A nos corps écorchés,
A nos cœurs embrassés. - SAEZ

CHAPITRE I

Le sucre se mélange au liquide verdâtre dans le verre pendant que quelques gouttes entament une symphonie délicate sur la surface de l'eau. Elle résonne dans toute la petite pièce grâce à la baignoire en cuivre dans laquelle il se trouve. Songeur, pensif, le bout de ses cheveux laisse apercevoir quelques gouttes cristallines qui s'entêtent à s'accrocher à ce filon d'ébène. Victime de sa propre lassitude, il s'enfonce un peu plus dans les profondeurs sinueuses de ses pensées vides. Inquiet peut-être, dépité sans aucun doute, même ses traits ne trahissent pas les idées étouffées qui éclatent en son crâne. Adressant une oeillade à la mixture, il la prend entre les doigts puis laisse glisser le long de ses lèvres ainsi que de sa gorge le calmant dont il s'est acoquiné. Douce absinthe, il espère en secret qu'elle saura lui offrir l'inspiration dont il manque cruellement et ce n'est pas Londres qui saura lui insuffler ce souffle. Il l'a perdu en chemin, entre ses désirs les plus hauts et ses ailes brûlées. Il repose le récipient sur la petite table dans un silence de cimetière alors que petit à petit, il s'enfonce dans l'eau délicate. Quelques rayons du soleil daignent lui offrir la lumière. Ils sont beaux, à frapper contre les vaguelettes mollassonnes qu'il provoque par le seul mouvement d'un bras. Marionnette aux fils trop lestes, Levi Ackerman n'est qu'une victime du destin, coupable d'avoir trop succombé, d'avoir ouvert ses portes aux désirs coupables, d'avoir laissé parler la plume tant par échappatoire que par souhait de dire. Il plaît à sa manière, le poète. A la manière dont les plus étranges se penchent. Alors que beaucoup traitent d'un amour, de formes généreuses, lui préfère se pencher sur une vérité qui démange, qui dérange, celle qui entoure les bars à opium, les prostituées de Whitechapel victimes de violences, les monstres exploités sur une scène de cirque sûrement pour rassurer les plus aisés qu'ils sont normaux. Il parle, il crie, il hurle sur le parchemin. Seulement, plus rien.

Et la culpabilité de ne trouver plus aucun intérêt le rattrape, le ronge autant qu'elle lui rappelle la situation délicate dans laquelle il se trouve. Inspirant profondément, quelques effluves répugnantes passent par la petite fenêtre à peine ouverte de cette pièce ridicule dans laquelle il tient tout juste. Une odeur d'urine mêlée à l'alcool bon marché, en tendant l'oreille il peut même écouter les plaintes des ménagères qui ne supportent plus les absences du mari. Secouant le bout de son nez, il glisse une main hasardeuse sur son torse. Il bat moins vite, il est plus doux, plus tendre à enlacer autour de griffes acérées. Il se sent mieux, si bien que ses deux billes d'obsidienne se mettent à briller d'une lueur étrange, innommable qui réchauffe ses entrailles froides. Pourri de l'intérieur, touché par la malédiction qu'il a provoqué en s'éternisant sur des pouilleux, l'infection fait office d'un poison lent, trop lent et est-ce sans doute ce qu'il attend avec impatience ; se faire bercer par la grande Dame vêtue de noire pendant que ses paupières se fermeront. Frémissant tout en papillonnant des cils pour récupérer une netteté d'horizon, toute son attention est dérangée par le parquet qui grince dans la pièce à côté. Sa chambre. Il n'a pas été seul. Il est juste l'unique à se réveiller à des heures improbables pour se détendre autant que possible. Fixant intensément la porte bien ouverte, il redécouvre sans se lasser les courbes du corps qui se déplace à la recherche de ses vêtements. Ses cheveux blonds sont bien coiffés, quoiqu'un peu rebelles comme chaque nuit passée en sa possession. Le dos ferme, les muscles dessinés, le martyr n'a pourtant d'yeux que pour le timbre de sa voix, ses manières millimétrées comme sur du papier à musique. Il se surprend à pincer sa lèvre inférieure pour y dégager une peau morte, alors que son amant habituel continue son éternel rituel. Son pantalon trouvé, sa chemise tout autant, il la reboutonne avec la justesse d'un musicien en transe. Il se retourne, subitement. Erwin.

