PROLOGUE

Sur la Grand' Place d'Aalana, la vie grouille, la vie chante, comme le vent et comme le temps. Ce temps qui n'avait pas la même emprise sur eux que sur les hommes, le temps qui n'avait pas d'emprise sur lui.

Lui? C'était un homme des plus mystérieux, un homme du passé.

Un homme qui profitait de la vie de ce jour de soleil et de marché, assit sur les marches de la grande fontaine, il observait les gens.

Les marchands qui vendaient les mérites de leur marchandise, le forgeron qui battait le fer et la mesure pour faire du métal vulgaire une magnifique dague – paraît-il pour une cérémonie de mariage -, les sculpteurs occupés à tailler dans la roche et les pierres précieuses une scène en hommage à ceux qui devaient être représentés ci-dessus… Les passants qui flânaient, les enfants qui jouaient. En ce jour de printemps dans une ère de paix, Aalana n'était pas la capitale d'Aodhan pour rien. Les Dieux se réunissaient avec le Roi pour d'éventuelles affaires à régler, les Disciples demeuraient aux Tours Divines pour surveiller l'horizon à l'affut de la moindre menace… Non, vraiment, tout allait si bien… Une ère de paix qu'ils devaient à de nombreuses choses, de nombreux actes, de nombreuses personnes.

Les yeux cernés du vieillard semblaient se perdre dans le vide, mais en rien cela ne troublait la tranquillité de son visage buriné par les années.

La seule chose qui le troubla fut simplement un petit ballon qui lui tapa sur le pied, alors que des enfants jouaient entre eux. Sans doute la balle leur avait-elle échappé, et avait roulé jusqu'à lui. Il n'en prit pas la mouche pour autant, au contraire, un large sourire étira un peu plus les rides de son visage.

Les enfants arrivèrent près de lui, certains avaient l'air bien penaud devant le vieil homme.

Un homme qui, par le passé, avait dû être de grande taille, par la courbature de son dos, des yeux fins et d'un bleu pénétrant, longue barbe et longue chevelure que le temps avait blanchit, pour n'en faire qu'une cascade de fils d'argents.

"J'suis désolé, m'sieur, j'ai pas rattrapé le ballon et… Commença un enfant.

-Ho… Ce n'est rien. Déclara le vieil homme. Quelle personne serais-je si j'empêchais la jeunesse de s'amuser?

-Monsieur… Vous me racontez une histoire?"

La voix de la petite fille du groupe fit pivoter les yeux du vieil homme, qui regarda l'enfant qui tendait les bras vers lui.

Dans un mouvement doux, il tira les mains de ses longues manches pour attraper la petite, et la placer sur ses genoux, la tenant contre lui, il regarda les autres enfants s'asseoir et eut un nouveau sourire. Le temps avait encore accentué une chose chez les Aodhiens. Leur passion pour les récits de leur glorieux passé.

"Monsieur? C'est pour qui les statues? S'enquit la petite fille.

-C'est un hommage pour les personnes dont je vais vous raconter l'histoire. Quelque chose, une histoire qui remonte à très loin, à l'époque où j'étais encore jeune et fringuant, et où les Onze Royaumes, non… Les Trois Mondes, se trouvaient être dans une situation plus fragile que jamais. Ecoutez, les enfants… L'Histoire des Héros du Passé."