Zelo resta assis sur sa chaise, même si l'envie de partir ne lui manquait pas. Le brouhaha incessant qui régnait autour de lui battait dans ses tympans, alors que sa main crispée sur son crayon griffonnait quelques notes sur un morceau de partition déchiré qu'il avait rapidement arraché de son cahier de musique le matin même. Il releva la tête quelques secondes, suffisamment longtemps pour voir le prof dans la trentaine entrer et lui jeter un regard désintéressé. Il rangea cependant sa feuille dans son sac pour ne pas trop s'attirer ses foudres et s'enfonça dans sa chaise sous les yeux scrutateurs du nouvel arrivant, qui l'avait dans le colimateur depuis déjà quelques jours, sans aucune raison. Zelo concentra son regard sur le mur fissuré, d'une couleur blanc sale. Il dévia ses yeux sur le tableau noir, couvert de poussière, n'ayant pas été correctement nettoyé depuis des mois. Quelques affiches vantant les mérites du Conseil des Elèves étaient tapissés un peu partout, certains parfois déchirés ou tagués de façon ridicule mais plutôt amusante, qui faisaient bien rire la plupart des élèves quand ils passaient à côté. Les tables et les chaises semblaient sur le point de lâcher, la plupart étaient bancales et gravées de déclarations d'amour ou de règlements de compte. Tout le lycée semblait mort, sur le point de tomber en ruines. S'il n'y avait pas autant de personnes déambulant à l'intérieur, on aurait pu croire à un bâtiment abandonné. Mais il n'avait de toute façon pas l'intention de s'attarder dans cet endroit trop longtemps.
Un pression dans son dos le sortit de ses pensées. Il se retourna pour entrevoir Taehyung, qui souriait du sourire rectangulaire dont il avait le secret. C'était son meilleur ami depuis des années, ils se connaissaient presque par coeur, si ce n'était plus. Ses cheveux d'une couleur mauve singulière tombaient légèrement sur son front et lui donnaient cet air différent qu'il aimait beaucoup avoir, dont il était particulièrement fier. Son style coiffé-décoiffé était toujours le même depuis leur première rencontre, il avait l'air de sortir du lit, mais on ne pouvait pas nier que ça lui procurait un certain style.
- Il est fou ce type, murmura-t-il. Il t'a pas lâché des yeux depuis le début du cours.
Zelo n'y prêta pas réellement attention, habitué, et jeta un regard un arrière quand la main de son ami se décolla de son dos et qu'il abattit son dos sur sa chaise avec un gémissement de douleur. D'abord étonné par ce soudain râle, son attention fut rapidement portée sur un autre détail dérangeant. Il portait son uniforme, comme d'habitude, mais contrairement aux autres jours, il avait cette fois mis sa cravate et son col était si bien boutonné qu'on aurait pu l'emmener à une réunion des ministres. Zelo resta un moment confus, Taehyung était irréprochable dans son habit. Et ça n'était tellement pas son genre..
- Qu'est-ce qui se passe ? Demanda-t-il, se fichant totalement du regard du professeur qui lui brûlait la nuque.
- Ah.. ça ? Tu sais bien..
Zelo resta interdit devant son ami qui se crispait, ne souhaitant certainement pas répondre à sa question. Il ne jeta cependant pas plus d'huile dans le feu, ne cherchant pas à insister plus, et se remit droit sur sa chaise pour écouter de nouveau d'une oreille inattentive le cours qui ne l'intéressait pas le moins du monde, encore moins après ce qu'il venait de se passer. Il resta un moment plongé dans ses pensées, au fond de lui il connaissait parfaitement la cause du soudain changement de son meilleur ami. Mais il voulait l'entendre de sa propre bouche, en être certain, s'assurer qu'il ne faisait pas d'erreur, et une fois qu'il en serait sûr, il pourrait vraiment s'énerver.
La sonnerie retentit brusquement, lui arrachant un sursaut, le tirant de ses pensées. Le son strident résonna quelques minutes dans les salles de classe et les couloirs vides avant de s'arrêter pour le grand bonheur de tous les élèves. Zelo se tourna soudainement vers Taehyung, faisant crisser sa chaise sur le sol, déclenchant un grognement unanime de toutes les personnes présentes dans la pièce. Il ignora les ronchonnements et se concentra sur son ami.
- Tu m'expliques maintenant ?
- Sur le chemin, répliqua Taehyung.
Sans perdre plus de temps, Taehyung partit, Zelo sur les talons. Sacs en main, ils traversèrent les longs couloirs jaunes, dévalèrent les escaliers menant au hall d'entrée où s'affairaient les élèves trop frileux pour aller dehors en cette saison d'automne, et sortirent du lycée d'un pas nonchalant. Ils traversèrent la cour bondée de gens en tout genre et se fauflièrent dans le courant humain qui allait dans la même direction qu'eux, vers l'objectif tant convoité depuis le début de la journée : la sortie. Le portail n'était plus très loin, et Zelo dut redoubler d'effort pour ne pas perdre son ami dans la foule. Ils se bousculaient tous comme des animaux, à croire qu'ils oubliaient totalement le fait qu'ils étaient humains et qu'ils avaient tout leur temps pour rentrer chez eux. Taehyung ignorait les mains de ses amis qui se tendaient vers lui pour lui dire bonjour ou au revoir, provoquant des exclamations de mécontentement que Zelo s'empressait de calmer pour ne pas que tout le monde en veuille à son meilleur ami. Il avait l'air totalement préoccupé, il en oubliait même qu'il était celui qui animait toujours la classe avec ses blagues nulles et ses éclats de rire.
Tous deux prirent la direction de la maison de Taehyung sans un mot. Pendant plusieurs minutes, le silence pesant persista entre les deux amis. Zelo était inquiet. Il ne l'avait jamais vu aussi bouleversé, aussi.. différent, aussi calme et renfermé. C'était la première fois. Il s'arrêta finalement, provoquant le stop net de son ami, qui comprit de suite qu'il allait devoir s'expliquer. Taehyung se gratta l'arrière de la tête et s'appuya au mur de la ruelle déserte comme s'il avait besoin d'un soutien, de peur de tomber. Le trottoit était jonché de feuilles et de déchets en tout genre, bien qu'il y ait une poubelle tous les cinq mètres, à croire que les gens qui passaient ici étaient tous aveugles. Les grillages des maisons étaient rouillés, en mauvais état, ce quartier pauvre n'inspirait vraiment pas la joie. La route était cahoteuse, parsemée de trous, si bien que presque aucun véhicule ne l'empruntait. De toute façon, personne n'avait assez d'argent ici pour s'acheter une voiture en état de rouler.
Taehyung enfonça sa tête dans ses mains et poussa un long soupir pour se calmer. Il inspira et expira plusieurs fois, longuement. Zelo n'osait pas le brusquer, il avait une petite idée de ce qu'il allait lui dire, et il préférait rester muet. Il avait un mauvais pressentiment depuis qu'il avait aperçu la marque bleuâtre piquée de points rouges sur son bras pâle.
- C'est mon beau père, lâcha soudainement Taehyung, toujours caché dans ses mains.
