1) Cygnes et aigles

Le ciel doré de la capitale française s'empourprait progressivement, debout les allumeurs de réverbères enflammaient de leur feu les mèches des chandelles qui se trouvaient dans leurs lanternes. Alors que la ville lumière renaissait, des carrosses arrivèrent un par un devant la cour de l'Ambassade du Graad à Paris où un bal masqué avait lieu en l'honneur de l'anniversaire de Lady Séraphina, première Dame du comté de Sibérie Orientale.

Les laquais en ligne prenaient à l'assaut chacun des fiacres à l'arrêt d'où, d'un coup brusque, ils abaissaient le marchepied et ouvraient en s'inclinant la portière du véhicule.
Le valet, main tendue aidait ces dames à descendre.

Lady Séraphina portait une création parisienne en tissu de Lyon aux couleurs d'un bleu pastel sur lequel avait été cousu des boutons de roses accompagnés d'une chute de dentelles. Son corset offrait un décolleté plongeant à la mode sur sa poitrine généreuse, au teint d'une blancheur neigeuse qui rappelait celle de ses contrées.
Sa taille resserrée l'affina un peu plus pour développer la courbe de ses hanches.
Ses cheveux longs avaient eux été relevés laissant quelques mèches flotter sur ses joues et sur ses épaules dénudées.

Son amie Calvera qui l'accompagnait, la peau dorée par le soleil mexicain, portait quant à elle, une robe d'un vert très clair dont le corsage était pailleté de petits papillons dorés, la partie jupe descendait elle en cascade de ruches volantes.
Sa chevelure noire était tirée en arrière par des petits peignes, sur lesquels avait été noués coquettement des œillets.

Les seules consignes qu'elles avaient reçues étaient d'arriver ensemble, accompagnées d'un garde du Graad.
Avant de quitter le château où elles séjournaient, des masques aux plumes blanches et au nez légèrement allongé, un brin orangé, leur avait été déposés.

Cygnes malgré elles derrière leurs duvets, elles gravirent les premières marches de l'Ambassade où Unity les attendait.
Lui avait fière allure dans son costume d'apparat décoré d'une ceinture rouge dans laquelle s'était entremêlée une épée. Il portait également un loup représentant un aigle royal au plumage irisé gris marron, au bec crochu argenté.
– Mesdemoiselles, vous êtes sensationnelles ! Fit-il en s'inclinant.
Après s'être montrées respectueuses, Séraphina lui demanda:
– Ainsi, tu as organisé un bal masqué ?
– Oui, en ton honneur. Demoiselles cygnes, gentilshommes aigles.
Très heureuse de sa réponse, sa sœur lui donna un baiser sur la joue.
– Ce masque est de toute splendeur, Unity. Merci de m'en avoir offert un.
– C'est avec plaisir Calvera. Venez. Leur fit-il en leur montrant le chemin.

Sous une galerie de colonnes, un majordome leur ouvrit les doubles portes en chêne qui cachaient derrière elles, la grande salle des réceptions où se trouvait une foule bavarde faite de gracieux oiseaux et de rapaces prestigieux qui n'étaient autre qu'ambassadeurs et aristocrates de toutes les nations alliées au Sanctuaire.

Unity présenta l'un des sièges de velours grenat qui parsemaient la pièce, à sa sœur et lui demanda de s'y asseoir.

Le maître d'hôtel s'approcha d'eux avec un plateau sur lequel était posé quelques coupes de champagne qu'il proposait aux convives.

Debout il leva son verre et ses invités le suivirent, il prit la parole:
– Ma chère Séraphina, c'est ici dans ta capitale préférée, aux côtés de nos amis et amies, fit-il en s'inclinant, que je voudrais te souhaiter un joyeux anniversaire pour tes vingt ans. Je lève mon verre à ma charmante sœur qui embellit de sa présence la morosité du froid Sibérien.

Leurs invités les imitèrent et tous trinquèrent à la santé de l'héroïne du jour.
« Joyeux anniversaire Lady Séraphina ! »

Elle leur sourit à tous et les remercia en ouvrant le bal avec son frère, comme le voulait le cérémonial de la cour du Graad.

Les yeux de Calvera eux s'attardèrent sur la décoration des lieux. Il y avait des statues de chérubins pétrifiés s'amusant.
Le plafond était lui, orné de guirlandes florales qui encadraient des peintures bibliques, à côté desquelles était suspendus d'énormes luminaires décoratifs, le style semblait s'exprimer en rococo.
Certains murs étaient recouverts de fresques presque pompéiennes, d'autres étaient des parois couvertes de glaces, sur lesquelles se reflétaient comme des halos lumineux, les bulles de champagne pétillants dans leur cristal.
Son regard se dirigeait alors vers les toilettes somptueuses des dames, lorsqu'on la sortit de sa contemplation en la pinçant.
Elle sursauta, prête à donner une gifle à l'imposteur qui arrêta d'un coup net sa main. .
– Alors, serpent à plumes, ne te gêne surtout pas ! Prends du plaisir devant tous ces pompeux !
Elle retourna la tête sur lui qui n'avait pas lâché sa main et la lui baisa.
– Scorpion ! Comment as-tu fait pour me reconnaître ?
– C'est moi qui t'ai envoyé ces œillets pour tes cheveux, ils les parfument magnifiquement bien.
Elle rougit.
– Merci pour le cadeau, Kardia.
– Tu veux bien me suivre ? J'ai à te parler.

