Shaka se redressa péniblement. Lentement, il déplia ses membres endoloris par la crispation et les coups reçus. Une fois de nouveau sur pieds, il épousseta son pantalon. Il espérait qu'ils ne reviendraient pas.

Il rentra chez lui l'air de rien, ne prêtant aucune attention aux nombreux bleus et coupures qui parsemaient sa peau. Il passa la porte, sa mère n'était pas rentrée. Shaka en profita pour se changer, et un rapide regard dans le miroir lui apprit que son oeil déjà douloureux tournait au violacé. Il en était à se désinfecter la joue, quand une tête blonde passa par l'embrasure de la porte:

-Shaka ? Je suis rentrée.

-Bonsoir maman.

Zut. Sa mère avait remarqué.

-Oh mon Dieu ! Qu'est-ce que c'est que tout ça ?! Tu t'es encore battu !

-Ce n'est rien.

Sa mère allait le sermonner avant de continuer à désinfecter ses plaies, mais son téléphone sonna. Un instant, Shaka se crut sauvé. Cependant, elle raccrocha directement avant de se saisir de pansements. Elle s'occupa de toutes les plaies de son fils avec sa douceur habituelle, et quand ce fut fini, elle prit le visage de Shaka dans ses mains.

Lui, il aimait que sa mère fasse ça. Il adorait ses mains blanches et fraîches. Et elle le regarda, l'un et l'autre se perdant dans leurs regards identiques.

-Shaka... Dis-moi ce qu'il s'est passé, susurra t-elle.

-Tout va bien.

-Arrête de me mentir. Je le sais.

-Une dispute qui a dégénéré. Ca arrive souvent tu sais.

Elle ne demanda pas plus de détails mais ne semblait pas franchement convaincue. Elle partit dans la cuisine pendant que Shaka allait s'installer au salon. La soirée se passa en silence, dans un silence confortable qui leur allait à tous les deux. Après le repas, sa mère vint le voir dans sa chambre.

-Il est déjà tard, je vais me coucher. A demain mon grand. Et si jamais tu as un souci, parles-en à maman, d'accord ?

-Oui maman. Bonne nuit !

Une fois seul et sûr que sa mère ne viendrait plus le voir, il s'autorisa à poser sa tête douloureuse sur les oreillers. Des larmes se mirent à couler malgré lui.

Ben alors le blondinet ? T'as peur ?

La fillette a peur ? Elle va appeler sa maman ?

Je... Je ne suis pas une fille.

Me fais pas rire toi. Shaka c'est un nom de meuf. Et pis t'as vu ta gueule d'angelot franchement, si t'es pas une fille je sais pas ce que t'es.

-Arrêtez !

Shaka se redressa, haletant. Il s'était endormi, et avait crié dans son sommeil. Sa mère arriva, catastrophée et bien réveillée.

-Shaka ! Tu es sûr que tout va bien ?

-Maman... Oui, je vais bien. Juste un mauvais rêve, pas de quoi s'inquiéter.

-Si ce n'est rien de grave, tu peux me le raconter ?

Sa mère venait de le coincer en beauté là.

-J'ai rêvé que tout disparaissait, mentit-il effrontément.

Sa mère sourit, puis dégagea la frange de son fils pour toucher le point de vie qu'il portait au front.

-Ne t'inquiètes pas de cela mon grand. Ca n'est pas près d'arriver. Tu ne veux pas qu'on coupe tes cheveux ? Ils sont vraiment très longs.

Shaka eut un pincement au coeur en entendant sa mère dit cela. Elle aussi le prenait pour une fille ? A tout bien réfléchir, les cheveux jusqu'à la taille ce n'était pas vraiment masculin mais bon...

-Non, je les aime bien comme ça. Et toi aussi tu as les cheveux très longs. Retourne dormir maman, je vais mieux.

-Sûr ?

-Oui.

-Alors bonne fin de nuit mon grand.

-Bonne nuit maman.

