Disclaimer: Rien ne m'appartient

"On est ce que l'on croit. Dès que vous ne croyez plus vous êtes perdu." Ben Harper

Réflexe

Elle l'avait fait des centaines de fois. Des milliers peut-être, après le septième coup elle avait cessé de compter. Elle avait replié son doigt, pressé la détente si souvent que le geste est gravé en elle, il n'est qu'un réflexe. Elle le faisait depuis plusieurs années sans même sourciller. Elle ne tremblait plus et ne voyait plus les visages, que des dossiers. Elle appuyait sur la gâchette parce qu'on le lui avait appris et qu'on le lui avait ordonné.

Elle n'est pas un monstre. Elle avait pleuré les premiers fois, fait des cauchemars qui auraient fait hurler les plus insensibles des dur à cuire. Elle avait senti cette pointe de culpabilité et de dégout alors que l'objet de sa mission s'effondrait au sol. Elle la ressent encore, et cela la rassure, de savoir qu'il reste une part d'humanité en elle. Mais comme tant de gens habitués à côtoyer la mort, ces inconnus de peu de foi et sans morale ne sont rien que des noms. Leur vie contre des dizaines jusqu'à des milliers d'innocents qu'est-ce ? Rien ! Elle exécute les ordres, elle exécute des hommes parce que c'est ce qu'il faut faire. Parce que c'est ce qu'on lui demande. Elle ne tue pas, elle sauve et c'est ce qui importe. Elle le fait en pensant à tous ceux qu'elle n'a pu protéger et qui, par la main d'hommes comme ceux qu'elle pourchasse, sont tombés.

Elle l'a fait une nouvelle fois, celle de trop peut-être. Elle a plié son index, toujours ce réflexe. Elle n'a pas sourcillé, n'a pas tremblé, juste cligné des yeux. Elle a tiré, comme on le lui avait appris. Elle a suivi les ordres, ceux donnés avec le dossier. Elle l'a fait. Et il est tombé. Comme tant d'autres, il a touché le sol avec cet air surpris, celui qu'arborent ceux qui n'ont pas vu venir la mort.

La culpabilité est là, bien ancrée en elle. Elle lui dévore le cœur. Le dégout aussi, son estomac est au bord de ses lèvres alors que son regard s'accroche à la flaque carmin qui s'étend sur le sol de béton. Elle descend les premières marches, son esprit peinant à comprendre. Mécaniquement, elle s'approche du corps. Elle descend les dernières marches en tanguant légèrement, son arme toujours dans sa main, se balançant aux rythmes de ses pas. Puis, elle s'arrête, les yeux fixés sur son dernier dossier bouclé.

Elle sent une présence à sa gauche, mais son regard ne peut se détourner du béton rougeoyant. L'homme à ses côtés parle, avec des mots qui n'ont aucun sens. Elle lui répond, avec d'autres qui n'en ont encore moins. Puis il se tait, et une légère pression se ressent sur sa main gauche avant de disparaître aussi subitement qu'elle était apparue. Un vague bruit de pas résonne derrière-elle, et elle le sait, elle est seule.

Elle n'est pas un monstre, elle le sait, mais elle n'arrive pas à faire taire la petite voix qui lui dit que lui non plus. Il était celui qui les chassait sans relâche, comme elle, pour elle. Il était son héros jusqu'à ce que le réflexe prenne le dessus. Elle chante alors, pour le héros perdu, pour les monstres qu'ils ne sont pas et pour celle qu'elle n'est plus.