Zelo ne fut pas surpris, vraiment, il s'y était attendu. La mère de Taehyung s'était remariée avec une enflure qui posait ses mains sales sur son fils, et elle ne voyait absolument rien. Que dalle. Depuis des mois, ça durait, des mois que son meilleur ami se changeait dans les toilettes en sport, pour ne pas qu'on voit son dos couvert d'hématomes. Mais il n'en savait que très peu, il en était certain. Comment pouvait-il s'assurer que cet enfoiré n'avait rien fait de plus ?
- Il se contente de te frapper ? Demanda-t-il alors, un peu effrayé de la réponse qu'il allait obtenir.
Taehyung eut un léger rire sans joie qui lui déclencha un frisson. Il serra les poings. Il s'attendait à une réponse qu'il aurait préféré ne jamais entendre de sa bouche.
- Oh, crois-moi, il fait bien plus.
Il resta les yeux fixés sur son ami, il n'était pas choqué, mais en colère. Affreusement en colère. Il le savait depuis longtemps. Mais jamais il ne s'était douté que ça irait aussi loin. Jamais il n'avait osé se mêler de ce qui ne le regardait pas. Il avait cru au début que tout ça s'arrêterait après quelques gifles, deux ou trois disputes. Mais ça devenait bien trop grand, dangereux et important pour être ignoré encore longtemps.
- Tae..
- Mais ce sera bientôt terminé, le coupa Taehyung. Je vais y mettre fin moi-même.
Cette fois-ci, le choc paralysa les membres de Zelo qui n'eut pas la force de terminer sa phrase. Il allait y mettre fin lui-même. Il n'était pas stupide, il savait parfaitement ce que ça voulait dire, même s'il prétendait ne pas comprendre. Il se força à ne pas prendre ses paroles au sérieux. Son cerveau lui jouait des tours, ou alors il avait mal entendu. Il secoua légèrement la tête et quand il releva les yeux, Taehyung souriait de nouveau, comme si rien de tout ce qui venait de se passer n'était arrivé. Il commença à partir en lui lançant un « à demain » rapide et en faisant de grands signes. Zelo se sentit légèrement rassuré, même s'il savait que c'était probablement le sentiment le plus hypocrite qu'il puisse avoir à ce moment même.
Il fit lui aussi demi-tour et prit la direction du bar où sa mère travaillait en tant que serveuse. Il arriva bien trop rapidement à son goût. C'était un de ces bars miteux où se réunissaient les sacs à vins les plus connus du quartier, ceux qui y passaient leur journée et qui ne rentraient chez eux que le soir en titubant pour aller battre leur femme innocente. Il les connaissait bien, trop bien, il avait baigné dans cet ambiance puant l'alcool et le tabac depuis tout jeune, il faisait une overdose, maintenant. Revenir sans cesse dans cet endroit l'insupportait au plus haut point. Sa mère travaillait comme une esclave pour ces ivrognes malodorants et ça le mettait hors de lui. Elle subissait leurs regards malsains, leurs paroles déplacées et leurs mains baladeuses. Elle déambulait entre les tables de ces alcooliques qui n'attendaient qu'une seule chose : qu'elle ait le dos tourné pour se rincer l'oeil comme les vieux pervers qu'ils étaient. Tout ça lui donnait envie de vomir. Il haissait profondément cet endroit et tous les gens qui s'y rendaient.
Il n'y passait pas parce qu'il avait envie, d'ailleurs. Le matin même, il n'avait pas pris les clés de chez lui et se retrouverait coincé dehors s'il avait le malheur d'oublier de venir et allait jusqu'à sa maison. Il pénétra dans le bar à l'odeur nauséabonde en retenant presque sa respiration et marcha hâtivement jusqu'à sa mère, qui servait rapidement deux choppes de bière, esquivant une main qui tentait de lui attraper la hanche. Elle se tourna et se stoppa quand elle entrevit Zelo. Son visage s'obscurcit et elle perdit le sourire amical qu'elle montrait à ses clients. Oui, elle souriait. Pour les ivrognes oui, mais pour lui, jamais. Elle lui fit signe de la suivre et l'emmena jusqu'à la cuisine où elle déposa son plateau de bois vernis, sali par des tâches d'alcool collantes.
Le bar était très vieux, probablement trop, complètement fait de bois vernis et de pierre. Le carrelage collait par endroits, prévenant qu'un verre y avait été renversé par l'un des soûlards qui riaient à gorge déployée en se tenant le ventre. Un vieux barman préparait les boissons sans même regarder ce qu'il faisait, probablement habitué à un tel travail, ou tout simplement ennuyé de passer sa vie enfermé avec ces pauvres déchets qui leur servaient de clients. Il le plaignait sincèrement. L'odeur, elle, était particulière et franchement insuportable. Un mélange d'alcool, de tabac et de transpiration s'ajoutait à l'odeur de renfermé habituelle dans ce genre d'endroit. Des toiles d'araignées pendaient au plafond mais ne semblaient déranger personne, l'insecte aurait pu tomber dans leur verre qu'ils ne l'aurait pas remarqué tellement leur vision était floue. Il y avait trois autres serveuses en plus de sa mère, l'une d'entre elle était jeune, certainement trop pour travailler dans ce lieu pourri et sans avenir aucun. Il avait pitié d'elle, mais ce n'était pas comme s'il avait son mot à dire. Cette fille allait sûrement juste finir comme sa mère, comme ces serveuses qui faisaient d'incessants aller-retours entre les tables, et qui n'osaient rien dire lorsqu'une main leur effleurait -accidentellement, bien sûr- l'intérieur de la cuisse. Elles étaient toute habillées d'un chemisier blanc cassé, d'une jupe noire et d'un tablier de même couleur, muni d'une petite poche où reposaient un calepin et un stylo dont elles ne se servaient que très rarement. Après tout, tous les hommes qui se réunissaient ici ne venaient que pour le vin et la bière. Si un jour la carte se limitait à ces deux produits, personne ne remarquerait la différence. Sans compter qu'elle portaient toutes sous le bras le fameux plateau de bois qui transportait l'elixir de vie de ces monstres. Alors que Zelo détaillait le lieu moisi de ses yeux scrutateurs, sa mère le ramena brusquement à la réalité en agita son trousseau de clé devant ses yeux d'un air agacé et pressé.
- Dépêche-toi ! J'ai autre chose à faire que de m'occuper de toi ! Pesta-t-elle.
Zelo s'empara des clés et les fourra dans sa poche sans répliquer. Il n'en avait pas envie, il était peut-être trop habitué.
- Maintenant va-t'en, je ne veux plus voir ton visage.