A ce moment-là, un jeune homme au visage hâlé s'approcha d'eux:
– Señorita Calvera ? L'interrogea t-il en s'inclinant.
– Monsieur ? Fit-elle d'une révérence.
– Armando. Lui répondit-il. Je suis le fils de l'Ambassadeur Sanchez du Mexique. Je ne savais pas que l'une de nos jolies compatriotes serait présente à cette réception. Me feriez-vous l'honneur d'être ma cavalière ? Lui demanda t-il en lui offrant une coupe de champagne.
Kardia, les bras croisés, regardait leur scène derrière son loup et non sans une pointe d'agacement lui sourit pour finalement lui arracher les deux verres des mains.
– Muchas gracias Armando ! Mais ce soir, Mademoiselle Calvera est sous ma protection.

Kardia, toujours aussi sûr de lui, se fraya un chemin dans la foule d'où il l'entraîna sans qu'elle puisse dire un mot, laissant Armando planté seul sur les lames des bois du plancher, bouche bée.
– Tu ferais mieux de me dire tout de suite où nous allons, Scorpion !
– Se balader.
– Tu n'as aucun savoir-vivre Kardia ! Sais-tu au moins qui il était ?
Le Scorpion poussa un soupir en guise de réponse.
– J'aurais pu négocier l'arrivage de produits nouveaux pour ma taverne !
– J'avais oublié que marchander avec un "je ne sais qui" à une soirée d'anniversaire où l'on a été invitée et lorsqu'on est déjà accompagnée, était "élégant" puisque tu veux parler de "délicatesse" ! railla t-il.

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Pendant ce temps-là, Dégel caché également derrière son masque, s'approcha de Séraphina et s'inclina en même temps que l'Ambassadeur de Russie.
– M'accorderiez-vous la prochaine danse, Lady Séraphina ? Demandèrent-ils ensemble.
– Ne me l'auriez-vous pas promise, dame Séraphina ? La questionna le russe qui se dénuda le visage.
– C'est un honneur Monsieur l'Ambassadeur, affirma t-elle. Mais la promesse fut donnée à mon ami ici présent, le chevalier Dégel.
Le dignitaire le regarda et répondit sur un ton sarcastique:
– Puisqu'on ne marche pas sur les plates-bandes d'un Saint d'Athéna...
Il prit congé.
Dégel trouva sa réponse remplie d'indélicatesse et voulut lui répondre mais, elle lui fit une profonde révérence:
- C'est avec joie que j'accepte votre invitation, Dégel.
– Ainsi, vous m'aviez reconnu ? Lui demanda t-il.
– Votre loup ne m'empêcherait guère de vous reconnaître. Lui répondit-elle.

Dans cette ambiance presque carnavalesque, l'étiquette semblait être oubliée, elle prit la liberté de continuer en lui effleurant les cheveux:
– Personne ne possède une chevelure pareille à la vôtre...
Puis l'admirant, elle le félicita:
– Quel déploiement de magnificence dans ce costume !
Il sourit.
– Flatteuse que vous êtes !
Elle rit joyeusement.
– C'est celui de l'ordre du Sanctuaire d'Athéna. Mais c'est moi qui manque de civilité, pardonnez-moi, j'ai omis de vous souhaiter un très joyeux anniversaire et de vous dire à quel point vous étiez ravissante. Lui dit-il en lui offrant un baisemain.

La voyant brusquement intimidée, il enchaîna:
– J'espère ne pas avoir offensé l'ambassadeur. Il y a un tas d'hommes qui aimeraient danser avec vous.
– Ils ne m'intéressent pas. Je préfère être avec...
Elle n'acheva pas sa phrase de peur de trahir ses sentiments.
Il lui sourit timidement, l'orchestre se mit à jouer les premiers accords d'une valse. *
– Danserons-nous ?
– Oui, dansons.

Dégel passa son bras sous la taille de Séraphina en appuyant sa main sur sa hanche, elle en frissonna et il la fixa, lui prenant la main et la serrant dans la sienne sans la quitter du regard. Lorsqu'il la pressa contre son torse, il la sentit trembler de tout son corps et l'entraîna sur le parquet, tournoyant autour de la salle pas après pas.

Les couples virevoltaient avec joie sur cette danse tournante rythmée, les dames attendaient avec impatience la "volta"*.
Dégel souleva Séraphina qu'il trouva légère dans ses bras pour ce fameux saut, avant de lui redéposer les pieds de nouveau sur le sol pour continuer à tourbillonner.

L'orchestre s'arrêta, il la remercia et ils se retrouvèrent devant l'une des portes qui donnaient sur le hall d'entrée, d'où se pressaient de nouveaux fêtards.
Traversant leur invasion, elle pensa qu'il la reconduisait auprès de leurs amis mais, il la tira vers lui et l'emmena.