Un pas après l'autre, tremblant un peu, incertain, il dansait. Il n'entendais plus le monde extérieur, les cris des passants, le rire cynique des jeunes perdus, sans avenir. Un léger sourire flottait sur ses lèvres tandis que le vent se tordait autour de lui, comme pour l'accompagner dans sa danse. Un petit saut l'entraîna de l'autre coté du trottoir sans qu'il n'en prenne compte. Un homme est assis, tout près. Il le regarde fixement. Il semble être de son âge mais il ne pourrait pas en jurer. Il arrête de danser devant l'homme et le salue d'une courbette. Celui-ci semble un peu surpris qu'on lui prête attention. Il sourit doucement, mi-inquiet, mi-amusé. Il a l'air incertain de ces gens perdus dans leur vie, trop instable et différent. Son t-shirt est trop grand, son jean est déchiré et ses chaussures sont dans un état lamentable. Le danseur sourit le prends par la main et le relève.
Il trébuche, il est assis depuis trop longtemps, il avait presque oublié la sensation d'une main amie et le sourire d'un cœur sincère. Le petit danseur recommence à se déplacer en de petits mouvements fluides, l'entraînant dans sa chorégraphie solitaire. Un léger frisson parcours sa colonne vertébrale et il émet un petit rire qui le fait se sentir coupable. Mais l'autre rit à son tour et il se détends. Un pas après l'autre, ils commencent à danser au milieu de la rue sous le regard blasé des passants. Un homme grimace et les insulte, le danseur l'ignore complètement. L'autre l'imite. Il ne sens plus cette fatigue lourde qui l'engourdissait comme un cauchemars, assombrissant sa vision, le paralysant dans ses mensonges et l'empêchant de sentir le monde autour de lui. Avec le petit danseur, il arrive à sentir le vent dans ses cheveux, son odorat lui révèle l'odeur de tout ces anonymes cachés par celle de cette ville lourde et étouffante, il peut enfin voir vraiment. Même si ce n'est que le temps d'une danse, il a l'impression de comprendre le sens du mot "exister", jusqu'ici concept vague et insipide. Son cœur bat enfin, comme il ne l'a jamais fait et il rit à s'en déchirer la gorge, au point d'en pleurer. Le danseur virevolte avec lui, léger, presque imperceptible. Pourtant il est là, il sent sa main dans la sienne et sa tête tourne assaillie par les sensations; les gens autours sont flous, gris et uniformes. Le danseur devant lui est blanc, si clair, si pur qu'il lui brûle les yeux. Il sourit et ses paupières fermées cachent ses iris clairs. Il a l'impression d'être indigne de cette personne extraordinaire de cette danse, avec ses ailes d'encre brûlées. IL doute et trébuche, mais le petit danseur le rattrape et le soutient. Il ouvre les yeux et ceux-ci semblent remplacer le bleu extraordinaire du ciel, caché par les immeubles. Bordel, ce qu'il a envie de chialer à ce moment. Les autres autour ne semblent pas conscients de ce qui se passe dans cette rue, de ce que représente cette danse. Ils avancent dans le brouillard, ce brouillard qui empêche de réfléchir qui empêche d'être vraiment triste ou heureux. Il a un peu peur de retourner dans le brouillard après la danse, de retourner dans la foule anonyme et de ne plus revoir le danseur.
Le danseur rit. Il n'a pas peur du brouillard, il n'a peur de rien tant qu'il danse. Un pas après l'autre. Il n'aime pas parler, les mots sont fourbes, ils en cachent d'autres qui blessent, qui n'ont pas toujours de sens, pas toujours d'importance. Les gens ont oublié la valeur des mots. Parfois il pense aux gens dans le brouillard. Est-ce qu'ils voient ne serait-ce qu'un peu, un petit rai de la lumière qu'il reçoit lorsqu'il danse ? Est-ce que ces pieds qui frappent le trottoir, ces mains qui frôlent son cavalier et ces yeux qui sourient sont d'un quelconque réconfort ? Mais le danseur ne doute jamais longtemps, il a arrêté il y a bien longtemps lorsqu'il a compris que les autres ne le voyait pas. Maintenant il danse.
Un pas après l'autre.
