Furélize marchait d'un pas vif et déterminé parmi les innombrables nuages qui voilaient la Terre. Rien n'entraverait sa progression vers le plus haut sommet de la titanesque masse duveteuse qu'elle foulait du pied. Sa décision était prise, et rien n'allait l'empêcher de passer à l'acte.
Un faible sourire s'étira sur son visage lorsque des volutes de vapeur s'entortillèrent à ses jambes et qu'un orage se déchaîna en tonnerre, éclairs et rafales de vent. Autant d'entités qui protestaient, mais Furélize ne se laissa pas impressionner, et encore moins ralentir.
Bientôt, Furélize surplombait la plus haute falaise de nuages des environs. En contrebas, trois mille mètres assuraient une chute mortelle à quiconque se précipiterait dans le vide. « Parfait » songea-t-elle en déployant ses ailes d'Archange aux plumes d'un noir de jais.
La main de Furélize s'égara entre les plumes en question. Puis, alors qu'une larme brûlait sa joue, elle en empoigna fermement une douzaine et les arracha.
Furélize ignora un élan d'atroces souffrances. Elle n'aurait pas la force de reprendre à nouveau si elle s'interrompait.
Ce qui sembla être une éternité plus tard, Furélize replia ses ailes mutilées contre elle-même en haletant et sanglotant. Elle y était parvenue. Au grand nombre de plumes manquantes, il lui serait impossible de voler.
Furélize s'approcha d'avantage de l'extrémité de la falaise de nuages, les orteils à quelques centimètres d'un gouffre vertigineux. Sa détermination ne devait pas faiblir. Elle concentra toute sa force de volonté.
Quelques heures plus tôt, Furélize avait découvert qui elle était réellement. En termes de nouvelles fracassantes concernant son identité, elle était plutôt aguerrie. Son frère lui avait révélé le jour de ses sept ans qu'elle était la fille d'un vieux barbu vénéré par des millions de croyants dans le monde entier. Il lui avait également expliqué que son père, Dieu, ignorait jusqu'à même son existence, et qu'il devait en demeurer ainsi. Elle avait donc intégré l'Ordre des Archanges, et y avait grandit malgré la ferme opposition de certains des membres, pour cause de ses ailes noires contrairement aux leurs d'un blanc pur. Mais ils n'avaient pas eu le choix de l'accueillir et de l'héberger, car il avait semblé à Furélize que son frère était très connu, respecté et influent.
Mais aujourd'hui, en entrant par effraction chez son père, elle avait ouvert un ouvrage qui amassait de la poussière sur une étagère. Le livre en question consignait tous les renseignements personnels de chaque être humain sur Terre. C'est en consultant son propre dossier que Furélize s'était rendue compte que chacune de ses respirations avait été contre-nature, défendue au plus haut point. Ce qu'elle était, qui elle était, ne pouvait pas vivre une seconde de plus.
Furélize fit dos à la falaise de nuages, puis bascula en arrière.
L'air siffla à ses oreilles, rabattant ses ailes meurtries l'une contre l'autre. Furélize s'opposa le moins possible à la résistance de l'air pour filer le plus rapidement possible vers le sol. Dans les secondes qui suivirent, elle creva la couche de nuages masquant la Terre, dos tourné vers un sol qui s'approchait à une vitesse alarmante.
Furélize parcourut le dernier cent mètres en quelques fractions de seconde. Plusieurs impacts résonnèrent dans son corps lorsqu'elle fracassa le flanc Nord d'une tour, ricocha contre un mur de six étages puis fissura de long en large un sol dallé de pierre.
Être mort ne faisait pas mal. Et pourtant, Furélize aurait pu rendre jaloux n'importe quel martyr.
Il n'y avait aucun doute, son cœur battait toujours. Après avoir détruit une partie du château sur lequel elle avait ''atterrit'', elle gisait à même une cour intérieure, enfoncée d'une dizaine de centimètres dans un sol de pierre. Ses ailes reposaient de toute leur envergure à ses côtés. Malgré les multiples collisions à grande vitesse, son corps ne comportait pas la moindre égratignure.
Furélize soupira d'un râle rauque, découragée par son échec.
Mourir n'allait pas être aussi facile que prévu pour l'Antéchrist.
