Description :Recueil très court, sans prétention mêlant prose et (un peu) poésie Marchombre

Nombre de chapitres : Huit est le chiffre chrétien de l'infini et de l'amour, j'ai donc imaginé huit petites aventures mettant Ellana ou son entourage en scène, qu'elle lègue à Destan pour qu'à son tour celui-ci se mettre en route, perpétue le Cycle (d'où le titre)

N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez, en avant !


oOo

Prologue

L'héritage

oOo

Ellana Caldin est morte.

Ces mots avaient déjà été prononcés jadis, en des temps et lieux qui avaient presque été occultés de l'Histoire commune tant l'Âge qui avait suivi la destruction de la Cité des Mercenaires du Chaos avait été heureux. Il n'avait plus qu'été questions de rires, de chants, de festins et d'aventures. Pendant vingt-cinq ans, la vie avait semblé une fête ininterrompue.

Toutes les bonnes choses ont une fin, soufflait une petite voix à son oreille.

Destan eut le sentiment fugace qu'un chuchoteur se trouvait peut-être dans cette pièce. Il la scruta, la fouilla minutieusement mais il ne trouva rien. Avant de mourir, sa mère avait bien évidemment pris toutes ses précautions sa chambre avait été vidée de son contenu superflu, et aucun objet personnel n'était resté.

Elle avait effacé toutes les traces de leur vie dans cette chaumière. Le vide n'en était que plus douloureux, mais pour cela il lui en était reconnaissant : il ne serait ainsi pas tenté de s'accrocher aux souvenirs, il pourrait aller de l'avant.

Aller de l'avant…il contempla son reflet dans le miroir de la grande armoire qui demeurait en place. Il y vit un jeune homme de presque vingt-six ans, élancé, aux longs cheveux de jais et aux yeux aciers emplit de détermination. On disait autour de lui que si le tempérament des Til'Illan était celui qui dominait sa personnalité, ses traits étaient beaucoup plus empreints d'une grâce que lui avait léguée sa mère.

Ellana Caldin est morte.

Sa vie avait été exemplaire, à bien des égards. Pas d'un point de vue moral, entendons-nous pour avoir longuement écouté les récits d'Aoro et de Sayanel, il savait que sa mère avait aussi était un être faillible. Elle avait tué par soif de vengeance, par colère. Par amour déçu, cet amour dont Sayannel ne prononçait plus le nom que d'un souffle fragile du bout de ses lèvres encore amères du sel de la trahison.

Mais elle était demeurée libre, et en ça il désirait suivre son exemple.

De plus, il était sûr d'une chose : elle avait vécu sans regret. Elle constituait son phare, sa lumière dans l'obscurité elle était la lueur qui lui permettait de se naviguer dans les eaux troubles, brumeuses de sa vie. Sans elle, il perdait pied, se sentait submergé au point de penser à la noyade, jeune garçon qui avait pourtant promis d'être un excellent marin.

Il avait toujours été beaucoup plus proche d'Ellana que d'Edwin le lien qu'il partageait avec son père était tout aussi fort, et le départ de l'être qui leur était à tous deux le plus cher au monde ne faisait que renforcer sa piété filiale. Mais c'était Ellana qui l'avait élevé, Ellana qui avait voyagé avec lui aux confins de l'Empire alors qu'il n'était qu'un enfant l'initiant aux couleurs de la vie, à la délicatesse de la lumière, à la complexité ouvragée de ses sentiments.

Il avait passé une bonne partie de son enfance à voyager. Il avait vu la grandeur aérienne des Plaines du Souffle, tâté les murailles craquelantes des Frontières de Glace, s'était recueilli dans le silence infini de la Cité d'Al-Pol, avait observé les étoiles depuis les plus hautes tours d'Al-Jeit…

Mais rien n'avait jamais égalé à ses yeux la splendeur marine de l'Océan l'ivresse de cette étendue teintée de lumière sur lequel on ne trouve ni abri, ni horizon.

La liberté.

Après avoir suivi une formation que d'aucun qualifierais de classique pour un guerrier, il avait effectué ses premiers voyages en bateau. Sur de petites rivières, d'abord. Et puis, le Pollimage, réfractant à l'infini les lumières joyeuses des villes alentours, découvrant à l'occasion une Dame glissant avec grâce et nonchalance entre ses eaux cristallines. Les plaines du Souffle furent une autre source d'émerveillement, avec cette technologie tout à fait particulière. Destan n'oublierait jamais : la fraîcheur du vent lui ébouriffant les cheveux, s'engouffrant dans les plis de sa tunique, la pureté des froides goulées d'oxygène des hauteurs des grandes plaines.

