Hello ! Oui je me lance dans une nouvelle fiction sans même avoir fini Stalker ! Mais je n'y peux rien, c'est plus fort que moi ! Un grand merci à Milligramme pour son travail !
Maître de plaisir
J'avais dit que je rêvais de devenir écrivain. C'était un mensonge mais il semblait nourrir une telle passion pour la littérature et je me sentais soudain si fiévreux en sa présence... Sur le moment, j'avais voulu son attention, son amitié alors j'avais menti. Je m'en souvenais bien. C'était à l'une des innombrables soirées de Mike Stamford. Nous étions dans un des logements universitaires de la faculté de médecine. J'étais dans un coin à siroter du champagne au litchi, ce qui est une véritable aberration, et il était passé devant moi, un grand sourire barrant son visage, ses cheveux mi- longs caressant ses joues roses d'avoir trop bu. Lorsqu'il avait remarqué ma présence derrière un des piliers porteur du salon, il m'avait souri et s'était glissé dans ma cachette en confiant :
« Ici au moins, personne ne me forcera à boire des mixtures étranges. »
Je ne répondis rien et il rit avec simplicité, pour le plaisir d'exprimer sa joie.
« Je m'appelle John Watson et toi ? »
« Sherlock Holmes. »
« Que bois-tu Sherlock Holmes ? » Avait-il demandé avec espièglerie, ses cils venant couvrir son regard flou tandis que son souffle chaud et sucré atterrissait sur la chair fragile de ma figure.
« Du champagne. » Confiai-je.
« Celui aux litchis ? »
« Oui. »
« Je peux ? »
Sa main était tendue vers mon verre mais il attendait patiemment que je le glisse dans sa paume. C'est ce que je fis en redoutant la suite des événements. J'avais toujours été fasciné par la facilité avec laquelle les étudiants se partageaient ceci ou cela, buvant dans les même bouteilles d'eau et allant même jusqu'à se prêter leur brosse à dents. Je n'avais jamais eu la chance d'expérimenter une telle chose et fut à la fois obnubilé et déconcerté à la vue du jeune inconnu buvant dans mon verre avec une légèreté déroutante.
« C'est sucré, j'aime bien. » Fit-il en me rendant ma boisson, ses doigts frôlant les miens dans un geste aérien. « Tu sais comment ils l'appellent ? »
« Qui donc ? » Demandai-je, encore un peu déboussolé par son geste.
« Le champagne voyons. »
« Maître de plaisir, je crois. »
« Tu ne trouves pas ça charmant ? » S'enjoua-t-il, ses yeux pétillants sous les jets des stroboscopes. « Cela me rappelle un livre que j'ai lu il y a longtemps. Mon Dieu je devais avoir quatorze ans et cette histoire m'avait ébranlé d'une façon ! C'était Le Maître des Illusions. A dire vrai, je pense que je ne m'en suis jamais remis ! »
« Je ne l'ai pas lu. » Avouai-je, emporté par la grâce et l'amplitude qu'il mit à boire dans son verre.
« Je vais changer ça. Viens donc me voir demain, je suis au deuxième étage dans la 80 b. »
« Tu fais médecine ? » Questionnai-je.
« Malheureusement ! » Déplora-t-il, sa main venant se déposer sur mon épaule comme il se penchait pour glisser sur le ton de la confidence :
« Moi ce que je voulais, c'est être écrivain. Mes parents étaient contre et je n'ai pas été assez courageux pour m'affirmer. »
Il se redressa en secouant la tête comme pour chasser ses regrets et s'enquit :
« Tu aimes la littérature ? »
« Oui. » Mentis-je sans pouvoir m'en empêcher.
« C'est un monde merveilleux n'est-ce pas ? » Sourit-il avec compassion. « Quel est ton livre préféré ? »
« Féroces de Robert Goolrick. » Continuai-je de mentir.
En vérité, c'était le livre favori de Mycroft, mon frère.
« Oh je l'ai adoré ! Je crois bien qu'à la fin, j'étais si mal que je suis sorti boire comme un ivrogne ! »
Il rit encore et cela me fit chaud au cœur. Je n'avais jamais lu de roman que par obligation parentale ou scolaire. Bien entendu je ne nourrissais pas une aversion particulière pour ceux-ci. Ils ne faisaient tout simplement pas partie de mes loisirs. J'aimais la science, le factuel et le réel. Pas les fantasmes, les utopies et les rêveries. Pourtant, maintenant que j'avais goûté à ses regards pleins d'amitié frivole et d'affection étrange, j'étais tenté de les savourer encore. Aussi ajoutai-je brusquement :
« Moi aussi, je rêve de devenir écrivain. »
Je vis une expression de surprise attachante éclore sur ses traits et il s'empressa de demander :
« Tu écris des nouvelles, des romans ou des mémoires ? »
« Des nouvelles. »
« C'est fantastique ! Tu me feras lire ? »
Il exaltait et j'acquiesçai sans me soucier du fait que je n'avais pas d'histoire à lui présenter.
