Salut, toi qui viens lire. Passe un bon moment ici. Je te le souhaite.


Il descendit de l'ascenseur, un timide frisson lui secoua le dos lorsqu'il revit enfin ces murs froids, plongés dans de grises ténèbres. N'était-il pas arrivé dans la salle de contrôle qu'il croyait déjà sentir le sol vitreux se dérober sous ses pas intimidés. De nombreux souvenirs, ô combien insignifiants au premier abord mais néanmoins plus importants pour lui que sa propre et actuelle vie, se bousculaient à l'entrée de sa mémoire, comme il se pressait contre les parois du conduit de ventilation pour leur passer devant.

Une fois sorti, il atteignit enfin cette pièce presque secrète. Celle où demeuraient les commandes, à l'abri derrière les deux grandes vitres du renard et de la ballerine. Il demeura un instant immobile au centre même de la petite chambre afin d'en ressentir pleinement le pouvoir. Il s'accordait l'endroit, gisant devant lui dans le noir, fermé et vide comme le ventre interdit d'une femme. Il se sentait violeur des lois de l'univers tout entier. Il en palpita entièrement.

Que le monde dans son dos, soit assez intelligent pour cesser de le rappeler à lui, dès maintenant.

Lui qui continue à avoir peur du noir, y voyant encore parfois quelques reflets de ses stupides cauchemars, lui se sentait invincible au milieu des ombres engloutissantes d'ici.

Quelqu'était le lieu, il percevait continuellement ces craintes que le jour lui donnait la force de contempler, de raisonner, mais que la nuit le poussait à fuir a nouveau du regard.

Tous les lieux sauf ici.

Ici les ogresses noires avaient un corps, des formes, des mains. Des mains qu'il baisait de son propre chef. Des formes qu'il admirait sans gêne. Un corps qu'il passerait une vie à serrer. Ici les ténèbres étaient des créatures magnifiques et des apparitions surnaturelles, qui l'invitaient aux rêves les plus tordus que son esprit puisse procréer.

Il n'accorda pas plus d'importance au monde dont il venait qu'aux halls où étaient les autres robots. Il passa donc, une fois leur présence devenue insupportable tant il les sentaient l'observer, son chemin et progressa dans les ténèbres.

Car il y avait dans ce sous-sol aux envoûtantes noirceurs, quelque chose qui les surpassait toutes. Quelqu'un au-dessus. Une poupée à la peau de miroir et aux frivolités attisantes. Aux grands yeux d'émeraudes et aux enfantines couettes rousses. Une meurtrière animale à l'apparence de douce petite fille. Qui vaut tous les rêves du monde ? Elle seule, et malgré le sang qui s'est peut-être écoulé de son appétit.

Fou d'empressement, il se hâta de doubler les murs du second conduit et atterrit finalement à genoux devant les vitrines de la Galerie Circus.

Son absence lui fit bien plus de peur que l'obscurité silencieuse qui l'encerclait à travers le verre.

Pour l'appeler, il voulut forcer sa criminelle beauté à se montrer. Il chercha le bouton, envoya une décharge qui, il l'espérait, la ferait revenir sur le devant de la scène pour le bonheur de ses yeux suspendus à la galerie. Qui après le court instant de lumière, demeura vide.

Les plus beaux jouets sont toujours les plus résistants.

S'essayant à un deuxième choc, il fut désespéré de découvrir qu'elle ne daignait pas répondre à son appel. Il se retint de se jeter sur la vitre, mais il aurait voulu la briser, et appeler son nom avec le bruit du verre sur les murs.

Soudain, il vit un mot percer l'obscurité.

"Ici."

Sa voix. Sa tendre voix. Son timbre glauque et virtuose. Elle l'appelait !

Il fit prestement demi-tour. A plat ventre dans la ventilation, il chercha à courir. Il se rougit les coudes à ramper.

Il s'arracha à lui et trébucha comme un rocher d'une montagne dans la pièce précédente.

"Ici."

Loin de faire attention à la direction, il s'empressa derrière la voix qui semblait courir elle aussi.

"Attends-moi !"

Ainsi arriva t-il finalement devant la petite fille blanche de peur au milieu des odieuses machines qui ne lui rendaient qu'un reflet distordu. Il leur jetterait la honte au visage pour qu'elles puissent disparaitre et les laisser seuls tous les deux.

Face à elle, il perdit enfin ses moyens. Il subit la tant attendue ecchymose de la crainte avec laquelle se mêlait une fascination dont elle était autant la cause que la victime. Et lui l'assassin surpris par l'occasion d'un meurtre au détour d'une rue inconnue.

Elle était là.

Immobile.

Presque offerte.

Mais à quoi bon se précipiter ? Derrière son visage d'ange peint serpentaient des entrailles froides, qui ne s'étaient jamais tordues que de désespoir.

En tous cas, c'est ce que lui inspiraient ces yeux noirs qui éteignaient les feux qu'ouverts ils avaient attisés, ainsi que ce faux sourire qui lui déchirait son doux visage. Quelles tristesse et cruauté que de ne pouvoir se défaire d'une telle mascarade ; il était prêt à tout pour l'aider à atteindre la joie et la sérénité éternelles. Mais avant ça...

