"ANOTHER TWILIGHT" (VOL. 5-6-7) : WHITE NIGHTS/ REDEMPTION (VOL. 1-2-3)
White Nights/ Rédemption, Volume III (L'ailleurs) : Aurora/ Acceptation
Chapitre 1 : "Que sous ton souffle le temps s'allonge !"
Il faisait sombre dans la chambre.
Plus sombre encore que lorsque j'en étais partie.
Les grondements du tonnerre et les éclairs avaient cessé. A l'extérieur, la pluie tombait, plus fine et régulière. Un petit vent d'orage, une brise, aux effluves doux et âpres, soulevait le fin rideau gris.
Edward s'avança vers la fenêtre, l'ouvrit en grand. J'étais dans ses bras, j'avais le sentiment d'être une plume, une bulle légère. Je me sentais flotter, mon front appuyé contre son cou. Il fit le tour de la pièce, ouvrit toutes les fenêtres. Une lumière argentée, comme celle d'un jour qui s'éteint, inonda l'espace. L'air soulevait les voilages, les gonflait, lentement. L'odeur de l'eau dansait autour de nous.
Edward me déposa sur le lit défait. Les draps avaient une blancheur de lune. Ma tête s'enfonça dans l'oreiller moelleux, dégageant un parfum. Celui de mon propre corps, sans doute, qui avait dormi là, et qui me sembla presque étranger d'abord, avant que je ne le reconnaisse. Ses doigts caressèrent le contour de mon visage, de ma bouche, glissèrent dans mon cou.
Je savais que ce qu'il s'apprêtait à faire était pour nous un aboutissement. Peut-être même une fin. Paradoxalement, je savais aussi qu'il n'y aurait probablement plus jamais, pour lui, de plaisir plus grand. Et je souhaitais, je souhaitais vraiment qu'il prenne le temps de savourer son plaisir, malgré tout ce que cela impliquait. Je voulais le lui donner. Je voulais tout lui donner. Je lui donnais tout.
Ses pupilles étaient d'un noir absolu, mais son regard était doux. Il y avait de la tendresse dans ce regard de nuit. De l'amour dans ces infinies ténèbres. J'étais perdue dans son regard. Entièrement captivée par son visage, réellement inhumain en cet instant. Luttait-il encore ? Ou se laissait-il simplement aller, peu à peu ?
Ses mains glissèrent sur mes bras. Il saisit ma paume blessée, l'attira vers son visage. Il respira l'entaille qui filait, de la base de mon petit doigt vers l'intérieur de mon poignet. Il respira l'odeur du sang qui recouvrait ma main, comme s'il s'était agi d'un parfum captivant. Sa bouche s'ouvrit sur ma plaie, sa langue y glissa. Alors je sentis, plus nettement que jamais, ce que j'avais toujours senti lorsque le désir d'Edward, ou le mien, avait eu l'occasion de se faire plus intense. Je sentis mon sang, tout mon sang à l'intérieur de mon corps, se mouvoir -comme un flot animé d'une volonté propre- vers lui. Vers son corps magnétique, vers sa bouche qui l'attirait mieux qu'un aimant. La plaie s'ouvrit à nouveau, comme si elle avait été fraîche, comme si l'entaille venait d'être faite. Le sang en coula plus abondamment. Il me sembla que tout le sang que contenait mon corps aurait pu jaillir soudain par cette petite blessure. Il affluait, de plus en plus, vers ce point de contact qui me reliait à Edward.
Il buvait. Les yeux clos.
Cela dura un moment. Mon sang ne cessait plus de couler.
Puis Edward détacha sa bouche de ma main. Son visage s'approcha du mien. J'entendais, dans le silence absolu de la chambre, le battement de mon cœur dans ma gorge, à la base de mon cou où il se divisait en deux pour venir cogner en rythme derrière chacune de mes oreilles. Je le sentais dans mon ventre aussi, juste au-dessus de mon nombril. Des coups sourds, puissants. Les lèvres du vampire se posèrent au creux de mon épaule, remontèrent vers mon menton. Sa langue effleura ma peau. L'estafilade que l'éclat de miroir y avait dessinée s'embrasa. Je la sentis s'étendre, s'ouvrir, largement. Dans mon corps, mon sang fit alors demi-tour. Il se mit à circuler à rebours, remontant chacune de mes veines, comme un flot tumultueux qui aurait soudain changé de direction pour se frayer un nouveau passage. A nouveau, Edward buvait. Il buvait à longs traits ma substance, le liquide chaud qui emplissait mon être, et ma vie se suspendait à ses lèvres.
Peut-être aurait-il pu seulement se contenter de boire ainsi à ma blessure dans le passé… sans pour autant me mordre. Kaly le faisait. Mais Edward n'avait pas cette habitude. Sans doute n'avait-il pas autant de force, non plus. Ou bien avait-il craint de ne pas parvenir à résister ? A présent, il n'avait plus à redouter cette perte de contrôle. Il pouvait même la savourer. Et je savais que c'était ce qu'il devait faire.