« Tu me donnes ton numéro de téléphone ? Ce sera mieux pour prévoir quelque chose. »
J'approuvais son initiative et lui récitai mon numéro au creux de l'oreille (Mike Stamford avait décidé d'augmenter le volume de son électro) tandis qu'il le reportait sur son portable. Nous étions si proches que lorsqu'il tourna la tête pour médire des goûts musicaux de Stamford, nos nez se rencontrèrent et nos souffles se mêlèrent.
« Je vais devoir y retourner. » Déclara-t-il sans s'y astreindre. « Tu n'oublieras pas de venir demain. »
« Je n'oublierai pas. »
Il laissa à nouveau échapper l'un de ses rires singuliers et soupira contre mes lèvres :
« C'est vraiment un soirée exquise. »
« En tout point. » Approuvai-je vaguement, obsédé par le chant haché de sa respiration.
« Eh bien, à demain Sherlock Holmes, futur écrivain. »
« A demain. » Répétai-je à regret tandis qu'il se faufilait hors de notre cachette avec souplesse.
Sitôt fut-il à la vue de tous que Stamford apparut pour l'interroger :
« Alors John, que penses-tu de ma soirée ? »
L'étudiant passa une main dans les mèches de son vis-à-vis, sa paume finissant par s'arrêter sur sa joue quand il souffla coquettement :
« Elle est splendide. Je m'amuse beaucoup. »
« Vraiment ? Tu ne dis pas ça pour me faire plaisir, n'est-ce pas ? » S'enquit derechef son interlocuteur tout en ayant l'audace de saisir le jeune Watson par la taille pour le plaquer contre son corps que je trouvais soudainement d'une grossièreté inouïe.
Le blond ne réagit pas négativement à son geste et passa un bras autour du cou de l'autre garçon avec une nonchalance tout à fait élégante pour s'étonner :
« N'as-tu pas confiance en moi ? Si ? Bon, allons me trouver une coupe de champagne au litchi. On m'en a fait goûter, je le trouve délicieux. »
« Qui cela ? Qui t'en a fait boire ? »
« Une personne ravissante. »
« Qui donc ? »
« Mike arrête un peu, veux-tu ? »
« Je ne veux pas. »
Je ne pus entendre la suite de leur conversation car ils s'éloignèrent en direction de la foule agglutinée au bar. Bizarrement, mon estomac s'était contracté lorsque Watson m'avait qualifié de ravissant personnage. Ce n'était pas parce que cela était la première fois que l'on me trouvait charmant. J'étais dérouté par l'idée qu'il m'ait trouvé charmant. Cependant, notre promiscuité avait perdu un peu de sa splendeur lorsque j'avais compris que Watson était tout simplement une personne tactile, ne respectant l'espace personnel d'autrui que si l'envie lui prenait. Je terminai mon verre et patientai deux longues heures dans l'espoir de le revoir mais l'agitation ambiante semblait l'avoir happé. Je finis par regagner les appartements de la faculté de science, le goût sucré du litchi sur la langue.
Le lendemain, j'avais cours la matinée. Une introduction à la génétique parfaitement inutile dans mon cas étant donné mon avance indéniable dans ce domaine. Je suivis néanmoins les trois heures de cours avec une attention relative. Puis, lorsqu'il sonna midi, je me forçai à déjeuner avant de rejoindre les bâtiments de la faculté de médecine d'un pas que je voulus mesuré. Arrivé à la chambre 80 b, je toquai trois coup sec contre la paroi en bois. Watson vint m'ouvrir dans un pyjama de soie blanche, s'accordant magnifiquement avec sa chevelure claire.
« Pardonne ma tenue, l'alcool m'est tant monté à la tête hier soir que je n'ai pas eu la force de quitter le lit ce matin. » S'excusa-t-il d'un air apitoyé, me faisant entrer dans le même temps.
« Ce n'est pas grave. » Banalisai-je.
« Tu es trop gentil avec moi. » Sourit-il.
