Chapitre 1
Un Mercredi après-midi de janvier à l'orphelinat Notre-Dame à Paris.
Il neigeait depuis la veille. Les enfants étaient tous surexcités. Ils attendaient le feu vert pour sortir jouer dans la poudreuse. Mais malheureusement pour eux, l'autorisation ne viendrait pas pour cet après-midi, ce jour était la journée des visites. Des futurs parents venaient voir l'enfant qu'ils souhaitaient adopter. Selon la directrice, cinq familles seraient là, ce qui était un record pour l'orphelinat. Pour donner bonne impression, tous les enfants avaient revêtu leurs plus beaux vêtements et ils avaient reçu l'ordre de rester sage tout l'après-midi. Cela risquait d'être difficile au vue du paysage hivernal de l'extérieur.
Il était bientôt quatorze heure. Les enfants étaient réunis dans le grand salon. Les éducatrices tentaient de capter leur attention sur un jeu. Mais pour la plupart ce stratège ne fonctionnait pas. Les enfants regardaient le jardin vêtu de blanc avec envie. Et chez bon nombre d'entre eux l'agacement d'être enfermés se faisait ressentir.
Enfin, la directrice fit son entrée avec les cinq couples. Les premiers couples étaient le modèle type des parents qui venaient ici. Ils avaient environ la trentaine et après des années de lutte pour avoir leur enfant biologique sans succès, ils s'étaient enfin tournés vers l'adoption. Le quatrième couple était des personnes d'une cinquantaine d'années. Ils avait l'air d'avoir une belle somme d'argent sur leur compte. Ils avaient très certainement vendu leur société à un bon prix et maintenant qu'ils avaient cessé toute activité professionnelle le désir d'enfant s'était enfin manifesté. Trop tard malheureusement. Madame avait plus de cinquante ans... Le dernier couple était composé de deux hommes. Ils avait environ vingt-cinq ans. Le fait que ce fut deux hommes ne dût pas plaire à Madame la directrice. Pourtant, ils avaient l'air d'être de meilleurs parents que cette femme-là qui regardait les enfants d'un air condescendant.
Les couples s'isolèrent dans un coin de la pièce, chacun avec leur futur enfant. Deux des futurs familles allèrent dans la nurserie, dont le couple d'homosexuels. Quant aux autres enfants, ils continuaient à jouer tranquillement ou à regarder par la fenêtre. Soudain, une jeune fille de dix-sept ans fit son entrée dans la pièce un livre sous le bras. Elle avait de longs cheveux noirs et des yeux bleus comme personne n'en avait jamais vu. Dans sa démarche, il y avait quelque chose de princier. Cette jeune fille était Eleonora. Elle vivait à l'orphelinat depuis qu'elle avait à peine deux ans. On l'avait trouvé sur le seuil de la porte alors qu'il faisait un temps aussi froid que cet après-midi. Il n'y avait aucun papier qui aurait pu indiquer son identité, juste sa gourmette qui donnait son nom.
A son arrivée dans le grand salon, les enfants détournèrent la tête, certains murmurèrent sur son passage. Tous avaient plus ou moins peur d'elle. Ils l'appelaient la grande fille bizarre. Ce nom la suivait depuis ses huit ans. Depuis qu'elle avait affirmé avoir vu un lézard géant se cacher dans les buissons du jardin. Ce jour-là, elle avait aussi dit qu'il y avait des petites fées dans les rosiers et bien d'autres créatures dans le même genre. Bien évidemment, personne ne l'avait cru et comme la petite fille insistait les éducatrices l'avaient emmené voir un psychiatre. Il leur avait dit que c'était juste un trop plein d'imagination et que c'était fréquent chez les enfants d'avoir des amis imaginaires, surtout chez des êtres solitaires comme Eleonora. Il avait ajouté que cela allait passer mais ce ne fut pas le cas. Quand elle eut compris que personne n'allait la croire, Eleonora n'avais plus jamais parlé de ce qu'elle voyait. Mais les moqueries des autres enfants n'avaient pas cessé, elle avait appris à ne plus les écouter. Eleonora s'était renfermée sur elle-même ce qui a fait que peu de parents avaient voulu l'adopter et ceux qui avaient voulu avaient laissé tomber en cours de procédure. Puis elle était devenue trop vieille pour qu'on s'intéressât à elle.
Eleonora traversa la pièce et se campa devant la plus vieille des éducatrices : Juliette. C'était elle qui l'avait trouvée quinze ans plus tôt. Elle était la seule à apprécier la compagnie de la jeune fille et réciproquement. C'était seulement vers elle qu'Eleonora se tournait quand elle avait un problème.
