Tout avait commencé banalement ou presque.

Michelangelo cauchemardait. Encore.

Léo, assommé de fatigue s'était pourtant levé, encore, pour aller le réconforter.

Il avait commis une lourde erreur stratégique. Il ne comprenait même pas ce qu'il l'avait poussé à résoudre ainsi une situation aussi peu dramatique. Pourquoi avoir tenté de manière aussi drastique de corriger un simple cauchemar ? Car tout avait commencé par une série de cauchemars de Michelangelo. Le fait était anodin, le benjamin étant si impressionnable que les mauvais rêves étaient récurrents chez lui. Et comme toujours, c'est près de l'aîné de la fratrie qu'il cherchait du réconfort. Cette nuit-là, Léonardo était seulement fatigué et dépassé par les évènements, les crises de panique de Mikey empirant. Malgré la mélatonine prodiguée généreusement à Michelangelo, il n'y avait rien à faire, Mikey avait besoin de son doudou vivant. Léo ne savait plus quoi faire pour le rassurer et ayant épuisé toutes ses ressources, alors il fit quelque chose d'absolument impulsif et inattendu, pour l'unique fois de sa vie. Il l'embrassa.

Mikey s'était raidi de surprise durant le premier instant du contact des lèvres de Léo, puis ensuite, il avait fondu entre ses bras, répondant avec enthousiasme et désir au baiser de Léo. Un désir que Léo n'avait pourtant pas chercher à communiquer. L'ainé avec brisé le contact et s'était reculé pour constater s'il avait obtenu l'effet escompté. Il avait souhaité un Mikey calme et rassuré qui se serait rendormi rapidement, permettant ainsi à Léo de regagner sa propre chambre, mais ce n'est pas ce qu'il avait sous les yeux. Devant lui se tenait un Mikey aux prunelles voilées par la lubricité. Léo se recula davantage. Ce n'est pas là où il voulait en venir, mais alors Mikey l'agrippa avec insistance, susurrant son prénom d'une voix mielleuse.

La tortue bleue tenta de se dégager avec douceur, puis un peu plus fermement.

-Juste une fois, Léo…cela m'aidera à dormir…Juste ta main suffira.

Et incroyable, Léo avait cédé. Il voulait dormir. Son corps épuisé était prêt à n'importe quel compromis pour retourner rapidement en mode sommeil.

En amour comme en quoique que ce soit, il n'y a que le premier pas qui coûte. Léonardo avait emprunté un chemin où la marche arrière était impossible et pourtant, il connaissait Mikey et aurait dû le prévoir. Quand on tendait la main au benjamin, il arrachait le bras. Mikey en voulait toujours davantage…enfonçant Léo de plus en plus loin en lui faisant chaque nuit des demandes qui développait leur intimité. Chaque fois, Mikey disait qu'il se contenterait de cette étape…chaque fois, il revenait sur la parole donnée. A un point que Léo lui donna le service complet pour être débarrassé. Mikey n'en demanda pas davantage, mais exigea la même faveur à chaque nuit. Mikey demandait à Léo de venir le border, Léo entrerait une heure ou deux dans la chambre de Mikey, celui-ci jouait avec le corps de Léo comme il l'entendait et ensuite, Léo pouvait aller se recoucher. Oui, Léo aurait dû prévoir que le baiser à Mikey mènerait là.

Mais il n'avait pas prévu Donatello.

Donatello se tuait à la tâche…encore !

Soudain, peu de temps après l'épisode du baiser, Donnie ne sortit plus de son laboratoire, prétextant des recherches et des travaux et refusant de dormir. En tant qu'aîné de la famille et chef de l'équipe, Léo était responsable de la santé de son frère. Qu'il n'ait pas assez de sommeil pourrait mener à un manque de concentration qui pourrait lui occasionner une blessure fatale. Lé passa plusieurs soirées à essayer de sortir Donnie de son laboratoire, à le détourner de son travail. En vain. Le cinquième soir, Mikey proposa à Léo :

-Viens me border. Ensuite, tu iras t'occuper de Donatello.

Léo fronça les sourcils, incertain s'il y avait un sens caché à la phrase sibylline. Le fait est qu'il suivit Mikey, le « borda » et alla rejoindre Donnie au labo.

Donatello, les yeux rougis d'avoir passés la journée à fixer un écran, ne se détourna même pas vers l'arrivant.

-Donnie, tu dois aller te coucher, nous en avons déjà parlé. Je ne sais sur quoi tu travailles, mais cela peut attendre demain matin.

-Je n'ai pas envie de me coucher, Léo.

-La question n'est pas si tu en as envie ou non. Tu dois le faire, c'est tout.

-Est-ce un ordre ?