« Pas du tout. »
« Bien sûr que si. Assied-toi je t'en prie. » Fit-il en désignant le lit défait.
Lorsque je pris place sur le matelas, il attrapa un paquet de cigarette sur le bureau et vint s'asseoir à mes côtés, allumant négligemment son bâton de nicotine.
« Tu fumes ? »
« Non. » Refusai-je.
« Mon Dieu, si tu savais comme je regrette d'avoir commencé ! »
Nous demeurâmes silencieux quelques minutes durant. Watson fumait avec une sensualité sans pareille. Jambes croisées, bouche en cœur, il soufflait de longs jets de fumée qui allaient se mêler aux grains de poussière dans la lumière éclatante d'un après-midi de printemps. Je l'observais ouvertement. Appréciant la ligne droite de son nez, la courbe délicate de ses joues, le blanc crémeux de sa peau et la féminité de ses lèvres pleines. La chemise de son pyjama avait glissé et dévoilait une clavicule saillante et merveilleuse. Je fus tenté de la toucher mais me retint. Nos regards se croisèrent et il me sourit.
« Tu es si mystérieux. Que caches-tu donc derrière ce visage de marbre ? » Demanda-t-il, sa petite main venant couvrir ma joue.
''Je ne veux pas devenir écrivain.'' Faillis-je répondre.
« Rien. » Finis-je par dire.
« Comment cela se fait-il que nous ne nous rencontrions que maintenant ? » Surenchérit-il.
« Je l'ignore. »
Sa main se logea dans ma nuque et il inspira une longue bouffée de cigarette, son corps fin, d'une maigreur enfantine se tendant sous l'effort.
Il expirait quand il poursuivit :
« Tu sais, hier soir, j'ai beaucoup pensé à toi. Car vois-tu, aucun de mes amis n'aime réellement la littérature. Ils s'en moquent tous. C'est affreux ! Alors je me suis dit que le destin t'avait peut-être mis sur ma route. Ne te moque pas, s'il te plaît. Je crois sincèrement à ces choses-là. »
Mais je ne me moquai pas et il continua :
« Aussi ai-je pensé que nous devrions peut-être nous soutenir mutuellement dans notre passion commune. Car je devine que tu n'étudies pas les lettres. »
« En effet. Je suis en faculté de science. »
« Seigneur, nous sommes tristes à en pleurer ! » S'exclama-t-il avant de fumer quelques instants pour reprendre :
« Que dirais-tu d'organiser des rendez-vous d'écriture ? Nous conviendrions d'un lieu à l'avance et comme des joggeurs se retrouvant au bord de la Tamise pour courir, nous nous retrouverions pour écrire. Pas forcément à quatre mains ! Chacun prend son cahier ou son PC et nous écrivons simplement. Qu'en dis-tu Sherlock Holmes ? »
J'adorais la façon qu'il avait de me désigner. Il ne m'appelait pas Holmes ou bêtement Sherlock. J'étais Sherlock Holmes.
« Ce serait avec plaisir. » Acceptai-je sur un ton que j'aurais voulu chaleureux mais qui ne varia aucunement de mes intonations habituelles, d'une froideur impeccable.
« Tu es sincère ? Tu ne me trouves pas stupide et insipide ? » S'enquit-il, se penchant sur mon visage pour observer attentivement mes traits.
« Non. Pas du tout. »
Il soupira.
« Qu'il y a-t-il ? » M'étonnai-je.
« Tu n'as pas d'expressions faciales. C'est très perturbant mais je crois... je crois que cela me fascine. » Avoua-t-il avec une sincérité si déconcertante que j'en profitais pour reconnaître :
« Toi aussi. Tu me fascines. »
« Vraiment ? Et que trouves-tu de si fascinant chez moi ? » Questionna-t-il avec curiosité, glissant son bras libre dans le creux de mon coude pour s'appuyer sur mon épaule, sa tête venant y reposer comme si je m'apprêtais à lui conter la plus magique des histoires.
« Tu es beau. » Reconnus-je, ses cheveux me flattant le menton.
« Beau comment ? » Murmura-t-il.
« Comme personne. » Avouai-je. « Je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi magnifique que toi. En outre, tu es d'une grâce fabuleuse. Chacun de tes gestes est d'une élégance parfaite. Tu es suave et sensuel à la fois. Chaque femme, non, chaque être vivant doit t'envier pour ce que tu es. Car tu es ce que l'on a fait de mieux. »
Sa figure se dressa pour me faire face. Nous n'étions plus séparés que par une suite ridicule de centimètres et je pouvais voir l'impact de mes mots se refléter dans ses rétines troublées.