Il ne se fit pas prier et quitta le bar qu'il détestait au point d'en avoir des hauts-le-coeur. Il sortit et le vent frais d'automne heurta brutalement son corps qui se contracta sous la fraicheur. Il faisait toujours un peu jour mais la nuit n'allait pas tarder à tomber. Il aimait beaucoup cette saison, la sensation du vent le poussant dans le dos, la facilité qu'il avait ainsi à marcher, les tapis de feuilles sur le sol, les nuances de couleurs flamboyantes s'alliant parfaitement avec la nature qui préparait son futur sommeil. Son esprit dérivait sur chaque petit détail qui passait devant ses yeux observateurs et il analysait avec attention chaque parcelle qui défilait sous son iris. Il était d'ailleurs tellement plongé dans ses pensées qu'il ne remarqua même pas qu'il avait monté les escaliers menant devant la porte close de sa petite maison où il vivait seul avec sa mère.
Il fourra la clé dans la serrure, la tourna et pénétra dans le petit vestibule étroit, où il se débarrassa de ses chaussures. Tout était plongé dans le noir, comme à chaque fois qu'il rentrait, sa mère n'étant jamais là avant lui. Il faisait relativement froid, les frais de chauffage n'ayant pas été payés depuis des lustres, faute d'argent à gaspiller. Le sol était glacé et lui faisait remonter d'indescriptibles frissons le long du corps. Il lâcha un bref soupir et se précipita de suite dans sa chambre, où il se laissa tomber sur le lit après avoir brusquement fait claquer sa porte fragilisée par le temps, prête à s'effondrer à n'importe quel moment. Il avisa les murs simples de sa chambre presque vide. Pour meubles, il n'y avait qu'un vieux lit qui grinçait à chacun de ses mouvements et qui le réveillait sans cesse, une vieille lampe usée qui n'émettait que très peu de lumière et une petite armoire où il pouvait stocker la totalité de ses affaires. Mais, au milieu de cet endroit impersonnel, il avait une petite cachette où il rangeait ses objets les plus précieux : un tiroir à double fond. Sa table de chevet était munie d'un tiroir assez profond pour qu'il le sépare en deux. Il avait alors soigneusement appris comment en fabriquer un et avait dissimulé ses calepins et partitions ici, espérant que sa mère ne mette jamais la main dessus. Elle était totalement contre le fait qu'il s'intéresse à la musique, pour une raison qui lui échappait totalement. Elle l'avait prévenu de nombreuses fois qu'elle ne l'autoriserait jamais à devenir musicien, comme il l'avait toujours rêvé, et il faisait semblant de l'écouter depuis tellement longtemps que c'était devenu automatique de lui mentir.
Il se stoppa net de penser quand il entendit un petit bruit à sa fenêtre. Il comprit rapidement que quelqu'un y jetait des cailloux et se leva en vitesse pour aller ouvrir, reconnaissant cette technique plus qu'originale de l'appeler. Au lieu d'un simple sms, il envoyait des graviers sur sa vitre. Pourquoi pas après tout. Il sortit sa tête, habituant ses yeux à l'obscurité de la nuit qui tombait déjà. En bas, Sehun l'attendait. Il était plutôt grand, fin et ses cheveux multicolores donnaient à sa grande silhouette un air moins intimidant. Habillé tout de noir et blanc, mettant étrangement en valeur ses quelques mèches roses, bleues ou vertes, il restait planté en bas, les mains dans les poches. Zelo le scruta un moment, il le connaissait depuis pas mal de temps et il n'avait toujours pas changé. Il était un peu froid au premier abord, mais totalement différent une fois qu'on était proche de lui. Plutôt bavard et même très dévergondé, il l'embarquait toujours dans ses problèmes et était le seul à s'en amuser.
- Descend, j'ai eu une super idée, ça va te plaire ! Chuchota-t-il le plus fortement possible, donnant étrangement l'impression qu'il criait.
Mais l'expression espiègle qu'il affichait sur son visage assura à Zelo que non, ça n'allait probablement pas lui plaire. Néanmoins, il se laissa entrainer dans ce qui allait -certainement- devenir un problème et enfila ses chaussures pour se précipiter dehors. Il rejoignit Sehun qui avait l'air plutôt content d'avoir réussi à le rallier à sa cause.
La première fois qu'il l'avait vu, Sehun revendait un casque Beats de contrefaçon à un fils à papa en manque de coke. Il avait passé son chemin, ne voulant pas s'attirer trop d'ennuis, préférant ne pas se mêler à ce genre de chose et laisser cet ado stupide se faire pigeonner. Ce n'était alors que quelques semaines plus tard qu'il l'avait revu, assis dans le coin d'un cul de sac, la lèvre fendue, l'oeil noirci, le corps couvert de marques bleuâtres, son bras cassé et presque déboité calé contre ses côtes probablement fêlées. Il avait facilement deviné que le gamin pourri gâté qui s'était fait avoir avait dû envoyer deux ou trois « amis » pour s'occuper de l'arnaqueur.. et il n'avait alors pas pu le laisser souffrir tout seul sous la pluie. Il l'avait amené à l'hôpital, avait prétendu une chute violente dans les escaliers et avait payé -quoiqu'à contrecoeur- les frais d'hôpitaux pour ce parfait inconnu en tapant dans ses précieuses économies. Sehun l'avait bien évidemment remercié, remboursé, et ne lui avait plus lâché la grappe depuis. Ainsi, il avait fini par l'apprécier sans même s'en rendre compte.
Zelo revint brusquement à la réalité quand Sehun lui donna une forte tape dans le dos, le faisant tousser bruyamment.
- Alors.. ça te plait ? Demanda-t-il, un air satisfait au visage.
Il releva les yeux du sol pour aviser l'enseigne étincelante de l'endroit où Sehun l'avait amené. La musique tonitruante résonnait jusqu'en dehors, étouffée par les cris et les rires qui retentissaient dans la rue. La façade était complètement peinte en noire, et des dessins en arabesques faits à l'aide de peintures fluorescentes éclairaient les visages des clients qui n'avaient pas l'air très sobres. De là où il était, Zelo ne pouvait qu'un peu entrevoir l'intérieur, et voyait plusieurs corps bouger au rythme de la musique changeante, comme une seule et même personne.
- Bienvenue au Black Bear ! Dit-il en ouvrant les bras.
Zelo resta un moment pétrifié. Sehun l'avait sérieusement amené en boite ? Au Black Bear ? Cet endroit était le plus mal famé du quartier. Il lui jeta un regard noir et son ami leva les yeux au ciel.
- Détends-toi un peu, y'a pas de danger. T'es trop coincé, je te dis. Et viens, je vais te présenter quelqu'un.
Il le tira à l'intérieur et Zelo dut jouer des coudes pour pouvoir le suivre. Sincèrement, ce genre d'endroit n'était pas vraiment là où il se sentait le mieux. Il y avait une foule incroyable, des filles trop peu habillées et surtout, une odeur insoutenable de sueur. Comment pouvaient-ils même respirer au milieu de la piste de danse ? C'était inhumain. Tout le monde puait l'alcool, le tabac et la sueur, à quelques parfums près, il se retrouvait dans le bar de sa mère. Il sentit une main passer dans son dos et se dégagea de la femme qui l'aguichait d'un coup de bras. Elle s'écarta, indignée de s'être fait rejeter si brusquement, et elle alla se consoler dans les bras d'un autre. Il accéléra le pas, dégoûté au possible de cet endroit si répugnant. Quand ils arrivèrent enfin à un endroit plus calme, Sehun le fit brusquement asseoir sur une banquette en mousse.