-Oui, cela en est un.

Alors, il arriva quelque chose de complètement hors du caractère de Donatello. Il recula sa chaise à roulette et se lécha les lèvres, puis il articula sourdement :

-As-tu quelque chose d'autre à m'offrir pour m'inciter à suivre cet ordre ?

Léo cligna des yeux, plusieurs fois. Est-ce que cela voulait dire ce qu'il croyait que cela voulait dire ? Incertain, mais hypnotisé, il se pencha vers les lèvres humides de Donnie et l'embrassa. Il fut ensuite un jeu d'enfants de conduire Donatello au lit.

Le nouvel arrangement de Léo organisait sa nuit ainsi : il serait de 22h à minuit avec Michelangelo et de minuit à deux heures avec Donatello. Ensuite, il dormirait jusqu'à 6 heures dans son propre lit.

Léo n'était pas certain que Mikey et Donnie étaient au courant qu'il passait d'un lit à l'autre. Aucune parole ou action ne laissait deviner que Mikey savait vers où Léo quittait et que Donnie savait d'où Léo arrivait. Cette loi du silence convenait au jeune chef. Il n'avait pas envie de leur expliquer ce qu'il n'arrivait même pas à s'expliquer lui-même. L'important est que ni Splinter, ni Raphael ne le sache jamais. Et Léo crut son secret sauf encore cinq jours. Puis il arriva ce qu'il devait arriver.

Raphael rentra ivre et ensanglanté encore !

Léo venait à peine de quitter le lit chaud de Donnie, essayant de demeurer éveillé en attendant le retour d'excursion de Raphael. Comme toujours, Léo commença à sermonner Raphael, mais celui-ci l'interrompit.

-Peux-tu mettre ta bouche à un autre usage que blablater ? Cela serait un meilleur moyen de me garder à la maison.

L'allusion était transparente, Raphael n'ayant jamais été une tortue à tourner autour du pot. Sa demande était claire. Que prenait-il à ses frères soudainement de tous vouloir baiser avec lui ? Jamais, avant ce malencontreux baiser de réconfort, aucun d'entre eux avait eu un comportement déplacé, ni faite une allusion suggestive.

Léo n'eut pas le temps de réagir que Raphael captura ses lèvres.

Une nouvelle plage horaire venait de s'ajouter à la nuit déjà bien remplie de Léonardo. De deux à quatre heures, il serait à Raphael.

Léo était bon frère. Les plus jeunes avaient besoin de lui. Par quelques caresses, il chassait les terreurs nocturnes de Michelangelo, détournait Donnie du surmenage et apaisait la soif d'alcool et de sang de Raph. Quelques caresses étaient peu à payer pour le bien-être de sa famille, se disait-il.

Cela prit tout de même trois mois à Léo avant qu'il ne craque. Un matin, Léo se leva fatigué et dégoûté de lui-même. Il se sentait sale, souillé, par les traces encore collantes du plaisir de Raph. Léo se douchait après Mikey et Donnie, mais après Raph, il n'avait envie que de son lit. Léo était épuisé. Chacun de ses frères lui arrachait orgasme après orgasme, le laissant étiolé comme une marguerite après l'avoir effeuillée. Ce n'était plus ses frères, mais des succubes qui dévorait son énergie, le privant de sa sève. Léonardo en avait assez. Quelques fois, Léo avait suggéré, effleurant à peine le sujet, ignorant si son frère savait ce qu'il faisait avec les deux autres et ne voulant pas installer de la jalousie pour compliquer encore inutilement sa vie, que Mikey, Donnie ou Raph pourraient se « divertir » ensemble. Chaque frère avait repoussé brutalement la suggestion.

-Donnie n'est pas rassurant comme toi, avait répondu Mikey

-Raph n'est pas distrayant comme toi, avait répondu Donnie,

-Mikey n'est pas sexy comme toi, avait répondu Raph.

Et peu importe si un autre frère était proposé, le résultat était le même : Lé était le seul partenaire envisageable. Il s'était questionné sur ce qui le rendait si spécial aux yeux de ses autres frères. Il n'était pas plus particulièrement attirant. Il n'était pas plus particulièrement doué aux jeux amoureux : la plupart du temps, il ne demeurait qu'allongé, attendant que son frère du moment en finisse avec lui. Donc quelle particularité rendait Léo si irremplaçable ? Il l'ignorait et ce matin, il s'en moquait. Il en avait assez d'être usé pour le bénéfice de ses frères. Certes, aucun d'entre ne violait ou ne forçait Léo. Aucun d'entre eux ne faisait mal physiquement à Léo (bien que Raphael soit un peu brutal sur la chose), mais peu importait : il en avait marre. Il n'était pas une poupée gonflable sur lequel ses frères pouvaient défouler leurs frustrations. Il avait le droit d'être lui aussi heureux et libre. Il avait le droit à son intimité, il avait le droit de dormir seul, plus de deux heures d'affilié. L'épuisement laissait des marques sur la tortue bleue. Il performait moins, proposait plus rarement des patrouilles, s'endormant pendant sa méditation même. Maitre Splinter avait remarqué le changement et avait presser Léonardo de questions. Bien entendu, celui n'avait voulu rien lui dire. Mais il en était rendu à un point de rupture. Il cesserait de rendre visite à ses frères. Si ceux-ci refusaient de comprendre, il demanderait à Splinter de l'envoyer en mission de nouveau pour au moins une année, le temps qui reprenne des forces physiques et morales et que ses frères se tournent les uns vers les autres.