Mais sa Voie, il l'avait trouvé lors d'une expédition dangereuse – et dont il n'était d'ailleurs par sorti tout à fait indemne- mais révélatrice dans les mers du Sud. La vie de pirate, pillant et terrorisant les marchands innocents, le rebutait.

En revanche la vie d'aventurier des mers…Les cartes maritimes après l'Île du Destin, sont désespérément vierges : personnes ne s'est jamais aventuré par-delà, pour examiner si ce que les légendes affirment sur les sept mers sont vraies.

Il trépignait. Sa vie ne se passerait pas ailleurs que sur ces eaux, dont il rêvait de pouvoir percer tous les secrets.

Une ambition qui faisait grimacer son père, le sage mais redoutable Frontalier, à qui on avait consacré tant de pages dans le Grand Livre des Légendes. Destan savait que ses pas le mènerait, à un moment où à un autre de sa vie, à accepter son héritage et à prendre à son tour, la fonction qu'occupait Edwin en tant que Seigneur des Marches du Nord.

Seulement, voilà. Il n'était pas prêt. Avant ça, il voulait faire mille choses, tant d'ailleurs que ses ambitions se confondaient dans sa tête, lui paraissaient tour à tour à portée de main, et puis le jour d'après semblaient impossibles. Il faisait des projets d'immense échelle, et les abandonnait presqu'aussitôt, découragé, écrasé par le poids de cette jeune vie qui était la sienne et qui pourtant lui échappait considérablement.

Perdu. C'était le mot. Il ne connaissait aucun fil rouge à sa vie, et le doute le rongeait constamment depuis des mois.

Il fallait faire un choix.

Tracer un itinéraire de vie.

Suivre sa Voie, sans chercher à imiter celle d'un autre.

Mais comment faire ? La perte de sa mère était aussi douloureuse qu'une blessure physique, et plus que tout il ne pouvait s'empêcher de se sentir abandonné.

Seul, alors que son existence arrivait à la croisée des chemins.

Comment faire ? Où ? Pourquoi ?

Il en était là, de ses interrogations, arpentant nerveusement la pièce, à la fois angoissé et excédé par son propre comportement : il n'était pas sensé se comporter comme un enfant. Après tout…

Le poids de sa parenté lui pesa soudainement. Ce n'est pas facile, d'être le fils de deux Êtres aussi exceptionnels. Pas le droit à l'erreur, pas le droit à l'échec mais toujours le devoir d'être à la hauteur. Et s'il les décevait ? S'il manquait à ses obligations envers ses parents ?

Amertume. Atterré, il se força à rester immobile, et plaqua ses paumes fraîches contre ses yeux.

C'est là qu'il se rendit compte d'un détail…dérangeant.

Ses sens, affutés par des années d'entraînement, lui indiquaient un léger déséquilibre en dessous de lui. La lame de parquet était plus basse à un endroit qu'à un autre, il en mettrait sa main à couper. Immédiatement, il sauta sur ses pieds et se penchant avec souplesse pour effleurer des doigts l'endroit objet de ses suspicions.

Et il ne fut pas déçu.

Cela relevait, encore une fois, du détail, mais cela sautait aux yeux pour un fils de Marchombre comme lui. Il passa ses ongles dans le fin interstice qui séparait la latte de sa voisine, et délicatement, entreprit de la décoller.

Il la souleva sans rencontrer la moindre résistance le bois se plia à sa demande si j'ose dire, sans plainte.

Au-dessous, il découvrit un petit trou, sorte de trappe aménagée, très propre, et dont le fond était couvert seulement par un fin drap noir en lin. Sa curiosité piquée au vif, Destan entreprit de glisser sa main dans l'espace désormais béant : elle était trop grande. Il se résolut, et entreprit de détacher sans les abîmer les planches de bois autour, afin de pouvoir créer un vide assez grand pour qu'il puisse atteindre cet étrange objet.

Quand il put enfin s'en saisir, il sursauta de surprise : le contact était dur, le drap ne servait que d'emballage à quelque chose de bien plus gros en dessous ! Il s'empressa de le dégager, clignant vivement des yeux sous l'effet de la poussière qui émanait de sous terre, et se rassit sur le matelas afin d'examiner de plus près sa trouvaille.

Avec mille précautions, il déballa l'objet : c'était un livre et pas n'importe lequel semblait-il. D'excellente facture, l'ouvrage était en cuir ouvragé d'un bleu brillant, doré sur tranche et incrusté aux quatre coins de la page de couverture de cristaux améthyste. Il n'y avait pas de titre mais deux initiales enlacées étaient gravées en lettre d'argent tout en bas : « EC ».