- Juliette, je pars au parc. Je rentrerai en fin d'après-midi comme d'habitude.
La vieille éducatrice se contenta de hocher la tête. Quoi qu'elle dise, Eleonora en faisait toujours qu'à sa tête.
Il faisait très froid cet après-midi-là. Eleonora remonta un peu plus son écharpe sur son nez. Elle n'avait pas envie d'être malade. Le froid ne l'a dérangeait pas. Au contraire, elle aimait ça. C'était ce qui la rendait un peu plus vivante dans ce monde où tous l'ignoraient comme si elle n'existait pas.
Enfin j'ai mérité cette ignorance en quelque sorte, pensa-t-elle, c'est ce que j'ai voulu.
Les gens la trouvaient bizarre et bien soit. Elle, elle savait qu'elle ne l'était pas, que ces créatures n'étaient pas seulement dans sa tête. Les autres étaient juste trop bornés pour les voir. Ils ne méritaient pas qu'elle cherche leur sympathie. Elle ne voulait pas vivre au milieu de personnes qui voulaient l'enfermer dans un asile. L'orphelinat était déjà bien suffisant. Enfin... plus qu'un an à tenir dans cet endroit étouffant. Après elle pourrait partir vivre comme bon lui semblait. La liberté ! C'était le rêve d'Eleonora : la liberté. Pouvoir aller où elle le désirait, n'avoir aucun compte à rendre à personne, être aussi libre et légère que le vent.
Eleonora arriva au parc, elle s'installa sous un arbre, resserra son manteau et commença la lecture de son livre. C'était un livre passionnant, sans nulle doute, peuplé de magie et de créatures, d'aventures palpitantes et dramatiques. Oui, c'était un bon livre, tellement bon qu'Eleonora en perdit la notion du temps. La lumière du jour déclinante la ramena à la réalité. Il devait être 17h. Il était temps de rentrer avant que Juliette ne pensa qu'elle avait fugué.
Elle ne devrait pas s'inquiéter comme ça, pensa la jeune fille, je lui ai promis que je ne fuguerai plus. Et une promesse c'est sacré.
Eleonora avait tenté de quitter l'orphelinat une bonne dizaine de fois. La première fois elle avait huit ans. Les éducatrices avaient alerté la police quand elles avaient vu que l'orpheline n'était pas dans son lit. On l'a vite retrouvée, comme les autres fois, exceptée la dernière. Elle avait à peine seize ans et avait réussi à rester introuvable presque vingt heures. Quand les policiers l'avaient ramenée à Notre-Dame, elle avait lu l'inquiétude dans les yeux de la vieille éducatrice, et Eleonora n'aimait pas voir ceux qu'elle appréciait souffrir.
Alors qu'elle se remémorait ses souvenirs de fugues, une main l'attira dans une ruelle. Elle essaya de se débattre mais elle ne pouvait pas. L'homme ( avec une telle force il ne pouvait s'agir que d'un homme) en moins de deux secondes la plaqua contre un mur avec son corps, une main sur la bouche, l'autre entravant ses poignets. Eleonora fut prise de panique.
Mon Dieu, je ne peux pas le laisser me toucher, pensa-t-elle, il faut que je réagisse avant qu'il ne me...
Elle se tortilla dans tous les sens pour tenter de se dégager, essaya de dégager ses jambes pour lui donner des coups de pieds. Elle réussit presque mais son agresseur passa une jambe entre les siennes et s'appuya un peu plus sur elle. Elle fut écrasée , elle étouffait. Il faisait très sombre dans la ruelle. Elle ne pouvait pas distinguer le visage de l'homme, juste ces deux prunelles, ce qui était encore plus terrifiant.
- Continue à te débattre comme ça, ma jolie, ça me plaît bien.
Mon Dieu ! Il a une érection. Ça en est fini de moi.
Eleonora ne put retenir ses larmes. Son agresseur ria. Elle était tétanisée. Il lâcha ses poignets, remonta sa main, de la hanche de la jeune fille jusqu' à la base de sa gorge, en s'attardant sur sa poitrine. Il approcha ses lèvres de son cou, Eleonora crut voir ses canines étincelées, et...
Un bruit sourd se fit entendre. Eleonora fut projetée au sol en même temps que son agresseur. Elle se cogna violemment la tête sur le bitume, lui faisant voir des étoiles. A côté d'elle, des bruits de lutte se firent entendre. Elle ne voyait que des ombres, quelque chose projetait une étrange lumière blanche. Elle entendit des jurons qui provenaient de plusieurs personnes, surtout de son agresseur.