Léo balança s'il devait préparer ses frères au changement, afin que l'ajustement fut moins brutal. Il opta pour la négative. Pour être certain que Mikey ne vienne le racoler jusque dans sa chambre, pleurant et geignant qu'il voulait être bordé, Léo choisit une solution lâche mais dont l'efficacité avait le mérite d'être certaine : la fuite.

Léonardo peaufina son plan toute la journée. Subtilement, il glissa à Maitre Splinter qu'April avait la collection complète des coffrets de Beauté Désespérées. Il mit assez d'emphase sur les intrigues tordues de cette série afin que son Sensei meurt d'envie de la voir. Léo s'offrit pour aller la chercher, mais seul. Donnie, Raph ou Mikey ne ferait que retarder la livraison du précieux coffret. Il ne fallait pas leur en parler et même pourquoi ne pas durant ce temps leur donner un entrainement spécial ? Ceux-ci en avaient bien besoin et cela serait la distraction idéale. Son maitre obtempéra et Léo rit sous cape. Il n'aimait pas manipuler son père mais ses frères eux n'avait nul scrupule à le manipuler, lui, utilisant son affection fraternelle à ses détriments.

La seconde partie du plan avait une issue moins assurée. Il fallait convaincre April de le garder à dormir. Ceci se passa beaucoup mieux qu'il le cru : il inventa à April qu'il avait besoin de conseils amoureux en lien avec Karai et puis, il s'arrangerait subtilement pour la faire parler, elle. April était parfois intarissable. Il n'avait qu'à faire mine d'être trop fatigué.

April était heureuse de la visite de Léo. C'était de tous la tortue la plus discrète et facile à vivre et aussi, la plus profonde. Ils papotaient depuis trois heures déjà quand 22 heures sonnèrent. Léo eut un frisson. C'était l'heure de Michelangelo. Il eut un bref éclair de remord. Que ferait son jeune frère hypersensible sans lui ? Puis, il chassa cette pensée : Mikey avait leur père et deux autres frères et avait 15 ans. Il pouvait bien se coucher seul.

Son T-Phone vibra : il ne répondit pas. Au bout d'à peine 5 minutes, on aurait pu croire qu'il avait un vibrateur dans la poche tellement que celui-ci recevait des appels sans arrêt.

-Euh ? Léo…tu ne réponds pas ?

-Non, Ape. Tu sais, parfois, j'ai besoin d'un soir de congé ? Mikey doit chercher la télécommande. Il faut qu'il développe son autonomie.

-D'accord.

Le t-Phone cessa de vibrer à 22h25. À 22h40, un frappement brutal à la fenêtre se fit entendre. Léo se figea : il ne pouvait croire que Mikey l'avait poursuivi jusqu'ici. Il ne pouvait concevoir que son frère était à ce point dépendant qu'il s'était lancé à sa poursuite. Léo serra les poings de colère : il allait joliment le recevoir, peu importe qu'April soit présente ou non. Mais alors, l'anxiété glaça son sang : c'était bien pis que Mikey : c'était Raphael. Mikey et Donnie pouvaient à la rigueur se laisser impressionner par Léonardo et rentrer la tête basse, mais pas Raph. Celui-ci, s'il était venu chercher Léo, le ramènerait coûte que coûte, dût-il arroser les rideaux et le tapis d'April de sang.

-Léo, gronda Raphael sans un regard pour April, le gamin te réclame, il cri comme un putois. Je ne peux pas dormir, Donnie ne peut pas dormir, ni Sensei. Tu dois rentrer.

-Et mon sommeil à moi ? riposta Léo décidé à lutter jusqu'au bout. Je ne veux pas rentrer et je ne rentrerais pas. Vous devez apprendre à vous passer de moi. Je vais bientôt partir.

