de me décrocher la mâchoire avec une simple gifle et qui n'a pas totalement l'air innocent. Dieu seul savait dans quoi je m'étais embarquée.

T'as quoi ? je lui fais, pressée de me débarrasser de lui.

- La… la fenêtre, elle ouvre sur quoi ? sa voix tremble comme celle d'une ado qui demande un steack saignant dans un resto chic.

- La cour. Puis, y'a une petite barrière qui mène au jardin d'une vieille.

- O.K, euhm, tu t'appelles comment ?

- Elizabetha, je fais.

- O.K., Elizabetha, je vais sortir par ta fenêtre et dans quelques secondes, y'aura un mec pas net qui va entrer chez toi. Je ne sais pas comment il va faire, mais il va rentrer chez toi et il va essayer de te faire dire que je suis sorti par la fenêtre. Mais surtout, tu dis rien, O.K ? Et tu gardes ta tête vide.

- Mon appart' est pas un moulin.

- Merci, Elizabetha.

Puis, il ouvre la fenêtre et il saute. C'est pas que j'habite au dixième étage mais j'habite quand même au quatrième et n'importe quel mec, même aussi baraqué que lui, se serait cassé les chevilles et les jambes à sauter de là. Pas lui. Lui, il a juste sauté comme ça, à travers ma fenêtre, puis il a atterri et a re-commencé à courir. Je soupire et passe une main dans mes cheveux teints en bleu foncé. Je n'aime pas ma couleur originale : un brun très foncé mais pas encore noir, alors je me les teints souvent. En ce moment, c'était du bleu foncé.

Voilà, je venais de rencontrer un vampire. Y'a un vampire qui est venu traverser mon appart à vingt-trois heures et qui a sauté par ma fenêtre en m'assurant qu'il était poursuivi. Mais je savais pas que c'était un vampire. J'avais pas vu ses yeux, rien. Je pensais juste que c'était un mec bizarre, y'en a plein à Londres. Alors, j'ai mis un pantalon sous ma chemise quand même parce qu'il paraît qu'y a un mec plus zarbi encore qui va débarquer dans mon appart' à sa recherche. C'est un pantalon noir très large et confortable.

J'ai à peine le temps de me remettre à bosser qu'il y a le fameux mec zarbi qui entre. Sur le coup, je me suis dit que j'avais laissé ma porte ouverte, mais en fait, je savais très bien que c'était pas vrai. Lui, en revanche, j'aurais été prête à vendre mon perso niveau 68 sur WoW que c'était un vampire. Il avait le total look du mec qui se prenait pour Dracula. Mais pas comme les goths et les emos qui arpentent les rues de Londres. Ouais, lui il avait la classe en plus. Il avait la tenue complète en cuir, les cheveux noirs (pas teints) super longs et la peau que même mon fond de teint arrive pas à rendre aussi pâle, ni même mes sessions vacancières sur divers jeux en ligne. Il est entré et il était bien plus grand et costaud que l'autre même s'il avait plus fin et surtout plus calme. Il m'a regardé et a souri à mes cheveux. Tous les mecs zarbs font ça. Je ne sais pas ce qu'ils ont. Alors, il me fait :

Il me semble qu'un de mes collègues vous a déjà visité.

Sans pouvoir m'en empêcher, je sens l'un de mes vieux tics de quand je suis nerveuse revenir. J'ai un étrange claquement de langue :

Y'a le verrou sur la porte, je lui répond. Normalement, je suis une très bonne menteuse.

- Allons, allons, mademoiselle… Je sais que quelqu'un est entré ici il y a à peine quelques secondes.

- Si vous le savez, pourquoi vous me demandez alors ? Continuez votre recherche et sortez de chez moi, je bosse.

Il rit. Je n'aime pas son rire. Il me fait grincer des dents. Il est trop bas, trop sombre pour être tout à fait normal. Je croise les bras et j'essaye de garder mon esprit blanc. C'est jamais très facile. Je me demande comment les gens peuvent faire. Moi, il faut toujours que je pense à un truc, n'importe quoi. Alors je me concentre sur le film sur lequel je bosse. Un film muet atrocement long. Il cherche mes yeux. Je n'ose même pas le regarder droit dans les yeux.

Rares sont les personnes qui osent me donner des ordres.

- Je sais pas et je m'en fiche. En attendant, vous êtes entré par effraction chez moi et j'aime pas ça, alors auriez-vous l'amabilité de bien vouloir sortir.

Je sais, je suis insupportable quand je veux, enfin, même quand je ne veux pas forcément mais ce mec-là, il commence sérieusement à me fatiguer, enfin, tous ces mecs-là qui entrent chez moi, comme ça… Soudain, l'homme me regarde de plus près. Je fronce les sourcils. Oh merde, j'y ai pensé. Ça se lit donc si bien sur mon visage ? Il sourit et fait un pas vers moi. Je ne veux pas m'abaisser à reculer. Il tend l'une de ses mains vers moi. Ce genre de longues mains super blanches avec les doigts super longs et super fin mais avec des cals quand même. Il va me toucher. Je ne peux pas m'empêcher de sentir c'te vieille phobie ressortir : j'ai HORREUR qu'on me touche sans ma permission. Mais lui, il réussit quand même à me prendre le menton pour que je le regarde dans les yeux. Je lutte contre la détresse pour rester le plus calme possible devant lui. Il plante ses yeux dans les miens. Je cligne plusieurs fois mes yeux gris – une de mes grandes fiertés – pour me rendre à l'évidence : il a des yeux rouges et c'est pas des lentilles. Il a des fucking yeux d'un rouge rubis carrément hypnotisants. Un nouveau sourire s'empare du coin de sa bouche.