Le lendemain matin, quand Shaka passa le portail du lycée, un élève vint à sa rencontre. C'était Mû Lhakpa, son meilleur et à peu près seul ami. Il était aussi grand que lui, avait de grands yeux vert jade et de très longs cheveux lilas. Deux points rouges lui faisaient office de sourcils, une particularité de son pays disait-il. Il était venu du Tibet avec sa famille au Japon, pratiquait aussi le bouddhisme et parlait hindi. Shaka par son père avait appris à le parler et à l'écrire. Il ne savait pas pourquoi Mû connaissait ce langage mais cela lui importait peu.

-Bonjour Shaka ! Comment vas-tu ?

-Bonjour Mû, je vais bien merci. Et toi ?

-Mais oui ! Prêt pour l'interro de maths ?

-On va dire que oui !

Les deux compères étaient en pleine discussion quand deux autres lycéens parurent. L'un d'eux avait de courts cheveux blancs et l'autre des cheveux turquoise mi-longs. D'instinct, Shaka rentra la tête.

-Salut la fillette, fit le premier à l'attention de Shaka. Toujours une gueule d'ange à ce que je vois.

-Bonjour Angelo, répondit Mû. Toujours aussi pitoyable à ce que je vois.

Aphrodite, le garçon aux cheveux bleus, empoigna le tibétain par la cravate.

-Qu'est-ce qu'il a monsieur Gomette ? Il veut une correction aussi ?!

-Je ne rentrerai pas dans votre jeu bande de minables.

Aphrodite le regarda un instant puis le relâcha. Les deux s'éloignèrent en lançant :

-Vous ne perdez rien pour attendre les tapettes !

Puis Mû se retourna vers Shaka, qui avait baissé la tête et semblait terrorisé. Mû allait parler, mais la sonnerie retentit et ils partirent en cours. Shaka tenta d'ignorer les autres personnes de sa classe qui se payaient sa tête pour se concentrer sur la leçon.

Les cours passèrent de la manière la plus banale qui soit pour Shaka. c'est-à-dire entre les leçons et les moqueries d'Angelo, d'Aphrodite et de quelques autres.

Mû étant parti en catastrophe, Shaka allait rentrer seul quand un coup le fit vaciller. Il tomba à terre, et reçut un pied dans les gencives. Une pluie de violence s'abattit sur lui, assortie d'une flopée de jurons.

-Fille !

-Tapette !

-Bouffeur de curry !

-Travelo !

Shaka profita d'une courte accalmie pour se relever et prendre les jambes à son cou. Il courut jusqu'à les semer, s'arrêta pour reprendre haleine et soigner son apparence. Heureusement pour lui il n'avait rien au visage, au moins sa mère ne s'inquiétera pas. Il repartit d'un pas bien plus calme. Près de chez lui, il aperçut Aphrodite qui semblait chercher quelqu'un. Il passa LR plus discrètement possible et ferma la porte derrière lui en soupirant. Le jeune homme fut assailli par une odeur de curry et de la musique indienne. Sa mère parut, le salua et sembla le scruter quelques instants.

-Maman ? Pourquoi tant d'agitation ?

Elle eut un air attristé l'espace d'une seconde.

-L'anniversaire de ton père, c'est aujourd'hui.

-Oh. J'avais oublié.

Le père de Shaka était mort il y a quelques années d'une maladie incurable. Originaire d'Inde, il avait émigré au Japon avec sa femme (qui elle est européenne d'où les cheveux blonds, lui était tout ce qu'il y a de plus brun) suite à la naissance de Shaka. Le jeune garçon grandit donc au Japon, baigné dans la culture de son père. Mais il finit par tomber malade et mourir peu après.

Depuis, la mère de Shaka commémorait les anniversaires de naissance et de décès de son défunt mari, avec le frère de ce dernier et son fils.

-Shaka ! Mon neveu ! Comment vas-tu ?

-Bonjour oncle Shijima ! Bien, et toi ?

-Bien, oui ! Quel beau jeune homme tu deviens !

-Si on oublie mes cheveux longs, oui...

-Mais ça te va si bien !

Ce fut une belle soirée pour Shaka, mélange de regrets et de joie.