Son cœur battit avec force.

Légèrement tremblant, beaucoup plus solennel, il se risqua à faire tourner quelques pages elles semblaient manuscrites. Ce faisant, quelques morceaux de parchemins pliés s'échappèrent du grimoire. Sifflant entre ses dents contre sa propre maladresse, effrayé à l'idée d'avoir abîmé ce qui se présentait d'office comme un recueil précieux, il rattrapa les feuilles avant qu'elles n'eussent le temps de toucher terre, et découvrit qu'il s'agissait en fait d'une épaisse, cachetée, et apparemment ancienne enveloppe.

Une enveloppe…qui portait une mention intéressante :

« Destan Caldin-T'Ill Illan »

Donc une mention qui le concernait.

De plus en plus ébahit, il entreprit de desceller ce courrier inattendu, submergé par l'émotion car il devinait déjà qui était le correspondant mystérieux qui lui léguait ces quelques mots :

« Destan,

A l'heure où tu lis ces lignes, je ne suis plus.

Je ne peux déjà m'empêcher d'interrompre mon écriture, afin de rire de l'éclat insolite de ces quelques mots ! J'ai l'impression d'être Bjorn, ou Salim, si prompts à tomber dans la grandiloquence théâtrale, le dramatisme exacerbé !

(Il serait de bon ton de répéter ces quelques mots en leur présence, à un moment où tu voudras passer une soirée divertissante : ils ne manqueront pas d'inspirer nos chers trublions.)

Tout d'abord, je tiens à te féliciter. Le fait que tu aies pu mettre la main sur ce livre prouve que tes sens sont affutés, et ta curiosité toujours en éveil : ce sont des qualités importantes, et j'espère que tu pourras les cultiver tout au long de ta vie, comme moi avant toi.

Ma propre mère est morte quand je n'étais qu'une enfant. Elle n'a pas eu l'occasion de me laisser un quelconque héritage éducationnel, dont du reste je doute fort que j'aurais été en mesure de suivre. Néanmoins, les quelques éclats de sagesse que j'ai tiré de notre séparation m'ont guidés toute ma vie : c'est ainsi que pendant plus de cinquante ans, poète et savant ont débattus en moi, avec moi.

Je m'étais promise de t'offrir ce que je n'ai pas eu. Comprend, je n'en veux pas à mes parents : ont-ils eu le choix ? Leur sacrifice m'a sauvée et m'a permis de suivre ma propre histoire, de tracer ma propre Voie. Cependant, je crois que si nous avions eu l'occasion de vivre ensemble plus longtemps, d'autres enseignements m'auraient été transmis.

Un auteur de l'autre monde a écrit « L'expérience, c'est le nom que chacun donne à ses erreurs ». C'est précisément ce que tu trouveras dans ces pages : des histoires significatives, rencontres, apprentissages qui m'ont instruites sur la vie avec beaucoup plus d'efficacité que n'importe quel Traité savant de la bibliothèque impériale (Ces lignes, je ne crois pas qu'il soit opportun de les répéter à Ewilan : elle inventerait un dessin de retour à la vie pour m'invoquer et pouvoir me contredire dessus!).

De plus, te donner des conseils serait revenu d'une certaine manière, à une tentative de ma part d'orienter ton choix de vie. En mettant en scène certaines leçons que j'ai pu constater, je m'assure que tu sauras avoir suffisamment de recul et de maturité pour en tirer tes propres conclusions et en faire une interprétation qui t'es propre. Moi qui ai toujours été réfractaire à une quelconque autorité, j'aurais été bien peinée d'infliger à mon fils unique cette tyrannie, cette pression extérieure que j'ai toujours fuit chez les autres.

Pourquoi te les faire parvenir sous forme écrite ? Pourquoi n'en ai-je pas fait un des récits dont je t'ai tant abreuvé ton enfance durant ?

Mon fils, dans la vie, comme dans la mort, je demeure Marchombre. Et les Marchombre savent qu'écrire, fixer dans le temps certaines émotions, leur confère paradoxalement un caractère intemporel et universel, non inquiété par le poids de l'âge.

Ton héritage, n'est précédé d'aucun testament.

Puisses-tu longtemps arpenter ta Voie

Je t'aime ici, maintenant, là-bas, demain.

Toujours.

A toi,

Ellana Caldin »

Et la leçon commença…

Aller de l'avant,
Comprendre son avenir,
Retour en arrière.

oOo