Disclaimer : Les personnages de Harry Potter sont la propriété de J. K. Rowling


Pour une paire de lunettes

Tu as entendu ? Oui, bien sur que tu as entendu. Il a fait un bruit assourdissant en tombant. Encore. Chaque marche contre laquelle il s'est cogné a fait retentir un son grotesque qui s'est répercuté en échos dans chaque pièce et a fait quelque peu vibrer les vitres de la maison. Une drôle de symphonie qui résonne dans ta tête. Plus aigre que douce. Sans mélodie, et dépourvue d'harmonie. Loin du grand Mozart et de Sébastien Bach. Cela ressemble d'avantage à une sorte d'essai à la musique contemporaine. Un concerto étrange, un orchestre embarrassant, et pourtant, une musique familière.

Ton épluche légume est bien positionné dans ta main droite, de même que la carotte qui attend d'être mise à nue sagement dans celle de gauche. Mais ton geste est suspendu. Le temps semble s'être arrêté pour un temps. La cuisine est propre, chaque chose est à sa place. À ta gauche se trouve l'évier, vide de toute vaisselle, dénué de toute saleté. Au mur sont suspendus divers ustensiles de cuisine, soigneusement rangés par taille. Sur la table fraîchement essuyée, derrière toi, trône un exemplaire du Times qui indique la date du 6 juillet 1984. C'est celui d'aujourd'hui. Il a été plié à la va-vite et semble bousculer l'ordre ambiant de la pièce. Sur ta droite, tu peux apercevoir quelques condiments dans leurs bocaux de verre, méticuleusement étiquetés. Et dans ta tête, cette mélodie vulgaire qui ne cesse de retentir.

Tu sais ce qu'il s'est passé. Oui, tu le sais très bien. Ce n'est pas la première fois que cela arrive. Et cela se reproduira encore. Il est petit et il voit mal. Il n'est pas robuste comme Dudley. Il n'arrive pas à descendre les marches tout seul. Elles sont bien trop hautes et bien trop floues.

La drôle de symphonie a cessé aussi soudainement qu'elle avait commencé. Le calme est revenu en maître dans la maison. Pourtant elle ne cesse de résonner encore, et encore dans ta tête.

Vous êtes seuls dans la maison, mais il n'a même pas essayer de t'appeler. Cela fait quelques temps qu'il a cessé de le faire. Tu l'entends qui essaye de s'empêcher de gémir, sans grand succès. Tu devines à travers la porte qui vous sépare, les larmes qu'il n'a pas réussi à retenir et qui mouillent à présent ses joues roses. C'est un enfant qui a mal et qui ne sait pas encore comment faire pour refouler la douleur qu'il ressent. Un enfant pour qui un bisou magique sur ses petits genoux noueux aurait pu tout arranger. Effacer les milles souffrances de son petit cœur meurtri et y ramener l'espoir en fanfare. Mais la magie, ça n'existe pas. Tu ne veux plus que ça existe et Vermon ne cesse de lui répéter comme une messe.

Pourtant, tu as mal pour lui. Tu n'arrives pas à t'en empêcher. Ce n'est qu'un enfant qui n'y voit rien et qui avance à taton dans un monde trop flou pour lui.

Tu l'entends qui essaye désormais de se relever. Il hoquète à travers ses dernières larmes, et ton cœur se serre soudain. Tu as envie de lâcher cette pauvre carotte et courir le consoler. Mais déjà il est retourné dans son placard et le peu de bruit qui te criait sa présence c'est tarit brutalement.

Tu reprends ton activité arrêtée pour quelques instants et achève finalement ce vulgaire légume.

Un jour, la prochaine fois, tu iras sécher ses larmes. Oui, voilà, la prochaine fois c'est ce que tu feras. Mais avant, tu essaieras de convaincre Vermon de lui acheter une paire de lunettes.