Il le rejoint sans trop se presser, aborde un petit sourire, assez léger pour qu'il y voit une sincérité mordante. Il peut percevoir ces choses-là, Levi, même s'il n'est pas fervent partisan d'une expression changeante sur ses traits. Ils sont figés, sauf quand leurs corps se mêlent, qu'une danse s'engage, que des peaux se frottent pour provoquer un embrasement. Les prunelles de son compagnon d'une nuit se posent sur l'arme du crime le rendant encore plus calme qu'il ne l'est à l'accoutumée. Haussant les sourcils en désespoir de cause, il se retrouve rapidement disposé sur le rebord de la baignoire vieillotte.

« A croire que seuls les artistes se laissent avoir par cette plante du Diable. »

Un vague rire anime sa gorge tant de fois embrassée. Il reste dans ses retranchements, enroule ses bras autour de ses genoux puis renifle un peu tout faisant mouvoir ses épaules de haut en bas. Artiste. Bien grand mot pour un si petit homme. Artiste. Il ne crache pas de feu, ne peint pas de chapelles, n'écrit pas d'amourettes impossibles, ne danse pas dans un théâtre. Il n'a rien d'un artiste. Il se voit comme dénonciateur, comme celui qui parle pour ceux qui ne se donnent pas ce droit. Il est des pestiférés qui grognent, qui refilent la peste alors qu'ils sont cachés derrière un masque au bec de corbeau. La tête blonde devrait se méfier, en tant que médecin, il sait ces choses-là qui pousseront sa renommée à sa perte. Sauf qu'évidemment, il se garde bien d'attirer les regards. Caché derrière son épouse ainsi que ses deux enfants, il est le respectable des quartiers paisibles de la ville. A la réalité, Ackerman ne se souvient même plus tant de la raison de leur rencontre, elle est arrivée, elle devait être si anodine qu'actuellement il ne se donne plus le courage de chercher dans ses souvenirs les plus lointains.

« Sans doute. »

Qu'il souffle avec la détermination d'un condamné à mort. Son interlocuteur quant à lui, se tente à une caresse anodine sur sa joue, juste du bout de l'index, de quoi essayer de raviver son âme enterrée à six pieds sous terre. Sans succès, tout juste à la rigueur pour lui permettre de se plonger dans ses iris.

« Il se fait tard. » Commence le poète avec un timbre monotone. « Ta petite famille risque de s'inquiéter si tu restes trop longtemps. »

Non pas un reproche, plus comme une logique, une affirmation, une certaine mise en garde. Il se fout bien d'être coupable de la brisure d'une idylle, en revanche, ouvrir sa porte et accueillir des habitants outrés par ses habitudes pour mieux se faire arracher les yeux ; merci, très peu pour lui. Il ne se voit pas passer l'arme à gauche ainsi, il le refuse. Ni en héros. Ni en monument détestable. Seulement en tant qu'ombre parmi des tas d'autres. Seuls ses écrits resteront pour perpétuer sa mémoire, si du moins ceux-là se décident à lui revenir.

« Tu as raison. »

Lui rétorque monsieur Smith en se redressant. Néanmoins, il ne part pas pour autant, bien au contraire, il se stoppe nettement au bout d'un pas puis se retourne, intéressé, curieux, presque autant qu'Alice l'écervelée.

« J'ai entendu du bruit, cette nuit. »

Indifférence, Levi continue de se laisser bercer par les battements de ses veines contre ses tempes.

« Tu as encore essayé ? »

Il n'ose pas dire le verbe qui fait mal, qui pique, qui triture ses maux. Il a tenté de faire couler l'encre. Il a essayé, il a froissé, il a déchiré dans une rage sourde les termes volages qui parcouraient cette surface si fragile qu'est le papier. Ce n'était pas ce qu'il voulait. Ce n'était pas bon. Ce n'était pas beau. Ce n'était pas ce qu'il faisait. Ce n'était pas ça. Feintant une légère grimace, sa barrière de chair se rabat sur sa vision. Plus que les ténèbres pour l'accompagner dans cette discussion à sens unique.

