Et un ange apparut

Adora Belle Chercœur ne croyait pas aux dieux. Ne croyait plus en eux depuis l'apparition en ville de ce salopard de Sylvère. Elle croyait encore moins aux anges. Après tout, un ange, c'est supposé être le serviteur d'un dieu, non ?

Elle ne savait plus où elle avait appris ça, mais un ange, c'était supposé être un genre de garçon de courses pour les êtres d'essence divine. Ou un messager. En tout cas, ça venait annoncer des trucs aux gens et leur sauver la pomme quand ils étaient sur le point de commettre une bêtise qu'ils regretteraient pour le restant de leur vie.

Il n'y avait pas eu d'ange pour les Chercœur lorsqu'ils avaient signé les contrats avec les pirates qui leur voleraient l'interurbain.

Adora Belle ne croyait donc pas aux anges. En revanche, elle croyait à la bêtise et à la méchanceté de l'espèce humaine. Si bien que lorsque Moite von Lipwig avait fait irruption dans sa vie avec sa bouche en cœur et ses paroles fumeuses concernant la restauration de la Poste, elle avait immédiatement su ce qu'il était – un escroc de l'engeance de Sylvère. Mais bien plus bête. Qui voudrait prendre en charge une ruine comme la Poste ?

Et c'était là que von Lipwig s'était mis à la prendre par surprise.

Avec le recul, elle aurait dû s'en douter : les escrocs faisaient toujours leur possible pour prendre les pigeons par la voie la moins défendue, donc par la surprise. Apparemment, ils faisaient ça même quand ils s'efforçaient d'être honnêtes. Sans doute un trait inhérent à leur caractère.

Non seulement il avait transformé la Poste en spectacle, il s'était fait… apprécier, pas d'autre mot, par les golems qu'elle lui avait amenés. Il faisait des déclarations grandiloquentes, lançait des promesses extravagantes – qu'il accomplissait ! – et il avait été jusqu'à avoir le culot de lui conter fleurette.

Et puis il était venu lui raconter que c'était à cause de lui qu'elle avait perdu son emploi à la banque de Sto Lat et lui demander son aide.

Ouais, il l'avait réellement prise par surprise, là. Qu'était-elle supposée penser de lui ? De cet escroc sans honte qui ne vivait que pour se défoncer à l'adrénaline et qui avait fait parler les morts ?

Le message des morts. Elle aurait dû être furieuse. Elle n'y parvenait pas. Parce que cette escroquerie-là n'avait servi qu'à déterrer la vérité. Parce que l'escroc avait servi d'instrument à la justice. Parce que Moite von Lipwig s'était fait le messager des morts et avait parlé pour ceux qui n'avaient plus de voix.

Un peu comme un ange.

Un drôle d'ange, songeait-elle en le regardant, accablé par la dépression et le contrecoup de la poussée d'excitation sous sa casquette peinturlurée. Un ange dont les ailes avaient appartenu à un pigeon avant de se faire coller sur son couvre-chef et recouvrir de dorure. Un ange qui mentait et embobinait les braves gens pour leur bien.

Un ange qui savait que son auréole était en toc et savait qu'elle risquait de lui échapper s'il ne faisait pas attention. Un ange qui employait des méthodes de monstre et y réussissait si bien qu'il se demandait s'il ne s'agissait pas en fait de sa véritable nature.

Un ange que personne n'aurait souhaité, un ange déchu et démoli…

« Vous n'abusez que vous-même. »

Mais un ange quand même.

Et maintenant qu'il avait fait irruption dans sa vie, Adora Belle ne pensait pas qu'elle le laisserait s'envoler un jour.