« Ne me mens pas, Sherlock Holmes. »
« Je n'oserais pas. »
Ses paupières s'abaissèrent lentement comme pour me laisser le temps d'apprécier leur arc délicieux puis s'ouvrirent à nouveau tandis qu'il riait :
« Quel charmeur tu fais ! »
Il allait poursuivre lorsque la porte s'ouvrit sur un jeune homme :
« John, je t'attends depuis dix minutes et tu es ici à flirter avec un autre ? »
Le blond resserra sa prise sur mon bras pour lancer innocemment :
« Allons Jim, je t'ai envoyé un message pour te prévenir de mon retard. »
« Et tu as omis de préciser que ce type en serait la cause. » Siffla froidement le dénommé Jim tandis qu'il fermait derrière lui pour venir se dresser en face de moi, main tendue.
« Jim Moriarty, je suis le petit-ami de cet ignoble enquiquineur. »
« Sherlock Holmes. » Me présentai-je en saisissant la main tendue, dépassé par les événements sans rien en laisser paraître pour autant.
« Bien. John, veux-tu te vêtir afin que nous puissions enfin aller déjeuner ? » Proposa l'amant de l'homme accroché à mon bras.
« Tu es d'une froideur ! » Pesta l'intéressé en se levant négligemment. « Pourrais-je avoir un peu d'intimité pour me changer ? »
Nous quittâmes la pièce et je me retrouvai à attendre devant la chambre en compagnie de Moriarty. Il s'alluma une cigarette malgré l'interdiction de fumer dans les couloirs et déclara sans que je ne lui ai rien demandé :
« John est quelqu'un d'atrocement sociable. Il adore rencontrer de nouvelles personnes et se montre souvent très tactile avec de sombres inconnus. »
Je ne trouvai rien à dire et il reprit :
« Ne vous faites pas d'idées quant à ses intentions. Nous sommes ensemble depuis maintenant trois ans et je commence sincèrement à en avoir assez de repousser ses innombrables prétendants. »
« Eh bien, arrêtez. » Proposai-je naturellement.
Moriarty planta un regard empli de mépris sur ma personne alors qu'un rire étrange s'échappait de sa gorge.
« Vous êtes drôle. »
« C'est bien la première fois que ça m'arrive. »
« Je n'en doute pas. » Confirma-t-il. « Quoiqu'il en soit, Holmes, ne vous attachez pas trop. John vous trouve un intérêt quelconque mais il ne se transformera jamais en ce que vous espérez. »
« Je n'espère rien. »
« Vous faites bien. »
Nous en étions là lorsque le sujet de notre entretien daigna se présenter à nouveau.
« De quoi parlez-vous ? » Fit-il d'une façon si enjouée que l'on eut dit que son agacement n'avait été que le fruit de mon imagination.
« De futilités. » Asséna son conjoint. « Es-tu prêt? »
« Je suis prêt. » Acquiesça Watson tout en se tournant vers moi afin de me tendre un livre entouré d'élastiques et dont la couverture abîmée s'effilochait par endroit. « Fais attention durant ta lecture, certaines pages ne tiennent plus. Quoiqu'il en soit, j'ai dans l'espoir qu'il te plaise autant qu'à moi. »
« Merci. » Dis-je en acceptant le roman.
« A bientôt, Sherlock Holmes ! » Lança l'étudiant comme son partenaire se retirait déjà et qu'il s'affairait à le rattraper.
Les jours qui suivirent, je n'eus plus aucunes nouvelles de lui. Cela ne m'offensa pas outre mesure du fait que, comme je l'avais précisé à son compagnon et malgré l'influence troublante qu'il semblait avoir sur ma personne, je ne souhaitais pas grand-chose de lui ou de ce que l'on pourrait prématurément qualifier : notre relation. Je lus néanmoins Le Maître des Illusions et dus reconnaître que c'était un roman d'exception. Non pas seulement au niveau du récit mais également des nombreuses digressions qu'il contenait et qui lui apportait une texture indéniable. Quand je l'eus terminé, je ne pus toutefois me résoudre à me rendre à nouveau à la chambre 80 b pour le restituer à son propriétaire. Je m'explique :
Durant les quelques jours où j'entrepris pour la première fois de lire un roman de ma propre volonté, mes yeux prirent la mauvaise habitude de remarquer John Watson.
Et voilà ! J'espère que vous avez aimé ! Un petit mot ce serait cool haha
A bientôt
A.