« En vain. J'crois que Dieu n'est pas décidé à répondre à mes prières. »

Fatalité qui le rattrape, des deux il est celui qui ne se met pas à genoux, il veut rester debout, il ne veut pas se faire diriger par les doctrines d'une croyance qui pousse ses pairs à faire des guerres stupides. Il croit qu'on ne peut croire en rien, si ce n'est en eux. Faisant craquer sa nuque, il s'écrase à nouveau contre les parois chaudes de son exutoire tout en soupirant bruyamment par le nez.

« L'inspiration te reviendra. »

Il est désolé, le Erwin de ne pas pouvoir lui offrir ce dont il a besoin. Il est désolé de n'avoir aucun remède magique à ce syndrome si frustrant qu'est celui de la page blanche, des tremblements incontrôlés des doigts qui s'énervent à ne pas savoir quoi graver dans la pierre. Il doit s'en vouloir, ou peut-être est-il seulement touché de ne pas incarner son ultime révélation. S'échappant de la bulle d'Ackerman, il boucle ses préparatifs visant à faire sa sortie en toute subtilité tout en ajoutant pour briser cette glace massive.

« Je reviendrai. »

Il revient toujours. Il s'y est fait, il s'y est amouraché de cette présence fascinante, intouchable qu'il incarne. Il n'en répond rien, il ne fait que se dire que c'est loin d'être terminé. Qu'il le sait. Qu'il est nocif, intoxiqué et que dans sa perte il attire le médecin. Jubilatoire, jouissif d'une façon plus que singulière, la porte claque, mettant un point final aux ébats déroulés entre les draps fins de son lit. Il regrette un instant cette chaleur rassurante, ce désir atténué. Il s'en débarrasse, range tout ceci dans sa boîte qu'il glisse convenablement sous la boue de son arbre à douleur personnelle, là où des pommes moisies poussent.

« Putain d'merde. »

C'est balancé, c'est aussi sec qu'un désert, aussi aride qu'un été trompeur. L'alcool n'agit pas assez, pas assez pour lui. Aucune inspiration de prise, il se laisse glisser dans l'eau, tout y rentre, y compris sa tête. Et quelques bulles se mettent à transpercer cette fine couche réflectrice. Il cherche le salut. Il cherche la perdition. Il cherche. Il cherche. Sa respiration se perd entre ses poings serrés. Il cherche. Il cherche. Il cherche quoi, exactement ? Il ne sait pas, il ne sait plus, tout se trouble au fur et à mesure que ses poumons réclament de l'air pur. Il ne laisse pas faire. Jusqu'à la dernière seconde, jusqu'à ce que sa matière grise menace d'imploser. Il se redresse subitement, reprend une grande bouffée d'oxygène tout en retenant un léger râle. Renaissance à bien des égards, c'est les yeux révulsés qu'il fixe un point invisible disposé sur le mur en face. Torse en pagaille, il se remet à bouger à la même cadence qu'un train qui se met en marche. Les étoiles s'éparpillent pour laisser place à une évidence. Il cherche. Il sait ce qu'il cherche dorénavant. Il cherche sa muse. Il cherche celui, celle. Il cherche il ou elle. Il cherche cette âme profanée. Il ira jusqu'en enfer pour la retrouver. La perdue, l'esseulée, celle qui lui tendra une main salvatrice qu'il prendra. Celle. Cette muse bien cachée entre les pavés poisseux de la capitale anglaise. Il le saura quand il la trouvera. Et un sourire dément fend son masque tragique.

Là, elle est là.

Quelque part, à l'attendre.

Là, elle est là.

Pour le briser, pour l'enchaîner.

XXX

Bonjour ou bonsoir à vous selon l'heure où vous lisez ceci !

Avant tout, je tiens à vous remercier d'avoir posé les yeux sur ce premier essai de fanfiction, voilà des années que j'écris et suite à une discussion avec une amie qui m'est chère, je me suis lancée dans cette grande aventure. J'ose espérer que ma plume saura vous plaira, qu'elle vous tiendra ne serait-ce qu'un tant soit peu en haleine même s'il n'est pas question d'une intrigue policière - du moins pour le moment. N'hésitez pas à reviewer, je ne pense pas mordre ni être fermée d'esprit ! En matière de personnages, je ne compte pas m'arrêter uniquement à ce cher monsieur Smith évidemment, néanmoins je ne peux, je pense, pas encore tout vous dévoiler. Très bonne soirée et merci à vous. :3