Peu à peu, entre mes bras, le corps d'Edward parut se réchauffer. Ou bien était-ce le mien qui perdait sa chaleur ? Ma tête tourna. Je perdais pied. Je me perdais…
J'eus peur. Je me mis à trembler. De petits spasmes soulevaient ma poitrine. Je cherchais l'air. Même si je refusais de l'écouter, ma conscience savait ce qui allait se produire. Elle cherchait à se débattre, à résister. Elle voulait se cabrer et se libérer. Je savais à quoi m'attendre. Aucune parole rassurante ne pouvait être prononcée. Edward ne me dirait pas que je n'avais rien à craindre, qu'il ne me ferait aucun mal. Ce serait un mensonge. Il y aurait de la souffrance. Une souffrance affreuse. Parfaitement insupportable. Mais je la connaissais, je l'avais déjà vécue à travers mon long rêve si troublant de réalisme, à travers les souvenirs de Kaly que je portais en moi, également. Et peut-être était-ce encore pire…
Malgré moi, je gémis. Edward se détacha de moi. Ivre et rayonnant. Ses lèvres étaient écarlates. Mais ce fut un nouveau visage que je découvris, en cet instant. Celui qui me tenait entre ses bras délicats et pourtant terriblement solides et durs –des bras de pierre-, je ne l'avais jamais vu. Ce visage était celui d'un homme. Un homme tendre et doux. Un homme magnifique. Un homme amoureux. Sa peau avait changé, elle s'était faite moins pâle à mesure que la mienne avait sans doute perdu ses couleurs. J'en percevais le grain, le velours. Son regard, surtout… son regard m'émut jusqu'au plus profond de mon être. Je devais lâcher prise. Laisser la peur s'en aller. Laisser ma vie humaine s'en aller. Me donner. Laisser l'amour me prendre, l'amour de mes enfants, de tous les êtres pour lesquels je voulais continuer à exister. L'amour d'Edward…
Dans mon esprit et mes yeux, quelque chose claqua tout à coup. Comme une voile blanche dans le vent. D'abord, je crus à un nouvel éclair, mais la pluie était toujours calme, au-dehors. Régulière. Apaisante. En haut de ma tête, une chaleur apparut. Et ce qui se produisit ensuite me donna l'impression de fondre littéralement, entre les bras d'Edward. De me répandre, totalement, sur les draps blancs du lit, sur le sol, dans la pièce entière. C'était comme si je venais de me liquéfier -de me sublimer, plutôt- et que j'emplissais l'espace autour de moi. J'effleurais les murs, le plafond, l'encadrement des fenêtres. J'étais l'air que contenait la chambre, j'aurais pu m'étendre encore au-dehors… j'étais l'haleine d'Edward caressant mon visage, le parfum sur sa peau. Je fus submergée par l'émotion.
Ce que je perçus d'abord, ce fut son plaisir. Son désir. Ses paupières s'étirèrent, il ferma les yeux. Des images emplirent mon esprit, nombreuses, confuses, emmêlées et obsédantes. Je m'aperçus, moi-même. Mes yeux luisaient, ma gorge était rouge. Mon envie était étourdissante et belle, si belle ! Je compris que je me voyais à travers les yeux d'Edward. Que j'avais pénétré sa pensée. Mon bouclier s'était levé totalement, comme il ne l'avait jamais fait, et je le ressentais pour la première fois. Je me sentais perméable, et capable d'investir l'esprit qui m'avait investie. Car Edward entendait mes pensées lui aussi. Je le savais. Il les avait entendues, un peu plus tôt déjà, mais ma colère m'aveuglait et me rendait sourde à quoi que ce fût d'autre. A présent que toute colère m'avait quittée, que j'avais abandonné toute chose au profit de l'amour profond que j'éprouvais, que je m'étais rendue au silence et à la paix, le déclic s'était produit.
Le regard d'Edward glissait sur mon visage. Nous n'avions plus besoin de mots.
Alors, je sus qu'Edward avait capitulé. Ses réticences l'avaient quitté. Sa réflexion avait cheminé, comme la mienne. Son âme… son âme lui avait été rendue. Il voulait croire qu'elle lui appartenait toujours, qu'elle était bien là, solidement attachée à son corps d'être surnaturel, comme Kaly nous l'avait expliqué, si solidement enchaînée à son corps d'immortel qu'elle ne le quitterait pas. Et il ne voulait pas que je le quitte, moi-même. Jamais.
Et si c'est une douce illusion, si je suis en vérité un être perdu, peu importe, Bella… peu importe, parce que c'est cela qui m'a permis de te rencontrer. Et nous existerons ensemble, aussi longtemps que nous le pourrons…
Oui, Edward.