Léo sut aussitôt qu'il avait fait une erreur. Il n'aurait jamais dû dévoiler son plan de voyage. Il n'en n'avait même pas discuté avec Splinter et celui-ci serait en colère d'apprendre que son précieux pupille avait des idées d'indépendance. Une lueur fugitive apparut dans l'œil ambré de Raphael. La panique. Ce sentiment était si étranger à son frère que Léo eut un moment de pitié. Ses frères avaient-ils tant besoin de lui que l'idée d'en être séparé leur était insupportable ? Puis, sa sympathie disparut quand le regard de Raph devient rageur :

-Tu n'iras nulle part. Nous avons besoin de toi. Viens.

April les regardait à tour de rôle interloquée, mais elle n'osait s'interposer. Elle n'avait jamais été à l'aise avec Raphael et c'était une autre raison sans doute pourquoi c'était lui, précisément qui était venu, analysa Léo. Insister, se débattre, ne ferait qu'empirer le malaise d'April. Il se rendit, jurant que dès le lendemain, il supplierait leur père de l'envoyer au loin…trois années au moins.

Raph ne dit absolument rien du retour. Il était encore à dix bonnes minutes du repaire que les hurlements de Michelangelo se faisait entendre. Léo en demeurait coi. Il comprenait mieux l'insistance de Raphael. Ce vacarme était insupportable. Mais pourquoi étais-ce à Léo de venir ? Ce n'était qu'un cauchemar ! Pourquoi cela relevait-il de sa seule responsabilité ? Il y avait d'autres solutions. Sensei aurait pu morigéner Mikey ou le veiller. Mikey n'aurait osé faire un tel raffut à 50 cm de Splinter. Donnie aurait pu lui administrer un calmant. Même Raph à la limite aurait pu l'intimider ou même le frapper, pour qu'il se taise. Pourquoi seule une relation sexuelle avec lui pouvait lui rendre le calme nécessaire ? Il avait passé quinze années de sa vie, sans sexe, pourquoi était-ce soudain indispensable ? Mikey avait deux poignets fonctionnels, ils étaient tous ambidextres. Pourquoi Léo devait se prostituer pour que la maisonnée dorme ? Cela le dépassait !

Raph, le voyant arrêter, le tira par la main, mais Léo ne pouvait que secouer la tête, l'air égaré. Il ne pouvait pas. Il n'en pouvait plus. Ses cris n'étaient pas humains, ce n'étaient pas ceux de son jeune frère. C'était ceux d'un monstre qui le dévorait lentement. Voyant qu'il ne ferait pas un pas de plus, Raph le prit bonnement sur son épaule. Léo eut beau se débattre, supplier, Raph n'en n'avait cure. Léo déballa toute l'histoire, si pris dans l'hystérie qu'il se souciait peu de ce que penserait Raph de lui en apprenant qu'il partageait également le lit de leurs deux autres frères. Raph ne réagit aucunement. Il savait. Bien sûr il savait. Mikey avait parlé à Donnie. Donnie avait à son tour profité de Léo et avait passé le tuyau à Raph afin que lui aussi ait du bon temps à abuser du corps de leur frère. C'était une orchestration de ses trois frères contre lui. Il jura, tempêta, frappa Raphael qui stoïquement continuait d'avancer.

Ils étaient maintenant dans le repaire et Mikey se précipita sur eux, cessant afin ses cris :

-Léo !

La joie, le soulagement dans la voix de Michelangelo avait la sincérité de celui d'un jeune enfant, Léo aurait pu en être touché s'il n'avait été aussi pris par la panique. Raph repoussa fermement Mikey qui poussa un couinement de déception et passa la porte de sa chambre jusqu'à ce qu'il fût rendu devant celle de Léonardo, qui voyant qu'il n'était pas livré à l'appétit vorace de Michelangelo, cessa de se débattre. Il ouvrit la porte, marcha jusqu'au lit, tira les couvertures et déposa avec plus de délicatesse qu'il en montrait habituellement, Léo dans son lit, remontant le drap, afin qu'il couvre le leader jusqu'au cou et déposa fraternellement un baiser sur son front et quitta la pièce.

Léo entendit des murmures, mais fatigué, il s'endormit enfin dans son lit.

Le lendemain, il se réveilla dans un repaire silencieux. Il consulta l'heure. Il ne pouvait croire qu'il était plus de 11heures ! Il avait manqué la pratique ! Comment Sensei ne l'avait-il pas tiré du lit ? Comment se faisait-il qu'aucun bruit, à cette heure pourtant active, ne se faisait entendre ? Inquiet, il sortit de sa chambre.

Il vit d'abord Donnie, plongé dans la lecture de quoique ce soit sur son portable ouvert. Donnie leva les yeux et sourit tendrement à Léo :

-Bon matin, ou plutôt midi ! Tu as bien dormi, j'espère ? Nous avons réduit le bruit au minimum afin que tu récupères mieux.