- Bouge pas, je reviens ! Bouge surtout pas ! Cria-t-il pour que Zelo l'entende malgré la musique qui semblait ne pas pouvoir être plus forte.
Zelo resta assis, crispé sur le siège. La musique lui vrillait les tympans et le rendait fou tellement elle était répétitive. Les minutes s'écoulèrent pendant lesquelles il s'ennuya bien plus que s'il était seul à délirer dans sa chambre. Il était prêt à renverser la table et à partir quand quelqu'un s'assit doucement à côté de lui. Il le toisa un moment, observant du coin de l'oeil cet homme qui s'installait un sourire aux lèvres. Il avait de courts cheveux bruns, il était habillé d'un simple pantalon noir, d'un t-shirt blanc à motif rouges et d'une veste en jean cloutée sur les poches. Il avait l'air parfaitement calme et reposé, à l'aise dans ce genre d'endroit, au contraire de lui. Ses yeux s'accrochèrent à son collier, une simple chaine d'argent à laquelle pendait un médiator de guitare argenté. Il fut soudainement plus intéressé. L'homme eut un sourire et prit le petit objet entre ses doigts.
- Il te plait ?
Zelo resta interdit devant le pendentif qui l'attirait irrésistiblement et la voix rauque qui venait de le lui désigner. Le jeune homme l'enleva de son cou et le lui tendit avec un sourire. Il hésita un peu, méfiant, s'attendant au pire.
- Tu peux l'avoir. Je ne le mets plus beaucoup de toute manière.
Il ravala sa salive et s'empara du collier qui glissa jusqu'à sa paume. Il tourna le médiator entre ses doigts, admiratif. Il allait le remercier quand un cri perça la musique et l'empêcha de continuer sa phrase.
- Ah, Himchan, t'es là ! Je te cherche depuis des heures ! Se plaignit Sehun en arrivant bruyamment, pointant le dénommé Himchan du doigt.
Zelo assimila doucement le nom qu'il venait d'entendre et l'associa à son visage. Il enfila le collier autour de son cou en sentant le métal froid de la chaine se coller à sa nuque. Sehun semblait surexcité, expliquait à Himchan par où il était passé et comment ils s'étaient croisés sans se voir. Il lui raconta tout en détail, pourquoi il avait fini par prendre un verre au bar et avait complètement oublié Zelo..
Il s'excusa brièvement auprès de lui et s'installa à leurs côtés, et Zelo n'eut aucun mal à comprendre qu'Himchan était probablement la personne que Sehun avait prévu de lui présenter. Il patienta pendant que les deux amis qui avaient l'air de beaucoup se connaître parlaient des choses qu'ils avaient besoin d'évoquer entre eux. Il en profita pour observer plus en détail la décoration du Black Bear, essayant tant bien que mal de deviner les couleurs derrière les projecteurs multicolores qui traversaient la pièce de temps en temps.
L'ensemble était plutôt harmonieux. La pièce mélangeait des couleurs sombres et fluos, comme pour la façade. Les murs, peints en noir, étaient tagués de graffitis probablement faits par les clients à la peinture fluorescente, et Zelo trouva cela franchement original. Le bar n'était qu'une vitre épaisse éclairée par des projecteurs verts et le barman s'activait à créer des coktails plus colorés les uns que les autres. Une foule s'était réunie pour admirer ses mouvements fluides et son expérience évidente de la chose. Le DJ continuait son travail, le casque posé sur ses les oreilles, dans sa bulle, les lunettes de soleil sur le nez alors qu'il faisait déjà bien sombre. Des filles continuaient de danser sur la piste qui se vidait doucement, et d'autres, plus timides, restaient assises à leur table et sirotaient silencieusement leur boisson, se faisant parfois draguer par un groupe d'adolescents aux hormones en feu. Les sièges, eux, étaient tous du même modèle, une structure noire et un coussin de couleur flashy, la seule différence constatable entre eux étaient leur forme : tabourets, chaises ou encore banquettes. Les tables avaient un plateau noir et un pied peint en bleu fluo, éclairant les jambes des personnes assises d'une couleur bleutée. Zelo se serait surpris à apprécier l'endroit si la musique n'était pas aussi assourdissante et répétitive, et s'il n'y avait pas autant de monde.
Sehun l'extirpa de ses réflexions en le tirant par sa veste. Il l'approcha d'eux de force et appuya ses coudes sur la table pour déposer son menton dans ses mains. Il lui fit un regard qui montrait bien qu'il attendait quelque chose. Il perdit rapidement patience et entama le sujet de lui-même.
- Alors, je suis gentil, pas vrai ? Demanda-t-il, un air fier au visage, visiblement content de son idée géniale.
Zelo sembla un peu confus mais regarda Himchan qui haussa les épaules, ne semblant pas comprendre non plus. Il se reconcentra sur Sehun qui roula des yeux. Il était en train de visiblement s'exaspérer.
- Tu m'avais dit que tu voulais apprendre la guitare, non ? Et bien le voilà, ton prof ! Annonça-t-il, pointant Himchan du doigt.
Il eut du mal à digérer l'information et se mit plus à son aise sur la banquette. Il empêcha son bonheur d'éclater. Il faisait enfin un pas de plus vers son rêve. Mais les problèmes de Taehyung qui le travaillaient l'empêchait d'être pleinement heureux.
- Je connais quelqu'un qui t'apprendra mieux que moi, si tu veux, proposa Himchan, constatant que Zelo n'avait pas l'air très enthousiaste.
- Non, non, ce n'est pas le problème, affirma-t-il en secouant les mains.
Non seulement les ennuis de son meilleur ami le préoccupaient, mais il y avait un souci avec sa mère, également. Si un jour, elle découvrait qu'il apprenait la guitare dans son dos, il n'osait imaginer à quel point elle lui hurlerait dessus, ce qu'il subirait pendant des jours. Mais, c'était son rêve depuis trop longtemps d'être musicien. Il était déterminé à un tel point que même Dieu n'aurait pas pu l'arrêter. Même s'il n'était pas spécialement croyant.
- Tu vas le faire ? S'inquiéta Sehun, qui n'avait pas envie que ses efforts soient gâchés. J'ai dû surveiller ce type pendant des mois pour réussir à t'arranger une rencontre avec lui, alors t'as intérêt à accepter !
- Bien sûr que je vais le faire !
Sehun sembla s'apaiser et un sourire éclaira son visage. Il leva les bras au ciel en signe de victoire. Zelo tendit un papier avec son numéro et son adresse alors qu'Himchan fit de même, lui promettant qu'il le contacterait bientôt pour arranger leurs prochaines réunions. Zelo regarda l'heure et manqua de paniquer. Sa mère allait probablement bientôt rentrer à la maison, et s'il n'y était pas, il allait sévèrement se faire corriger d'une façon qu'il n'osait pas imaginer. Il se leva brusquement, salua de la main ses deux amis, et entreprit de sortir de la boite quand il se heurta à un homme d'environ trente cinq ans. Celui-ci le toisa de haut en bas d'un air placide, il lui rappela étrangement quelqu'un mais il n'y prêta pas plus attention et continua son chemin, espérant arriver avant sa mère.