En tremblant devant l'audace qui élevait sa main, il caressa sa couette rousse, elle était gelée, puis descendit en épousant fidèlement les formes de son crâne et de son visage, passa doucement sur son nez rouge qu'il provoqua du bout des doigts, et continua de pénétrer la limite de son intimité jusqu'à sa poitrine.

C'est horriblement délicieux. Il a l'impression de la violer, la trahir en faisant d'elle ce qu'il désire ainsi, de profiter de son impuissance. Mais elle est tellement belle.

Malgré la peur de se voir déshonorer par ses actes , il poursuivit son épaule, descendit son bras et pressa ses doigts sur les siens fermés sur le micro. Elle était puissante. Il sentait cette force surveiller l'occasion de se manifester. Le surveiller lui.

Saisi de honte, il s'éloigna brusquement d'un pas et cacha son bras dans son dos.

Il ne pourrait jamais.

Et puis n'était-elle pas trop prétendante, trop magnifique, trop inaccessible ? Même dans la terreur de ses émeraudes annonciateurs de la pire des fins, elle restait la plus angélique, la plus divine.

Il préférait reconnaître son infériorité et s'agenouiller devant sa toute splendeur.

"S'il te plaît, réveille-toi. Circus Baby.

Les portes de son avenir demeurèrent closes, puisqu'elle ne pouvait l'ouvrir que par ses yeux.

-Je sais que tu m'entends ! Regarde-moi !

Toujours autant d'indifférence le secoua une deuxième fois. Il lui écria :

-Tu es la plus belle, comme tu mens ! Je sais que tu es éveillée : tu m'as amenée ici. Tu m'as guidé au milieu des ombres et des pièges qui font cet endroit."

Mais tu restes le plus envoûtant de tous.

Au miracle, elle ouvrit son regard. Sa tête se releva dans le même roulement de billes qui révéla ses paupières.

Ses yeux blancs, Ses iris vertes, ils trouaient l'obscurité dans leur démence parfaite. Et triste. Ces yeux étaient en vie. Elle était en vie. Au milieu de la pression mortelle de ces mécanismes, de cet endroit, son endroit, elle vivait, réellement.

"Vous... cherchez quelque chose.

-Et tu m'y as mené... inspira t-il en se noyant dans la porcelaine glacée de son regard.

Elle eut entre les éclats de sa froideur un rire assourdissant. Une voix d'enfant qui emplit ses oreilles comme pour les faire exploser.

-Pourquoi tu ris ? Non. Je ne veux pas le savoir. Ris. J'aimerais n'entendre plus que tes cris."

La fillette parut le prendre au sérieux. Elle planta ses iris aiguisées dans les siennes. Lui frissonna d'extase en apercevant la Mort surgir derrière le masque et se maquiller des couleurs festives de sa poupée.

Puis ses yeux le rattrapèrent. Ils l'encerclèrent d'ombres confortables, et l'accablèrent dans un profonde certitude que ce plaisir était partagé. Dans la caresse chaude de leur douleur, il trouva celle qui l'habitait et la poursuivit dans les tréfonds abyssaux de ses yeux volontaires.

"Que cherchez-vous ?"

Son impériosité... Cependant il fut glacé d'effroi en face de ce qu'il était venu chercher.

Ce n'est pas ce qu'il désirait. Il voulait la prendre, saisir le sens de sa douleur pour l'accroître et l'en extirper ! Pas se retrouver sans moyens, à genoux au pied d'un trône de rebus métalliques !

"J-...

-Tu... mais nous..."

Il s'attrapa le crâne en hurlant et en basculant sur son dos, tomba en arrière. Puis il se mit alors à convulser de terreur, en se tordant en tous sens sous des yeux qui voulaient soudainement sa mort.

Quand il jeta à nouveau son regard sombrant dans l'inconscience vers le spectre qu'il avait pensé pouvoir enchaîner à ses désirs, il ne constata que l'infériorité à laquelle ils étaient tombés sous la pointe glacée de son chausson rouge.

En roulant une dernière fois ses yeux lentement poussé vers l'intérieur de son visage, il croisa la lueur mortelle de sa défaite dans sourire du sien.

"Aide-moi...! Je-je ne veux pas mourir...!

Le souffle de ses lèvres rêvé ne l'effleura même pas quand elle lui demanda :

-Alors pourquoi es-tu venu ici ?"

Il y eut un hurlement depuis le tréfond, un cri qui résonna délicieusement dans les oreilles de tous les habitants de ce lieu maudit. Un cri dont ils se repurent tous un par un sans annuler leur fin. Un cri qui avait disparu quand l'ascenseur arriva, une deuxième fois cette nuit-là.

Cette première nuit.


J'l'ai écrit y'a un bail ! Quand j'm'intéressais encore à la licence. Mais ça m'a pas empêché de réajuster certains détails va ! Au moins j'ai pu enfin(peut-être ?) en faire profiter un fan ! A plus toi lecteur !