Léo fronça les sourcils : donc hier soir était un sursis, c'était cela ? Donatello dut s'apercevoir de l'effet malencontreux de ses paroles et rectifia le tir.

-Nous ne te démontrons pas assez comment nous t'apprécions, Léo. Te laisser faire la grasse matinée à l'occasion n'est que peu de chose comparativement à tes mérites.

Mikey arriva, fouettant un quelconque mélange dans un bol.

-Léo, ça va ? Tu es encore un peu pâle. Tu es certain que tu ne veux pas retourner te reposer ? Je peux t'apporter ton petit déjeuner au lit si tu veux. Je peux te faire du pain doré ou autre chose, ce que tu voudras.

Léo secoua la tête et se prépara lui-même un thé. Il attendait que l'eau bout quand une lourde main se porta sur son épaule ; Raphael.

-Fearless, tu vas bien ?

Léo dégagea son épaule sans une parole. Il ne pouvait répondre à cette question immédiatement, il en avait encore besoin de quelques nuits pour savoir si oui ou non, il allait mieux.

La journée se passa dans la même veine. Chacun agissait comme, si après s'être disputé avec sa petite amie, il voulait la reconquérir. Ses trois frères firent de nombreux efforts pour soutirer un sourire à Léonardo, tout en gardant une certaine distance. Ils avaient tous utilisés la même douche, laissant celle voisine de Léo, vide. Le seul moment de contact physique fut au Dojo où un évènement étrange se produit :

-Sensei, avez-vous remarqué qu'environ 63% du temps, Léo affronte Raphael ? Cela ne nous aide pas à nous améliorer. Chacun de nous devrait avoir 33,33 % de temps avec lui.

Splinter avait caresser son menton, considérant la demande de Donatello.

-J'ai une meilleure idée. Léonardo sera votre Maitre et Sensei après ma disparition. Il est temps qu'il apprenne à juger et vous faire tirer des enseignements de vos erreurs. Léonardo n'a plus besoin de s'entrainer en faux combat, c'est un maitre ninja aguerri.

Les trois frères se regardèrent en fronçant les sourcils, surtout Raphael. Léonardo était déchiré : il adorait l'entrainement, mais ses frères semblaient profiter de ce moment pour satisfaire encore il ne savait quel bas instinct, ce qui le mettait mal à l'aise.

Raph alors se décida :

-Si c'est ainsi, je refuse les pratiques aussi. Je suis aussi bon que Léo. En fait, c'est le seul adversaire à ma taille et je ne peux progresser sans lui. Léonardo est jeune, trop pour demeurer sur le banc, à la force de l'âge. Il n'a peut-être même pas encore développé toutes ses capacités.

Mikey et Donnie formulèrent les désaccords également, bruyamment de la part de Michelangelo et logiquement de la part de Don.

-Yame ! Nous ne sommes pas dans une démocratie ici. Mes ordres doivent être respectés. Léonardo, viens avec moi, nous allons prendre le thé.

Ce n'était pas une simple invitation, mais un commandement. Léo obtempéra.

-Mon fils que se passe-t-il avec tes frères ? Je sens qu'un phénomène étrange les repousses vers toi alors que par réaction, tu t'éloignes d'eux. Que se passe-t-il ? Tu souffres c'est évident. Tes frères m'ont parlé de dépression nerveuse.

Leo renifla avec mépris. C'est donc par ce mensonge que ses frères couvraient leurs crimes ? Léonardo avait pris sa décision :

-Sensei, je me sens oppressé ici dernièrement. Je souhaiterai faire un voyage. Je ne veux même pas que vous me dites la destination, cela m'est égal. Je veux simplement sortir du pays. N'en parlez pas à mes frères non plus. Mais je veux quitter le plus rapidement possible.

Sensei Splinter caressa de nouveau son menton.

-C'est bien, Léonardo, laisse-moi deux jours pour régler quelques préparatifs essentiels. Ensuite, tu partiras. Je n'en dirais rien à personne et je vais poursuivre la cessation de l'entrainement pour que tu puisses éviter tes frères si c'est ce que tu souhaites. Je leur expliquerai de même de te laisser tranquille. La comédie de Michelangelo d'hier a été perturbante pour quelqu'un de mon âge et je suis d'accord que tes frères doivent apprendre à se passer de toi. Parfois, pour cesser l'addiction, une coupure nette est essentielle. Tu seras dans un endroit complètement inaccessible et si tu le souhaites, je t'autorise même à ne jamais revenir.