Il posa ses lèvres sur les miennes. M'embrassa doucement, si doucement. Mais il m'embrassait d'une manière inconnue de moi. Il n'y avait plus aucune retenue dans son baiser et dans l'émotion qu'il éprouvait et me transmettait, il ne redoutait plus l'issue… l'issue fatale. Nous y arriverions, mais avant, il y aurait un moment qui n'appartiendrait qu'à nous. Un moment unique. Celui où nos deux natures inconciliables et complémentaires s'uniraient enfin. J'en étais certaine. Je le sentais.
Je le voulais.
Alors les légers tremblements de mon corps cessèrent tout à fait, mon esprit oublia de s'accrocher à mon corps, et le feu me prit, comme il l'avait souvent fait lorsque je me trouvais près d'Edward, mais il m'incendierait cette fois-ci totalement, et je le laisserais se consumer jusqu'à son terme. Enfin.
Une fois, une seule fois. Nous n'en aurions pas davantage. Il ne pouvait pas y en avoir d'autre. Il n'y en aurait pas. Lorsque je serais changée… le désir qu'Edward éprouvait pour moi s'évanouirait peut-être. Lorsque je serais autre, moi-même, définitivement… Edward ne m'apparaîtrait sans doute plus comme en ce moment : enchanteur, irrésistible, exaltant. Sa nature vampirique avait toujours exercé sur l'humaine que j'étais un trouble indicible. A présent que j'étais un peu différente, déjà, mes sens l'appréhendaient avec davantage de puissance encore. Chacun de ses regards, de ses gestes, son odeur, son toucher, me troublaient, et menaçaient de me faire perdre tout contrôle. De perdre conscience presque. Comme au début, lorsque je l'avais rencontré. Et je pouvais enfin me laisser aller. Me laisser aller entièrement. Il n'y avait plus de limites, plus rien qui nous retenait, nous empêchait d'être nous-mêmes. Lui, vampire… moi, humaine… nous nous aimerions. De notre mieux. De tout notre être. Nous donnerions, chacun. Et nous prendrions, chacun à notre manière.
Mes paumes étaient moites et brûlantes. Le sang pulsait au bout de mes doigts. Irradiait. Je sentais les palpitations de mon cœur dans chacune des fibres de mon corps.
Edward… prends ! Prends, puisque je te donne tout…
Ses doigts tièdes glissèrent le long de ma gorge, dans l'encolure de mon vêtement.
Tu es ma femme, Bella, et tu n'as jamais été à moi, vraiment…
Mon chemisier s'ouvrit. Peu à peu, mes vêtements me quittèrent.
J'étais nue entre les bras d'Edward, et je savais ce qu'il voyait. C'était confondant. Si vrai, si impensable, que c'en était presque choquant.
Mes mains ôtèrent à leur tour sa chemise, se posèrent sur sa poitrine palpitante. Je sentais la vibration de sa chair surnaturelle. Pourtant si humaine, à présent !
J'ai tellement eu envie de toi, Edward, pendant si longtemps… tellement de temps ! A en être malade, à en devenir folle… je t'ai tellement désiré !
J'aurais pu me mettre à pleurer, si je n'avais pas été aussi solide, soudain, aussi forte de l'énergie que mon envie me donnait.
Edward s'allongea contre moi. La lumière déclinait. Le soir tombait doucement.
Nous nous enlaçâmes. Nous goûtions chaque seconde de ce moment rare. De ce seul instant qui nous était accordé. Ephémère et pourtant infini, tant qu'il durerait.
Perdus entre deux espaces et hors du temps, nous nous regardions pour la première fois.
Le bout des doigts d'Edward suivait mon épaule, l'arrondi de ma poitrine, la pointe de mon sein, le creux de mon ventre. Ma bouche caressait son cou, mes bras enfermaient sa taille.
Je ne crains plus rien, Bella…
Edward était délivré. Et cette pensée me rendait heureuse.
Je l'embrassai. Quel bonheur de pouvoir l'embrasser sans crainte d'être rejetée ! Sans éprouver le poids lourd de l'angoisse, à chaque fraction de seconde, celle du moment où l'étreinte s'arrêterait, et sa violence, son déchirement. Nos enlacements s'étaient toujours achevés de manière affreuse et douloureuse. Il avait toujours fallu y mettre un terme, malgré nous.
Je peux te donner plus, encore , Bella…, enfin ! Plus que ce que tu n'as jamais éprouvé. Je le peux et je le veux… Je serai le plus heureux en cet instant, si tu es heureuse…
Heureux ? Etions-nous heureux ? Oui. Nous avions touché le fond de notre peine immense. De notre tragédie. Et au fond de ces ténèbres, il y avait le bonheur. Mais ne l'avais-je pas toujours su ?… N'était-ce pas l'évidence ?