Merci, mademoiselle, fait-il.

Je ne vois pas merci pour quoi jusqu'à ce qu'il se dirige vers la fenêtre qui claque encore parce que je l'ai mal refermée après le passage de l'autre. Je ne sais pas trop quoi faire. D'un côté, j'ai envie de protéger mon copain avec ses fringues sales, de l'autre, si j'essaye de l'en empêcher, je parie que j'aurais la première page du journal, mais pas en tant que grande réalisatrice. Puis, je le choppe par la manche alors qu'il s'apprête à ouvrir la fenêtre à nouveau :

A cette hauteur-là, vous allez vous péter un truc, prenez au moins l'ascenseur.

Il rit encore. Je soupire et regarde ailleurs. Il a un beau rire, c'est pas un rire hystérique ou trop lent, c'est un beau rire, mais il me met mal à l'aise parce que j'ai l'impression qu'il se fout de ma gueule et j'aime pas ça. Eh oui, j'ai beau être une simple humaine, une simple étudiante de cinéma parmi tant d'autres, j'ai des cheveux bleus ! Ah ! Mon coiffeur m'a fait une couleur spéciale que personne peut avoir. Et puis j'ai un tatouage spécial aussi, designé par moi-même que personne d'autre ne peut avoir : un espèce de pentagramme dans mon décolleté avec des écritures autour : une citation d'Arsène Tarkovski, le père du réalisateur, une citation de la Bible, celle que tous les réalisateurs américains citent pour faire classe dans leurs films et puis… Il me sourit, cette fois-ci et arrête de rire.

Bon, ben allez-y alors, vous avez peur ? je fais pour masquer ma gêne.

Il rit encore quand il saute et se réceptionne avec un simple mouvement de genoux. Putain, il est bien plus costaud que l'autre et pourtant, il a l'air plus fin. Je me passe une main dans les cheveux en haussant les épaules et je ferme la fenêtre. Bon, voilà, deux barges se sont poursuivis dans mon appart', mais bon, ils n'ont rien cassé et c'est fini, maintenant. Enfin, je le pensais.

Alors, je m'assieds à nouveau à mon bureau et griffonne quelques notes sur les travellings de Resnais etc en essayant d'oublier les yeux rouges du mec et ses exploits face à la gravité. J'voudrais pas dire que je suis pas curieuse, mais je voudrais pas dire non plus que j'ai envie d'avoir encore affaire avec lui…

Et puis là, alors que tout semble finit, la porte s'ouvre encore. J'ai l'impression de jouer dans un vieux film comique merdique avec un mauvais gag à répétition. Une jeune femme entre avec une poitrine… Wow, j'ai l'impression de faire face à une actrice porno, quoi ! Poitrine géante, mini-jupe, bac blancs…Bon, je soupire et je montre la fenêtre, lasse :

Par là, ils sont passés par là.

Merci, elle me fait en rougissant un peu parce que je lui ai encore fait mon regard spécial « j'en ai rien à foutre de toi et de ce que tu vas me dire »

Et alors, elle s'élance à travers la fenêtre et se rattrape comme les autres, sauf qu'elle crie « Maître, maître, attendez-moi ! » comme une groupie. C'était peut-être elle qu'ils fuyaient…. Cette fois-ci, je fais bien attention à fermer la porte à clé, en me demandant si je dois la barricader pour être tranquille ! Surtout que ce sont pas des mecs normaux ici…

Et c'est qu'une minute après, qu'on frappe à nouveau à ma porte. Ah, enfin ! On frappe au lieu d'entrer comme ça chez les gens ! Je retourne ouvrir la porte. Cette fois-ci, nulle course-poursuite, nulle précipitation, juste une femme seule, très grande habillée en homme avec des cheveux blonds super longs et des lunettes rondes et sexy. Je ne voudrais pas dire que je suis lesbienne mais je ne voudrais pas non plus dire qu'elle est canon. Et imposante.

Vous désirez ? je fais.

Désolée de vous déranger, me fait-elle alors qu'elle n'a pas du tout l'air désolée, je voudrais juste savoir si mes deux hommes de main sont bien passés par chez vous en poursuivant un…criminel.

Ah merde alors ! Le premier mec c'était un criminel qu'est rentré chez moi et qui a même pas essayé de me buter ! J'ai trop eu du bol pour le coup ! Je me passe une main dans les cheveux, un peu dépassée par les évènements de cette nuit.

Ils sont passés par ma fenêtre, je lui dis en montrant ladite fenêtre.

La femme se penche et juge de la hauteur avant de soupirer :

Vous n'auriez pas du feu ?

Ça fait bizarre de se faire vouvoyer par une femme aussi imposante et supérieure, mais j'allume quand même son cigare. Pas très féminin, mais je n'ose rien dire.

Trop haut, elle murmure. Il y a un ascenseur par là ?

Oui, je fais, plus très sûre de moi, au fond du couloir.

Merci, elle me dit avant de tourner le dos. Puis, elle s'arrête sur le pas de la porte et se retourne. Et désolée pour les diverses intrusions. Ça n'arrivera plus.

Je… j'vous en prie, c'est… c 'est pas grave…

Elle me sourit et passe ses doigts gantés sous mon menton pour me regarder dans les yeux. Je me surprend à être gênée.

Au revoir, mademoiselle Waterhill.

Putain, dire qu'avant, je ne croyais pas aux vampires et tout au tralala…