Léonardo sortit de la rencontre avec son père, presque rasséréné. Il aimait ses frères, c'était certain. Très longtemps, il avait vécu avec la croyance qu'il donnerait sa vie pour eux. Effectivement, si une épée menaçait Mikey, Raph ou Don, Léo s'interposerait, mais assister à la dégradation de son être nuit par nuit, c'était suffocant.

Léo ne voulait pas de mal à ses frères. Il ne voulait que sa liberté. Ils s'en remettraient.

Ce soir-là, Sensei offrit à Léonardo de dormir dans sa chambre. Celui-ci accepta avec empressement. Il dormit mieux que depuis longtemps, mais il ne pouvait s'empêcher de détester la situation. A 16 ans, il devait dormir avec son père pour la raison absolument flippante d'éviter la lubricité de ses propres frères. Il ne pouvait l'avouer à Maitre Splinter. Cela le tuerait certainement. De plus, comment admettre d'avoir été le premier à avoir dépassé les limites de l'amour fraternel et avoir déclenché cet engrenage criminel ? Et pire : avoir accepté nuit après nuit, ces accouplements contre-nature durant trois longs mois, non pas d'un seul de ses frères, mais de tous, l'un après l'autre ? La culpabilité rongeait Léonardo. Il n'avait pas pensé à mal, mais qui le croirait ? Il n'arrivait même pas à se justifier à ses propres yeux. Oui, partir, partir et mettre ce cauchemar derrière lui ! Son père lui avait proposé de ne jamais revenir et cette alternative était très appelante. Il échapperait à ses frères et aussi à son propre sentiment de culpabilité de les avoir tous engager dans cette mauvaise pente. Quitter son foyer pour aller vers l'inconnu était terrifiant, mais demeurer au repaire était mille fois pire. Il s'endormit enfin, soulagé d'avoir un père compréhensif et suffisamment discret pour ne pas avoir cherché à en savoir davantage.

Le lendemain, Mikey offrit le plus artificiel des sourires à son frère. Léonardo ne lui rendit pas son sourire et prit le parti de tenter de l'ignorer tout en préparant son thé matinal. Malheureusement, Mikey n'était pas une tortue aisée à abattre.

-Léo ! Comment vas-tu ? Tu as mieux dormi avec Maitre Splinter ?

-Si on veut, Mikey. En fait, ce que j'aimerais particulièrement, c'est de dormir seul, répliqua -t-il sèchement.

-Si c'est le cas, pourquoi as-tu dormi avec Sensei ?

Léonardo était estomaqué par l'outrecuidance de Mikey qui faisait comme si de rien n'était.

-Tu sais parfaitement bien pourquoi, Michelangelo, hissa Léonardo, ne fais pas l'innocent. Cela ne te va plus très bien.

-Non, Léo, je te jure, je ne sais pas pourquoi. Ni Donnie ni Raph ne comprennent davantage la raison de ton attitude dernièrement. Es-tu...fâché contre nous ? T'avons-nous fait quelque chose ?

Les yeux de Léo s'agrandirent de stupeur devant tant d'effronterie. De toute évidence, ses soupçons se révélaient exacts. Ses frères étaient de mèches. Par il ne sait quelle pudeur stupide, il ne verbalisa pas explicitement la raison exacte de sa froideur :

-J'ai besoin d'espace, Mikey. Beaucoup d'espace.

-C'est cool, dude. Je comprends.

Léo secoua la tête. Il ne tomberait pas dans le piège de Mikey. Lui et à l'occasion Donnie, faisaient semblant parfois d'être conciliants pour mieux revenir par la suite, le frappant par derrière alors qu'il s'y attendait le moins, tel un boomerang. Surtout Michelangelo.

-Je doute que tu comprennes, Michelangelo. Peu importe, ce n'est pas comme si tu avais le choix. Je veux que l'on me laisse seul.

-Merde, Léo ! Qu'est-ce qu'on t'a fait ? Tu es la personne que Raph, Donnie et moi aimons le plus au monde ! Te voir en colère contre nous nous blesse.

-Oh non, Mikey, vous ne m'aimez pas ! Ce n'est pas de l'amour que vous me démontrez. Vous n'avez même pas la plus élémentaire considération pour moi ! Vous ne vous souciez même pas de mes sentiments !

-C'est faux, commença à s'énerver Mikey, tu es très important à nos yeux !

-Bien entendu ! J'étais un jouet très apprécié, finit froidement Léo en repoussant brutalement sa tasse. Excuse-moi, je vais méditer dans ma chambre. Je ne veux que l'on me dérange sous aucun prétexte. Inutile de venir me porter un petit déjeuner. Je n'ai pas faim.

Il planta là Mikey et retourna s'enfermer dans sa chambre en claquant la porte. Une telle démonstration de colère chez le leader était rare, mais la coupe était pleine. Les dénégations de Mikey, ses fausses protestations d'affection le révulsait.