Il courut comme un dératé jusqu'à chez lui, comptant sur son endurance et sa vitesse, manquant presque de se tromper de rue tellement il était heureux, enfin il allait apprendre la guitare. Enfin. Son rêve allait peut-être se réaliser, il se sentait finalement plus proche de son objectif. Un petit pas plus près, mais c'était déjà ça. Le solfège ne lui posait plus vraiment de problème, il avait eu le temps d'apprendre en autant de temps. Il descendit la dernière rue avant de tourner dans le cul de sac menant chez lui, ses pas claquant sur le sol. Il ralentit en montant les escaliers et s'arrêta devant la porte pour reprendre son souffle, les mains appuyées sur les genoux, penché vers le sol.
C'est quand il entendit un grand fracas qu'il releva brusquement la tête. Il comprit que sa mère était rentrée et pénétra rapidement dans sa maison. Il paniqua quand il vit la lumière de sa chambre allumée. Il se précipita jusqu'à elle, et quand il arriva, il se pétrifia, totalement sous le choc. La pièce était sans dessus-dessous, son lit était poussé jusqu'au mur, défait, le matelas était retrourné, ses vêtements étaient éparpillés un peu partout et le peu d'affaires de cours qu'il avait était vidé sur le sol. Il prit sa tête dans ses mains, épouvanté, avant d'apercevoir sa mère farfouiller dans sa table de chevet. Elle sortit tout ce que contenait le tiroir, et son doigt ripa sur la toute petite languette qui permettait d'ouvrir le double fond. Zelo enjamba le matelas au sol, cherchant à l'arrêter, sachant ce qui allait se passer si elle découvrait tout. Mais elle l'ouvrit brusquement et tira ses livres de musique, tout ce qu'il avait réussi à réunir en secret pendant peut-être dix ans dans la petite cachette. Il déglutit difficilement. Elle se tourna vers lui, partitions en main, le regard sombre, voilé par une colère sans nom.
- Tu te fiches de moi, Zelo ? Qu'est-ce que c'est que ça ?
Zelo trembla devant l'expression froide de sa mère. Il chercha à s'emparer des papiers mais elle l'en empêcha, s'écartant.
- Je t'avais dit pas de musique ! Qu'est-ce que tu n'as pas compris là-dedans ?! S'énerva-t-elle, froissant les précieux trésors dans sa main.
- Rends-moi ça ! Ordonna Zelo, voyant ses partitions s'abimer entre ses doigts.
Il s'avança davantage, mais sa mère l'arrêta en lui jetant le tout au visage. Il se pétrifia, effrayé par le comportement imprévisible qu'avait décidé de prendre sa génitrice. Il ne l'avait jamais vue comme ça.
- Tu es exactement comme ton père ! Tu as tout pris de lui, tu es un véritable désastre ! Tu désobéis à mes ordres, et en plus tu vas en boite pour rejoindre tes déliquants d'amis !
Zelo comprit qu'il avait été vu. Il se rappela brièvement de l'homme qu'il avait heurté mais n'eut pas le temps d'y penser plus longtemps. Sa mère, furieuse, s'empara des papiers au sol, les jeta dans la poubelle de fer, et quand il croyait enfin que c'était terminé, qu'elle allait partir et claquer la porte, elle tira son briquet de sa poche et enflamma les créations de son fils. Elle regarda les cahiers et les feuilles se consumer d'un air satisfait, les paroles disparaitre et les partitions se réduire en cendre. Zelo resta pétrifié, sa peur se transformant en rage. Elle brûlait tout. Tout ce qu'il avait durement accompli. Ce à quoi il tenait le plus.
- Mais.. putain, je le crois pas, t'es.. t'es vraiment qu'une salope ! L'injuria-t-il.
Alors sa mère abattit sa main glacée sur sa joue, lui faisant tourner la tête. Un claquemement résonna dans la chambre vide. Elle se dirigea vers la sortie, le laissant observer le fruit de son dur travail s'évaporer en fumée, furibonde. Elle claqua brusquement la porte et Zelo s'écroula au sol, le visage crispé par une colère froide. Sa joue devint peu à peu rougie par la gifle.
Il ne perdit pas plus de temps. Il s'empara d'un grand sac et fourra à l'intérieur tout ce qu'il pouvait emmener et qui allait lui servir. Il souleva un morceau de parquet dans un coin et tira ses économies qu'il emmena aussi. Il ne prit même pas la peine de sortir discrètement par la fenêtre et ouvrit brusquement la porte de sa chambre qui s'écroula finalement dans son dos. Elle en avait vu des belles, et c'était la première fois qu'elle tombait. Ceci ne fut que le décider davantage à partir. Sa mère, dans la cuisine, le regarda passer d'un air surpris et colérique à la fois. Il s'avança sans la regarder jusqu'à la porte d'entrée et posa sa main sur la poignée.
- Ecoute, je te jure que si tu passes cette porte, tu..
- Je parie que t'as dit exactement la même chose à papa quand il t'a quittée, la coupa-t-il.
Il n'essaya pas de voir sa réaction et quitta sa maison, descendit les escaliers quatre à quatre, avant de commencer à partir d'un pas rapide. Sa mère l'observa un moment par la fenêtre. Il continua de marcher dans les rues sombres de la nuit, portable en main, le sac accroché à l'épaule. Parfois, quelques chats traversaient la route, mais il n'y avait vraiment personne dehors à cette heure-ci. Quelques minutes de marche plus tard, il s'arrêta, la bandoulière de son sac commençant sérieusement à lui faire mal à l'épaule. Il se posa sur un banc dans un petit parc et poussa un long soupir en décontractant son dos endolori. Il ferma les yeux, écoutant seulement le bruit incessant d'un criquet dans son dos, plutôt relaxant. Il sentait le froid piquer sa peau à nu dans son cou et à ses chevilles, et l'air passait à travers le tissu de son t-shirt et de son pantalon pour s'engouffrer à l'intérieur et lui créer de faibles frissons. Il était prêt à dormir dehors, ce n'était d'ailleurs pas vraiment la première fois.
- Zelo ? Zelo, c'est toi ? Demanda alors une voix dans son dos.
Il se retourna quand il reconnut le ton singulier de son vieil ami, Daehyun. Il n'avait pas spécialement changé, même si ça faisait plusieurs mois qu'ils ne s'étaient plus vus, quand il avait soudainement changé de lycée. Il était habillé d'une veste noire et rouge surmontant un t-shirt blanc simple. Son pantalon noir brillait légèrement sous la lumière du lampadaire usé. Son cou était enroulé dans une épaisse écharpe noire. Quand il le reconnut complètement, il se mit automatiquement à sourire.
- Ah, ça alors ! Tu es un SDF maintenant ? Maman ne veux plus de toi à la maison ?
