Chapitre 1 : Rêve d'amour

Le soleil était déjà bien haut dans le ciel, même si l'on pouvait voir qu'il entamait déjà doucement sa descente vers la nuit, après avoir atteint son point culminant. Yvetta s'affairait à garnir la petite table de la terrasse de tasses et théières, ainsi que de petits gâteaux que, bien sur, Mère ne me laisserait certainement pas goûter. Je me décidai à fermer les pages de mon livre et à me diriger vers ma mère, en grande conversation avec sa grande amie Madame Noline. Son mari était le directeur de la banque où travaillait mon père. C'était d'ailleurs en premier lieu pour cette raison que mes parents avaient décidé de les fréquenter, espérant ainsi être dans leurs bonnes grâces si un jour le poste de directeur adjoint venait à être vacant.

Quand je fus à sa hauteur, Madame Noline me regarda de ses grands yeux noisette. Elle avait beau afficher sur son visage un sourire constant, je voyais très bien dans ses yeux le sentiment de suffisance, comme si personne ne pouvait trouver grâce à ses yeux, y compris ma mère. Elle avait cette manière de lui rappeler si subtilement qu'elle pouvait nous faire perdre tout ce que nous avions au moindre désagrément. Nous étions une famille aisée, mais la famille Noline l'était bien plus, ce qui faisait d'eux l'une des familles les plus fortunées de Boston.

-Esmée, ma chérie, plus tu grandis, plus je vois en toi une magnifique rose sur le point d'éclore. Qu'en penses-tu, Laura ? Elle sera bientôt une jeune femme, prête à se marier.

Ma mère me regarda d'une manière différente, comme si elle me voyait pour la première fois comme la vraie femme que j'étais en passe de devenir.

-Tu as raison, ma chère Lucia, elle sera bientôt une femme.

Elle le disait d'une manière résignée, comme si cela entrainait quelque chose de bien plus grave. Nous fûmes coupées dans nos songes par Yvetta, nous notifiant que le thé était prêt. Nous nous dirigeâmes toutes les trois vers la petite table de jardin. Je gratifiais Yvetta d'un sourire, la remerciai et pris place aux cotés de ma mère.

-Dites-moi, Laura, avez-vous déjà songé à un parti pour votre charmante fille ?

Ma mère sembla quelque peu déroutée par cette question car elle ne répondit pas tout de suite, me gratifiant toujours de ce regard, me donnant l'impression de s'excuser.

-A vrai dire, son père et moi n'avons pas arrêté de choix pour Esmée. Après tout, elle n'a encore que seize ans. Elle doit encore terminer ces études avant de songer au mariage.

-Cela va de soit, très chère, simple curiosité de ma part. Et toi, Esmée qu'en penses-tu ?

-Eh bien, pour être honnête, je veux simplement attendre le grand amour, qu'il arrive demain, dans deux ans ou dans dix ans, je l'attendrais. Chaque personne a une âme sœur, j'attendrais simplement la mienne.

Les deux femmes me regardaient comme si je venais d'une autre planète, puis elles échangèrent un regard amusé et finirent par partir dans un petit rire commun, ce qui me laissa quelque peu froissée.

Finalement, chacune reprit un semblant de sérieux et ma mère me gratifia d'un regard empli de joie et de tristesse. Elle venait de rire aux larmes et pourtant, elle affichait alors une mine des plus sérieuses.

-Ma chère enfant, les histoires de princesses et princes charmants sont des mythes. Dans la réalité, les choses sont parfois bien différentes, et la vie ne nous laisse parfois que peu d'opportunités.

Je sentis une pointe d'amertume dans ses propos. Mon père n'était-il pas son grand amour ? N'avait-il pas complété son âme par la sienne ? Et, dans le cas échéant, comment avait-elle pu vivre tant d'années avec lui et concevoir un enfant, fruit de l'amour véritable ? Non, je me refusais à croire que mes parents n'étaient pas des âmes sœurs. Ils l'étaient forcément, cela se voyait dans leurs yeux quand l'un croisait le regard de l'autre ; il y avait entre eux un amour véritable.

-L'amour n'est-il pas la priorité de la vie ? Une vie sans amour n'est pas une vie.

Les deux femmes échangèrent un nouveau regard mais cette fois, je n'eus pas droit à une réaction moqueuse. Elles semblaient plus me regarder comme si je parlais d'une chose que l'on ne peut imaginer avoir qu'en rêve.

-Ma chère enfant, ta mère as raison à ton sujet. Grandis encore un peu, deviens cette magnifique femme que tu promets d'être, et nous reparlerons de tout cela le moment venu.

Je voulus répliquer, dire que dans deux ans, je penserais toujours que seul l'amour véritable fait qu'une vie mérite d'être vécue. Mais le regard de ma mère m'intima clairement au silence, ce que je fis en offrant bien sur un sourire de soumission à Madame Noline.

Pour ma part, je ne pipai plus mot pendant un moment et ouvrir seulement la bouche pour interrompre ma mère, et lui demander si je pouvais me retirer dans ma chambre.

Une fois seule, je pris une grande inspiration et m'assis à mon bureau. Je pris une plume et commençai l'esquisse d'un poème sur le vieux papier. Mettre mes songes en vers avait toujours le don d'apaiser mon âme troublée. Je le finis en peu de temps, ce genre de situations étant pour moi propice à l'inspiration. Je fus tout de même en proie au doute quant au titre approprié. Je finis par parer au plus simple : Mon âme sœur.