On le laissa effectivement tranquille jusqu'à midi, heure où Donatello vint frapper à sa porte.

-Léo ? Mikey m'a dit que tu n'as pas mangé ce matin. Il est inquiet pour toi. Nous le sommes tous. Tu sembles ne pas bien aller. Puis-je entrer stp ?

La voix de Donnie était douce. Cela rappela à Léo le conte du loup qui trempe ses pattes dans la farine pour tromper les petits chevreaux afin qui lui ouvrent la porte.

-Non, Donnie. Va-t'en. Je ne veux voir aucun d'entre vous !

-Léo. Je vois bien que quelque chose te bouleverse. Si tu ne nous en parles pas, nous ne pouvons te demander pardon pour quelque chose dont nous ignorons tout ou tenter de réparer le mal involontaire que nous aurions pu te causer.

Cela le fit. Cette hypocrisie scandalisa tellement Léo que hors de lui il ouvrit tout grande sa porte et agrippa fermement Donatello par le bras pour le faire rentrer à l'intérieur. Une fois la porte refermée, il poussa violemment Donnie, son indignation toujours aussi vive. Que Mikey nie ou mente pour parvenir à ses fins, cela se pouvait, mais que Donatello, toujours franc, s'y mette aussi le poussait hors des bornes de son calme habituel.

-Le mal involontaire ? Vos viols répétés me semblaient parfaitement bien prémédités !

-Nos viols, répéta Donnie, avec un air incrédule qui semblait si parfaitement joué que Léo douta presque un instant de lui-même. Tout cela n'avait-il été qu'un cauchemar ? « Non, il tente de jouer avec ta tête et te faire porter le chapeau », se dit Léo. « Il va me mettre au visage que tout est de ma faute. Ou pire, nier, dire que je suis fou, que j'exagère, que tout est dans ma tête ou dieu sait quoi d'autre ! »

Donnie avait toujours l'air stupéfait, puis son visage prit une expression chagrine. Il paraissait chercher ses mots, semblant blessé et confondu.

-Donc, pour toi, tout ce temps…c'était un viol ? Tu n'aimes aucun d'entre nous ? Ni moi, ni Mikey, ni même Raph ?

Cela eut le mérite de prendre Léonardo par surprise. Il ne s'attendait pas à cet aveu de culpabilité teinté de tristesse. Léo allait répondre que oui, il aimait ses frères, mais il n'était pas certain du sens que donnait Donatello au verbe aimer. De plus, il devait avouer que peu importe ce qu'il éprouvait, son affection pour ses frères s'était refroidie, teintée d'un sentiment de quasi-répulsion et de crainte.

Léo décida de mettre carte sur table. Donnie semblait franc, alors il le serait aussi. Confronter Donatello était sa meilleure option. Dire la vérité à Donnie portait moins à conséquence qu'à Raph ou Mikey. Le benjamin aurait peut-être pleuré…Raph…aucune idée, il était trop imprévisible, mais il préférait ne même pas y penser. Don était en tout temps la voix de la raison et de la modération. Il comprendrait sa réaction.

- Pour te dire franchement, mes sentiments vis-à-vis de vous ont changés, et pas pour le mieux.

Donnie se tut quelques instants, digérant la nouvelle, tête baissée. Lorsqu'il releva la tête, ses yeux sépia étaient inondés de larmes. Une vague de regrets mordit Léo à la poitrine. Peiner délibérément ses frères n'était pas quelque chose dont il était coutumier et ce spectacle inédit vint chercher son cœur de grand frère. Il ouvrit la bouche, mais la referma en constata le changement s'opérant sur Donatello. Il avait rebaissé, la tête, hoquetant, les poings serrés, tremblant de chagrin ou de rage, Léonardo n'en était pas trop sûr. Il ne comprenait pas ce déferlement de désespoir sur son frère si rationnel. Il ne comprenait pas non plus pourquoi Donatello pleurait. La honte peut-être ? Il venait de réaliser tout le mal qu'ils avaient fait à Léo et il ne savait comment se faire pardonner. C'était sans doute l'explication.

La voix secouée par un sentiment inconnu qui semblait le posséder, Donnie posa alors une question qui scia les jambes du jeune chef.

-Léo, es-tu en train de rompre avec nous ?

-Quoi ?