- C'est l'Enclave qui va être contente. Depuis le temps qu'on te cherche Van Bergson, un petit séjour en prison ne te fera pas de mal. Tu pourras réfléchir à des questions philosophiques telles que " dois-je violer des Terrestres pour ma survie ?" Enfin... si tu ne deviens pas fou avant...
L'agresseur d'Eleonora poussa un gémissement en guise de réponse. Le même homme qui devait être jeune au son de sa voix, reprit :
- Matthieu vérifie si elle vivante s'il te plaît. Dépêche on va être en retard.
Le prénommé Matthieu se pencha sur Eleonora qui était restée allongée sur le sol, toujours sonnée. Il la regarda dans les yeux pendant de longues secondes, elle en fit de même. Elle ouvra la bouche pour le remercier mais avant qu'un son ne sorte, il fit un bond en arrière.
- Tu peux me voir ?!
Eleonora, surprise par cette question, qui soyons honnêtes était vraiment bizarre dans ce genre de situation, se releva en se tenant au mur . Le monde tournait encore autour d'elle.
- C'est vrai qu'il fait sombre mais je ne suis pas aveugle, lui répondit-elle un brin sarcastique.
Deux autres personnes s'étaient rapprochées, un jeune homme et une jeune femme. Leurs visages étaient éclairés par un objet qui projette une étrange lumière. L'homme tenait toujours l'agresseur par le bras.
- En effet, tu n'es pas aveugle puisque tu vois des choses que tu n'es pas censée voir, dit l'homme qui avait l'air d'être le chef de la bande ou du moins il semblait se considérer comme tel.
- Elle a la Seconde Vue, déclara le garçon qui s'appelle Matthieu.
A ce stade de la conversation, Eleonora était totalement perdue. Elle ne savait absolument pas de quoi ces personnes était en train de parler. Et elle n'avait pas envie d'y réfléchir, sa tête la faisait trop souffrir pour cela. Elle les coupa dans leur discussion animée sur son sort :
- Écoutez, je vous remercie de m'avoir sauvé. Mais je ne sais pas ce que c'est la Seconde Vue et je dois avouer que là, tout de suite, maintenant, je ne veux pas savoir. Je ne vais pas non plus vous demander de quelle organisation secrète vous êtes membre. Je veux juste rentrer à l'orphelinat, guérir ce mal de tête, et...
- Attends, tu as dit orphelinat ? L'interrompit la jeune femme.
- Euh... oui...
- Tu veux vraiment y retourner ?
- Euh...
- Cléo à quoi tu penses ? , intervint le plus vieux des garçons.
La dénommée Cléo ignora sa question :
- Dis moi la vérité. Tu veux vraiment retourner dans ton orphelinat ? Tu ne préférerais pas venir avec nous ?
Les deux garçons la regardèrent avec surprise, même l'agresseur d'Eleonora avait l'air d'être étonné par la situation. Celle-ci d'ailleurs de plus en plus intéressée, lui répondit :
- Je ne vous suivrais pas si je ne sais pas qui vous êtes. Je me suis déjà faite agressée par un malade aujourd'hui je n'ai pas envie que ça recommence.
- Pas par un malade, très chère. Mais par un vampire, intervint le fameux Van Bergson, vous devriez être flattée que je vous ai choisie.
Pourquoi ne suis-je pas surprise ?
- Écoute, je sais que tu vois des choses que tous les autres ne voient pas. Ça ne doit pas être facile de vivre parmi des gens qui te pensent folle. On ne peut pas trop te parler de nous ici mais si tu nous accompagnes on pourra d'apprendre plein de choses sur ces créatures et surtout comment te défendre et défendre les autres contre des créatures comme cette sangsue.
Elle désigna du menton, le vampire qui tenta de répliquer mais que le garçon fit taire en serrant un peu plus son bras. Tous regardèrent Eleonora. Cela la rendit mal à l'aise. Elle ne savait pas quoi répondre. Son cœur était prêt à accepter la proposition mais son esprit lui criait de se méfier, que ce pourrait être un piège. Et pourtant comment auraient-ils pu savoir qu'elle voyait toutes ces choses s'ils n'étaient pas comme elle ? Et puis , rien ne la retenait à l'orphelinat. Enfin...peut-être que si... Juliette. Elle avait été la seule à montrer un peu d'égard à l'adolescente. Eleonora ne pouvait pas l'abandonner comme ça. Mais sa vie pourrait être meilleure si elle partait. Elle l'avait toujours voulu.
- C'est d'accord je pars avec vous.