Zelo perdit son sourire et se redressa sur le banc. Daehyun comprit probablement qu'il avait dit quelque chose de travers et il alla s'asseoir à côté de lui, plaçant une main réconfortant sur son épaule. Il ne prononça pas un mot, sachant très certainement que le silence était suffisant pour Zelo. Parfois les mots étaient de trop. Il lui tapota l'épaule encore quelques minutes avant de se tourner davantage vers lui.
- Ecoute, tu vas dormir chez moi pour cette nuit et on s'arrangera après, ok ? Allez, viens, dit-il en l'aidant à se lever.
Il s'empara de son sac et Zelo le suivit, légèrement mieux. Il reconnaissait bien Daehyun dans sa façon d'agir. Il était toujours aussi direct et honnête, il trouvait rapidement une solution à tout, c'en était effrayant. Il prenait la responsabilité pour beaucoup de chose et assumait aussi bien ses actes que ses choix. C'était vraiment agréable, et Zelo se demanda même pourquoi ils avaient perdu contact. Il continua de marcher, sur les talons de son ami, les yeux fixés sur ses cheveux fortement décolorés en blond, ne laissant que la racine brune.
Mais alors que Zelo entrait dans la maison propre et bien rangée, il se rappela à quel point Taehyung devait souffrir chez lui. Après tout, sa mère était en voyage d'affaire et il était seul avec l'enflure qui lui servait de beau-père. S'il faisait un seul pas de travers, une avalanche de coups allait s'écraser sur lui. Il ne cessait de remuer ce fait dans sa tête depuis qu'il l'avait vu. Malheureusement il n'avait eu que peu de temps pour y penser, et il se trouva même horrible d'avoir pu être heureux pendant que son meilleur ami était probablement en pleine phase critique. Il se promit qu'il allait réfléchir et faire quelque chose pour lui. Il ne pouvait pas le laisser comme ça, ou il allait le retrouver mort.
Zelo se débarrassa de ses chaussures dans le large vestibule et entra timidement dans la grande maison. Tout était finement décoré et parfaitement rangé, à croire que personne n'avait vécu ici depuis le meublement des pièces. Du moins, c'était le cas pour le vestibule, et la cuisine, qu'il put parcourir largement des yeux tellement elle était spacieuse. Quand son regard dériva jusqu'au salon, la pièce propre qu'il s'attendait à voir se révéla être un foutoir incroyable. Une tornade était passée et avait attaqué une seule partie de la maison. Il resta bouche-bée, et Daehyun eut un rire amusé.
- Je ne vis pas tout seul, justifia-t-il.
Zelo se tourna vers lui, un air surpris au visage. Il avait pourtant le souvenir que Daehyun vivait seul. Celui-ci lui fit un signe de la main pour le rassurer.
- Ne t'inquiète pas, tu ne le verras pas.
Il rit de plus belle en voyant Zelo pousser un soupir de soulagement. Il n'aurait pas besoin d'être mal à l'aise face à un inconnu, c'était déjà ça. Daehyun lui fit un signe pour l'inviter à le suivre et monta les escaliers menant à l'étage. Il tourna à droite et lui montra sa chambre du doigt. Cependant, Zelo resta intrigué par une porte peinte en noir, au contraire des autres, blanches. Daehyun se dressa entre lui et l'étrange porte d'un air gêné et interdit.
- Là.. tu ferais mieux de ne pas y aller. Si tu y entres, je vais me faire tuer.
Alors, il baissa les yeux jusqu'à son collier et se pétrifia un moment. Il reprit brusquement ses esprits et pointa le pendentif du doigt.
- Où est-ce que tu l'as eu ? Demanda-t-il en inspectant le bijou de plus près, rendant inconsciemment Zelo mal à l'aise.
Zelo recula, un peu confus de ce soudain changement. Il serra son collier dans sa paume et posa la main sur la poignée de sa chambre.
- On me l'a donné.. et.. je vais aller dormir, ça ne te dérange pas ? Je suis un peu fatigué..
Daehyun acquiesça en faisant demi-tour. Zelo pénétra la chambre en tirant son sac à l'intérieur et se changea rapidement pour se glisser dans son lit. Il se sentit bien, la chambre était un peu chauffée, mais pas trop, les couvertures étaient épaisses et le matelas moelleux. Pour la première fois de sa vie, il avait l'impression qu'il allait passer une bonne nuit. Ainsi, il ferma les yeux. Le bruit de la porte d'entrée le maintint éveillé encore quelques minutes. Il entendit Daehyun parler, ne comprenant aucun mot de ce qu'il disait, probablement trop loin pour le pouvoir. Une autre personne était présente, certainement celle qui vivait avec Daehyun. Il entendit quelqu'un monter les escaliers, suivit de près par son ami qui tentait de le retenir avec des « stop » murmurés.
Soudainement, la porte de sa chambre s'ouvrit et Zelo eut pour réflexe de fermer les yeux. Il se sentit un peu ridicule de faire semblant de dormir alors qu'il n'avait absolument rien fait de mal. Mais il avait le sentiment que s'il ouvrait les yeux, il allait devoir s'expliquer ou encore faire face à la personne qui avait l'air de ne pas tellement apprécier sa venue.
- Je t'avais dit qu'il dormait, murmura Daehyun. Maintenant laisse-le. Une nuit ne va pas te tuer.
Il entendit la porte se refermer sans plus d'argumentation ou de règlements de compte. Il poussa un long soupir de soulagement, son coeur battant à cent à l'heure. Il se tourna et se retourna longtemps dans son lit avant de pouvoir trouver le sommeil.
La nuit fut longue et réparatrice. Zelo s'éveilla tout seul, sans réveil, bien plus en forme que d'habitude. Il n'était pas en retard au lycée, tout allait étrangement bien, peut-être même trop. Il s'extirpa des couvertures et frotta ses cheveux décoiffés pour les remettre un minimum en place. Il étira doucement son dos, respira pleinement et frotta ses yeux encore légèrement endormis. Il se leva, se dressant sur ses deux pieds, et se dirigea jusqu'à la porte qu'il ouvrit doucement. Daehyun s'arrêta de l'autre côté, puis se tourna vers lui, avant de lui sourire.
- Salut, Zelo. Bien dormi ?
Zelo ne fit qu'un lassif « mmh » qui répondit positivement à sa question. Daehyun sembla heureux et lui indiqua la direction de la salle de bain pour lui permettre de se laver et de faire le reste de sa toilette. Zelo prit donc sa douche, laissant longuement l'eau brûlante couler sur sa peau pâle. De l'eau chaude. Depuis combien de temps n'en avait-il pas eu à profusion ainsi ? C'était tellement agréable. Il voulait que le temps s'arrête maintenant. Tous les évènements de la veille sortaient un à un de son esprit perturbé, mais il ne put oublier la marque que Taehyung portait sur le bras. Cela eut le simple effet d'une douche froide sur lui, qui le poussa à sortir de la douche et à finir tout ce qu'il avait à faire en vitesse. Il rangea ses affaires, glissant le tout dans son énorme sac et, remerciant Daehyun de l'avoir hébergé pour la nuit, il quitta la maison pour entamer le chemin jusqu'au lycée.