Léonardo n'était pas sûr de comprendre. Est-ce que Don voulait dire rompre dans le sens qu'il ne les considérait même plus de sa famille ? Ou il voulait dire rompre…dans le sens de la rupture d'une relation amoureuse ? Peu importe le sens, c'était clairement exagéré. Un, malgré tout, il devait admettre qu'en toute honnêté, à part lui dévorer du temps et de l'énergie en abusant de sa bonne nature, ses frères ne l'avaient pas blessé physiquement ou verbalement. En fait, maintenant qu'il y songeait, il n'avait jamais songé à démontrer son opposition durant trois mois. Il se demanda là, trop tard, sans doute, ce qu'il serait advenu s'il avait verbalisé son refus ? Il ne s'imaginait pas ses frères pousser plus loin contre son gré. La seule fois où il avait rué dans les brancards, Raph certes était venu lui demander des comptes, mais ensuite, il avait été le mettre au lit et l'avait presque bordé, au lieu de le livrer à Michelangelo. Depuis, ses frères n'avaient rien tenté…mais cela ne faisait que deux jours. Peut-être que dans leur naïveté, ses frères avaient -ils vraiment cru que Léo éprouvait du plaisir à passer des nuits à se débaucher avec ses trois frères successivement ? Donc, bien entendu, Léo, malgré sa rancœur, les considérait toujours comme ses frères. Il ne voulait que son intimité pour lui. Il voulait son indépendance, sa liberté, son espace. Il fallait qu'il rassure Donatello sur ce point. Il n'était pas cruel. Le second sens du terme « rompre » était à éliminer. Jamais, dans ce petit arrangement nocturne, Léonardo avait impliqué un amour romantique. Ce n'était que du sexe, pure, simple et vide de tout autre signification hormis apaiser ses frères. Que ses frères aient pu se méprendre… Et de toute façon, comment aurait-il être en relation amoureuse avec ses TROIS frères en même temps ? C'était insensé ! Donnie devait vraiment entendre le sens du lien fraternel rompu.

-Donnie, bien entendu, vous serez toujours des frères pour moi. Je ne veux que cela tu comprends ? Être votre frère. Les frères ne sont pas toujours ensemble, tu vois ? J'aime être seul dans ma chambre.

-Que veux-tu dire par « seul dans ta chambre », Léo ? Veux-tu dire toujours ?

-Je veux dire la nuit. Et le jour, à l'occasion, quand j'en ai envie. Je n'ai de compte à rendre à personne, Donatello. Je suis le chef, l'aîné et aussi tout simplement une tortue libre.

-Libre ? C'est donc cela, tu romps avec nous ?

La voix de Donatello était brisée. Léonardo ne comprenait plus rien. Pourquoi Don prenait cela ainsi ? S'était-il mépris sur ses intentions ? Et cette utilisation du « nous » qu'impliquait-elle ? Que Mikey et Donnie puissent s'être trompé sur les raisons de ses agissements, il le concevait, à la limite. Mikey était naïf et intense. Donnie sensible. Mais il était impossible que cela fut le cas de Raphael. Le sexe avec lui avait toujours été plus sauvage que tendre et ses propos au lit n'étaient que de vulgaires encouragements. Raph, à la limite, haussera les épaules et se trouvera un autre exutoire à ses frustrations. Comme si lisait ses pensées, Donnie se marmonnait à lui-même en massant ses tempes :

-Et c'est moi qui vais de voir l'annoncer à Raph et Mikey…Mikey s'en doute…mais Raphie…il va être dévasté.

Léonardo cligna des yeux incrédules, puis l'exaspération le gagna.

-Donatello. Raph s'en remettra. Vous avez abusé de mon grand cœur, vous avez eu du bon temps, c'est terminé. Tournez-vous les uns vers les autres, si le sexe est une donnée essentielle à votre existence. Quant à moi, c'est terminé.

-Tu…tu ne feras plus l'amour avec personne ?

-Peut-être…mais pas avec l'un d'entre vous.

Le visage de la tortue au bandeau mauve se ferma :

-Léonardo, aucun d'entre nous n'a jamais eu l'intention de te forcer. Si c'est ce que tu souhaites… Mais tu l'annonceras toi-même à Raphael.

-Raphael va s'en moquer ! Je ne comprends même pas pourquoi tu le prends si mal, Donnie ! Ce n'était que du sexe ! Pour que tu acceptes de quitter ton labo, rien de plus. Ce n'était que pour vous dormiez tous, enfin, en sécurité dans votre lit !

-Tu m'as manipulé. Et Raph et Mike aussi.

Léonardo réagit comme si on l'avait giflé

-Quoi ? Non ! Si quelqu'un a été manipulé ici, c'est moi…

-Léo. Je ne peux en entendre davantage. Tu ne veux plus de nous et j'ai compris. Excuse—moi, je vais te laisser tranquille.

Il referma la porte, laissant un Léo choqué. Que venait-il de se produire exactement ? Il l'ignorait. Même il savait une chose : il devait vraiment partir.