Etonnement, quand il arriva, il se rendit compte qu'il n'était pas si loin. Il vit que Taehyung l'attendait à leur endroit habituel, le petit muret près du parc fleuri en face du lycée. Il s'avança jusqu'à lui, un peu apeuré à l'idée de ce qu'il allait découvrir sur son corps aujourd'hui, de ce qu'il allait entendre, du regard que Taehyung allait lui jeter. Alors, quand il fut plus près, il se stoppa net. Son meilleur ami portait un col roulé. Lui qui détestait ça, il portait un col roulé. Un étrange sentiment de dégoût et d'angoisse s'installa en lui. Il savait pertinnement ce qui c'était passé, mais il appréhendait le fait de le découvrir. Il continua cependant jusqu'à lui. Taehyung le regarda arriver puis s'avança à son tour, un sourire aux lèvres, comme s'il s'attendait à ce que Zelo ignore son soudain changement de goût vestimentaire. Son visage n'avait rien, probablement avait-il tout fait pour le protéger, et ainsi éviter les questions gênantes. Mais ses doigts tremblaient, sa mâchoire se crispait et il avait un mal fou à marcher. Zelo perdit son sang-froid, il n'était pas dupe. Il s'approcha plus et tira sur le col roulé de son ami pour voir son cou. Une marque de main bleuâtre était visible sur la peau de Taehyung qui se débattait, cherchant à s'échapper du regard critique de son meilleur ami. Il s'accrocha finalement au bras qui le retenait, serrant avec force pour ne pas s'écrouler, et son sourire habituel s'effaça pour enfin montrer tout son désespoir. Toute sa peine, sa haine, sa douleur.
- Je te jure que j'ai essayé de me défendre, Zelo.. Si j'avais pu, j'aurais pas hésité à le tuer.. C'est juste que.. J'ai plus de force.. J'en peux plus.. murmura-t-il, au bord des larmes.
Zelo posa une main réconfortante sur son épaule et laissa son ami pleurer silencieusement, sans oser dire un mot, de peur de dire quelque chose de travers, de le blesser, de lui rappeler brusquement qu'il lui devait plus d'explications. Le regard fixé dans le vide, il savait pertinnement que s'il croisait son beau père, il ne donnait pas cher de sa peau. Il ne savait pas se battre, mais il allait trouver un moyen pour le faire souffrir autant qu'il avait fait souffrir son ami. Il se le jurait.
Et c'est dans cet état d'esprit que Zelo passa le reste de la journée, surveillant parfois les réactions de Taehyung. Le soir même, il allait le mettre en lieu sûr, il ne savait pas où, ni comment. Peut-être qu'il pouvait laisser s'éloigner un peu son rêve en touchant ses économies pour leur payer l'hôtel pour quelques nuits. C'était le seul moyen, il n'en voyait pas d'autre. Et il était résolu. Alors, il irait lui-même chercher des affaires chez son ami et s'occuperait son infâme beau père s'il le voyait. Ainsi, la fin des cours arriva plus vite qu'il ne l'aurait pensé. Il se dirigea dehors, Taehyung sur les talons, le suivant diligemment. Il passa le portail du lycée et sentit son portable vibrer dans sa poche. Il le tira nonchalamment avant d'apercevoir un numéro inconnu.
« C'est Himchan. Passe au Black Bear. »
En voyant son prénom, il eut une idée. Peut-être qu'Himchan pouvait l'aider à trouver un endroit où mettre Taehyung en sécurité. Il demanda à celui-ci de le suivre et prit donc la direction du bar ambiance, ne sentant même pas le poids de ses deux sacs et de celui de son ami qu'il avait tenu à porter. Il pénétra dans le bâtiment dont il appréciait tant la décoration, et même si son meilleur ami avait l'air de se demander ce qu'ils faisaient là, il ne posa aucune question et se contenta de suivre. L'endroit était vide, au grand bonheur de Zelo, et il n'y avait qu'une petite musique de fond. Il s'avança jusqu'au bar où était reposé Himchan, vêtu tout de blanc, couleur qui lui allait étrangement bien. Celui-ci se tourna et s'étonna de voir Zelo accompagné d'un ami. Il le salua avec un sourire que Taehyung s'efforça de rendre. Zelo déposa les sacs au sol et ne perdit pas de temps à tourner autour du pot.
- On a besoin d'aide. Je peux juste te dire que mon ami a besoin d'un endroit sauf, et que je n'ai aucune idée d'où aller. Alors, je me disais..
Himchan sembla comprendre rapidement et lui tapota l'épaule quelques secondes, les yeux fixés sur la marque visible sous le col de Taehyung qui s'abaissait.
- Bien. J'ai un endroit pour toi.
- Vraiment ? Demanda Zelo.
Himchan acquiesça et se leva de sa chaise sans plus de cérémonies. Il partit sans payer, ce qui l'étonna mais il n'y prêta pas plus attention. Ainsi, il les conduisit jusque dehors, ayant emporté avec lui les trois sacs lourds, et les chargea dans le coffre d'une vieux modèle de voiture encore en bon état. Il leur fit signe de monter et s'installa au volant. Taehyung eut du mal à se baisser et également à s'asseoir. Mais, aidé par les deux autres, il parvint à caler son dos sur le dossier en poussant un léger gémissement. Ainsi, Himchan démarra le véhicule, faisant vrombir le moteur, et les emmena jusqu'à un quartier non loin, conduisant prudemment sur la route irrégulière, et il se gara enfin devant un immeuble blanc et propre. Il sortit, s'empara des bagages et les invita à le suivre, ce qu'ils firent jusque devant la porte de l'appartement qu'il leur indiqua. Il ouvrit avec sa clé et les fit entrer à l'intérieur, déposant leurs sacs dans le salon.
- Ici, ça vous va ? C'est vide, vous pouvez y rester autant de temps que vous voulez.
- Sérieusement ? S'étonna Zelo. Et le loyer ? Je peux commencer à payer maintenant, mais..
- Quel loyer ? Je n'ai jamais dit que je te ferais payer, s'amusa Himchan.
Zelo perdit ses mots tandis que Taehyung relevait la tête d'un air surpris. Himchan eut un léger rire.
- Ne faites pas ces têtes de déterrés. Je fais ça en tant qu'ami.
Il ne leur laissa pas le temps de digérer davantage puisqu'il donna les clés à Zelo et quitta l'appartement en leur assurant qu'il n'y avait toujours aucun problème. Il ferma la porte derrière lui et les laissa seuls. Zelo ne perdit pas de temps et eut un léger sourire. Il connaissait Himchan depuis quoi, quelques heures ? C'était tellement incompréhensible qu'il craignait le traquenard. Taehyung resta sans voix, mais son teint avait repris des couleurs, il semblait aller légèrement mieux, peut-être était il rassuré d'être loin de son beau père.
- Il est.. gentil, constata-t-il.
Zelo eut un sourire et frotta la tête de son ami qui sourit aussi. L'appartement était meublé, propre, hightech, c'était presque trop parfait. Mais il n'avait pas envie de se prendre la tête, il faisait étrangement confiance à Himchan. Il voulait juste profiter du fait d'avoir mis Taehyung en sécurité et de le voir sourire de nouveau. Mais il dut rapidement revenir sur terre et descendre de son petit nuage. Il devait toujours aller chercher les affaires de Taehyung chez lui. Il se dirigea vers la porte sans tarder en remettant ses chaussures.
- Tu vas où ? S'inquiéta Taehyung, qui n'avait pas envie de rester seul dans un appartement inconnu.
- Reste là, je reviens bientôt, promit-il. Je vais chercher tes affaires.
- Mais.. mon père..
- T'en fais pas, ça va aller !
Il quitta donc l'appartement malgré l'air réticent de Taehyung. Il ne connaissait pas vraiment le chemin mais se dirigeait à l'aide des nombreux panneaux qui indiquaient les quartiers. Ainsi, il finit par arriver, quelques minutes plus tard, dans un endroit qu'il reconnaissait de par ses nombreuses maisons riches, munies de baies vitrées et de jardins gigantesques. Il se dirigea alors vers la maison de Taehyung qu'il reconnut au loin. Il passa le petit portail noir qui grinça, la nuit tombait doucement, couvrant de son voile le monde tout entier. Il marcha sur l'allée de cailloux blancs et ouvrit la porte avec le double de la clé qu'il avait depuis plusieurs années en cas de pépin. Il pénétra dans la maison qui ressemblait plus à un abri d'alcoolique qu'autre chose. C'était facile de deviner que la mère de Taehyung n'était pas là depuis des jours. On aurait dit le bar d'ivrogne où sa génitrice travaillait, à peu de choses près. Des bouteilles de bière jonchaient le sol, au pied du canapé, dans les coins du salon, d'autres trônaient sur la table ou étaient en équilibre sur l'écran plat. Des paquets de chips ou de gâteaux apéritifs terminés étaient éparpillés un peu partout dans la maison, à croire que le porc qui vivait ici ignorait l'existence des poubelles. Il marcha sur un bout de verre qui craqua sous sa semelle, et il ne prit même pas le temps d'enlever ses chaussures, sachant qu'il n'allait de toute façon pas s'éterniser. Il slaloma entre les déchets de la maison et atteignit finalement la chambre de son meilleur ami. Quand il ouvrit, il put presque deviner ce qui s'y était passé. La pièce était dévastée, on voyait dans chaque petit détail la folie d'un père violent. Il y avait des gouttellettes de sang sur les murs, sur le carrelage, et une ceinture en cuir trônait sur une chaise abimée. Le lit était défait, sali, souillé. Mais pas autant que son ami. Et quand il vit ce qu'il craignait dans les draps, son sang ne fit qu'un tour. La scène pouvait presque défiler devant ses yeux épouvantés. Il s'empara d'un sac qu'il fourra de toutes les affaires qu'il trouvait, n'ayant aucun scrupule à aider Taehyung à fuir son enflure de beau père. Il entendit des pas résonner dans la maison, irréguliers et lourds, il les reconnaissait bien, c'était ceux d'un soûlard. Il termina de remplir le sac et passa la bandoulière par dessus sa tête pour pendre le sac à son torse. Taehyung aimait le baseball. Zelo s'empara de la batte qui tenait dans un coin de la pièce et en serra la poignée fortement. Il remit bien le sac sur son épaule pile au moment ou l'ivrogne entra.
- Hein ? Qu'est-c'tu fous là, sale gosse ?!
- Ne vous approchez pas de moi, menaça Zelo, pointant la batte vers lui.
- T'fous pas d'ma gueule gamin ! Tu vas m'dire où est Taehyung !
Il s'avança vers lui et tituba un moment, et sans même hésiter, Zelo abattit son arme sur son corps. Il le regarda tomber au sol avec satisfaction, le frappa une autre fois, en proie à une rage sans limite, cherchant vengeance. Il l'écouta prier et demander pardon, comme le lâche qu'il était. Il le vit pleurer, regarda le porc se rouler au sol, se tordre de douleur sous les coups répétés qu'il lui infligeait et qui répandaient en lui un soulagement intense. Alors il s'arrêta, se crispa pour ne pas le frapper davantage, et quitta la chambre, laissant le misérable par terre. Il alla jusqu'au salon, comptait quitter cette maison ignoble, quand une main hargneuse agrippa sa cheville. Zelo s'écrasa au sol, tiré par une force décuplée par l'alcool, se retourna, et vit l'homme s'installer au dessus de lui. Il retira la ceinture de son pantalon, emprisonna une de ses mains, et avant même qu'il n'ait pu attraper la deuxième, Zelo abattit une bouteille de bière sur sa tête, la faisant éclater en mille morceaux, le regardant ainsi s'écrouler, inconscient. Le coeur battant à cent à l'heure, il poussa le corps inanimé d'au-dessus de lui et se redressa frénétiquement. Il avait eu la peur de sa vie. Comment Taehyung avait-il dû se sentir en étant obligé de rentrer chez lui et de subir les atrocités que lui faisait cet homme chaque jour, sans jamais rien dire ? Il n'osait imaginer ce qu'il s'était passé un nombre incalculable de fois dans cette chambre. Et pourtant, il le savait.
Il partit, le souffle court, le sac à l'épaule. Il déambula longtemps dans les rues sombres, sursautant à l'apparition d'une ombre étrange, manquant de se perdre de nombreuses fois en dépassant les rues qu'il était censé emprunter, faisant demi-tour, perdant ses repères. Alors qu'il allait droit dans un cul de sac et qu'il s'apprêtait à retourner en arrière, il perçut des chuchotements qui le poussèrent à se cacher derrière un mur. Deux hommes se parlaient le plus discrètement possible, dissimulés sous des capuches épaisses. Vêtus tout de noir, ils faisaient quelque chose que Zelo reconnut au premier coup d'oeil. Un échange. Mais pas n'importe quel type d'échange. Le petit sachet transparent rempli d'une poudre blanche qui passa d'une main à l'autre le confirma, suivi par une liasse de billets. Pourquoi ? Pourquoi n'avait-il pas seulement tourné les talons ? Il venait de creuser sa tombe. S'il se faisait prendre, il ne donnait pas cher de sa peau. Et il n'avait pas de batte de baseball pour se défendre, cette fois. Si jamais il se faisait repérer et qu'on devinait qu'il avait été témoin de toute la scène.. c'était fini pour lui.
Il chercha alors une échappatoire. Il avisa la ruelle vide derrière lui. Ne souhaitant pas quitter les deux inconnus du regard, s'assurant qu'ils ne le remarquaient pas, il recula doucement, essayant de faire le moins de bruit possible, cherchant à s'enfuir et ainsi éviter de s'attirer des ennuis qu'il n'avait pas du tout prévus cette fois-ci. Alors, son dos se heurta au torse de quelqu'un. Il se pétrifia. On le héla.
- Hey, toi.
La voix grave et rauque qui résonna légèrement déclencha chez lui un flot de frissons et une litanie de bafouillements. Il était définitevement dans la merde. Il aurait juste dû partir en courant dès le début.
